(Archives de l’État en Belgique - Centre d'Études Guerre et Société contemporaine)
Plan de Bruxelles et de ses monuments principaux, avec une carte itinéraire des environs, et des routes de postes de Bruxelles à Ostende, à la Haye et à Paris, 1830.
Longtemps abordée sur un mode anecdotique, l’odonymie a récemment fait l’objet d’un intérêt sans précédent de la part de chercheurs de diverses disciplines, des historiens aux géographes, des sociologues aux anthropologues, sans oublier les linguistes1. Cet intérêt est indubitablement lié aux mobilisations au sein, et à propos, de l’espace public. Mais il est également l’occasion de mieux comprendre cet espace et de s’intéresser aux processus qui l’ont façonné au fil des décennies.
Les noms des voiries constituent une opportunité exceptionnelle. S’ils ont en premier lieu une dimension utilitaire – s’orienter dans l’espace – et administrative indispensables, tant pour les pouvoirs publics que pour les riverains, cette dimension première va à son tour être utilisée sur le plan symbolique, une évolution essentielle dans ce XIXe siècle profondément marqué par le processus de consolidation des États-nations2. Le nom d’une artère est en effet un moyen de communication simple qui se présente sous la forme d’un message bref et fermé. En tant que tel, il recèle une indéniable dimension pédagogique. Il permet la fabrication du citoyen sans grand investissement en inscrivant le territoire comme lieu de récit. Il contribue dès lors non seulement à la cohésion sociale mais aussi à l’appropriation d’une mémoire collective, un phénomène d’autant plus important dans le cadre de la promotion des États-nations et déjà largement initié lors de la Révolution française3. Fruit de choix politiques et mémoriels, de par son usage généralisé, le nom d’une rue acquiert le statut de « vérité historique ». Objet d’un nationalisme banal, à l’instar des timbres-poste et autres billets de banque, il fonctionne comme un processus d’identification implicite sans même que son usager ne s’en aperçoive4.
En tant que capitale d’un État belge né à la faveur de la révolution de 18305 et reconnu par les puissances lors de la Conférence de Londres (1830), Bruxelles se veut à la fois le reflet du souvenir de ces événements mais aussi carrefour de mémoires locales, nationales et internationales. L’urbanisation progressive de la ville – qui compte déjà près de 125 000 habitants en 1846, date du premier recensement – va bien sûr être l’occasion de très nombreuses attributions odonymiques. Dès sa création, le jeune État s’inscrit dans une tradition ancienne, celles des autonomies locales. C’est donc à cet échelon que se gère la question du choix des noms de rues. Contrairement à d’autres pays, l’État central n’y a pas le pouvoir de procéder à des dénominations. Autre singularité, Bruxelles est une capitale constituée de diverses communes ; leur nombre va évoluer au fil des décennies. En d’autres termes, le développement de la ville ne se traduit pas par l’annexion de villages limitrophes mais bien par le développement de ces derniers. Le phénomène touche d’abord les communes dites de la première ceinture, c’est-à-dire celles dont le territoire est contigu à Bruxelles. Au fil du temps, le mouvement s’étendra au-delà.
Bruxelles compte aujourd’hui 19 communes (ou municipalités). À la tête de chacune d’elles se trouve un « collège des bourgmestre (maire) et échevins (adjoints au maire) » issu du conseil communal élu tous les six ans par un scrutin proportionnel6. S’intéresser à l’histoire des noms de rues à Bruxelles impose donc de dépasser les limites strictes de la Ville de Bruxelles et d’investir d’autres espaces dont le poids ira croissant. Cela signifie également s’intéresser aux rapports de force entre ces communes ; de facto la Ville de Bruxelles – la seule des communes à porter le titre de ville – exerce une forme d’hégémonie de fait. Mais elle n’est pas la seule, à leur tour, les communes dites de la première ceinture font de même avec celles de la deuxième.
Carte des 19 communes formant la Région de Bruxelles-Capitale (2024).
En 1840, Bruxelles et ses proches faubourgs – selon la terminologie alors en usage – se composent de 349 rues, 60 impasses, 30 places, 15 quais et 7 boulevards7. Septante ans plus tard, en 1890, Bruxelles et les 10 communes qui constituent alors la capitale comptent 1 226 voiries8. En 2024, la capitale (les 19 communes) est formée de plus de 5 000 voiries. Bien évidemment, toutes les dénominations ne présentent pas le même intérêt. Certaines sont héritées de l’approche strictement utilitaire et ont perduré au fil du temps ; d’autres sont le résultat de choix liés à des phénomènes naturels, géographiques, culturels et artistiques ou encore rendent hommage à des notabilités locales et à des propriétaires terriens, voire sont liées à des thématiques moins strictement politiques tout en n’étant pas dénuées d’intérêt. Sur les quelque 5 000 noms actuels, 50 % sont dédiés à des personnes, toutes catégories confondues. Il s’agit d’hommes dans plus de 95 % de cas9.
De 1830 à 2024, quatre strates mémorielles vont progressivement façonner le paysage urbain : de l’autoglorification de la nation à la Seconde Guerre mondiale en passant par la dimension coloniale et le premier conflit mondial. Aujourd’hui, Bruxelles se veut aussi capitale de l’Union européenne mais cela se reflète-t-il pour autant dans ses choix odonymiques ? À travers cette contribution, structurée en deux parties, l’objectif n’est bien sûr pas d’offrir un panorama exhaustif des changements.
Le focus portera d’abord sur l’évolution chronologique des différentes strates mémorielles avec un certain nombre de cas emblématiques et illustratifs de chacune d’elles. Dans un deuxième temps, nous évoquerons une série de facteurs pour tenter de mieux comprendre l’évolution de ce processus.
Quatre strates mémorielles et un rendez-vous manqué
Exalter la nouvelle dynastie et les valeurs de la jeune Belgique
Dès le 30 juillet 1831, une ordonnance communale est adoptée par la Ville de Bruxelles10. Dix jours après la prestation de serment du premier roi des Belges, Léopold de Saxe-Cobourg et Gotha, le collège des bourgmestre et échevins décide en effet de faire disparaître de l’espace public « le souvenir de la dynastie déchue ». En d’autres termes, tout ce qui évoque la maison d’Orange-Nassau – qui régnait durant la période du Royaume-Uni des Pays-Bas, de 1815 à 1830 – est débaptisé au profit de la nouvelle dynastie (la rue Guillaume devient ainsi la rue Léopold) tandis que la Révolution est mise à l’honneur à la place des Barricades (ex-place d’Orange) et ses combattants décédés sont honorés à la place des Martyrs qui remplace elle une dénomination religieuse (ex-place Saint-Michel)11. Le mouvement ne suscite guère de contestations, bien au contraire. Ainsi, pour le journal L’Émancipation, fondé au lendemain de la Révolution, le mouvement ne va pas assez loin et fait l’impasse sur la « Nation »12. Le journal plaide également pour l’érection d’une rue de Septembre, hommage aux journées révolutionnaires qui ont fait basculer le pouvoir en 1830. Après ce phénomène classique de dé-commémoration qui accompagne toute forme de conquête, de fondation révolutionnaire ou de changement de régime, ce sont progressivement les héros de la Révolution et les valeurs du jeune État qui vont être mis en exergue.
Quelques plaques évoquant les valeurs de la jeune Belgique, photos 2022-2023.
Si l’hommage aux héros se fait de manière non structurée et dispersée sur plusieurs communes, la mise en valeur des institutions et des libertés constitutionnelles se concentre presqu’exclusivement sur le territoire de la Ville de Bruxelles. L’occasion se présente dans le cadre de la transformation d’un quartier ouvrier – Notre-Dame-aux-Neiges – composé de nombreuses ruelles et impasses, considéré comme insalubre et surpeuplé13. La Ville décide de le réaménager dans le cadre d’une politique de grands travaux qui s’accompagne d’une volonté de changement de statut social des habitants. Le quartier est entièrement rasé et les populations pauvres en sont expulsées. Son réaménagement s’échelonne sur les années 1874-1890. Quatorze nouvelles voies sont tracées. Toutes portent des noms rendant hommage aux valeurs, symboles et institutions de la jeune Belgique. Seule l’une d’entre elles est dédiée à une personnalité : Surlet de Chokier (1769-1839) qui a exercé la régence en attendant la prestation de serment de Léopold Ier. La symbolique du quartier est en outre renforcée par sa localisation centrale, non loin du Parlement et du Palais royal et par la présence d’un monument emblématique : la colonne du Congrès érigée entre 1850 et 1859. Initialement, sa dénomination évoquait non seulement le Congrès national de 1830 mais aussi la Constitution14 elle-même votée par cette assemblée mais cette mention disparaît dès son inauguration. Le monument rend hommage aux membres du Gouvernement provisoire, au Régent mais aussi à la Révolution de 1830 et aux libertés fondamentales. Il sert véritablement de pôle au tracé de la rue du Congrès qui débouche sur la place de la Liberté. Derrière l’objectif légitime d’assainissement, il y a la volonté claire de la Ville de Bruxelles d’attirer des habitants avec un autre profil, une incarnation de la bourgeoisie montante aux commandes du jeune État. Ce faisant, la Ville de Bruxelles s’approprie également l’essentiel du capital symbolique de la Révolution de 1830 et des institutions qui en sont issues. Le processus tient à la fois de la valorisation de l’histoire locale – les événements révolutionnaires de l’été 1830 se sont effectivement concentrés sur le territoire de Bruxelles-Ville – mais aussi de l’identification en tant que capitale du royaume.
Le mouvement ne se limite en effet pas à ce seul quartier. En 1877, la Ville de Bruxelles choisit 59 nouvelles dénominations dans le cadre de l’aménagement du quartier dit du Nord-Est. On y retrouve la glorification de la Belgique avant la Belgique (Ambiorix, Clovis, Charlemagne, Charles Quint…), la poursuite de la valorisation de l’État né en 1830 (la Brabançonne – l’hymne national – les patriotes…) et, déjà, la première allusion au projet colonial avec l’avenue Livingstone, en hommage à l’explorateur britannique décédé peu avant (1873)15. Au total, le territoire de la Ville recèle à lui seul un peu moins de quarante références autour du thème de la Révolution de 1830 et de la création de la Belgique.
Dès lors, pour les communes environnantes, elles aussi en plein développement, les attributions potentielles sont limitées. On retrouve de fait ça et là des dénominations visant à l’autoglorification de la jeune Belgique mais il s’agit davantage de choix isolés, ne s’inscrivant pas dans la politique globale d’urbanisation d’un quartier. Saint-Josse, une commune de la première ceinture, abrite notamment un boulevard des Quatre Journées, une artère tracée en 1890. Ce choix fait allusion aux Journées de septembre 1830 qui se sont terminées par le départ des troupes hollandaises et la surprenante victoire des volontaires « belges ». Détail singulier et propre à la typologie d’un pays bilingue, la dénomination française ne comprend pas le terme de « septembre », là où il est explicitement mentionné dans la traduction néerlandaise. À Schaerbeek, autre commune de la première ceinture et qui devient rapidement la deuxième commune la plus peuplée après Bruxelles-Ville, ce ne sont pas tant les valeurs – sauf la Constitution – mais bien les hommes qui sont honorés. Douze dénominations y sont consacrées à des héros de la Révolution et à des personnalités emblématiques de la jeune Belgique mais sans que ces choix ne s’inscrivent dans l’aménagement d’un quartier spécifique. Le même phénomène d’hommage à des personnalités s’observe à Etterbeek. Seul l’aménagement du quartier dit royal de Koekelberg s’inscrit dans une stratégie globale dans le cadre du 50e anniversaire de la Belgique avec ses avenues des Gloires nationales, de la Constitution et de l’Indépendance – l’adjectif « belge » y sera accolé en pleine Première Guerre mondiale. Initialement, ce quartier devait également abriter un « panthéon » national. Celui-ci devait voir le jour à l’occasion du 50e anniversaire de l’État belge, un projet inspiré par le modèle de Walhalla, en Bavière. Il est finalement abandonné ; le lieu servira à l’érection de la basilique de Koekelberg16.
Promouvoir le projet colonial
Si les premiers noms de rues tendant à valoriser le projet colonial remontent à la période d’avant la Première Guerre mondiale, c’est néanmoins durant l’entre-deux-guerres que le phénomène a connu l’ampleur la plus significative17. Cet investissement coïncide clairement avec la politique de propagande coloniale mise en œuvre par le ministère des Colonies qui trouve ainsi un écho à l’échelon local. Cette politique réussit largement à faire oublier les critiques qui ont accompagné la gestion de l’État indépendant du Congo et conduit à l’annexion du territoire par la Belgique en novembre 1908 ; le Congo devenant ainsi une colonie belge et non plus la propriété personnelle de Léopold II. Elle s’accompagne d’une glorification de la figure du roi mais aussi de militaires présents dans l’État indépendant du Congo de Léopold II. Là aussi, les controverses éventuelles qui ont porté sur l’une ou l’autre de ces figures sont oubliées, voire occultées. Alors que la Ville de Bruxelles s’est arrogé l’essentiel de l’autoglorification de la jeune Belgique, cette fois, c’est la commune d’Etterbeek qui s’investit dans une politique de promotion délibérée du projet colonial. Le choix en faveur de militaires est lié à la présence de nombreuses casernes sur le territoire de la commune. Elles y ont été construites sous le règne de Léopold II, le long de ce qui s’appelait alors le boulevard Militaire. Cet engagement s’inscrit dans la volonté formulée par le conseil communal en décembre 1920 : « les administrations communales se doivent de reconnaître les mérites et les actions d’éclat de leurs concitoyens et d’aider ainsi à la glorification du pays ». Pour ce faire, dans le cadre de l’aménagement de la cité-jardin Coquilhat, à l’automne 1923, il est décidé de dénommer toutes les rues du quartier du nom d’anciens militaires actifs au sein de l’État indépendant du Congo18. Cette cité abrite 92 habitations ouvrières. Le choix de la dénomination des voiries nous semble dès lors d’autant plus significatif des modèles que les autorités communales entendent le mettre en évidence à l’attention des habitants de ces logements ouvriers. Le collège justifie par ailleurs ce choix du fait de la « proximité des casernes ». Six ans plus tard, la commune réitère sa volonté de contribuer à la glorification du pays lors du percement de treize nouvelles artères ; quatre sont directement liées au projet colonial et neuf à la Première Guerre mondiale. Les deux contextes apparaissent inextricablement liés et sont parfois associés dans les décisions19. En 1927, le boulevard Militaire est débaptisé et rend désormais hommage au général Jacques, à la fois du fait de son engagement dans l’État indépendant du Congo mais aussi de son rôle durant la Première Guerre mondiale20. Le parallèle se poursuit d’ailleurs dans la typologie des personnalités honorées : tant dans les choix relatifs au projet colonial qu’en ce qui concerne la Grande Guerre, la commune d’Etterbeek opte résolument pour des hommages à la hiérarchie militaire. Les simples soldats ne trouvent pas de place dans ce paysage. D’autres communes font des choix différents. Nous y reviendrons.
Exemples de plaques liées à la colonisation, photos 2022-2023.
Etterbeek poursuit sa démarche jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avec six débaptisations qui font là aussi la part belle à la colonisation. Au total, ce sont plus d’une vingtaine de voiries sur le territoire de la commune qui sont dédiées à des acteurs, des faits ou des lieux liés à la colonisation belge. Aucune commune bruxelloise ne fait montre d’un engagement similaire. Outre les familles qui font pression, des actions de lobbying sont également menées par un certain nombre d’associations coloniales. Du côté de la commune d’Etterbeek, le pouvoir local s’y montre sensible quelle que soit la tendance politique. En effet, au sortir de la Première Guerre mondiale, la commune est dirigée par une majorité catholique (avec l’apport de quelques catholiques dissidents). De 1926 à 1932, c’est une majorité catholique absolue qui détient les rênes au niveau local. Suite aux élections locales de 1932, elle est renversée par une coalition libérale socialiste qui reste aux commandes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. En d’autres termes, les trois partis dit traditionnels – catholique, libéral et socialiste – participent d’un même élan à la valorisation du projet colonial.
Dans les autres communes, l’hommage au projet colonial porte sur des choix isolés et dispersés, même si, dans leur justification, il est bel et bien fait référence au projet colonial belge. Ainsi, la commune d’Anderlecht inaugure en 1922 la rue Sergent De Bruyne (1868-1892), « mort en héros au Congo belge pour la civilisation »21 et huit ans plus tard un square des Vétérans coloniaux, « en l’honneur des pionniers de l’œuvre congolaise, de 1876 à 1908 (annexion du Congo) ». Lors de la première attribution, la commune est dirigée par une coalition des trois partis traditionnels avec un bourgmestre libéral ; lors de l’inauguration du Square, c’est un bourgmestre socialiste qui est à la tête d’une coalition avec les catholiques. Comme à Etterbeek, dans cette commune, le projet colonial s’inscrit pleinement dans le processus de glorification de la nation puisque c’est dans le cadre de la célébration du centenaire de la Belgique qu’est inauguré, le 5 octobre 1930, le square des Vétérans coloniaux. Un arbre du centenaire est d’ailleurs planté sur les lieux tandis qu’un mémorial en l’honneur de la mémoire des Anderlechtois morts au Congo est inauguré le même jour à la maison communale en présence de représentants des principales associations coloniales. Ce cérémonial en plusieurs phases démontre également toute l’importance du dispositif symbolique qui accompagne l’inauguration du square des Vétérans coloniaux.
Si une majorité des voiries etterbeekoises n’apparaît pas comme explicitement identifiée dans l’espace public – nous n’avons malheureusement pas trouvé trace des plaques d’origine – il n’en est pas de même à Anderlecht où elles sont bel et bien identifiées, et le sont toujours aujourd’hui. Elles témoignent tout à la fois de l’état d’esprit des autorités communales mais aussi du message qu’elles souhaitent communiquer à leurs concitoyens.
Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement s’essouffle et il n’y a plus guère de nouvelles voiries valorisant le projet colonial. Le sens de l’Histoire a changé…
Après 1918. Donner sens au conflit
C’est sans conteste la Première Guerre mondiale qui va engendrer le bouleversement odonymique le plus important dans l’espace bruxellois22. Si les nouvelles attributions se concentrent sur l’immédiat après-guerre, de novembre 1918 à 1920, les premiers changements sont posés dès le début d’août 1914, avant que les Allemands n’occupent la capitale, le 18. Le choc de l’invasion du pays, le 4 août, est tel que les habitants du quartier de Cureghem (à Anderlecht) vont spontanément arracher les plaques de la « rue d’Allemagne », qu’ils rebaptisent « rue des Belges », un geste aussitôt entériné par les autorités communales. Ce n’est que l’une des très nombreuses débaptisations qui auront lieu, au lendemain du conflit, dans de nombreuses communes bruxelloises. La démarche est d’autant plus importante que les dénominations supprimées sont remplacées par de nouveaux symboles directement puisés dans l’expérience de guerre : des villes et villages martyrs d’août 1914, des civils exécutés pour faits de résistance, des lieux emblématiques de l’expérience du front… Tout ce qui peut rappeler l’Allemagne et ses alliés – même si les dénominations ne faisaient pas référence à l’État qui a envahi la Belgique en août 1914 – est effacé de l’espace public. Le message est clair : l’Allemagne n’y a plus sa place, une démarche qui est à la fois l’écho du souhait de la population et de la volonté des mandataires locaux. Il s’agit aussi de donner sens au conflit qui a bouleversé la société belge dans son ensemble, de l’expérience du front à celle de l’occupation. L’inscription du conflit dans l’espace ne se limite pas aux débaptisations « patriotiques » de voiries dont la dénomination est désormais devenue insupportable. Le nom d’autres voiries est modifié pour faire place à la mémoire du conflit qui vient de s’achever. Le sentiment d’urgence et la crainte de voir d’autres communes accaparer certaines dénominations expliquent également l’impression d’emballement menant à un goulet d’étranglement. Cette crainte porte surtout sur des choix liés à la mémoire internationale du conflit. Elle pousse, par exemple, la commune d’Anderlecht, après avoir officialisé en novembre 1918 le choix des habitants en faveur de la rue des Belges, à débaptiser la voirie un mois plus tard pour en faire la rue Clemenceau. Une fois qu’elle s’est assurée le monopole sur le terme spécifique –Georges Clemenceau, le président du Conseil des ministres français alors toujours en place – la commune décide d’adapter le terme générique, considérant qu’une personnalité auréolée d’un tel prestige ne peut se satisfaire d’une rue. En février 1919, la rue devient donc avenue quand bien même la voirie en question ne dispose pas des attributs classiquement présents dans le cas d’une avenue23.
Exemples de plaques évoquant la Première Guerre mondiale, photos 2022-2023.
Ce poids de la Première Guerre est aussi lié à l’urbanisation croissante de communes bruxelloises. En effet, durant l’entre-deux-guerres, certaines d’entre elles connaissent un développement démographique exceptionnel. En d’autres termes, l’arrivée de nouveaux habitants impose le percement de nouvelles voiries. Toutes ne se voient évidemment pas attribuer des dénominations en lien avec le conflit qui vient de s’achever. Néanmoins, il y a lieu de mentionner Auderghem. Suite aux élections communales de 1921, les premières à être organisées après le conflit, une majorité associant le Parti catholique et une liste « Combattants » se retrouve à sa tête. À l’initiative de cette liste, il est décidé, démarche pour le moins singulière, que tout Auderghemois décédé du fait de la guerre se verra attribuer un nom d’artère. Entre 1910 et 1947, la population y croit de 147 %, passant de 7 520 à 18 640 habitants. À l’heure où éclate la Seconde Guerre mondiale, cette politique systématique d’attributions n’est pas encore achevée. Elle se poursuit au lendemain du conflit. Des dénominations sont dès lors parfois élargies à des familles suite à l’engagement dans la résistance. La commune poursuit en effet cette politique systématique d’attributions de voiries avec les citoyens décédés en 1940-1945, tant et si bien que 108 des 246 voiries que compte la commune aujourd’hui ont une dénomination liée à l’un des deux conflits mondiaux : 64 sont consacrées à la Première Guerre et 44 à la Seconde. Aucune commune ne s’est investie à ce point.
Si la majorité des odonymes liés à la Première Guerre mondiale rendent hommage dans l’ensemble des communes bruxelloises à des soldats – décédés pour la plupart –, il convient néanmoins d’épingler la place dévolue aux civils. Il s’agit, pour l’essentiel, de patriotes exécutés pour faits de résistance à l’ennemi. Ce qui est remarquable, c’est qu’à travers ces attributions – soldats et civils – ce sont de nouvelles catégories sociales qui entrent désormais dans l’odonymie bruxelloise. Certes, toutes les communes ne suivent pas la même politique en la matière. Il est frappant de constater la place consacrée aux soldats dans les communes connaissant une forte urbanisation. Dans les communes de la première ceinture, là où il y a moins, voire peu de nouvelles voiries, c’est surtout par la voie de la débaptisation que le conflit trouve sa place dans l’espace urbain. On s’y montre dès lors beaucoup plus prudent et seuls des héros d’envergure – civils ou militaires – y sont honorés. Si, pour les militaires, le choix va, dans ce contexte, plutôt se porter sur les hauts gradés, il n’en va pas de même des civils où ce qui est mis en évidence, c’est la dénonciation de l’attitude criminelle de l’occupant. Deux femmes exécutées se voient ainsi attribuer un nom de rue. À Uccle, la rue de Bruxelles est débaptisée et devient la rue Edith Cavell, du nom de cette infirmière anglaise fusillée le 12 octobre 1915 pour faits de résistance. À Molenbeek, la rue de Hambourg devient la rue Gabrielle Petit, une jeune patriote exécutée par l’occupant le 1er avril 1916. Quant à Marie Depage, c’est en tant que victime du torpillage du Lusitania en mai 1915 qu’elle est honorée. Une quatrième inscription rend hommage à une femme – la princesse Jean de Merode qui s’est largement investie auprès des invalides de guerre – mais l’hommage est beaucoup plus tardif. Il date de 1955, année de son décès. Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler d’une voirie mais d’un square, un dispositif habile – aujourd’hui devenu classique – qui évite de débaptiser une artère existante.
La mémoire difficile de la Seconde Guerre mondiale
Contrairement à la Première Guerre mondiale, au sortir du second conflit mondial, il est malaisé d’honorer la mémoire du roi ou de l’armée belge24. Cette dernière a capitulé après dix-huit jours de combat, une décision portée par le roi Léopold III qui est à l’origine de sa rupture avec le gouvernement belge. Les années d’occupation n’ont en rien apaisé les tensions. Elles se prolongent même au-delà de l’occupation. La société belge d’après-guerre est en effet divisée par ce que l’on appelle la « question royale ». Impossible dès lors de faire du roi un symbole à honorer dans l’espace public comme cela avait été le cas avec son père, le roi Albert, au sortir de la Première Guerre mondiale.
Exemples de plaques évoquant la Seconde Guerre mondiale, photos 2022-2023.
Si un certain nombre de communes rendent malgré tout hommage à des résistants – en termes de nombre, c’est le premier groupe concerné – force est de constater que c’est une résistance désidéologisée qui est honorée. Les résistants qui se voient attribuer un nom de rue sont choisis parce que victimes de la répression de l’occupant. Derrière ces choix, on retrouve – mais pas toujours – des actions de lobbying soit des familles, soit de mouvements de résistance. Le Front de l’indépendance, d’inspiration communiste, se montre le plus actif en la matière. Néanmoins, il n’y a pas nécessairement corrélation entre l’attribution de noms de rues à des résistants communistes et la présence d’élus communistes dans les majorités communales. L’ancrage local reste un critère essentiel. Il faut que le résistant ait un lien avec la commune où il est honoré. Ce lien peut être de nature très variée. Il y a les évidences : naissance, résidence, décès. Mais ils sont parfois plus ténus : la commune de Forest choisit ainsi de rendre hommage à la résistante d’origine montoise Marguerite Bervoets (1914-1944). La jeune femme avait, semble-t-il pour habitude de passer ses vacances dans la commune bruxelloise25. À Anderlecht, une rue est dénommée en l’honneur du résistant Maurice-Albert Raskin (1906-1943), qui s’était caché dans la commune durant quatre mois.
Contrairement à ce qui s’est passé au lendemain du premier conflit mondial, il n’y a guère de débaptisations puisque la plupart ont déjà eu lieu. Épinglons néanmoins deux cas. À Ixelles, à l’automne 1944, peu après la libération de la capitale, l’avenue du Maréchal Pétain devient l’avenue Arnaud Fraiteur, du nom d’un jeune résistant exécuté par l’occupant le 10 mai 1943, à la veille de son 20e anniversaire. Dans la commune voisine d’Uccle, la rue du Japon devient, en juillet 1945, la rue Général MacArthur. Cette fois encore, la mémoire internationale du conflit fait l’objet d’une rivalité entre les communes. Dès septembre 1944, Woluwe-Saint-Pierre dédie un rond-point au général Montgomery. Un mois plus tard, Uccle jette son dévolu sur Churchill. Les visites protocolaires sont également l’occasion de débaptisations : à Schaerbeek, l’avenue des Hortensias est débaptisée en l’honneur du Général Eisenhower, en visite en septembre 194526. À Ixelles l’avenue de la Cascade devient l’avenue du Général de Gaulle à l’occasion de son passage dans la capitale en octobre 1945. La Ville de Bruxelles occupe une nouvelle fois une place prépondérante en s’appropriant la figure de Franklin Roosevelt, peu après son décès en avril 1945. Reste la figure, a priori plus problématique, de Staline. Dès le mois de juillet 1945, deux conseillers communaux socialistes font la proposition de lui rendre hommage. Mais une rumeur circule : la commune de Woluwe-Saint-Lambert aurait déjà fait part de sa volonté de s’approprier le nom. Craignant de se faire dépasser, la Ville de Bruxelles – par la voix des deux mêmes conseillers – se propose alors de rendre hommage à la bataille de Stalingrad. En décembre 1945, l’artère est inaugurée : l’avenue du Midi devient l’avenue de Stalingrad. Mais comme en témoigne le discours prononcé lors de l’inauguration, en décembre 1945, par le bourgmestre libéral de la Ville en présence de l’ambassadeur soviétique, c’est bel et bien à l’homme que l’on rend hommage : « notre admiration pour leur brillant chef est sans bornes et nous n’en perdrons jamais le souvenir ». Il termine son discours par ces mots : « Vivent les armées russes ! Vive son grand chef, le Maréchal Staline »27. Malgré plusieurs tentatives de débaptisations ultérieures, l’avenue de Stalingrad porte toujours ce nom.
Outre cette mémoire de guerre plus problématique, d’autres dimensions expliquent que le mouvement est de moindre ampleur qu’au lendemain de la Grande Guerre. Il y a tout d’abord le ralentissement de la croissance démographique. La population de l’ensemble des communes bruxelloises ne croît que de 11 % entre 1947 et 1970. Certaines communes connaissent même une décroissance. On peut donc parler d’une certaine saturation de l’espace. Cela signifie que peu de nouvelles voiries sont percées. Parallèlement, les autorités nationales découragent les changements. Ces deux éléments expliquent également le nombre plus restreint de changements après le second conflit mondial.
Capitale de l’Europe ?
Aujourd’hui, Bruxelles s’affirme de plus en plus comme la capitale de l’Union européenne. Mais cette nouvelle internationalisation ne trouve que de faibles échos dans l’odonymie locale. Certes, la référence à Robert Schuman est affirmée haut et fort au cœur du quartier où sont installées les institutions européennes. Le dispositif symbolique autour du rond-point Schuman – inauguré en 1963 – est renforcé par la création d’une station de métro et d’une gare homonymes. Il est par ailleurs désormais question d’un « quartier européen » mais sans aucune autre débaptisation de lieux. Le rond-point Schuman s’appelait antérieurement le rond-point de la rue de la Loi. Hommage est par ailleurs rendu à un autre artisan de l’Europe en la personne du belge Paul-Henri Spaak (1891-1972). Dès 1957, une avenue Paul-Henri Spaak est créée de son vivant à Saint-Gilles, une initiative contraire aux recommandations de la Commission de Toponymie qui préconise de n’attribuer de nom de rues qu’à des personnes décédées à l’exception notoire de la famille royale. Dans le même temps, un boulevard de l’Europe est inauguré dans cette même commune. Ces changements interviennent dans la foulée de la signature du traité de Rome mais aussi du réaménagement du quartier de la gare du Midi où ils sont situés. En 2001, le boulevard de l’Europe devient l’esplanade de l’Europe. En 1958, la Ville de Bruxelles avait elle aussi décidé de débaptiser le Carrefour de la Gare Centrale pour en faire le Carrefour de l’Europe en hommage au traité de Rome. Ces deux choix précoces et situés à proximité de gares inscrivent dans l’odonymie la dimension européenne de Bruxelles. En 2010, la commune de Woluwe-Saint-Lambert décide à son tour de rendre hommage à l’homme d’État en créant un « Cours Paul-Henri Spaak ». Une plaque explicative présente brièvement sa personnalité. Cet hommage dans cette commune dirigée par une liste francophone vise aussi sans doute l’homme qui, en 1971, a quitté le Parti socialiste belge pour rallier le FDF – Front démocratique des francophones, aujourd’hui Défi – une formation créée en mai 1964. Ce ralliement avait en effet contribué à la crédibilité de la jeune formation. Dans les faits, on ne constate donc pas de véritable bouleversement odonymique lié à cet ancrage européen de la capitale belge.
Essayer de comprendre l’odonymie de Bruxelles
Comme partout, l’évolution de l’odonymie est aussi liée à un certain nombre de facteurs tant externes qu’internes. Bien évidemment, il y a quantité de spécificités très locales qu’il est impossible d’évoquer dans le cadre de cette contribution. Nous nous limiterons dès lors à une optique plus générale, des aspects démographiques aux dimensions politiques sans oublier l’évolution du contexte législatif. Nous évoquerons également les difficultés en termes de lisibilité de l’odonymie bruxelloise.
Démographie et urbanisation
C’est une évidence : le moteur premier de la création de nouvelles voiries est lié à la croissance démographique. Depuis le début de l’indépendance, la population de la capitale a été multipliée par cinq, passant de 211 634 habitants en 1846 – date du premier recensement – à 1 218 255 en 2020.
Évolution de la population bruxelloise de 1846 à 2020.
Mais cette croissance cache des réalités très contrastées. Entre 1910 et 1947, huit des dix-neuf communes bruxelloises ont un taux de croissance de plus de 100 %, ce qui nécessite le percement de nouvelles voiries en nombre. Néanmoins, toutes les communes ne font pas le choix de dénominations mémorielles ou pas nécessairement de dénominations liées à des événements qui ont touché l’histoire de la Belgique. Certaines mobilisent bien plus des références culturelles et artistiques, des lieux ou des propriétaires. D’autres par contre font la part belle aux « héros » locaux. Le réflexe identitaire est manifeste. À l’heure de l’arrivée de nouveaux habitants, l’héroïsation d’anciens semble être une stratégie pour souder la communauté locale et ne pas se perdre dans l’anonymat de la grande ville. Cela explique aussi sans doute des choix qui prennent en compte d’autres catégories sociales. Ce qui importe dans ce contexte, c’est l’ancrage local, le fait de tisser du lien. Dans les communes déjà largement urbanisées à la veille de la Première Guerre mondiale, impossible de rendre hommage à toutes les victimes du fait de leur nombre. On passe donc par des dispositifs plus collectifs : les « héros », les « combattants », les « invalides », les « résistants »… Bref, des intitulés qui offrent une plus large assise et qui évitent de se lancer dans un processus de dénominations individuelles qui imposerait de poser des choix et ouvrirait la voie à d’innombrables demandes dans un contexte où le ralentissement de la croissance démographique contribue aussi à la diminution du nombre d’attributions.
Toutes les communes ne présentent ni le même profil démographique ni le même profil socio-économique. Qui plus est, des changements les ont impactées au fil du temps. Des communes dites bourgeoises se sont appauvries ; des communes rurales se sont transformées en zones résidentielles. On peut distinguer les communes dites de la première ceinture qui entourent directement Bruxelles-Ville. Elles sont les premières à s’urbaniser et ce dès les années 1830 à 187028. À partir de 1870, ce sont les communes dites de la deuxième ceinture qui émergent29. L’évolution n’est dès lors pas identique sur l’ensemble de l’espace bruxellois. Une recherche fine sur l’ensemble des communes et de leurs voiries devrait permettre d’analyser l’impact de ce développement différencié sur l’odonymie locale. À ce stade, seuls quelques constats très généraux peuvent être posés. Certaines communes ont eu une politique odonymique clairement liée à leur profil socio-économique. À Molenbeek-Saint-Jean, le « Manchester belge », le passé industriel est très présent alors que le poids des guerres est, lui, relativement marginal. La commune voisine d’Anderlecht présente elle aussi un profil industriel marqué qui laisse sa marque dans l’odonymie locale. Mais les deux guerres mondiales y sont également très bien représentées. D’autres municipalités vont privilégier des dénominations liées à leur environnement géographique (la forêt de Soignes dans le cas de la commune de Watermael-Boitsfort), à des propriétaires terriens (Forest) ou encore à des artistes (Schaerbeek). Ailleurs, comme évoqué, ce sont des acteurs locaux – importants ou anonymes – qui occupent une place dominante dans l’odonymie. La difficulté de dégager des orientations claires tient aussi au poids de l’autonomie locale.
Dimensions politiques
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il n’est pas rare que les communes soient dirigées par des majorités absolues représentant une seule tendance politique30. À cette époque, ce sont les libéraux et les catholiques qui dominent le paysage politique. Sans surprise, plus la commune est urbanisée plus les libéraux y occupent un rôle politique dominant ; par contre, dans les communes de la deuxième ceinture, encore largement rurales, ce sont les catholiques qui dominent. Dans les communes les plus urbanisées, des choix odonymiques contribuent à la glorification de héros de la révolution de 1830. Quant aux premières attributions relatives à la colonisation, on les retrouve pour l’essentiel à Bruxelles-Ville et à Ixelles, deux communes libérales. Après l’instauration du suffrage universel au lendemain de la Première Guerre mondiale – tant les hommes que les femmes sont concernés à ce niveau de scrutin – les communes bruxelloises sont souvent dirigées par des coalitions associant deux, voire trois listes différentes issues principalement des partis dits traditionnels. On les retrouve donc associés aux évolutions successives en matière d’odonymie. Difficile d’identifier des pratiques politiques spécifiques qui seraient liées à l’appartenance politique des majorités en place. Comme mentionné, la présence d’une liste « Combattants » au collège à Auderghem a sans conteste joué un rôle moteur dans le nombre d’attributions liées à la Première Guerre mondiale. Mais l’urbanisation de la commune a permis la mise en œuvre de cette politique. À Etterbeek, l’ensemble des formations politiques a contribué à la valorisation du projet colonial. Néanmoins, il importe également de tenir compte des actions de lobbying menées auprès des élus tant dans le chef d’associations coloniales que d’organisations de résistance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais bien plus que la tendance politique du résistant ou de colonial honoré, c’est son ancrage local qui est valorisé. Même stratégie, par exemple, dans la commune de Woluwe-Saint-Lambert alors dominée par une majorité catholique. Douze voiries y sont dédiées à des résistants morts durant la guerre. Tous résidaient dans la commune ; six se sont vu attribuer la rue où ils habitaient durant le conflit, quatre une rue proche de leur domicile et deux une artère nouvellement créée. Toutes ces attributions se font dans les cinq années qui suivent la fin du conflit.
Parmi les changements récents, il y a lieu de mentionner la politique de la Ville de Bruxelles. Pour l’ensemble des communes, seules six femmes sont honorées dans l’espace public pour leur engagement résistant. Trois de ces attributions sont récentes : l’une date de 2003 et les deux dernières de 2019. Dans ces trois derniers cas, il s’agit de femmes ayant survécu à la guerre et s’étant engagées dans des formes d’action de résistance civile (sauvetage d’enfants juifs, réseaux d’évasion de pilotes alliés). Ces trois dénominations sont situées sur le territoire de Bruxelles-Ville qui mène ainsi une politique résolue de féminisation de l’espace public. D’autres changements sont annoncés par les communes d’Uccle et d’Ixelles d’une part et par la commune de Koekelberg d’autre part. Ces stratégies ont un objectif double : renforcer la féminisation de l’espace public et (re)mobiliser la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans une logique du devoir de mémoire et d’une mobilisation accrue dans le cadre de commémorations. Ailleurs, cette stratégie se fait par une plus grande lisibilité de l’espace public – et donc une plus grande « efficacité » des apports de l’odonymie. À Woluwe-Saint-Lambert, des plaques et des panneaux didactiques sont installés dans l’espace public. Jadis catholique, cette commune est aujourd’hui dirigée par une formation francophone – Défi – qui mobilise clairement la mémoire de guerre dans une stratégie de lutte contre l’extrême droite (flamande).
Processus de décision
Avec l’urbanisation croissante de la capitale et de ses faubourgs va progressivement se poser la question des choix odonymiques : comment faire en sorte que deux communes ne choisissent pas une même dénomination et, autre aspect, comment éliminer les doublons existants. On est là clairement dans la dimension utilitaire de la toponymie. De nombreuses communes ont en effet une place du Marché, une rue de l’Église, autant de dénominations liées à une période où la nomenclature était exclusivement utilitaire.
Du fait de l’urbanisation progressive de la capitale, un processus de régulation informel avait été instauré avant la Première Guerre mondiale. L’objectif étant de préserver la dimension utilitaire des noms de rues en évitant les doublons. En clair, l’urbanisation de la capitale se traduisait par une augmentation progressive du nombre des communes dites bruxelloises. En 1874, une conférence des bourgmestres de Bruxelles avait vu le jour à l’initiative de la Ville de Bruxelles. Son objectif était de gérer de manière conjointe un certain nombre de compétences qui, dans les faits, dépassaient les limites strictes d’une commune. Parmi celles-ci, figure la question des noms de rues. La conférence se montre active à deux niveaux. Dans le cadre du processus d’adhésion à cette instance, les communes sont invitées à transmettre la liste de leurs voiries pour identifier les doublons éventuels. Par ailleurs, dès que les communes envisagent de nouvelles dénominations, elles sont invitées à en informer la conférence avant que la décision ne soit officialisée. À travers ces nouvelles dénominations, on voit surgir tout un processus de concurrence entre communes, en particulier sur les dimensions de mémoires internationales. En la matière, les communes peuvent difficilement utiliser l’argument de l’ancrage local – sauf si une visite protocolaire a eu lieu – et il y a donc rivalité sur un certain nombre de personnalités.
Dans la foulée des nombreux changements intervenus après la Première Guerre mondiale, une commission de toponymie voit le jour. À l’origine, elle a une fonction d’étude et d’érudition. Durant la Seconde Guerre mondiale, sa consultation est requise pour toute procédure de changement de nom. Une commission spécifique est d’ailleurs mise en place pour les communes bruxelloises. Elle est l’initiative du secrétaire général de l’intérieur, le nationaliste flamand Gerard Romsée (1901-1976) et non de l’occupant. Faute de temps, elle n’aura guère la possibilité d’impulser une véritable politique. Néanmoins, une vaste enquête est menée auprès des communes bruxelloises les sommant de justifier leurs changements de noms après la Première Guerre mondiale. Cette politique de consultation est maintenue après la Seconde Guerre mondiale. Désormais, les communes sont invitées à présenter un dossier auprès de la commission de toponymie pour justifier les changements qu’elles souhaitent mettre en œuvre. La procédure est devenue de plus en plus complexe. Au fil du temps, la commission a formulé un certain nombre de recommandations (limiter les changements ou les lier à histoire locale, à des personnalités défuntes…) même si elle se montre aujourd’hui plus sensible à l’idée de changements31. À Bruxelles, région bilingue, tout changement implique l’introduction d’une double demande, auprès de la commission francophone et de son alter ego néerlandophone. Les avis ne sont pas toujours identiques. Ainsi les communes d’Ixelles et d’Uccle se sont lancées dans une procédure de débaptisation de la rue Edmond Picard (1836-1924), un juriste de renom mais par ailleurs ouvertement raciste et antisémite, pour la remplacer par la rue Andrée Geulen, du nom d’une institutrice résistante qui a contribué au sauvetage de plus de 300 enfants juifs. La commission néerlandophone a estimé qu’il ne s’était pas écoulé suffisamment de temps entre son décès et la volonté de lui attribuer un nom de rue. Andrée Geulen est en effet décédée en 2022, à l’âge de 100 ans. Par contre, pour la commission francophone, cette proximité n’a pas fait débat. Désormais, en cas de changement de nom, les habitants doivent également être consultés. Mais là aussi, il s’agit d’une obligation strictement consultative. Ce n’est qu’ensuite que le conseil communal peut adopter le changement. Aujourd’hui, conscientes des difficultés administratives qu’impliquent les changements, les communes accompagnent le processus et aident les habitants concernés dans les démarches administratives.
Pour une pédagogie de l’odonymie
Si l’objectif d’une odonymie mémorielle est de souder la communauté locale autour d’un certain nombre de valeurs, encore faut-il que celles-ci soient comprises. Force est de constater que les communes se montrent souvent très frileuses en matière d’identification. On peut certes considérer qu’au moment des faits, autrement dit, lors de leur création, le nom des voiries était mieux compris par les habitants. Mais rien n’est moins sûr dans la mesure même où souvent les personnalités honorées sont déjà décédées puisqu’à l’exception de la famille royale, il faut en principe que la personne soit décédée depuis 5 ans au moins pour qu’elle puisse se voir attribuer un nom de rue. Ce principe n’a cependant pas toujours été respecté. Faute d’archives, il est en outre impossible de reconstituer les plaques du passé. Dans un certain nombre de cas, des plaques de différentes époques se superposent dans l’espace public sans qu’il soit possible de les dater. Toutes les photos utilisées dans le cadre de cette contribution ont été prises entre 2022 et 2024. Un simple regard permet de constater qu’elles ne sont clairement pas contemporaines les unes des autres. Il est également impossible de savoir quand des ajouts explicatifs éventuels ont été ajoutés. Là encore, ce sont les communes qui détiennent le pouvoir de décision.
Politique de valorisation de l’odonymie locale à Woluwe-Saint-Lambert, photos 2022-2023.
Prenons le cas de la rue des Colonies. Dès son creusement en 1908–1909, son nom apparaît comme problématique mais uniquement dans la mesure où le pluriel a été choisi alors que le Congo est alors l’unique colonie de la Belgique32. Aujourd’hui, trois plaques différentes sont apposées à quelques mètres l’une de l’autre. La première, remontant sans doute à sa création, mentionne « En souvenir de l’annexion du Congo. 1908 ». Un peu plus loin, une autre plaque ne porte aucune explication odonymique. Quant à la troisième, elle a été masquée par une action citoyenne… et rebaptisée « rue des Décolonies »33. Un trio classique semble se dessiner : glorification, banalisation, contestation…
Différentes plaques de la rue des Colonies, la première représentant la glorification, la seconde la banalisation, et la dernière la contestation.
Ce processus d’identification peut en effet être source de contestation, en particulier en matière de revendications de décolonisation de l’espace public. Les « Vétérans coloniaux » sont ainsi encore et toujours honorés pour leur contribution à l’œuvre congolaise de 1876 à 1908. Il ne s’agit donc pas de rendre hommage à ceux qui se sont rendus au Congo à l’heure où celui-ci était devenu colonie belge ! À travers ce texte, il n’y a aucune volonté de remise en cause de l’action de ces mêmes vétérans. En 2017, la commune d’Anderlecht a mis en place un groupe de travail chargé de la contextualisation d’un certain nombre de lieux dont le Square des vétérans coloniaux. Force est de constater que sept ans plus tard, les plaques sont toujours identiques.
Les « Vétérans coloniaux » toujours honorés pour leur contribution à l’œuvre congolaise de 1876 à 1908.
On ne peut même pas parler de stratégie cohérente au sein d’une même commune. À Etterbeek, par exemple, l’Avenue de l’Yser n’est pas identifiée alors que la place du 11 novembre l’est d’un côté de la rue mais pas de l’autre.
Plaque de l’avenue du 11 novembre à Etterbeek (figurant d’un côté de la rue mais pas de l’autre).
Plaque de l’avenue de l’Yser à Etterbeek.
Cette question de la contextualisation n’est pas sans importance à l’heure où les débats sur la décolonisation de l’espace public agitent un certain nombre de communes bruxelloises. À Etterbeek, commune comptant le plus grand nombre de voiries coloniales, une commission citoyenne a été créée pour débattre du sort des références coloniales dans l’espace public. Au terme de dix-huit mois de débats, celle-ci s’est majoritairement prononcée pour une contextualisation, rejetant toute débaptisation. Il y a donc clairement une volonté nouvelle de pédagogisation de l’espace public ; la contextualisation apparaissant comme un compromis entre ceux qui refusent tout changement et ceux qui souhaitent transformer l’espace public34. Cette contextualisation risque à son tour de faire débat.
Ce n’est en revanche pas le cas dans les initiatives menées en ce sens concernant la Seconde Guerre mondiale. Les choix portés par les communes concernant cette strate mémorielle ne sont généralement pas remis en cause et toute information apparaît comme une plus-value comme l’illustre, par exemple, le panneau relatif à Albert Jonnart à l’initiative de la commune de Woluwe-Saint-Lambert.
Mais l’information ajoutée n’est pas nécessairement correcte. À Bruxelles-Ville, un panneau explicatif a été installé à propos de l’Avenue (de) Stalingrad qui a effectivement fait l’objet de plusieurs tentatives de débaptisation. Or, le panneau installé fait mention d’une date d’inauguration qui n’est pas la bonne : l’avenue n’a pas été inaugurée en 1948 mais en décembre 194535. L’objectif n’était pas de rendre hommage à la vaillante résistance des habitants de Stalingrad mais bien de « s’emparer » du nom puisqu’une rumeur (fausse) semblait indiquer que le nom de Staline lui-même avait déjà été choisi par une autre commune bruxelloise36. Qui plus, le nom actuel de Stalingrad est Volgograd et non « Tsaritsyne ».
Plaque à Bruxelles-Ville de l’avenue Stalingrad, avec ajout d’un panneau explicatif.
On pourrait imaginer que les dénominations mémorielles les plus contemporaines soient explicitées. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Alors que la Ville de Bruxelles a mené ces dernières années à la fois une politique de féminisation de l’espace public et d’hommage à des victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale, on ne peut que constater que ces plaques ne font l’objet d’aucune contextualisation.
Cependant grâce aux outils numériques, cette volonté de faire sens peut aussi se faire par des informations en ligne. Certaines communes proposent sur leur site des informations permettant d’identifier les noms des voiries37. D’autres organisent des balades autour des noms de rues ou encore soutiennent des initiatives éditoriales en matière d’histoire locale38. Mais là encore, il n’y a aucune démarche systématique. Bref, une lisibilité de l’espace public qui reste problématique.
Conclusions
Comme dans d’autres villes, l’espace public est aujourd’hui l’objet de débats à Bruxelles. Plusieurs enjeux sont posés : la question de la féminisation, le poids du passé colonial mais aussi l’absence presque totale de toute référence à la diversité culturelle, aujourd’hui très présente dans la Région de Bruxelles.
En effet, sur les 5 263 noms de rues, 2 103 portent des noms de personnes. Parmi elles, 1 945 hommes, 139 femmes et 1 personne identifiée comme transsexuelle39. Cette faible visibilité est encore renforcée par la dimension générique des voiries. Les boulevards et autres avenues ne portent que très exceptionnellement le nom de femmes et encore s’agit-il pour l’essentiel de reines et de princesses qui ne doivent leur présence qu’à leur statut d’épouses et non à un engagement spécifique. Depuis plusieurs années, des collectifs se mobilisent, des actions ludiques sont entreprises, notamment lors de journées symboliques telles le 8 mars. Le message est peu à peu entendu même si, à ce stade, les changements demeurent limités. En avril 2023, la commune de Koekelberg a néanmoins annoncé la création de cinq voiries dédiées à des femmes40. Jusqu’alors, sur les 71 voiries de la commune, seules deux portaient un nom de femme. Les symboles ont été soigneusement choisis : l’ancrage local pour les sœurs Brontë, figures littéraires, qui ont résidé quelque temps dans la commune dans les années 1840, l’avocate Gisèle Halimi, pour son combat en faveur du droit à l’avortement, Renée Douffet, une habitante de la commune reconnue Juste parmi les nations et enfin Madame Gemba, l’une des sept victimes congolaises du « zoo humain » de Tervuren lors de l’Exposition universelle de 1897. Fait significatif, ces changements passent par une débaptisation de deux artères évoquant la Première Guerre mondiale : la rue de l’Armistice d’une part et la rue des Braves – une dénomination remontant à 1915 et honorant les soldats de la commune morts au combat – d’autre part. Sur le territoire de cette même commune se trouve également le boulevard Léopold II ; une voirie partagée avec la commune de Molenbeek. Mais ce débat-là reste au point mort, au point de se demander si la féminisation n’est pas aussi mobilisée pour éviter le difficile débat sur la décolonisation.
La question de la décolonisation fait, elle, en effet l’objet de débats plus contrastés. Certes, plusieurs communes se sont saisies du dossier, ont mis en place des groupes de travail ou des commissions mais peu de décisions concrètes ont été mises en œuvre. Seul fait notoire à épingler, la création, en juin 2018, du square Patrice Lumumba, résultat d’une longue mobilisation d’associations issues de la diaspora africaine41.
L’immigration et la diversité culturelle restent sans conteste des angles morts de l’odonymie bruxelloise. Là encore, un fait majeur est à relever : la création, durant l’été 2023, d’une artère Eunice Osayande, une prostituée nigériane assassinée à Bruxelles42. Par contre, le long combat mené à Schaerbeek pour débaptiser une partie de la rue Vanderlinden et en faire la rue Habiba-Ahmed, dédiée à ce couple d’immigrés marocains assassinés en 2002 par un militant d’extrême droite, n’a toujours pas abouti.
La saturation de l’espace et la crainte d’insatisfaire les riverains-électeurs posent évidemment le problème de la persistance d’angles morts en matière d’odonymie. Les communes se montrent généralement prudentes dans tout processus de changement, une politique qui n’est d’ailleurs pas vraiment nouvelle. En l’absence de nouvelles artères, les communes se sont mises à baptiser d’autres lieux dont la dénomination n’impacte pas les habitants. C’est ainsi que des ponts, des squares, des allées, des promenades sont devenues autant d’opportunités pour essayer de combler des absences. Comme dans d’autres villes européennes, des pavés de mémoire ont été installés à Bruxelles à partir de 2009 pour donner une visibilité aux victimes de la persécution raciale. En 2019, une nouvelle campagne de pose de pavés a été initiée pour rendre hommage à des résistants. Si ces derniers ne sont pas totalement absents de l’espace public – plus d’une centaine de voiries portent des noms de résistants sur l’ensemble des 19 communes – leur présence reste malgré tout discrète. Bruxelles compte aujourd’hui 170 pavés de mémoire, toutes catégories confondues43. Si la pose de tels pavés nécessite certes l’aval des autorités communales, il s’agit néanmoins d’une initiative privée. Difficile d’envisager un hommage odonymique individualisé pour les milliers de victimes de la persécution raciale à Bruxelles. On estime à 25 000 le nombre de Juifs vivant dans la capitale au début de la Seconde Guerre mondiale. La rafle organisée par l’occupant le 3 septembre 1942 entraîne l’arrestation de 718 personnes. Le 3 septembre 2018, le bourgmestre de Bruxelles – le socialiste Philippe Close – inaugurait symboliquement la place des 3 septembre. Le pluriel se justifie du fait de la triple symbolique. Le 3 septembre 1942 se déroulait la seule rafle sur le territoire de Bruxelles-Ville. Un an plus tard, jour pour jour, les Juifs de nationalité belge étaient à leur tour arrêtés. Le 3 septembre 1944, Bruxelles était libérée. Mais, à l’instar du square Lumumba, ces changements n’ont eu aucun impact sur les habitants puisque personne n’y est domicilié.
La question des noms de rues ne constitue bien évidemment qu’un aspect de l’espace public. Aujourd’hui, les débats se focalisent également sur d’autres représentations comme les monuments ou les plaques mais aussi les tunnels, les stations de métro et autres arrêts de bus. D’autres lieux sont en train d’être touchés : piscines, crèches, écoles, passerelles… Autant de lieux dont les dénominations ne dépendent pas des mêmes autorités. Il peut donc apparaître plus aisé de modifier le nom d’un tunnel – en mai 2022, le tunnel Léopold II est devenu le tunnel Annie Cordy par suite d’une consultation populaire44 – ou d’une station de métro que d’une voirie45. Certaines associations militantes ne s’y sont pas trompées et multiplient les actions symboliques autour de ces lieux. Tous ces espaces et ces controverses révèlent l’importance et la nécessité d’une véritable lisibilité de l’espace public. Le débat n’est pas neuf mais il révèle aujourd’hui de nouveaux acteurs et de nouvelles formes d’action. Bref, le chantier est ouvert !
Notes
1
Parmi les publications les plus récentes en la matière, signalons deux ouvrages : Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg, Dé-commémoration. Quand le monde déboulonne des statues et renomme des rues, Paris, Fayard, 2023 et Frédéric Girault et Myriam Houssay-Holzschuch (dir.), Politiques des noms de lieux, dénommer le monde, Londres, ISTE Editions, 2023.
2
Voir Maoz Azaryahu, « The Power of Commemorative Street Names. Environment and Planning », Society and Space, vol. 14, n° 3, 1996, p. 311-330.
3
Bruxelles n’échappe pas au phénomène. Une série de rues évoquant l’Ancien Régime sont débaptisées au début de la période française puis restaurées sous Napoléon. Voir Roel Jacobs, Une Histoire de Bruxelles, Bruxelles, Racine Lannoo, 2004, p. 254.
4
Michaël Billig, Banal Nationalism, Londres, SAGE Publications Ltd, 1995.
5
Lors du Congrès de Vienne (septembre 1814 - juin 1815), les grandes puissances, soucieuses de se prémunir contre tout nouvel impérialisme français, décident de la création du Royaume-Uni des Pays-Bas. Il associe les neuf départements réunis (provinces belges) aux Provinces-Unies. Cet ensemble reconstitue en partie les anciens Pays-Bas bourguignons et espagnols. Au fil du temps, des divergences politiques, culturelles, religieuses et linguistiques font naître un ressentiment croissant de la part du Sud (les provinces belges). Des troubles révolutionnaires éclatent à la fin de l’été 1830. Lors de la Conférence de Londres (novembre - décembre 1830), les grandes puissances reconnaissent l’indépendance de la Belgique. Voir Els Witte, La Construction de la Belgique, Bruxelles, Le Cri, 2010. Els Witte et al., Nouvelle histoire de Belgique. 1830-1905, Paris, Éd. Complexe, 2005.
6
Jusqu’à l’instauration du suffrage universel au lendemain de la Première Guerre mondiale, le système était plus complexe, avec des renouvellements du conseil communal par moitié. Le mode de scrutin proportionnel a lui été introduit en 1899. Voir Els Witte, « Tussen experiment en correctief. De Belgische gemeentelijke kieswetgeving in relatie tot het nationale kiesstelsel », in Les Élections communales et leur impact sur la politique belge (1890-1970) : 16e Colloque International, Spa, 2-4 sept. 1992, actes [De gemeenteraadsverkiezingen en hun impact op de Belgische politiek (1890-1970)], Bruxelles, Crédit communal/Gemeentekrediet, 1992, p. 13-72.
7
« Indicateur belge ou guide commercial et industriel de l’habitant et de l’étranger », in Bruxelles et la Belgique pour l’an 1840, Bruxelles, Gachard, 1840, Almanach | Archives de Bruxelles (consultation février 2024).
8
Plan de Bruxelles et de ses faubourgs. Liste alphabétique des voies publiques, Bruxelles, Institut géographique nationale, (1890) (consultation février 2024).
9
Nouria Ouali et al., « Les femmes dans le nom des rues bruxelloises. Topographie d’une minorisation », Brussels Studies, vol. 154, 2021 (consultation février 2024).
10
« Régence de la Ville de Bruxelles », Journal de la Belgique, 3 août 1831, p. 3.
11
Dans un registre qui tient sans doute plus de l’anecdote, il est relaté que c’est dès le 27 septembre 1830 que la place s’est « spontanément » vu attribuer le nom de « Place des Martyrs ». Voir Jacques Collin de Plassy, Chroniques des rues de Bruxelles et histoire pittoresque, Bruxelles, Au bureau de l’émancipation, tome II, 1834, p. 263.
12
L’Émancipation, 4 août 1831, p. 3.
13
« L’aménagement du quartier Notre-Dame-aux-Neiges », Journal de Bruxelles, 8 mai 1876, p. 2 et Bulletin communal de la Ville de Bruxelles, 1877, tome 11, Partie 4, p. 332-333.
14
On trouve trace dans la presse de l’expression « Colonne du Congrès et de la Constitution » entre 1854 et 1859. Le monument est inauguré en 1860. À partir de cette date, il n’est plus question que de la colonne du Congrès.
15
Voies publiques – dénominations données ou supprimées par arrêté du Collège en date des 14 avril - 15 mai 1877, Ville de Bruxelles, Bulletin communal, année 1877, n° 9, p. 315 et suiv. Une « rue Stanley » sera ultérieurement créée sur le territoire de la commune d’Uccle en 1904.
16
Voir Didier Sutter, Koekelberg. Au fil du temps… Au cœur des rues…, Paris, Drukker, 2012, p. 453 et suiv.
17
Matthew G. Stanard, The Leopard, the Lion and the Cock. Colonial Memories and Monuments in Belgium, Louvain, Leuven University Press, 2019.
18
Camille Coquilhat (1853-1891) est un agent de l’Association internationale africaine. Vice-gouverneur de l’État indépendant du Congo, il est à l’origine de la Force publique, cette structure chargée du maintien de l’ordre dans l’État indépendant du Congo. Voir les archives de l’AfricaMuseum, notice « Camille Coquilhat » (consultation février 2024).
19
En janvier 1929, le Collège motive sa décision de dénomination de 13 nouvelles voiries en ces termes : « désireux de rappeler les hauts faits de nos soldats au cours de la terrible guerre 1914-1918, ainsi que l’héroïsme et l’abnégation de nos colonisateurs et de nos missionnaires… », Registre des délibérations du Conseil communal, 29 janvier 1929, Archives communales Etterbeek.
20
« Au Pionnier du Congo (1887-1905). Au Héros de la Grande Guerre (1914-1918) », Dossier Boulevard Général Jacques, Archives communales Etterbeek.
21
Henri-Auguste De Bruyne (1868-1892) est un militaire belge parti au Congo en 1889. Lui et son supérieur, le lieutenant Joseph-François Lippens (1855-1892) sont tués dans le cadre d’une opération de représailles dans le contexte des campagnes dites antiesclavagistes. De Bruyne, Henri | AfricaMuseum - Archives (consultation février 2024).
22
Laurence van Ypersele, Emmanuel Debruyne et Chantal Kesteloot, Bruxelles. La mémoire et la guerre (1914-2014), Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2014.
23
Registre des délibérations du conseil communal d’Anderlecht, 25 février 1919 (Archives communales Anderlecht).
24
Chantal Kesteloot, « Toponymie et mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Les noms de rues à Bruxelles », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, vol. 2-3, 2012, p. 108-137 (consultation février 2024).
25
Benoît Mathieu, « Forest rend hommage à Marguerite Bervoets », Le Soir, 13 novembre 2007.
26
Chantal Kesteloot et Bénédicte Rochet, Bruxelles, Ville libérée, 1944-1945, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2019.
27
La Nation belge, 2 décembre 1945, p. 2.
28
Elles sont au nombre de neuf : Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Etterbeek, Ixelles, Saint-Gilles, Anderlecht, Molenbeek-Saint-Jean, Koekelberg et Laeken (cette dernière commune est rattachée à Bruxelles-Ville au lendemain de la Première Guerre mondiale). Voir Anne-Marie Bogaert-Damin et Luc Maréchal, Bruxelles. Développement de l’ensemble urbain 1846-1961. Analyse historique et statistique des recensements, Namur, Presses Universitaires de Namur, 1978, p. 126 et suiv.
29
Elles sont au nombre de six : Forest, Uccle, Watermael, Boitsfort, Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-Saint-Lambert. Quatre communes s’urbanisent plus tardivement : Jette, Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe et Evere. Les trois dernières ne font officiellement partie de l’agglomération bruxelloise que depuis 1954. Mais cette évolution n’est pas liée à des critères économiques mais bien linguistiques. Anne-Marie Bogaert-Damin et Luc Maréchal, Bruxelles. Développement de l’ensemble urbain 1846-1961. Analyse historique et statistique des recensements, Namur, Presses Universitaires de Namur, 1978.
30
Voir Chantal Kesteloot, Ann Mares et Claudine Marissal, Élections communales 1890-1970, Banque de données, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, 1996.
31
Voir Florien Mariage (dir.), Guide pratique des noms de rues en Belgique francophone, CRTD, Bruxelles, 2022 (consultation février 2024).
32
Voir Le Soir, 22 octobre 1908, p. 1.
33
À Watermael-Boitsfort, seule une rue fait référence au passé colonial belge. Il s’agit de l’« avenue Coloniale ». Sans surprise, la plaque est fréquemment surchargée et porte dès lors la mention « avenue Décoloniale ».
34
Voir Passé colonial: la commune privilégie la contextualisation | Etterbeek (consultation avril 2024).
35
« En décidant de débaptiser l’avenue du Midi et de la dénommer désormais avenue de Stalingrad, le Collège de la Ville, en plein et unanime accord avec le Conseil communal, a voulu payer à la Russie et au Maréchal Staline un grand tribut solennel d’admiration et de gratitude », extrait du discours prononcé par M. J. Van de Meulebroeck lors de l’inauguration de l’avenue de Stalingrad, 1er décembre 1945 : M. J. Van de Meulebroeck « Inauguration de l’avenue de Stalingrad », Bulletin communal année 1945, tome 112, partie 3, 1945, p. 1431 et suiv.
36
Voir, « Compte rendu du conseil communal du 2 juillet 1945 », Bulletin communal année 1945, tome 111, partie 1, 1945, p. 377 et suiv.
37
Voir sur le site web de la commune de Schaerbeek « Lieux-dits & petites histoires des rues » (consultation avril 2024).
38
Voir, par exemple, Didier Sutter, Koekelberg. Au fil du temps…Au cœur des rues…, Paris, Drukker, 2012.
39
Nouria Ouali et al., « Les femmes dans le nom des rues bruxelloises. Topographie d’une minorisation », Brussels Studies, vol. 154, 2021 (consultation février 2024).
40
Voir Julien Rensonnet, « Les sœurs Brontë, la Congolaise Gemba exposée à Tervuren ou Gisèle Halimi reçoivent une rue à Koekelberg », L’Avenir, 19 avril 2023 (consultation février 2024).
41
Idesbald Goddeeris, « Square de Léopoldville of Place Lumumba. De Belgische (post)koloniale herinnering in de publieke ruimte », Tijdschrift voor Geschiedenis, vol. 129, n° 3, 2016, p. 349-372.
42
Camile Wernaers, « La rue Eunice Osayande a été inaugurée à Bruxelles, du nom d’une prostituée victime d’un féminicide », RTBF Actus, 15 juin 2023 (consultation février 2024).
43
Voir le site web « Les Pavés de mémoire » posés et commandités par la Fondation Auschwitz (consultation février 2024).
44
Véronique Lamquin, « Bruxelles: le tunnel Léopold II devient le tunnel Annie Cordy », Le Soir, 8 mars 2021 (consultation février 2024).
45
Voir Frédéric Dobruszkes, « Baptiser un grand équipement urbain : pratiques et enjeux autour du nom des stations de métro à Bruxelles », Revue belge de géographie, vol. 1-2, 2010, p. 229-240 (consultation février 2024).
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