Actes de justice, événements publics (colloque)

CEFRES, Prague, République tchèque

12-14 octobre 2017     

     

L'histoire sociale des procès de criminels de guerre, tenus à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et dans les décennies qui suivent, ouvre deux champs de recherche. Premièrement, l'étude des procès dans leurs dimensions juridiques, politiques et sociales invite à relever le défi d'écrire l'histoire de divers acteurs qui co-produisent l'action judiciaire. Un pan de l'historiographie récente se penche sur les pratiques et les discours des professionnels de la justice et des enquêteurs, des autorités politiques et des témoins, qui, à leur manière, contribuent à façonner le procès. Deuxièmement, la diversité des médias mobilisés pour couvrir les procès ainsi que la variété et les temporalités de leurs usages croisés restent largement à explorer. À ce titre, les études consacrées aux vecteurs de la diffusion d'informations sur les procès mettent en lumière les frictions entre la « dramaturgie judiciaire » et celle offerte par la narration journalistique, littéraire ou visuelle.

L'objet de ce colloque est de proposer une jonction entre ces deux champs d'interrogation, en portant une attention privilégiée aux procès conçus comme des événements publics. En élargissant la focale d'analyse à l'investissement d'une diversité d'acteurs professionnels et sociaux dans la formation de l'événement qu'est le procès public ou médiatisé, le colloque vise à soumettre à une interrogation collective la notion de publicisation. Les choix politiques et institutionnels de ne pas mener un procès à huis clos se prolongent dans les modalités selon lesquelles ces procès sont rendus publics, perçus par la population et selon lesquelles s'organisent les interactions avec celle-ci. Mettre à distance sur le plan épistémologique les termes de communication et de médiatisation permet de ne pas contenir ces acteurs dans le statut de simples porteurs des décisions politiques, de ne pas assigner à la presse filmée et écrite, à la radio et au théâtre, les fonctions de véhicules de renseignements confectionnés dans d'autres champs. Il s’agira dès lors de croiser l’analyse des formes d’implication de divers acteurs (magistrats et policiers, mais aussi dénonciateurs, témoins, accusés...) avec celle du rôle des supports médiatiques dans l’organisation, le déroulement et la réception des procès. Le colloque fera ainsi ressortir la singularité des procès publicisés dans l’ensemble des procédures visant les criminels contre l'humanité.

Prague

Photographies du procès de Tallinn en 1961 : intérieur et extérieur du club des officiers où se tient le procès.

Source : Eesti filmarhiiv (Tallinn).

Nous nous proposons d’étudier la tension entre nature judiciaire et historique de tels procès en étudiant non pas uniquement les intentions et pratiques des autorités politiques et judiciaires, mais aussi le rôle joué par les autres co-producteurs de l’événement. Nous nous intéressons par exemple à la recherche de bourreaux par des anciennes victimes qui interpellent les organismes d'enquête pour les traduire en justice, aux contributions d'associations commémoratives à l'organisation des procès, aux réactions de publics, à la publication d'informations sur les procès. Lorsque les lecteurs de ces matériaux promotionnels réclament des peines plus lourdes et une couverture large de la justice faite aux « criminels de guerre », s'agit-il exclusivement d’une participation publique organisée par le haut ? Les acteurs judiciaires et ceux des médias, les témoins et les communautés de mémoire transforment les récits de la Seconde guerre Mondiale que l’action judiciaire contribue à promouvoir dans l’espace public.

Ce premier défi, qui consiste à concevoir les procès comme des faits sociaux, en appelle un deuxième, concernant plus spécifiquement les procès tenus à l’Est de l’Europe, dans les pays en voie de satellisation vis-à-vis de l’Union soviétique. Le parti pris analytique interroge en effet les façons selon lesquelles l'espace public est pensé dans les régimes politiques de type socialiste. En dialogue avec les travaux sur les formes d'autonomie des acteurs sociaux au sein de ces derniers, nous aspirons à conjuguer cette perspective avec une approche comparée, en examinant les procès tenus à l'Ouest comme à l'Est. L'avantage de cette approche réside dans sa capacité à traiter ensemble la dimension politique des procès publics et les formes de mobilisation des acteurs professionnels et sociaux dans le contexte de la guerre froide. La temporalité politique propre à chaque pays sera prise en considération : le colloque ne saura tenir à distance l'héritage des procès soviétiques des années 1930, par exemple. En revanche, il ne faut pas sous-estimer la transformation de la conjoncture dans l'après-guerre. Les procès des « criminels de guerre », ont-ils pu être mobilisés afin de consolider la légitimité interne des régimes, de développer une pédagogie politique, de susciter des formes de participation populaire au projet de société poursuivi ? Les requêtes individuelles ou les formes de mécontentement populaire ont-elles pu influencer le choix d'octroyer ou non aux procès de criminels contre l'humanité un caractère public ? La perspective adoptée permettra de les positionner par rapport aux récits nationaux sur la Seconde Guerre mondiale en constitution dans l'après-guerre et d'entrevoir de quelle façon ces interrogations se déclinent selon les types de régimes politiques.

Organisatrices

Audrey Kichelewski (Université de Strasbourg) : kichelewski@unistra.fr

Irina Tcherneva (Paris I) : irina.tcherneva@ehess.fr 

Comité scientifique

D. Astashkin, A. Blum, A. Kichelewski, S. Lindeperg, F. Mayer, G. Mouralis, M. Steinle, I. Tcherneva.

Partenaires

Centre français de recherche en sciences sociales (Prague) ; Fondation Maison des Sciences de l’Homme (Paris) ; Fonds Russe pour la Recherche scientifique (RGNF, Moscou) ; Centre Marc Bloch (Berlin) ; Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre européen (Paris) ; Centre d'études et de recherches en Histoire et esthétique du cinéma/HiCSA (Paris) ; Groupe de recherche Connaissance de l’Europe médiane (Paris) ; Centre d’études franco-russe de Moscou.

ANR
CEFR
CEFRES
FMSH
HICSA
WW2
CMB
CERCEC
RGNF