Au cours de la période récente, des mondes sociaux distincts, scientifiques d’une part et politiques de l’autre, souvent coordonnés au niveau international, se sont emparés de la question de l’immigration des professionnels diplômés. Dans les années 2000, la catégorie des travailleurs « hautement qualifiés » apparaît dans les politiques migratoires allemandes et françaises, à la faveur d’une préoccupation croissante de la Commission européenne pour ces questions. S’observe parallèlement une augmentation du niveau de diplôme des nouveaux arrivants, si bien que la part des diplômés du supérieur au sein de la population immigrée est désormais comparable à celle du reste de la population, en France comme en Allemagne. Or jusqu’ici, la sociologie de l’immigration s’était en général davantage intéressée à des secteurs professionnels peu qualifiés, à commencer par le monde ouvrier. Les évolutions récentes soulèvent alors un ensemble de questions : dans quelle mesure des titres scolaires étrangers donnent-ils accès aux professions supérieures ? Quelle est la position des diplômés formés à l’étranger au sein du groupe des cadres ? Cette main d’œuvre venue de l’étranger est-elle désavantagée (en termes de carrière, de salaire…) ou, au contraire, privilégiée en raison de ses attributs internationaux ?
Pour répondre ces questions, j’explore plusieurs dimensions étroitement enchevêtrées telles que l’origine géographique, le type de formation, le sexe ou le secteur professionnel. Les professions qualifiées se distinguent par de forts contrastes de recrutement, certaines restant très fermées au recrutement d’immigrés, d’autres plus ouvertes mais principalement à l’égard d’étrangers d’Europe de l’Ouest. Une opposition se dégage entre les cadres du privé et les professions plus féminisées du secteur public. L’affectation de certains groupes nationaux de diplômés à des postes subalternes répond à des logiques distinctes selon le pays, à mettre en lien avec le passé colonial de la France et les liens historiques de l’Allemagne avec l’Europe de l’Est. Mon travail s’appuie sur plusieurs enquêtes de la statistique publique (enquêtes Emploi, micro-recensement allemand…) complétées par des entretiens qualitatifs réalisés auprès d’immigrés diplômés1.
Notes
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.