La figure du chef en France, Allemagne, Union soviétique et aux États-Unis de 1890 à 1940
Directeur d'études

(EHESS - CRH : Centre de recherches historiques et CERCEC : Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre européen)

 

 « À cet égard, le plus petit chef de poste du Maroc et César sont de la même essence1 »

Cet article tente de circonscrire un phénomène qui joue un rôle considérable dans l’histoire du XXe siècle, et peut-être seulement de ce siècle : la figure du chef. Il s’agit par là de reconnaître un élément de la composition profonde de la vie sociale. Cette entité est encore peu élaborée par les historiens et les sociologues parce qu’elle est transversale à toutes les spécialisations qui découpent les disciplines et à leurs descriptions des ensembles sociaux. Seuls quatre pays sont envisagés ici : la France, l’Allemagne, l’Union soviétique et les États-Unis. Il est bien probable qu’une étude complète aurait besoin d’en inclure bien d’autres en Europe et sur d’autres continents.

Dans ces pays où la révolution industrielle connaît déjà un certain développement, il se constitue à partir du début du XXe siècle une figure du chef qui n’existait pas au XIXe en ceci qu’elle se présente comme une forme sociale générale, sinon universelle2. Pour répondre à l’inquiétude des élites économiques, politiques, militaires, culturelles, elle vient en quelque sorte combler la disparition de la classe naturelle de commandement qu’était l’aristocratie, proposer une solution aux grands problèmes de société et donner une forme générale à l’ambition de chacun dans tous les secteurs de la vie sociale, en politique et dans l’entreprise en tout premier lieu3. Tout le monde n’y participe pas, mais elle est adoptée sous des formes très diverses par de nombreux milieux qui ne sont pas forcément amis les uns des autres et qui y contribuent chacun pour leur part4. Si le mouvement est particulier à chaque pays, il ne se déploie pas sans circulations transnationales comme celles de la psychologie des foules, du management scientifique et du culte non pas tant du chef que de cette figure du chef même. La période étudiée court des années 1890 à 19405.

Les mots pour dire le chef

Si dans trois des langues concernées les termes s’imposent pour dire de quoi est la figure (respectivement du chef, du leader et du Führer), il semble qu’il faille recourir à deux mots pour le russe et parler des figures du vožd’ (chef mais proche de guide) et du rukovoditel’ (chef mais proche de dirigeant). La chose sera envisagée plus loin. Si les mots existent depuis longtemps dans chacune des langues, avec bien d’autres encore qui désignent les porteurs de l’autorité dans différents domaines et à différents niveaux, la figure ne se forme qu’au XXe siècle.

Mais, dans une première phase, dès la fin du XIXe siècle et les premières années du XXe, la signification de ces termes se transforme.

En français, le sens du mot chef, jusqu’à la fin du XIXe siècle, était, étymologiquement et pratiquement, celui de la tête d’un corps. En 1694, le premier dictionnaire de l’Académie française énonce que « le Chancelier est le chef de la Justice », que « le Premier président est le chef du Parlement », etc. Cela ne concernait donc pas les intermédiaires auxquels s’appliquaient quantité d’autres noms que celui de chef. Dans l’entreprise, au XIXe siècle, le chef, c’est le patron. Dans un règlement d’usine de 1862, on peut lire : « Les contremaîtres ou commis de l’établissement, représentant les chefs et agissant en leur nom, doivent être obéis et respectés comme les chefs le seraient eux-mêmes ». Le mot de « chef » sert pourtant de plus en plus pour désigner des titres précis comme « ingénieur en chef », « chef d’atelier » et, vers la fin du siècle, « chef d’équipe » 6. Dans l’administration publique, il se construit au XIXe siècle des hiérarchies administratives très précises où les « chefs de division » et les « chefs de bureau » ont des affectations bien définies. Cette construction aboutit au début du XXe siècle à la conception du « pouvoir hiérarchique » comme une cascade de « chefs » procédant depuis le ministre 7. Réservé jusque-là aux plus hautes positions, le mot de chef ne s’impose que lentement pour tous ceux qui ont des fonctions de commandement intermédiaires, aussi petites soient-elles, aussi proches soient-elles de la « première ligne ». On est renvoyé à chaque fois à un statut individuel et non pas à une catégorie générale, sauf dans l’expression des ouvriers grévistes qui ne s’embarrassent pas de ces distinctions et crient, dans le dernier quart du XIXe siècle : « À bas les chefs ! », regroupant performativement tous les degrés. Le mot « chef » devient par là intransitif, grâce en partie à cette pratique sémantique ouvrière 8. C’est dans l’armée que le mot chef commence à revêtir la plus grande généralité. Le général Foch parle en 1903 d’« un chef placé à un échelon quelconque de la hiérarchie » 9.

Chaîne de fabrication d'obus

1940. Chaîne de fabrication d'obus de 155 à l'usine Peugeot de Sochaux. Le chef est à droite en cravate.

On peut dire que la fortune du mot de chef comme terme général commence avec la publication, en 1895, d’un livre qui rencontre immédiatement un grand succès international, Psychologie des foules de Gustave Le Bon. Le Bon propose des solutions pour « ne pas être trop gouverné par [les foules] 10». Le terme qu’il emploie est surtout celui de meneur. Mais pour un ingénieur ou un officier, il est difficile de se reconnaître dans un tel terme car le meneur selon Le Bon est presque un psychopathe qui imprime ses convictions aux foules qu’il manipule. La place du chef est pourtant trouvée là, dans la maîtrise et la conduite des foules, et la foule pour Le Bon est n’importe quel groupement humain. « Chef » acquiert une dimension générique qui vaut pour tous les niveaux.

Le mot Führer s’impose quand on pense au chef allemand du XXe siècle. Cependant, jusqu’au début de ce siècle, ce mot ne désigne, au contraire de celui de « chef » en français, que de petites fonctions : le guide de voyage (aussi bien le personnage que le livre) ou le conducteur d’une machine. Pour parler d’un chef, le terme de Leiter domine. De plus, le modèle monarchique est encore très prégnant. En 1868, le premier ouvrage allemand sur le management des entreprises se sert d’un tel modèle. « Un seul doit régner », car la monarchie est, selon l’auteur, l’unique forme constitutionnelle justifiée pour l’entreprise : « Le monarque doit être l’entrepreneur ou bien celui qui le supplée. Son œil, sa volonté doivent tout pénétrer 11». Or ce modèle est renversé dans les premières années du XXe siècle. La discussion moderne sur le scientific management de l’États-unien Taylor y joue un grand rôle, mais c’est surtout l’évolution politique qui imprime sa marque. Les chefs ne doivent plus se modeler sur le Kaiser, mais c’est le Kaiser qui doit être désormais un bon Führer pour le développement de l’Allemagne. Pour le vingt-cinquième anniversaire de Guillaume II, un intellectuel déclare ainsi : « Nous réclamons un Führer pour lequel passer à travers le feu 12 ». En allemand, scientific management se traduit par wissenschaftliche Betriebsführung et c’est ce terme de Führung, le guidage ou la gestion, qui s’applique à la conduite de l’entreprise. La discussion qui traverse le pays sur les termes de Führer et de Führung précède beaucoup, on le voit, l’apparition du nazisme. Il y a bien une transformation sémantique datée et elle est, comme en France, liée à la croissance économique et industrielle et aux problèmes politiques qu’elle pose aux élites de toute nature.

En Russie, on perçoit à ce moment la fragilité du pouvoir tsariste et on tente de penser ce qui peut permettre au pays d’échapper à ses incertitudes. Le côté du pouvoir cherche à éviter non pas seulement la révolution, mais même la réforme. Dans ce pays où la révolution industrielle s’engage et qui se plaint de manquer d’hommes pratiques, c’est justement la formation de nouvelles générations de chefs qui paraît la solution la plus prometteuse, tant pour la politique que pour l’économie. L’un des principaux hommes d’État décrit en 1896 de quels chefs l’État russe a un cruel besoin et quelles doivent être leur éducation et leurs qualités 13. Son livre est traduit en anglais à peine deux ans plus tard. Nous sommes plutôt de ce côté avec des chefs qui dirigent, des rukovoditeli. Mais du côté de l’opposition au pouvoir et de la révolution, c’est le chef qui guide qui apparaît, tout aussi important que celui qui dirige. Le livre fondateur du bolchevisme est écrit en 1902. C’est le Que faire ? de Lénine. Or c’est un livre sur le chef et sur le commandement autant, sinon plus, que sur l’avant-garde. Il dit ce que doit être un social-démocrate : d’abord un chef. Le terme principalement employé est celui de vožd’, qui est équivalent à celui de leader, de Führer ou de Duce en italien, et secondairement celui de « rukovoditel’ ». Pour Lénine, le parti social-démocrate doit être non pas seulement une organisation de militants mais, je cite, une « organisation de chefs »14.

La langue anglaise connaît une inflexion du même type à la même période. Les États-Unis, évidemment, se servent de cette langue dans laquelle le mot leader existe de longue date, mais pas le terme de leadership qui ne s’installe vraiment qu’à la fin du XIXe siècle. Ce qui se renforce alors, c’est le discours que les Américains tiennent sur eux-mêmes et sur leur pays, fabriqué par des leaders. Le souci pour le leadership se manifeste dès lors en tous domaines, l’éducation autant que la politique, l’industrie que l’armée. Pour l’auteur en 1904 de la première tentative mondiale d’une psychologie du leadership, celui-ci est en toute généralité le « fait majeur de la vie sociale 15». Le leadership du pays, des entreprises et de tout groupe, les leaders en tous domaines deviennent dès avant la Première Guerre mondiale des objets d’une discussion partagée et croisée. Le futur président des États-Unis Woodrow Wilson en est un des principaux protagonistes. Taylor, qui construit une théorie déterministe d’organisation scientifique du travail cherchant à échapper à l’influence des individus, participe paradoxalement aussi à ce vocabulaire. Lors d’une conférence à Harvard en 1909, il vante « les dons rares des grands conducteurs d’hommes qui appellent à la fois l’admiration, l’amour, le respect et la crainte ». Harvard, justement, est qualifiée par un autre auteur de « mère des leaders ». On voit se formuler dans cette université un grand nombre des principales propositions sur le leadership. Aux États-Unis, l’école sera très tôt investie comme le lieu de la formation des leaders dès leur prime enfance. Si le mot de leader appartient bien à la langue anglaise, celui de leadership est plutôt états-unien16.

Concevoir la figure

La Première Guerre mondiale et les révolutions qu’elle entraîne font irruption sur ces prémisses et renforcent un mouvement clairement dessiné. La figure du chef se cristallise alors. Au moins en France, elle est le fruit d’efforts délibérés. Dès lors qu’il se forme un « chef » d’emploi intransitif, il trouve son incarnation.

La figure du chef qui existe déjà est individuelle. En fait, ce sont plutôt des figures de chefs. Celle de Napoléon, par exemple, domine largement en France comme celle Bismarck en Allemagne ou celles des présidents fondateurs aux États-Unis. La guerre promeut d’autres grands chefs, comme en France les maréchaux Joffre et Foch et en Allemagne Hindenburg.

Dans la plus grande durée, l’histoire de la figure du chef ne nous mène à rien moins que celle de la figure elle-même. En effet, le modèle absolu de la figure individuelle, ou en latin figura, est Moïse. Dans un article majeur, Figura, publié en Italie en 1938, Erich Auerbach traite de la manière encore visible dont Moïse annonce Jésus et en est la figure dans l’art chrétien au sein d’un cadre où l’Ancien Testament est conçu par les Pères de l’Église comme une préfiguration du Nouveau17. Soixante-dix ans auparavant, l’historien bien connu Sainte-Beuve disait déjà que « Moïse n'est pas seulement un homme, un personnage réel, c'est une figure : en même temps qu'il prédit le Christ et le Messie, il le reproduit par avance dans quelques-unes de ses souffrances, de ses stations et de ses agonies douloureuses 18 ». Or Moïse, figure du Christ, est un chef, le guide du peuple juif qui se constitue dans cette guidance même. Pour les catholiques et bien d’autres et jusqu’à Freud, Jésus est à son tour « le chef » de l’Église catholique19. Nous ne sommes donc plus seulement dans la figure du chef. Nous sommes dans ce qu’est une figure, puisque Moïse est le modèle de la figure comme forme sociale et donc, pourrait-on dire, la figure de la figure. Autrement dit, dans l'histoire culturelle, un chef est la figure de toute figure. C’est dire la force, historiquement construite et rien moins que naturelle, de la figure du chef, au moins dans les cultures occidentales, et la force attendue et effective de la construction délibérée de cette figure au XXe siècle.

La figure du chef qui se profile à l’occasion de la Première Guerre mondiale n’est plus tant celle d’individus (de chefs nommés), elle est celle d’un type social. C’est ainsi qu’un psychologue français, J.-M. Lahy, se donne explicitement pour projet de forger la figure du chef ou, plus exactement, je cite : le « type humain : chef ». Il écrit, dans le premier article français sur « La psychologie du chef » : « Nous voulons atteindre un but plus général, créer une abstraction chef où seront réunis les caractères communs aux divers grades et réassembler les qualités dissociées qu’on attribue au chef pour apercevoir dans son unité le type humain : chef ». Ce qui est visé est la description d’une catégorie générale de chef. D’autres auteurs, plus proches des théories modernes du management, se donnent au même moment la même tâche d’esquisser « la physionomie des chefs » pour les uns ou « l’élaboration de la figure moderne du chef d’entreprise » pour un autre en 193020.

Dès lors, c’est à la confection d’un outil de structuration du social que s’invitent ces personnes. Ce qu’ils appellent eux-mêmes une « figure » ou une « physionomie » ne se réduit pas au mot, celui de chef, et à ses divers équivalents dans les différentes langues. La figure du chef est un complexe signifiant qui comporte, outre le mot, des composantes d’ordres variés : des images, des représentations, des « caractères communs » et des qualités (chez J.-M. Lahy), des « traits » (dans la psychologie américaine du leadership), des comportements, des signes matériels, un rapport à soi comme chef, et certainement d’autres éléments encore21. Sans négliger parmi eux l’intérêt même que leur portent les sciences humaines et sociales, psychologie et sociologie au premier rang, et ce faisant leur nette contribution. Et elle est constituée aussi, cette figure, par des pratiques de nomination, de reconnaissance, de formation, de mémoire, de célébration et par des règles, des récompenses, des punitions qui servent à édifier et consolider les hiérarchies.

La figure a des visages. Il importe certainement de noter que cette figure du XXe siècle se forme dans un nouveau régime des images. La conduite des masses, que la modernité identifie comme un phénomène qui la constitue, exige de retraduire le portrait des rois en portraits de chefs et de tirer tout le parti de la reproduction mécanique des images22.

Affiche de 1950

« Staline se soucie de chacun de nous au Kremlin ». Affiche de 1950 inspirée d'une photographie des années 1930. 

L’image d’un chef, photographié ou filmé, ne montre pas ses infirmités : Staline avait honte de son bras gauche plus court à la suite d’un accident d’enfance et de son visage marqué par la petite vérole ; le conseiller en relations publiques de Franklin Roosevelt lui a enjoint de ne jamais être photographié dans sa chaise d’invalide. L’œil se porte à l’horizon, vers le futur où toutes les promesses du présent auront été tenues. Le doigt pointe vers l’objectif à atteindre, forcément partagé par le spectateur. Le chef et le leader, intransitifs, sont montrés dans leur rapport avec les masses : Roosevelt parlant au micro de ses causeries au coin du feu (fireside chats), Staline désignant du doigt depuis le mausolée de Lénine un valeureux prolétaire défilant ou une jeune pionnière, Hitler jouant de la pelle dans l’ouverture d’un chantier d’autoroute, Mussolini affrontant, menton devant, la foule rassemblée. Les chefs des autres grades ont leur photo sur les tableaux d’honneur ou dans les pages des journaux d’entreprise. La participation des images à la figure du chef mériterait plusieurs volumes d’histoire comparée, transnationale et transsectorielle.

La « figure » s’apparente à la « persona » que les historiens des sciences utilisent pour parler du savant, de la « scientific persona » qui se dessine en Occident depuis le XVIe siècle. Persona, comme pour le chef, ne désigne ni une profession, ni un « rôle », mais une « physionomie reconnaissable »23. Comme la figure du chef, la scientific persona est un complexe signifiant. Elle a un nom, celui de scientifique (scientist) qui l’oppose au nom de la persona qui la précède, le « savant », lui-même précédé du « philosophe naturel » (natural philosopher). Cette physionomie du scientifique est aussi formée de traits standards (comme l’attention à l’objet, l’humilité, le désintéressement, le cerveau spécial) tout en empruntant des caractères spécifiques aux différents contextes culturels.

Le terme de persona a l’avantage sur celui de « figure », qui est plus répandu aussi bien dans le langage des acteurs que dans celui des sciences sociales, d’attirer l’attention sur l’importance de l’enjeu personnel. Le mot latin persona signifie masque (de théâtre). La persona de chef est-elle un masque ? L’étude de sa « figure » présente une collection de traits (toujours positifs) qui s’imposent aux personnes et leur servent pour se définir elles-mêmes dans ce qu’elles ont d’essentiel. Pas plus que la scientific persona, la figure de chef n’est un « rôle » comme ceux entre lesquels on circule en passant d’un contexte à l’autre selon le sociologue américain Erwin Goffman 24. La figure de chef suppose de mener un travail sur soi-même pour mieux accomplir son activité publique. Elle comporte donc encore une sorte de réflexivité. Elle a des caractéristiques collectives et elle contribue fortement à composer la personne, plus, à composer cette personnalité même qui est l’objet de multiples soins psychologiques et d’intérêts littéraires dans cette même période25. Les chefs sont invités à écouter des conférences, à suivre des formations ou à lire des livres sur la personnalité. Dès lors, il ne semble pas que cette persona contemporaine soit équivalente à la persona médiévale : elle ne constitue pas un masque sous lequel un moi véritable existerait, plus ou moins dominé. Elle contribue à constituer la personne. Cette fabrique du rapport aux autres est une fabrique de soi et non pas celle d’une illusion. Nous ne sommes donc pas non plus dans une persona telle que Jung la définit : « un masque de l’esprit collectif, un masque qui déguise l’individualité » 26. La persona adoptée – comme celle de chef – est, sinon toute la vérité, une part de la vérité des personnes, une vérité elle-même composite, multiple et en même temps unique. Il en est de même pour la figure. Celle-ci n’est pas extérieure aux personnes. Quand les gens deviennent des chefs, ils en adoptent la figure comme une part d’eux-mêmes.

On peut suivre la contribution de chaque pays à la confection d’une figure. Il y a de fortes spécificités locales aux figures du chef qui se bâtissent dans chaque pays, mais elles n’en sont pas moins marquées par une culture internationale du commandement qui circule de façon particulièrement intense. Avec la floraison des discours scientifiques et politiques sur le chef, le commandement et les foules dans toute une série de pays, il s’est formé à l’échelle du monde, à partir de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, une vaste aire de circulation27 où se rencontrent les lecteurs de Le Bon, de Lénine, de Taylor, du psychologue français Binet, du théoricien français de l’administration Fayol, de Staline, de Max Weber, des psychologues sociaux américains, etc., tous contributeurs plus ou moins directs à la figure du chef.

Les qualités du leader états-unien

Il se développe rapidement aux États-Unis des professions entières qui se donnent pour tâche de travailler sur les qualités des chefs, leur sélection et leur formation. On y trouve des éducateurs, des psychologues, des sociologues, des penseurs du management, des politiques. Ils créent des formations au leadership dans les universités et les management schools. On dit dès les années 1920 aux contremaîtres qu’ils doivent être des leaders et on leur propose des formations spécifiques pour qu’ils en rejoignent dûment la figure. Les États-Unis sont le principal atelier où se définissent les qualités du chef ou, autrement dit, les « traits » de sa « personnalité », qui contribuent au premier chef à composer la figure du leader. Or ces attributs peuvent être très variés. De fait, aucune liste de qualités commune et unique ne parvient à se construire à travers les publications et les échanges.

Pour l’un, « quelques-unes des qualités ou caractéristiques qui paraissent être à la base du talent pour le leadershipleadership ability ] sont la personnalité, la persévérance, le tact, le courage, l’initiative, la décision et l’intelligence ». Pour un autre, ce sont « l’initiative, le self-control et l’autonomie ». Pour le troisième, les jeunes filles leaders peuvent avoir pour qualités d’être fiables, amicales, avoir une « personnalité magnétique », de l’initiative, une apparence de commandement. Pour une quatrième, qui a enquêté dans des camps de jeunes filles, ce sont « la santé et la vitalité, la loyauté et l’enthousiasme » qui ressortent les premiers 28. Il me semble que cet aperçu suffit pour saisir la dispersion des catégories descriptives utilisées. À l’inverse, les études sur les qualités qui font le suiveur, celui qui obéit (« followerwhip »), sont beaucoup plus rares. Le « followership » vaut pour celui qui « reconnaît le leadership responsable, donne toute sa valeur à l’opinion des experts, respecte l’expérience passée, sacrifie son moi pour le bien de la tâche, coopère avec joie au bien du groupe, travaille fidèlement dans les commissions » et surtout, bien sûr, reconnaît les autorités 29.

Elizaveta Adamovna Iessaian

Au sommet de la pyramide, Elizaveta Adamovna Iessaian, cheffe d'un magasin réservé à Bakou (Azerbaïdjan) au début des années 1930. Merci à Elisabeth Essaian pour la communication de cette photographie.

Les qualités qui font le leader sont donc un grand chantier ouvert en tous domaines… Masculin ? Féminin ? Un des principaux auteurs écrit que « le leader, dans le vieux sens de boss ou de chef utilisait des traits pensés […] comme masculins, tandis que le leader comme homme d’influence (éducateur) utilise beaucoup de traits souvent pensés comme féminins. Bien entendu, complète-t-il, un mélange de ces traits est nécessaire dans le leader efficace, qu’il soit homme ou femme 30 ». Mais il ne faut pas s’y tromper : la figure du leader se dit massivement au masculin, et il en est de même dans les autres pays pour leurs chefs, Führer et voždia.

Périodiquement, éducateurs et psychologues spécialisés reconnaissent la très faible fiabilité « scientifique » des résultats obtenus dans les recherches sur les qualités des chefs. C’est un constat bien établi à l’orée de la Seconde Guerre mondiale 31. Mais peu importe, il faut dire aux leaders qu’ils en sont. Les traits de la figure, même s’ils échappent à toute définition scientifique, leur fournissent un miroir reconstituant. Edward Bernays, un des inventeurs et grand maître états-unien des relations publiques, ne s'abuse pas. Pour lui, « la personnalité est un instrument de propagande » et c’est une fonction constante du conseiller en relations publiques que de valoriser de façon vivante la personnalité de ceux qui incarnent les groupes qu’ils dirigent et, affirme-t-il, « l’opinion l’exige instinctivement 32. » Un chef se flatte.

L’élection de Franklin D. Roosevelt à la présidence des États-Unis en 1932 témoigne bien de cette nouvelle culture. Dans les douze minutes de sa première adresse au peuple américain, en mars 1933, au moment le plus critique de la grande dépression, on trouve sept fois le terme de leadership, par exemple : « J’assume sans hésitation le leadership de cette grande armée de notre peuple qui se consacre à une attaque disciplinée de nos problèmes communs ». Rien de semblable dans les adresses inaugurales des précédents présidents.

Le leader états-unien est une des caractéristiques du pays et de son identité. Le développement d’une culture du leadership correspond au moment où ce pays pose sa candidature à l’hégémonie mondiale. Elle est indissociable de ce projet. Penser en termes de leadership dans n’importe quel pays du monde renvoie ainsi invariablement à la référence et à la politique états-uniennes.

En France

En France, les qualités du chef ne sont pas l’objet de recherches menées par des psychologues expérimentaux qui tenteraient comme aux États-Unis de calculer la part des unes et des autres et leurs corrélations. Quelques termes différents des qualités états-uniennes affleurent dans les textes, comme ceux de caractère, d’exemple à donner, mais d’autres sont communs. Ainsi, l’un des principaux penseurs de l’administration, du commandement et du chef, Henri Fayol, veut d’abord que le chef ait « santé et vigueur physique » et, en second, intelligence et vigueur intellectuelle. Ensuite arrivent les qualités morales que sont la volonté réfléchie, ferme et persévérante, l’activité, l’énergie et même l’audace si nécessaire, l’honnêteté, l’initiative, le courage d’assumer les responsabilités, le sentiment du devoir et la préoccupation pour l’intérêt général. Le caractère, très prisé des militaires, n’y est pourtant pas car Fayol le trouve trop imprécis et peu apte à regrouper les éléments précédents. En quatrième lieu, il convient que le chef ait une « solide culture générale ». Il faut aussi qu’il sache administrer et qu’il soit compétent dans son domaine33. Le grand exemple du chef français, sa grande figure singulière est durant cette période incontestablement Hubert Lyautey, l’officier devenu maréchal, artisan de la colonisation principalement en Afrique et l’un des premiers à penser lui-même le chef dans le texte qu’il publie en 1891 sur « le rôle social de l’officier ». Penser au chef en France et y penser le chef, c’est penser à Lyautey.

Dans ce pays, l’être-chef a partie liée avec l’humanité. Tout d’abord, à la différence de la proposition de J.-M. Lahy pour qui tous ne sont pas des chefs car l’être relève d’un type humain particulier34, il est souvent donné à chacun d’être un chef. Un ancien aumônier des tranchées et futur responsable des Scouts de France l’annonce : « Tous ne seront pas des directeurs généraux, mais tous nous pourrons être chefs, ne fût-ce que chefs d’escouade, chefs d’équipe ou chefs de famille. À vrai dire personne n’y échappe35 ». Le propos en rejoint bien d’autres sous d’autres plumes. Être un chef, c’est être un homme et réciproquement. L’un des ouvrages français les plus réputés sur le chef, œuvre d’un grand ingénieur – et lecteur de Lyautey –, Raoul Dautry, dessine le portrait de l’homme de ce temps : « Un homme peut être un chef véritable si même il n’a sous ses ordres que deux manœuvres. Ce ne sont pas les feuilles de chêne qui font le chef indiscuté. Celui-là est chef qui est entièrement fidèle aux responsabilités de sa fonction ; qui l’anime et suscite en elle des initiatives ; qui en accomplit les rites avec amour ; et qui dans sa tâche sait trouver un contact d’amitié avec les autres hommes. Celui-là, il n’est même pas besoin de dire qu’il est un chef. Il est un homme. Un chef n’est jamais, à tous les degrés de l’échelle, que celui qui assure totalement son métier d’homme ». Et Marc Bloch lui-même, rencontrant un remarquable chef pendant la Drôle de guerre, commente : « J’avais fait la découverte d’un homme 36». La figure française du chef est ainsi naturalisée. Cette pensée, largement partagée, de l’homme comme chef – l’homme masculin – date cette époque qu’il est devenu très difficile de se représenter aujourd’hui sous ce jour, bien qu’elle n’ait guère plus de quatre-vingts ans.

Soviétiques

La figure stalinienne du chef est le chef autorisé à l’être. Elle ne comporte pas la moindre réserve qui viendrait d’une propension libertaire du marxisme, laquelle n’existe pas. Elle peut se diviser en deux. Il y a d’abord le chef dans l’entreprise, le rukovoditel’. Ce chef relève du commandement unique que Lénine avait défini dès 1918. Selon lui, si les ouvriers ont tous les droits en politique, au travail, ils doivent rigoureusement obéir au chef : « Il faut apprendre, écrit-il, à conjuguer l’esprit démocratique des masses laborieuses, tel qu’il se manifeste dans les meetings, impétueux, débordant, pareil à une crue printanière, avec une discipline de fer pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté d’un seul, du chef soviétique (soveckogo rukovoditelâ37 ». Comme ce chef est fonctionnel et nécessaire à la construction du socialisme, il peut avoir des qualités. Le gouvernement stalinien relance le chef unique après la période de la NEP où il s’était fondu dans le « triangle » composé du directeur de l’usine ou du service administratif (1), du secrétaire du parti (2) et de celui du syndicat (3). La directive de septembre 1929 qui réinstaure le commandement unique dans l’économie, déclenche de larges discussions dans les entreprises. L’enjeu consiste à éviter l’ingérence directe du parti et du syndicat dans les décisions de gestion. La réalité des pratiques est bien entendu autre chose que la règle. Si pour les plus grandes entreprises et les plus importants chantiers des premiers plans quinquennaux, le chef opérationnel (le directeur) prend clairement le dessus sur le responsable du parti de même niveau, il n’en est pas forcément de même pour celui d’entreprises plus modestes. En tout cas, les directeurs sont dotés de « droits », d’autorité. Au point que, à l’occasion du congrès du parti de janvier 1934, dit le « congrès des vainqueurs », les grands chefs du pays et la Pravda leur demandent de se montrer désormais des chefs, et donc d’en avoir les qualités, en premier lieu celle d’être « avtoritetnyï », c’est-à-dire d’être compétent dans son domaine. La figure du chef économique et administratif exige qu’il (ce n’est ici aussi qu’excessivement rarement « elle ») soit exercé, expérimenté, compétent et attentif à son personnel et capable de répondre instantanément à toute injonction de l’instance supérieure.

La figure du chef politique est un peu différente. Ses premiers traits sont positionnels. Il doit se tenir à la tête des masses, être à l’avant-garde, ne pas être suiviste. Dans une lettre de 1934, Staline attire l’attention de plusieurs membres du bureau politique sur ce que pourrait être le modèle du chef. Les affaires vont très mal dans la région de Cheliabinsk dont un nommé Ryndin est le secrétaire du parti. Staline écrit que « Ryndin est un démagogue de basse volée, il se conforme à ses collaborateurs, il se traîne à leur queue, il ne sait pas les diriger, les conduire, il a peur de les offenser 38». Le chef doit conduire et non rester derrière, il doit avoir ce courage précis de ne pas complaire à ses propres subordonnés. Innombrables sont les mentions de la nécessité de chefs « forts » et la dénonciation des « faibles » (sans parler des opportunistes) : cette force doit être orientée vers les ennemis toujours menaçants, mais aussi vers les amis car ils sont toujours prêts à céder aux ennemis 39.

Quant à ses qualités, la figure du chef politique offre l’image renversée de la figure libérale. Staline la dessine en personne et en pensant à sa personne. Il est celui qu’on appelle officiellement le Vožd’, qualification qui avait été, plus discrètement, accordée auparavant à Lénine. Pour Staline, il ne s’agit en aucune façon d’être un « homme exceptionnel ». En effet, les « masses promeuvent même des gens ordinaires ! ». Staline prononce ces paroles dans une conversation en petit comité avec ses plus proches compagnons après les festivités du 20e anniversaire d’Octobre, le 7 novembre 1937, qui est aussi le moment le plus intense de la répression menée dans le pays, à la fois contre toute une série de groupes sociaux et nationaux et contre de larges franges du parti communiste et des autres organisations publiques. Autant dire que les propos de Staline ont un sens très particulier en ces temps de grande fauchaison. La cible de ces remarques est principalement formée des trotskistes, ces « figures », qui ne s’appuyaient, eux, que sur les hommes d’élite. Staline opère là un retournement essentiel. En se décrivant lui-même et ses proches compagnons comme « ordinaires », il dessine la bonne figure du chef pour le mouvement communiste tout entier. Le chef communiste est justement celui qui n’a pas les qualités qu’on dira bientôt « charismatiques ». Par exemple, il ne sait pas forcément parler de manière flamboyante : « Si je me compare à leur talent oratoire, je suis un pauvre orateur », dit Staline en pensant à Trotski et à ses supposés amis. Ce qui devient le summum pour le dirigeant communiste est précisément l’absence de la meilleure qualité du chef libéral.

C’est la logique même du déploiement du culte communiste du chef, qu’on a beaucoup nommé culte de la personnalité. Le culte de Staline ne cesse de se développer en URSS depuis 1929. Mais il est nié : il ne peut pas y avoir de culte de la personnalité, et d’ailleurs la modestie même de Staline et des cadres communistes l’interdit. Staline s’en prend explicitement à la possibilité même d’un culte de la personnalité : « Les personnalités apparaissent et disparaissent dans l’histoire, le peuple reste et il ne se trompe jamais. […] La personnalité n’est pas l’essentiel ». Dès lors, tout chef stalinien a pour qualité première d’être modeste. Pour mieux être un chef, il faut emprunter à la vieille figure ouvrière de l’anti-chef, c’est-à-dire du chef autre que celui qui protège les profits et les projets capitalistes, mais bien celui qui est débonnaire, attentif, affectueux et paternel, et impitoyable pour l’ennemi qu’il « démasque » dans ou hors du parti40.

La figure du chef n’est pas moins imposante dans le communisme au pouvoir qu’ailleurs. Elle est même probablement plus structurante du social que dans un pays libéral où, même si elle est parfois hésitante et peu claire, la recherche de conciliation entre le chef et la démocratie est constante, comme le montrent les publications et les débats qui ont cours aux États-Unis et en France sur cette question depuis le début du XXe siècle.

Les formes allemandes puis hitlériennes de la figure du chef

En tout cas, dans l’entre-deux-guerres, cette même capacité de l’Allemagne de concilier le chef et la démocratie a duré les moins de quinze ans de la République de Weimar, avant qu’une autre formule ne l’emporte, selon laquelle la démocratie est l’ennemie radicale du Führer, et qu’elle ne précipite l’Allemagne dans le crime absolu et dans l’écrasement par une guerre mondiale provoquée par elle-même.

La figure du Führer se développe au moins en deux lieux, celui du politique et celui de l’industrie, mais aussi en deux temps. Le temps du débat public pendant la République de Weimar fournit le visage d’une Allemagne qui n’est qu’un parmi tous les pays où l’obsession du chef et des chefs se déploie. La victoire d’Hitler en 1933 fait basculer ce pays dans le règne extrême d’une figure du chef, non seulement exacerbée mais placée au cœur de tout ce qui est essentiel.

À partir du moment où Guillaume II apparaît comme un piètre chef de guerre en 1917, l’évidence s’impose d’une république constitutionnelle pour l’Allemagne. En de nombreux points du spectre politique, on dit la même chose : l’Allemagne a manqué d’un Führer.

C’est dans ce cadre qu’apparaît la proposition de Max Weber. Weber intervient à la fois dans la sociologie et dans la politique et, des deux côtés, il donne droit de cité au chef. De plus, il propose un cadre interprétatif très fort pour le débat sur l’autorité et sur le chef qui a cours non seulement en Allemagne mais dans bien d’autres pays. Ce moment est celui où il perfectionne sa sociologie de la domination et où, en même temps, il prend part de façon intense à la scène politique41. Méfiant dans la capacité de la démocratie allemande de permettre une heureuse « sélection des chefs », Weber propose un président élu directement par le peuple, habilité à dissoudre le parlement et à prendre des mesures d’exception. Là est la place immédiate pour le chef charismatique qu’il définit politiquement en même temps qu’il le pense sociologiquement. Pour Weber, la démocratie n’a pas le choix : « Ou bien une démocratie admet à sa tête un vrai chef et par suite accepte l'existence d'une “machine”, ou bien elle renie les chefs et elle tombe alors sous la domination des “politiciens de métier” sans vocation qui ne possèdent pas les qualités charismatiques profondes qui font les chefs42 ». On le voit : la démocratie n’est pas l’opposé du chef et ses formes dominantes en sont marquées jusqu’à aujourd’hui. Le chef wébérien a donc des qualités qui le rendent charismatique. Dans un passage, elles sont la volonté et la puissance de la parole démagogique et, dans un autre, les trois « qualités » majeures du chef politique sont la passion, le sens de la responsabilité personnelle et le « coup d’œil »43. N’est-ce pas cette figure que rejette L’Homme sans qualités de Robert Musil ?

Il importe de remarquer que, pour l’heure et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, la notion de charisme ne sort presque pas du corpus de la sociologie allemande. Ce n’est qu’après cette guerre que sa capacité de conférer cet attribut de charismatique à la figure du chef est développée à la fois au sein de la discipline sociologique et dans la parole ordinaire, d’abord aux États-Unis. Aujourd’hui, on ne parle pas d’un quelconque leader sans ajouter « charismatique ». Avant la guerre, il suffisait de dire « leader » ou « chef » ou « Führer » pour obtenir les connotations mêmes que « chef charismatique » fournit aujourd’hui44.

Dans l’industrie, à côté des concepts de rationalisation et d’organisation du travail se diffuse celui de « conduite des hommes » (la Menschenführung). De quoi s’agit-il ? Le Menschenführer, à quelque niveau qu’il soit, doit être un chef, un leader. Ses tâches sont d’abord politiques. Elles consistent à assurer la cohésion du corps social et à restaurer une coopération pacifique dans le travail en en chassant l’esprit de lutte. Elles consistent aussi à gérer un certain nombre de techniques sociales comme la sélection par des tests, l’orientation professionnelle, l’apprentissage et, plus en général, la politique sociale45.

Les principaux instituts qui animent les formations de cadres pour le patronat allemand glissent dans le nazisme à partir de 1933. À partir de 1934, la loi fait officiellement du manager un « Betriebsführer », c’est-à-dire le Führer de la firme. Ce Führer doit être le premier porteur de « l’idée nationale-socialiste du travail ». Ses qualités deviennent proprement magnétiques : il doit croire à cette idée, « il doit en être l’exemple – et rayonner jusqu’au dernier homme de son personnel 46». Son instinct et son sang le pilotent dans tous ses actes et non pas sa fonction ni aucune technique administrative. Le travail sur soi pour perfectionner sa personnalité est son premier devoir. Voici de nouveau, dans un autre cadre, revenir la thématique de la personnalité.

En se transformant en pôle magnétique, le Führer d’entreprise a pour seule légitimité son rapport au Führer allemand. Le principe du Führer, qui devient la loi sociale, veut que chaque Allemand puisse se considérer comme un Führer à condition qu’il accepte une soumission totale à Hitler. Hitler ne représente pas le peuple : il est le peuple et le peuple allemand à l’exclusion de tout autre. Il ne peut être le Führer de gens appartenant à des sous-races. Ainsi, la principale qualité de tout petit ou moyen Führer est de « travailler au-devant » du Führer et de s’en faire le relais47. La figure nazie du chef, qui en est pendant douze ans la figure allemande, a les traits du Führer. Inséparable d’Hitler et de l’Allemagne, elle ne peut dès lors se comparer à aucune autre. Elle s’effondre en même temps que l’Allemagne nazie, et elle entraîne le mot même de Führer qui reste encore très affecté par ce parcours tragique.

Des rangs aux grands aux chefs

Malgré ces naissances dispersées et presque indépendantes les unes des autres tout en étant connectées, la figure du chef fait l’objet d’opérations identiques dans différents pays. C’est le cas de celle qui sépare ce que l’on dit du « grand » de ce que l’on dit du chef. L’affaire du XVIIIet surtout du XIXe siècle avait été de permettre à la grandeur de s’affranchir de la logique aristocratique des rangs48. Après la séparation, parfois violente, des rangs et des grands, vient celle des grands et des chefs dont la guerre de 1914-1918 est un épisode décrit dans cet atelier par Emmanuel Saint-Fuscien. Le discours commun des opérateurs de cette distinction consiste à dire que l’autorité morale ne suppose pas forcément le commandement : « Nous devons faire une distinction entre l’éminence intellectuelle et le leadership », écrit un psychologue américain relayé dans des termes proches par des auteurs français. Il s’ensuit une définition apparemment forte du leadership qui signifierait « le contact direct, en face à face, entre les chefs et ceux qui les suivent : c’est le contrôle social personnel 49. »

Le face-à-face est-il la caractéristique distinctive du commandement ? L’un des problèmes majeurs, même s’il n’est pas nouveau, des chefs et des leaders du XXe siècle, est le commandement et l’influence à distance. Ceci est aussi valable pour le manager d’entreprise que pour l’officier et le politique et, parmi les politiques, aussi valable pour le chef démocratique que pour le dictateur50.

Pour le contrôle à distance, il existe des techniques intellectuelles, comme le graphique ou l’organigramme qui servent à représenter des processus et des organisations et qui agissent en concurrence avec une autre forme de la représentation supposée exacte qu’est la photographie. Pour favoriser le contact le plus direct possible avec les masses, les chefs du XXe siècle disposent encore de nouvelles ressources techniques communes que sont le téléphone, la radio et le cinéma. La manifestation de masse est fortement prisée par les régimes fascistes et le pouvoir stalinien, mais elle a peu cours aux États-Unis. Franklin Roosevelt, qui s’affiche explicitement comme un leader pour les États-Unis et déploie très consciemment toutes les techniques modernes du leadership, est le premier à utiliser de façon systématique les causeries radiophoniques. Il instrumente une illusion de la proximité. Faute du contact direct, physique, en personne, au toucher, à portée de voix et de vue, la radio lui sert à résoudre le problème du chef distant, c’est-à-dire à transporter sa présence au loin et jusqu’à chaque personne en particulier, comme d’autres se servent du téléphone ou de la lettre manuscrite. Le chef du XXe siècle, figure de la modernité, cherche aussi à se distinguer du maître brutal et de l’homme à poigne des époques précédentes.

Une classe ?

Si la figure du chef est celle d’un type social, peut-on aller plus loin et dire qu’il s’agit d’une classe ? Cela semble d’autant plus difficile qu’un chef peut tout aussi bien être un père qu’un patron, un prêtre qu’un professeur. On ne voit se dessiner une classe ni par des rapports économiques clairs, ni par des rapports de pouvoir délimités. Ce qui peut être commun serait une culture de l’autorité, et d’une autorité spécifique, celle de commandement, et un culte du titre. Mais que les chefs aient tous une position d’autorité et qu’ils soient donc supposés en partager la culture correspondante suffit d’autant moins pour en faire une classe que, par sa généralité, la figure traverse à dessein toutes les frontières sociales et a, pour nombre des auteurs, comme vocation d’épouser tout le corps social, quoiqu’ils en excluent de fait implicitement, sauf exception, les femmes, et parfois les non-nationaux ou anti-nationaux, les sous-classes ou les sous-races. Bien entendu, par cette traversée même, c’est l’esprit de communauté qu’on souhaite promouvoir et non pas l’esprit de la lutte sociale pour des droits. Sous ce jour d’ailleurs, l’Union soviétique est tout à fait dans le même ton que les pays libéraux et fascistes. Les doctrines du chef qui s’y déploient visent aussi à disqualifier toute politique, à priver tout conflit social de justification, la promotion dans les cadres étant ouverte à tous, ou presque.

La figure du chef peut être une manière de parler d’un social sans classes. Elle représente le monde comme une accumulation de hiérarchies où en fin de compte chacun a sa place. Elle est une réalité profonde de ce temps, sous la forme relativement simple d’une représentation. Elle est aussi, dans son existence objective et quasiment matérielle, comme une tension, comme un ensemble signifiant complexe et plastique, omniprésent, accessible et disponible, sans définition parfaite sur laquelle tous s’accordent et n’ayant pas d’autre existence que ses diverses occurrences. Ses formes ne sont répertoriés ni dans les glossaires ni dans les catalogues de catégories économiques ou sociologiques. Réciproquement, le social conçu comme composé de classes n’exclut pas les chefs. C’est tout le sens de la bataille théorique entre Lénine et Rosa Luxembourg. Dans un texte rédigé contre cette dernière, le premier affirme que les « masses » se divisent en « classes » qui sont « dirigées » par des partis politiques, eux-mêmes « dirigés » par des personnes « qu’on appelle les chefs » 51.

Pour conclure

La figure du chef a été réellement l’objet d’investissements intellectuels, affectifs, sociaux, organisationnels, cognitifs, culturels et politiques. Ceci vaut que l’on cherche à obtenir un petit titre de chef ou au contraire à devenir un grand chef, que l’on accepte de suivre un chef ou à en servir un d’une manière ou d’une autre, que l’on tente de penser la société ou de concevoir un outil commode pour la conduire. On l’a dit, la figure ne compte que des traits positifs et attractifs. Pour mieux l’affirmer tout en s’en distinguant, la figure stalinienne du chef emprunte des traits à ce que le chef ne doit pas être ailleurs, ordinaire, modeste, sans souci de sa personnalité, sans don d’orateur particulier. Mais il faudrait aussi saisir ce qu’est la figure du chef pour ceux qui ne la promeuvent pas, qui n’aiment pas les chefs ou leurs chefs, qui refusent l’autorité et le commandement, en d’autres termes la figure du contre-chef, de l’anti-chef ou du sans-chef. Le XXe siècle lui a laissé peu de place. On peut même dire qu’elle a été écrasée. Pour les élites, celles qui disposaient de pouvoir dans l’un ou l’autre domaine et aussi une grande partie de celles qui portaient la protestation et la révolution, il existait un problème d’autorité et de contrôle des masses ou des foules. Pour elles toutes uniment, la solution était le chef. Il est fort probable qu’il en soit beaucoup moins de même aujourd’hui.

« Contra toda autoridad... excepto mi mamá »

« Contra toda autoridad... excepto mi mamá » (« Contre toute autorité... sauf ma mère »). Tweet Marco Gomes 10 mai 2019. 

Dès lors, pour conclure, il me semble qu’il convienne de comprendre les figures extrêmes du chef, la nazie, la fasciste et aussi la stalinienne, dans un paysage plus vaste qui inclue le libéralisme : d’une part, elles émergent sur un terrain de discussion identique sur le besoin de chefs ou d’un chef en temps de production, de politique, de guerre et de culture toutes de masse et, d’autre part, les libéraux n’ont pas reculé devant le culte du chef. Il convient aussi de noter que les sciences sociales, et en particulier la sociologie, sont partie prenante de cette même histoire, à la fois dans leur tentative de la commenter « en temps réel » et en tant qu'intervenantes dans la société par leurs propositions. Il convient enfin de suggérer qu’après un siècle où la solution des questions sociales et politiques est pour tellement de milieux le chef, où domine la conception lebonienne selon laquelle « les hommes en foule ne sauraient se passer de maître », on puisse faire l’hypothèse qu’on est entré dans une autre période, celle de la foule qui refuse le maître, qui ne veut plus être dirigée : c’est peut-être là non seulement le message du Mai 68 français et des années 68 dans le monde, mais celui des mouvements qui se déploient dans les années 2010 de Tunis, Le Caire, Istanbul, Kiev à Moscou et jusqu’au Chili, au Burkina Faso, à Hong Kong, en France, en Algérie, en Biélorussie et dans tant d’autres pays.

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1

Joseph Wilbois et Paul Vanuxem, Essai sur la conduite des affaires et la direction des hommes. Une doctrine française : l'administration expérimentale, Paris, Payot, 1919, p. 49, 50, 51.

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2

Sur le XIXe siècle, voir les travaux de Pierre Karila-Cohen, Monsieur le Préfet. Incarner l’État dans la France du XIXe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2021 ; Emmanuel Droit et Pierre Pierre Karila-Cohen (dir.), Qu'est-ce que l'autorité ? France-Allemagne(s), XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions de la MSH, 2016 ; Jean Le Bihan, Au service de l’État. Les fonctionnaires intermédiaires au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.

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3

Kathya Araujo, El miedo a los subordinados. Una teoría de la autoridad, Santiago, LOM Ediciones, 2016.

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4

Sur bien d’autres formes de l’autorité que l’incarnation, Claire Oger, Faire référence. La construction de l'autorité dans le discours des institutions, Paris, Éditions de l’EHESS, 2021.

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5

Voir Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale de l’autorité et du commandement (1890-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013.

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6

Archives municipales de Montbéliard, 7F27 (règlement intérieur de la manufacture d’horlogerie Tissot à Montbéliard), sd (1862). Les Archives de Schneider des XIXe et XXe siècles sont riches sur ce planAcadémie François Bourdon, Le Creusot.

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7

Philippe-Xavier Leschevin, De l'Organisation des bureaux de préfecture, exposé des motifs et des moyens, Bordeaux, impr. de P. Coudert, 1836, p. 50-60 ; Adalbert Frout de Fontpertuis, De l'Organisation générale des bureaux de préfecture, Le Puy, Impr. de M.-P. Marchessou, 1856, p. 10-12. A. Bovier-Lapierre, Les Employés de préfecture et de sous-préfecture, Nancy, impr. de M. Imhaus et R. Chapelot, 1912, p. 68-70 (merci infiniment à Jean Le Bihan à qui je dois ce dossier).

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8

Michelle Perrot, Les Ouvriers en grève. France, 1871-1890, Paris-La Haye, Mouton, 1973, p. 295-303. Joseph Desjaques, À bas les chefs ! [L'autorité et la paresse], Paris, Les « Temps nouveaux », 1912. La réédition bienvenue de ce texte par La Fabrique en 2016 ne signale pas que le titre À bas les chefs ! est de 1912, tandis que le texte lui-même, d’abord publié comme « De l’Humanisphère » par Le Libertaire (n° 12) en 1859, ne comporte le mot de « chef » qu’une seule fois, à propos des chefs de famille. Nous sommes bien avant la centration sur « le chef » et le cri de protestation « À bas les chefs ! » qui enveloppera les chefs de toute sorte.

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9

Général Ferdinand Foch, Les Principes de la guerre, Paris, Berger-Levrault, 1913 (1903), p. 97.

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10

Gustave Le Bon, Psychologie des Foules, Paris, Presses Universitaires de France, 1988 (1895), p. 5.

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11

Arwed Emminghaus, Allgemeine Gewerkslehre, Berlin, Herbig, 1868, p. 159.

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12

Martin Kohlrausch, Der Monarch im Skandal : die Logik der Massenmedien und die Transformation der wilhelminischen Monarchie, Berlin, Akademie Verlag, 2005, p. 417.

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13

Konstantin P. Pobedonostsev, « Moskovskii sbornik » [Recueil moscovite], in Sochineniia [Œuvres], Saint-Pétersbourg, Nauka, 1996, p. 427, 432, 439 (1e éd. Moscou, Sinodal´naia tip., 1896, 304 p.).

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14

Vladimir I. Lénine, Que faire ?, in Œuvres, Paris, Éditions sociales, 1965, t. 5 (1902), p. 476 (c’est moi qui traduit ici « rukovoditel’ » par chef ; la traduction publiée donne « dirigeant » et la traduction anglaise « organisation of leaders »).

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15

Lewis M. Terman, « A preliminary study in the psychology and pedagogy of leadership », Pedagogical Seminar, 1904, n° 11, p. 413-451.

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16

Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale de l’autorité et du commandement (1890-1940), Paris, Editions Amsterdam, 2013, p. 67-98.

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17

Erich Auerbach, Figura. La Loi juive et la Promesse chrétienne, Paris, Macula, 2003 (publié pour la première fois dans la revue italienne Archivum romanicum, n° 22, oct.-déc. 1938).

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18

Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. 9, 1863-69, p. 296, cité par le Trésor de la langue française à Figure.

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19

« Dans l'Église (et nous avons tout avantage à prendre pour modèle l'Église catholique) et dans l'Armée, quelques différences qu'elles présentent par ailleurs, règne la même illusion, celle de la présence, visible ou invisible, d'un chef (le Christ dans l'Église catholique, le commandant en chef dans l'Armée) qui aime d'un amour égal tous les membres de la collectivité », Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1966, p. 113. Voir Charles-Vincent Héris, « Le Christ, notre chef », Revue des Jeunes, juin 1922, p. 620-634 ; Gaston Courtois, Notre chef, c'est le Christ. Heure sainte et consécration des Cœurs vaillants de France au Christ-Roi, Paris, O-gé-O, 1938 (avec musique).

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20

Anonyme [Jean-Maurice Lahy], « La psychologie du chef », La Grande Revue, (l’identification de l’auteur en J.-M. Lahy est due à Georges Ribeill), sept. 1916, p. 394. J. Wilbois et P. Vanuxem, op. cit., p. 49. Robert Courau, Le Patron et son équipe. Psychologie du haut commandement des entreprises, Paris, Berger-Levrault, 1930, p. 5. Je souligne.

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21

Yves Cohen, « Le rapport à soi des chefs. Quelques éléments sur l’entre-deux-guerres », in Eric Pezet (dir.), Management et conduite de soi. Enquête sur les ascèses de la performance, Paris, Vuibert, 2007, p. 49-74.

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22

Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Les Éd. de Minuit, 1981 ; Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée » (1936), Écrits français, Paris, Gallimard, 2003, p. 149-250 ; Éric Michaud, Un art de l'éternité : l'image et le temps du national-socialisme, Paris , Gallimard, 1996.

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23

Lorraine Daston et Otto Sibum, « Scientific Personae and Their History », Science in Context, vol. 16, n° 1, 2003, p. 1-8.

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24

Lorraine Daston et Otto Sibum, « Scientific Personae and Their History », Science in Context, vol. 16, n° 1, 2003, p. 3.

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25

Voir par exemple Wolfgang Metzger, « The Historical Background for National Trends in Psychology : German Psychology », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. 1, n° 2, avril 1965, p. 109-115. En littérature française, Guy Henriot, Un chef, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1928, 95 p. ; Robert Randau, Les Meneurs d'hommes, Paris, Albin Michel, 1931. (merci à Alain Michel et à Anna Pondopoulo pour ces deux indications) ; Pierre Drieu La Rochelle, Charlotte Corday, pièce en trois actes. Le Chef, pièce en quatre actes, Paris, Gallimard, 1944. (la pièce Le Chef est de 1934) ; Paul Nizan, Antoine Bloyé, Paris, Grasset, 1933, p. 54, 68 ; Jean-Paul Sartre, Le Mur, Paris, Gallimard (Folio), 1972 (1e éd., 1939), (recueil de nouvelles qui comporte L’enfance d’un chef). Certes, ce n’est pas le XXe siècle qui a commencé à écrire de la littérature sur des chefs, s’il est infiniment plus intense et écrit aussi sur le chef. Une lecture structurale du Rouge et le Noir ne manquerait pas d’y déceler en quelque sorte un livre sur le chef et le commandement.

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26

Cité par Gordon W. Allport, Personality. A psychological interpretation, New York, H. Holt and Company, 1937.

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27

Kapil Raj, Relocating Modern Science: Circulation and the Construction of Knowledge in South Asia and Europe, 1650–1900, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2007, p. 226.

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28

Theron L. McCuen, « Leadership and Intelligence », Education, vol. 50, n° 2, 1929, p. 89 ; James E. Russell, « The Educational Paradox : An American Solution », Teachers College record, vol. 31, 1930, p. 309 ; L. H. Moore, « Leadership Traits of College Women », Sociology and social research, vol. 17, 1933, p. 45 ; Helen F. Stray, « Leadership Traits of Girls in Girls’ Camps », Sociology and social research, vol. 18, 1934, p. 241.

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29

Otis W. Caldwell et Beth Wellman, "Characteristics of School Leaders", The Journal of educational research, vol. 14, 1926, p. 9-10.

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30

Ordway Tead, The art of leadership, New York, McGraw-Hill, 1935, p. 237.

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31

Charles Bird, Social psychology, New York, Appleton-Century, 1940.

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32

Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l'opinion en démocratie, Paris, Zones, 2007, p. 139.

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33

Henri Fayol, « Administration industrielle et générale », Bulletin de la Société de l'Industrie minérale, n° 3, 1916.

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34

J.-M. Lahy sera l’un des fondateurs de la revue Biotypologie en 1932 (qui devient en 1965 la Revue de biométrie humaine).

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35

Paul Doncoeur, S.J., Une école de chefs, Paris, Action Populaire, 1921, p. 1-2.

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36

Raoul Dautry, Métier d'homme, Paris, Plon, 1937, p. 18 (soul. de l’auteur). Marc Bloch, L’Étrange défaite, dans l’édition web, p. 24 du fichier Word.

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37

Vladimir Lénine, « Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets » (1918), in id., Problèmes d’organisation de l’économie socialiste, Moscou, Éditions du Progrès, s.d., p. 144  (soul. de l’auteur).

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38

Staline à Kaganovitch et autres, lettre du 13 septembre 1934, in O. Khlevniuk et al., Stalin i Kaganovitch. Perepiska, 1931-1936 gg (Staline et Kaganovitch. Correspondance, 1931-1936), Moscou, Rosspen, 2001, p. 479-480. Soul. dans le texte.

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39

Staline à Molotov, lettre du 9 septembre 1929, in L. Kosheleva et al., Pis'ma I. V. Stalina V. M. Molotovu, 1925-1936 gg. (Lettres de Staline à Molotov), Moscou, Rossiia Molodaia, 1995, p. 161.

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40

Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale de l’autorité et du commandement (1890-1940), Paris, Editions Amsterdam, 2013, p. 419-482.

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41

Max Weber, La Domination, Paris, La Découverte, 2013 (trad. par Isabelle Kalinowski).

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42

Max Weber, « Le métier et la vocation de l’homme politique », in Le Savant et le politique, Paris, 10/18, 1963, p. 159.

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43

Max Weber, « Le métier et la vocation de l’homme politique », in Le Savant et le politique, Paris, 10/18, 1963, p. 148, 162.

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44

Yves Cohen, « Qui a encore besoin du charisme ? Ou pour une histoire politique des sens », Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales, n° 1, 2016, p. 37-51.

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45

Karl Arnhold, Der Betriebsingenieur als Menschenführer, conférence à une réunion du Verein Deutscher Ingenieure, Berlin, 2 mars 1927.

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46

Karl ArnHold, Der Betriebsführer und sein Betrieb. Gedanken zum nationalsozialistischen Musterbetrieb, Leipzig, Bibliogr. Inst., 1937, p. 16, 11.

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47

Ian Kershaw, « ’Working towards the Führer’ : reflections on the nature of the Hitler dictatorship », in Ian Kershaw et Moshe Lewin (dir.), Stalinism and Nazism, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 104.

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48

Voir l’article de Sabina Loriga dans le même atelier.

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49

Floyd H. Allport, Social Psychology, Boston, Houghton-Mifflin, 1924, p. 419.

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50

Voir le chapitre « Commander à distance et en présence » dans Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale de l’autorité et du commandement (1890-1940), Paris, Editions Amsterdam, 2013.

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51

V. I. Lénine, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), Moscou, Éditions du Progrès, 1970, p. 37.