Bienvenue au pays de Lénine (V Strane Lenine) est le sous-titre d’un documentaire, commandé par les syndicats soviétiques à l’occasion du premier jubilé d’Octobre1. Pendant plus d’une heure, les images en noir et blanc, entrecoupées de deux-cent-soixante-et-une légendes sèchement descriptives, rendent compte du séjour des délégations étrangères invitées à voyager en URSS à l’occasion du 10e anniversaire : depuis leur arrivée sur le territoire soviétique jusqu’au passage de la frontière pour le retour2. Envoyé à l’étranger en vingt-deux exemplaires au printemps 1928, ce film n’est projeté que dans l’intimité de rares séances privées en raison des commissions de censure qui sévissent alors dans la plupart des pays, même les plus démocratiques3. En dépit de l’échec de sa diffusion, cette source visuelle symbolise, mieux qu’aucun autre document, l’ambition des organisateurs consistant à transformer les festivités d’Octobre en un événement médiatique de portée internationale. C’est en effet sur le modèle d’un film publicitaire vantant les mérites du Voyage en URSS qu’ont été scénarisées les commémorations, en privilégiant la perspective du spectateur étranger.
Si cette mise en scène du régime procède d’une rencontre entre la culture soviétique des fêtes (Sovetskaya prazdnicnaya kul’tura) et les méthodes propagandistes de Willi Münzenberg, le jubilé ne peut être cantonné à sa seule fonction spectaculaire : il constitue le point culminant du processus de structuration de « la vague internationale de sympathie en faveur de l’URSS4». Compte tenu du contexte international les dirigeants soviétiques entendent « transformer les commémorations en une démonstration de solidarité à l’égard de l’URSS5». Mais cet exercice de soft power, dans le sens le plus moderne du terme6, ne doit pas dissimuler les enjeux de politique intérieure : en tant que fête militante, les commémorations sont un des rouages, un des instruments de la mutation en cours. L’année 1927 marque en effet une période charnière dans l’histoire du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) et de l’URSS, un pont entre la Nouvelle Politique économique (NEP) et le Grand Tournant stalinien des années 1928-29, au sein d’un environnement international considéré comme globalement hostile. Dans cette perspective, les commémorations du 10e anniversaire préparent la troisième révolution qui va transformer de fonds en comble la société soviétique et, au-delà de l’URSS, l’ensemble du mouvement communiste international.
Nous commencerons par le récit des deux journées de festivités elles-mêmes, en insistant sur leur dimension internationale, avant de poursuivre par la présentation des coulisses de l’organisation, et de terminer par l’évocation – sur le modèle de poupées russes – des multiples ressorts de ce premier jubilé d’Octobre.
« Hourrah, Hourrah, Hourrah, Gloire à Octobre, Vive l’Union soviétique »
Le programme des festivités
Le dimanche 6 novembre 1927 ne fut pas une journée de repos pour les masses laborieuses d’Union soviétique7. Dès 8 heures du matin, et avec un acharnement particulier sur les quartiers ouvriers, les rues se remplissent de joyeuses troupes bigarrées – troubadours, crieurs, artistes de cirque… – partant à la rencontre de leurs camarades encore endormis. Partout le rituel de ce réveil commémoratif est le même ; d’abord un groupe d’avant-garde avec des tambours et des trompettes pour attirer l’attention, puis les crieurs publics et les lanceurs de slogans : « À bas la dictature de la bourgeoisie, Vive la dictature du prolétariat ! » Ensuite le gros des troupes, avec drapeaux, chœurs et orchestres. Un pionnier lit les messages de félicitations remplissant les pages de la presse soviétique : l’Union des tisserands de Transcaucasie, le Parti communiste grec, un prisonnier politique de la prison de Revel … « envoient au prolétariat de Russie leurs salutations fraternelles8». Une jeune ouvrière récite un extrait de « Ça va bien », un recueil rédigé par Vladimir Maïakovski pour le jubilé d’Octobre. Et enfin l’arrière-garde, qui ferme la marche en distribuant des fleurs et le programme des festivités.
Dès 14 heures, la population sort massivement de chez elle pour rejoindre la fête déjà omniprésente, occupant les rues et les places où sont élevées des estrades. Les murs des bâtiments publics et des usines sont décorés de rouge9. Impossible de ne pas être sensible à la dimension artistique de la fête qui a fait sortir les artistes de leurs ateliers pour les amener à la rencontre des masses, dans la rue. « Tout Moscou est tendue de rouge, illuminée de rouge, de ce rouge dont les ouvriers du monde entier ont fait le symbole de leur révolte, de leur libération10», écrit le soir même un visiteur français à sa fille. La dimension sonore n’est pas moins importante. Le volume cumulé des sons de la fête est assourdissant : les chants révolutionnaires et les discours retransmis en permanence par des haut-parleurs et des radios mobiles installées sur les véhicules, sans parler des sirènes d’usine, des canonnades, des klaxons, envahissent l’espace sonore. On aperçoit dans la foule quelques instruments à vent (des tubas) ; ils résonneront à chaque arrêt du parcours, ponctuant les discours et autres solennités aux airs de L’Internationale, de la Marseillaise ou de la Doubinouchka.
Le programme l’après-midi comprend des rassemblements (miting), c’est-à-dire des réunions ne dépassant pas cinq minutes au cours desquelles des orateurs s’adressent aux masses à partir de tribunes dressées dans l’ensemble de la ville, des journaux animés qui présentent les dernières nouvelles de façon théâtrale, des compétitions sportives pour intégrer la jeunesse… mais aussi une multitude de distractions – danses collectives, spectacles de clowns, théâtre de marionnettes, déclamations de couplets satiriques et concours de sketches – qui, sans quitter tout à fait le domaine de l’instruction idéologique, assurent la gaieté collective de ce carnaval politique. Le soir de cette première journée ont lieu, dans les clubs et les théâtres11, les séances d’inauguration de plaques commémoratives et les soirées de souvenirs, lors desquelles ceux qui ont participé à la révolution et à la guerre civile racontent. Le Théâtre Expérimental de Moscou organise pour les ouvriers des séances spéciales de projection d’Octobre, le dernier film de Sergueï Eisenstein12.
L’apothéose des festivités est la manifestation du lundi 7 novembre. Sur la place Rouge de Moscou, qui s’est progressivement imposée comme le lieu principal de toutes les grandes manifestations ouvrières et des parades militaires du nouveau régime, ont été installés des haut-parleurs pour la retransmission des discours ; sur le côté, un espace est réservé aux caméramans et aux photographes, un autre aux correspondants étrangers. Au mur de l’enceinte du Kremlin sont accrochées des décorations festives (« 1917-1927 ») et des banderoles politiques : des étoiles rouges à cinq branches, ainsi que le marteau et la faucille, symbole de l’union du prolétariat avec la paysannerie. Alors que le brouillard occupe la place encore illuminée, Joseph Staline, Avel Enoukidzé, Emilien Iaroslavski, Nicolas Boukharine et la révolutionnaire allemande, Clara Zetkin, ont pris position sur la terrasse latérale du Mausolée de Lénine, une construction en bois adossée aux murailles du Kremlin, entre la tour du Sénat et le Tombeau fraternel des Camarades morts pour la révolution. À 9 heures du matin, lorsque les cloches de la tour du Sauveur retentissent, Kliment Vorochilov, commissaire du peuple à la Défense, à cheval, salue les troupes qui lui répondent « Hourrah, Hourrah, Hourrah ».
Moscou, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 3-5582).
Puis c’est au tour de Mikhaïl Kalinine, président de l’État soviétique, de traverser la place sous des salves d’applaudissements : 30 000 hommes le saluent.
Moscou, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 2-5551).
Suivent les discours de Boukharine et du communiste écossais William Gallacher. Les militaires qui, par le passé, se mélangeaient aux manifestants ouvrent pour la première fois la manifestation, mais sans chars, ni armes lourdes. Le spectacle impressionne et enthousiasme : « D’abord au rythme d’une internationale répercutée par mille cuivres, l’avance des régiments de l’armée rouge, la cavalcade décidée des cosaques de la révolution, puis les marins de la flotte de Cronstadt qui terminent la puissante démonstration de la force soviétique13».
Moscou, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 2-56722).
« J’ai vu pour la première fois un défilé militaire dépourvu de militarisme », commente Paul Vaillant-Couturier (qui se décrit pourtant comme un « antimilitariste né »), « une immense famille d’hommes en armes où péniblement se distingue l’officier du soldat14».
Le ciel très bas empêche les avions de participer aux fêtes. Mais voici Moscou, son prolétariat. Il est midi. Les manifestants, qui avaient rendez-vous dès l’aube en divers points périphériques de la ville pour former des colonnes et traverser les quartiers ouvriers, convergent vers la destination finale de la manifestation : la tribune des chefs. « Ceux qui il y a dix ans avaient pris le Kremlin défilent lentement sur la place : les ouvriers et les paysans, mais aussi les jeunes filles et les enfants, les vieux et les invalides, ils sont tous là, par milliers15». La parade militaire se transforme en carnaval politique : les rangs des manifestants sont pleins de masques des généraux blancs, Koltchak, Denikine, Wrangel, d’énormes marionnettes en papier mâché fabriquées dans les ateliers d’artistes et les clubs ouvriers représentant « l’odieux-Chamberlain-des-pétroliers, Briand-le-cynique, notre Poincaré-la-guerre, Mussolini et Mac Donald [qui] ont un corps de chien16». Des masques de popes et de gendarmes s’embrassent sous une averse d’eau bénite : les éclats de rire fusent. L’incinération solennelle de figures allégoriques du monde ancien et du monde capitaliste actuel suscite des cris de liesse et des applaudissements rythmés. Un tramway débouche sur la place, camouflé en cercueil monumental où l’on lit entre quatre cierges : « Ici gît le capitalisme russe, en attendant le capitalisme mondial17». Chaque délégation d’usine, identifiable par ses étendards, présente ses activités en portant d’énormes objets représentant artistiquement sa production : tracteurs, moteurs, wagons. De nombreuses constructions animées et des diagrammes utilisant les matériaux produits (rubans pour les usines de tissage, copeaux de bois pour les scieries…) illustrent les progrès de l’économie soviétique. Voici les colonnes de l’usine Dynamo, celle de l’usine de caoutchouc Géant rouge et une allégorie de la mécanisation : véritable parade des réalisations soviétiques.
Moscou, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 2-54343).
Le char de la colonne des Izvestia est conduit par une troïka représentant la presse corrompue.
Moscou, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 2-84499).
Lorsqu’elle se croisent, accentuant ainsi l’effet de masse, ces colonnes fleuries et coloriées de manifestants échangent des salutations, lancent des slogans, se répondent. Le défilé continue pendant des heures : les travailleurs d’Azerbaïdjan passent au son des tambours et des flûtes, les travailleuses de Boukhara dans leurs robes vertes. La nuit tombe mais le défilé se poursuit avec les cyclistes, les gymnastes et les enfants. L’organisation des pionniers marche derrière le portrait de Lénine ; puis ce sont les groupes d’alphabétisation, les associations sanitaires et les cuisines scolaires.
Moscou, 7 novembre 1927(RGAKFD : 2-72907).
Le soir, ces masses humaines refluent de la place Rouge vers la ville pour continuer la fête18.
Outre Moscou, de semblables festivités se déroulent dans les principales villes. Celles de Leningrad, « théâtre historique de la révolution », bénéficiant de lieux hautement symboliques comme le Palais d’Hiver et le Champ de Mars, où sont situés les tombeaux des victimes de la révolution, renouent avec ses célèbres spectacles de masse. Sur la scène qui recouvre le fleuve Neva passent des navires qui portent de grands mannequins représentant des ennemis : le tsar, des banquiers, des prêtres. Le jeu des lumières, blanche pour la forteresse Pierre et Paul, rouge pour les usines au fonds de la scène, symbolise la lutte qui les oppose. La révolution de Février est suggérée par l’écroulement des symboles de la monarchies (la couronne et l’aigle), celle d’Octobre par le changement de couleur : la forteresse passant du blanc au rouge19.
Éclairage de la Maison des syndicats, Leningrad, 11 novembre 1927 (RGAKFD : 2-54191).
Les autres composantes de l’URSS ne sont pas en reste20. Dans les villes ne disposant pas de lieux symboliques suffisamment forts la manifestation suit un scénario inverse à celui des capitales : les manifestants partent du centre – en général un bâtiment représentatif du pouvoir soviétique – avant de traverser les quartiers21. Dans les campagnes, des expositions itinérantes sont en route, parfois sur des bateaux, depuis une semaine (dénommée semaine des récoltes et de l’abondance), à la rencontre des paysans isolés : des distributions de tracts et de décorations ont lieu, des conférences et des réunions se tiennent dans les isbas de lectures et les clubs paysans autour du thème de l’alliance salutaire du prolétariat avec la paysannerie22. Là où rien n’a pu être organisé, les discours sont retransmis dans leur intégralité par des postes récepteurs et des hauts parleurs installés dans le moindre village, le moindre bourg soviétique.
La dimension internationale des commémorations
Les célébrations franchissent également les frontières de l’URSS. D’abord par les médias, la radiodiffusion, et surtout la presse, communiste et associée, qui depuis le début de l’année 1927 développe le thème : « Pourquoi le 10e anniversaire de la révolution est aussi notre fête ». Renvois, notices, feuilletons, récits et dossiers thématiques consacrés à dix années d’édification du socialisme en URSS paraissent ainsi de manière presque quotidienne dans les publications proches du mouvement communiste. Il y a encore les artistes soviétiques envoyés à l’étrangers. Depuis octobre, des troupes d’agitprop ou de théâtre prolétarien qui miment des scènes de la vie soviétique, comme les célèbres Blouses Bleues du syndicat de Moscou, effectuent des tournées à travers l’Europe23. En novembre trois exemplaires d’une exposition intitulée « Dix années d’édification du socialisme24» sont présentés dans les principales capitales. Les quinze panneaux, qui racontent l’histoire de la formation et de l’essor triomphant du premier État prolétarien, contiennent beaucoup de graphiques et des tableaux statistiques. À New-York cette exposition du 10e anniversaire reçoit 100 000 visiteurs en trois semaines ; à Bruxelles, dans l’annexe du Mondaneum, elle est saccagée par un groupe d’étudiants25. D’autres expositions plus légères, et surtout moins directement politiques, circulent à l’occasion des commémorations : une exposition de gravures présentée à Florence, une exposition d’affiches et de livres soviétiques tourne dans plusieurs villes belges, une exposition d’art figuratif au Japon, une exposition d’architecture contemporaine pour les États-Unis… Plus d’une vingtaine d’expositions pour un total de 791 000 visiteurs26.
Le 6 novembre, de gigantesques rassemblements ont eu lieu à Berlin27, Paris, Londres, New York, avec kermesses ouvrières, conférences, concerts, présentations de diapositives et de films soviétiques (La Fin de Saint Pétersbourg de Vsevolod Poudovkine et Moscou en Octobre de Boris Barnet28). Dans quelques pays, les ouvriers déclenchent le 7 une grève de solidarité avec le prolétariat soviétique. Parfois les choses tournent mal. En Lituanie, le gouvernement a procédé le 6 à de nombreuses arrestations préventives en plusieurs villes du pays. Les ouvriers contournent néanmoins l’interdiction : affrontements, bagarres, lourdes peines de prison s’ensuivent…29 Dans la plupart des pays cela se limite, comme en Suisse ou en Grèce30, à écouter une retransmission radiophonique des fêtes à partir d’émetteurs clandestins. Mais de partout et en toutes les langues, un cri semble s’élever en ce jour du 10e anniversaire de la révolution d’Octobre : « Touche pas à l’URSS », « Hands off the USSR », « Hände weg von Sovjetrussland ».
La dimension internationale de l’événement se manifeste surtout par la présence à Moscou et Leningrad de près d’un millier de délégués (927 exactement) arrivés de 43 pays à la mi-octobre pour mener une enquête sur les réalisations de dix années de dictature du prolétariat31. Il s’agit, pour près de 80% d’entre eux, d’ouvriers. Outre les délégués syndicaux et les représentants des principales usines, il y a les invités du Secours ouvrier international (désormais SOI), du Secours rouge international (désormais SRI), du mouvement coopératif, du mouvement paysan, les représentants des organisations de défense prolétarienne, des sociétés de sportifs prolétariens, de cyclistes prolétariens, d’espérantistes prolétariens, de libres penseurs prolétariens, de philatélistes prolétariens, des amis du théâtre prolétariens, des syndicats de locataires prolétariens… Les délégations nationales les plus importantes d’un point de vue quantitatif sont les délégations allemande (167 personnes), française (143), anglaise (109) et tchécoslovaque (77). Mais les Soviétiques sont très attachés à la présence des représentants des « mouvements nationalistes révolutionnaires des pays colonisés ou opprimés » – censée souligner la communauté d’intérêt de l’URSS et des population soumises à la pression de l’impérialisme occidental – comme l’Inde (représentée par les Nehru qui voyagent en famille : le père, Motilal, dirigeant du parti Congrès, le fils, Jawaharlal, futur premier ministre, sa sœur, sa femme32), la Chine, avec une immense délégation présidée par Song Qingling (la veuve de Sun Yat-sen), la Syrie représentée par l’écrivain et journaliste nationaliste arabo-islamiste Amir Chakib Arslan, la Turquie qui a envoyé son ministre des Affaires étrangères, l’Afghanistan, l’Algérie (l’avocat communiste Ali Mira), l’Argentine, le Brésil, le Mexique (le peintre Diego de Rivera), la Mongolie, le Népal, la Perse, la Sierra Leone, la Tunisie, l’Uruguay, deux étudiants indonésiens...
Une attention spécifique est aussi accordée aux milieux scientifiques et artistiques, aux représentants de l’intelligentsia progressiste d’Occident, comme les écrivains Henri Barbusse et Theodore Dreiser (qui voyagent depuis presque deux mois en URSS33), Panaït Istrati et Nikos Kazanzakis, le poète japonais Ujaku Akita, les surréalistes Pierre Naville et Gérard Rosenthal, l’artiste allemande Käthe Kollwitz, Alfred Barr qui fondera et dirigera le Moma de New York, l’économiste et ancien dirigeant de l’Office international du Travail à Bâle Stephan Bauer, Gabrielle Duchêne de la Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, l’architecte Francis Jourdain. Romain Rolland et Ernst Toller n’ont pas pu venir, mais ils ont envoyé des lettres de soutien aussitôt publiées dans la presse soviétique34.
Après deux semaines de voyage en URSS, la plupart de ces délégués sont revenus à Moscou, ou à Leningrad, pour pouvoir assister aux célébrations. Les 5 et 6 novembre, ils ont été reçus par Kalinine et Mikhaïl Tomski, puis par Boukharine. Ce dernier leur a déclaré que « l’URSS est le seul pays du monde dans lequel le Gouvernement considère comme nécessaire de rendre compte de son activité non seulement devant ses électeurs mais encore devant les représentants des travailleurs et des opprimés du monde entier35». Le 7, ils assistent au défilé de la place Rouge, assis dans une tribune spécialement érigée à leur attention. « Comme ils sont contents, me disait Jacques Mesnil, de voir enfin des revues depuis la tribune officielle », note Victor Serge36. Pour la plupart des visiteurs étrangers ces célébrations sont une apothéose, l’aboutissement d’une « enquête » déjà fort convaincante. À l’initiative de la délégation anglaise et de Henri Barbusse37, ils décident de prendre position, de témoigner, de « dire la vérité sur ce qu’ils ont vu », car ils ont vu « librement », « sans contrainte », insistent-ils tous, sans rien laisser dans l’ombre, visitant des écoles, des usines, des prisons38, la capitale et les principales villes de la Russie, mais aussi les campagnes, l’Asie centrale, le Caucase, la Géorgie – surtout la Géorgie qui depuis son annexion à la République soviétique de Transcaucasie est l’une des cibles privilégiées de la propagande antisoviétique –, s’entretenant avec des détenus, séjournant dans des garnisons militaires, imposant à leurs interlocuteurs des listes de questions élaborées avant leur départ et des visites imprévues ! Ce Congrès des témoins, resté dans l’histoire sous le nom de Congrès des Amis de l’Union soviétique, s’ouvre le 10 novembre dans la grande salle de la Maison des syndicats de Moscou39. « Les discours se succèdent et dans un tumulte de Babel les traductions retentissent aux quatre coins de la salle40».
Clara Zetkin-Henri Barbusse, 7 novembre 1927 (RGAKFD : 2-61175).
Au terme de deux jours de débats ces représentants des peuples parviennent, malgré la diversité des langues et des orientations politiques, à élaborer une résolution contre la guerre adoptée à l’unanimité : « Hourrah, Hourrah, Hourrah, Vive l’Union soviétique, Vive les Amis de l’Union Soviétique41 ».
La culture prazdnik soviétique à la sauce Münzenberg
Une proposition qui n’est pas totalement désintéressée
L’idée d’une internationalisation, à une telle échelle, des commémorations du 10e anniversaire revient à celui que François Furet a qualifié de « ministre clandestin de la propagande du Comintern dans le monde42 », le communiste allemand Willi Münzenberg, qui l’évoque dès 1925 devant le département d’agitation et de propagande (Agitpropotdel) du Comité exécutif de l’Internationale communistes (CEIC)43. Les buts de l’action – mis par écrit l’année suivante – sont « le renforcement et l’élargissement à de nouvelles couches de la sympathie des masses en faveur de l’URSS, l’intensification du combat contre la propagande guerrière, publique ou cachée, des puissances impérialistes, l’explication du travail accompli en dix ans par rapport à dix années de décadence de l’économie capitaliste et l’utilisation de l’enthousiasme ainsi créé pour constituer une Association des Amis de l’Union soviétique44». Les objectifs et les méthodes, tout figure noir sur blanc. Suivant un plan médiatique et un calendrier précis (point 3), la campagne commence le 22 janvier, date anniversaire de la révolution de 1905, puis, à travers les étapes successives – le 12 mars, commémoration de la révolution bourgeoise de 1917, le 18 mars, célébration la Commune de Paris, et le Premier Mai, l’autre grande date du « calendrier commémoratif prolétarien45» – aboutit à l’apothéose du 7 novembre. Münzenberg réitère durant l’été 1926 sa proposition au secrétaire de l’IC, Boukharine, puis à celui du PCUS, Staline, dans une lettre envoyée en novembre 192646. Il promet de faire venir en URSS des vagues de travailleurs et de journalistes étrangers alors que de leur côté de célèbres auteurs russes, ainsi que des artistes et des athlètes seraient invités à l’Ouest pour des conférences47. Confortées dans leurs convictions par leur séjour en Union soviétique, les délégations étrangères célébreraient à leur retour les réalisations de la révolution dans les médias de Münzenberg.
En tant que dirigeant du SOI, ce dernier a l’expérience de ce type d’événement culturello-propagandiste. Fondé à l’initiative du CEIC, à Berlin en septembre 1921, dans le prolongement de l’appel international lancé par l’écrivain russe Gorki, pour sauver la Russie affamée, le SOI fut l’une des premières organisations à utiliser la culture dans une perspective propagandiste, en diffusant du matériel, en organisant des tournées d’artistes et de savants soviétiques, des cycles de conférences de personnalités étrangères revenant de Russie, en nommant des artistes et des intellectuels prestigieux dans les comités nationaux de soutien (Albert Einstein, Fridtjof Nansen) ainsi qu’en créant ses propres maisons d’édition à l’instar de Neuer deutscher Verlag, puis ses studios de cinéma comme Mejrabpom-Film. Mais la proposition de Münzenberg n’est pas totalement désintéressée. Le secrétariat du Comintern envisage alors de liquider le SOI48 qui avait beaucoup gagné en influence et en indépendance, tant vis-à-vis du Parti communiste allemand que de l’exécutif de l’IC. D’abord très utile pour contourner la censure, les structures mises en place par le SOI pour la distribution des films soviétiques à l’étranger (Prometheus Film-Verlag), se heurtent désormais aux ambitions commerciales de Sovkino49. Münzenberg, qui habite Berlin, effectue donc de fréquents séjours à Moscou pour participer aux réunions de l’exécutif de l’Internationale communiste (IC), et à celles de l’Agitpropotdel. Son plan commémoratif s’accompagne d’ailleurs d’une demande de subsides, à hauteur de 10 000 roubles-or, à payer avant la fin 192650. Il entend profiter de l’occasion du 10e anniversaire pour financer diverses activités du SOI, ainsi que son projet de Ligue contre l’Impérialisme et l’Oppression coloniale, dont le congrès de fondation doit se tenir à Bruxelles en février 1927. Le choix des slogans du jubilé est très révélateur de cette volonté d’associer les célébrations d’Octobre à la lutte anti-impérialiste. S’appuyant sur la nécessité de coller à l’actualité chinoise – la mise à sac de la délégation soviétique de Pékin, ainsi que le retournement des armées nationalistes de Tchang Kaï-chek contre les ouvriers communistes de Shanghai – pour rencontrer l’intérêt de larges masses51, Münzenberg remplace progressivement les slogans « 10e anniversaire de l’Union soviétique – Contre la guerre qui se prépare » par « Contre une nouvelle guerre impérialiste – Touche pas à la Chine ! – Touche pas à l’URSS ! »52. Dans son esprit, le Congrès des Amis de l’URSS, qui doit clôturer le séjour des délégations étrangères, n’est ainsi « qu’une sorte de Conférence de Bruxelles pour la Russie53».
Le projet de Münzenberg rencontre d’ailleurs les préoccupations de différentes instances soviétiques et communistes, pour lesquelles les commémorations du 10e anniversaire devaient se distinguer fortement des habituelles fêtes d’Octobre « tant par leur ampleur que par la profondeur du travail de propagande54 ». L’Agitpropotdel de l’IC a lui-même élaboré un projet55. Pendant quelques mois, il existe ainsi deux plans concurrents, entrainant l’absence d’une direction unie, ce qui se traduit par des retards et une multitude de contre-ordres. À la fin février 1927, le secrétariat politique du CEIC finit par adopter le plan de Münzenberg, sans jamais le nommer explicitement.
Une leçon de marketing politique
L’invitation de dignitaires étrangers aux fêtes officielles est une tradition aussi ancienne que la diplomatie. Mais à l’occasion du jubilé, les Soviétiques, aidés en cela par leurs multiples relais politiques, syndicaux et surtout associatifs (les mouvements de masse de la galaxie Münzenberg), ont porté ce phénomène à un niveau sans précédent, tant d’un point de vue quantitatif (le nombre de personnes invitées) que qualitatif (les techniques de sélection des candidats et leur encadrement durant le séjour). Officiellement, l’organisation des invitations, considérée comme primordiale, relève de la compétence d’une commission restreinte (la Sous-commission internationale présidée par Dmitri Manouilski56) composée de représentants de la Commission des relations extérieures du Conseil central des syndicats soviétiques (KVS-VTsSPS), de la Société pan-soviétique pour les échanges culturels avec l’étranger (VOKS), du Commissariat du peuple aux affaires étrangères (désormais NKID), du Comintern et de l’Internationale des jeunesses communistes (KIM). Mais comme le souligne Alfred Kurella de l’Agitpropotdel du CEIC, « une partie importante de la campagne doit être laissée à l’initiative de Münzenberg et des organisations influencées par lui57 ». C’est en effet le patron du SOI qui établit les méthodes de sélection des candidats et met son carnet d’adresses à disposition des organisations soviétiques. La plupart des représentants des peuples colonisés – à l’instar de l’étudiant indonésien Ahmad Soebardjo58 – ont déjà participé au congrès de la Ligue contre l’Impérialisme et l’Oppression coloniale organisé par Münzenberg à Bruxelles. Et nombreux sont les intellectuels qui proviennent de son cercle personnel.
Selon la commission des fêtes, qui s’est fixé l’objectif de mille invités, une délégation étrangère devrait dans l’idéal se composer de 20% de communistes, 40% de sociaux-démocrates et de 40% de sans-partis. Les invitations se font selon la théorie de l’éloignement formulée par Münzenberg dans une lettre circulaire aux PC :
Pour donner à cette campagne pour l’envoi de délégations en URSS la plus large dimension possible, il est souhaitable, que les premiers appels, les premières manifestations émanent d’organisations, de groupes, de personnes et de journaux qui se situent le plus loin possible du mouvement communiste. […] C’est seulement lorsque les premières démarches publiques auront été entreprises que les organisations communistes pourront se joindre à l’action car l’organisation de la vague de solidarité en faveur de l’URSS doit toujours avoir en public un caractère sans parti59.
Münzenberg insiste aussi beaucoup sur le coefficient de représentativité des délégués : « par combien de personnes ont-ils été élus ? dans une usine comptant combien d’ouvriers ? » Cette question se pose avec acuité s’agissant du mouvement paysan. Les comités des fêtes reçoivent nombre de propositions spontanées de paysans, mais il s’agit de paysans pauvres, isolés, sans influence, qui souhaitent souvent venir s’installer en URSS, donc de peu de valeur en termes de propagande60. En revanche les dirigeants des organisations paysannes déclinent l’invitation, comme le secrétaire de l’Union allemande des ouvriers agricoles qui rappelle à l’Union paysanne soviétique, qu’en Allemagne, les camarades du Parti communiste allemand (KPD) se comportent de façon « peu amicale »61. Les intellectuels sont pour leur part invités directement par une institution ou une personnalité soviétique en fonction de leur prestige supposé. Pendant plusieurs mois les collaborateurs de la VOKS et du SOI, assistés de traducteurs, effectuent ainsi un travail de séduction épistolaire personnalisé62.
Les savants pourcentages élaborés à l’avance pour la composition des délégations se révèlent pourtant difficiles à atteindre en raison des très nombreux refus, notamment du côté des universitaires, « retenus pas des sessions d’examen ». Certaines célébrités (Albert Einstein, John Maynard Keynes Upton Sinclair, John Dewey…) prennent la peine de s’excuser, plus ou moins poliment : « Ma seule consolation », écrit par exemple George Bernard Shaw, « est que les célébrations sont des institutions bourgeoises, lors desquelles personne ne dit jamais la vérité, il n’est donc pas si mal que je me tienne à une utile distance. Par chance je ne peux être suspecté de malveillance à l’égard de l’URSS. Aux heures les plus sombres de son histoire je n’ai pas manqué de proclamer mon soutien à ses principes et à son droit d’exister63 ». Bien plus nombreux sont ceux qui s’abstiennent de tout contact, y compris épistolaire.
Les Soviétiques souffrent surtout de l’absence de relations dans certains milieux comme le mouvement coopératif (treize organisations sur quinze ont décliné l’invitation64), et dans certaines régions comme l’Amérique latine et l’Afrique noire. Évoquons encore ceux qui sont physiquement empêchés de venir comme l’avocat révolutionnaire et futur maire de Calcutta (Jatindra Mohan Sengupta), auquel les autorités britanniques ont confisqué les papiers, ainsi que plusieurs membres de la délégation tunisienne (dont le secrétaire général du parti Destour, Ahmed Essafi) interceptés par les Français65. Les organisateurs sont à l’inverse confrontés au problème des provocateurs, des militants anarchistes ou trotskistes, et même de quelques fascistes qui entendent s’infiltrer dans les délégations.
Enfin la plupart de celles-ci comprennent trop de communistes et trop peu de sociaux-démocrates, en raison des menaces d’exclusion prononcées par les partis de la IIe Internationale, et leurs organisations associés, en particulier l’Internationale ouvrière de gymnastique et de sport (l’Internationale sportive dite de Lucerne, ISL66). Ceux qui partent quand même, à l’exemple du français Pierre-André Canonne, sont déjà prêts à rejoindre le parti communiste. D’autres partis socialistes sélectionnent des militants très expérimentés, afin que la pertinence de leurs questions gêne le travail d’influence des communistes.
« Le principal problème de la troisième délégation allemande », écrit le rapporteur du CEIC, est que « la composante social-démocrate de la délégation était d’un meilleur niveau que celui des communistes [...] cela empêcha le travail de la délégation malgré un accueil minutieusement préparé67». Parmi les sans-parti, le problème est que nombre d’entre eux finissent par renoncer, par crainte de perdre leur emploi au retour.
La multitude des intervenants impliqués dans cette campagne d’invitation à l’échelle mondiale suscite de nombreuses tensions. La plupart opposent Münzenberg, ou ses filiales, aux organes soviétiques sur les questions du financement et de la composition des délégations. Les syndicats soviétiques reprochent par exemple au SOI de se faire de la publicité sur leur dos, puisque c’est lui qui invite alors que ce sont eux qui paient68. Olga Kameneva, la présidente de la VOKS accuse Münzenberg de lui « voler » ses intellectuels69. De son côté Münzenberg critique le peu d’effort fourni par la plupart des organisations communistes pour mobiliser au-delà de leurs rangs70 et se plaint auprès du secrétariat de l’IC de l’absence de directives envoyées par Moscou aux partis communistes71. S’appuyant sur le rôle déterminant du SOI, il tente un moment de déplacer l’organisation des fêtes à Berlin afin d’éviter les déplacements pour Moscou. En vain72. Ces tensions révèlent en réalité le décalage abyssal existant entre les ambitions affichées par les organisateurs et l’économie rigoureuse des moyens imposée par l’État-parti73. Pour la plupart des institutions, des organisations ou des associations cela signifie l’absence de budget spécifique et l’obligation de s’autofinancer. Ainsi, les partis frères et les comités étrangers en charge de la campagne du jubilé reçoivent « beaucoup de directives de Moscou, mais peu de matériel et aucun moyen financier (pour acheter des projecteurs, louer des locaux, payer le voyage des délégués jusqu’à la frontière) »74.
Comme lors de la campagne de 1921 en faveur des affamés de Russie75, c’est en réalité Münzenberg qui, depuis Berlin, organise la mobilisation (création de comités de soutien) et donne le ton de la médiatisation internationale des commémorations d’Octobre. Sans attendre l’adoption de son plan, il signe au nom de la maison d’édition qu’il dirige, la Neuer Deutscher Verlag, un contrat pour l’édition allemande d’une histoire illustrée de la Révolution russe (Illustrierte Geschichte der russischen Revolution, dirigée par Astrow et Slepkow). Quand il obtient des subsides de Moscou, Münzenberg en profite pour conforter son empire médiatique – d’abord en augmentant la fréquence et le tirage des titres existants.
Depuis janvier 1927, chaque numéro de l’hebdomadaire Arbeiter Illustrierte Zeitung (220 000 exemplaires) contient deux pages consacrées à la fondation de la République soviétique76. Le numéro spécial de vingt pages pour le 10e anniversaire, publié le 18 octobre, est tiré à 350 000 exemplaires dès la première édition. Même phénomène pour Die Welt am Abend, qui profite des suppléments consacrés à l’histoire et à l’actualité de l’URSS pour augmenter son tirage et devenir bi-hebdomadaire. Münzenberg utilise enfin les circonstances de la campagne pour créer Der Arbeiter-Fotograf.
Un accueil minutieusement préparé
La plupart des délégations ont d’abord fait étape à Berlin où les services de Münzenberg et le consulat soviétique ont vérifié les données biographiques, fourni les visas et réglé les derniers problèmes. Dès le passage de la frontière soviétique, les délégués sont totalement pris en charge, bien que de façon différenciée – les ouvriers voyagent en troisième classe, alors que les intellectuels sud-américains invités par la VOKS traversent l’Atlantique en cabine de première. La Commission du présidium pour la préparation des célébrations du 10e anniversaire77 a travaillé pendant des mois au bon déroulement des fêtes et à l’accueil des délégations, accordant une attention pointilleuse au moindre détail, de la décoration des frontières, des gares, des villes et des usines, à la préparation des comités d’accueil « spontanés » de foules enthousiastes, en passant par la vérification des itinéraires (au nombre de quatre78), le choix des modes de transport (trains, bateaux, voitures, cars), celui de l’alimentation, la fourniture de billets pour les spectacles et surtout la rénovation du parc hôtelier79…
À gauche : Arrivée de délégués étrangers en autobus (RGAKFD : 2-35736).
À droite : Arrivée de délégations norvégiennes et suédoises à la gare de Moscou (RGAKFD : 2-41097).
Deux personnages clés ont fait l’objet d’une préparation poussée, témoignant de la professionnalisation de l’encadrement des fêtes. Le premier, le propagandiste est un communiste expérimenté, russe ou étranger, qui a reçu une formation idéologique80 et technique pour l’installation d’un coin exposition ou l’organisation d’un spectacle collectif81. Chaque délégation étrangère en comprend un, dont le rôle est de travailler la délégation de l’intérieur lors des déplacements et d’appuyer les guides dans les visites et les discussions. L’autre personnage clé est le, plus souvent la guide-traductrice. À la différence de leurs collègues étrangers, dont ils partagent la dénomination, les guides soviétiques « ne peuvent », écrit le responsable du service des guides, « se contenter d’être des informateurs techniques, des Baedecker vivants »82. Ils sont, au-delà de leur compétence linguistique, des filtres idéologiques, ce qui explique que les Soviétiques n’aiment pas trop que les délégations viennent avec leurs propres traducteurs et que, pour la même raison, ils se méfient des espérantistes.
Le séjour des délégations n’est pas un voyage d’agrément. Les Soviétiques leur ont concocté un programme très dense, censé se transformer en voyage révélateur. Certaines délégations entendent par ailleurs prendre leur rôle très au sérieux et les Soviétiques s’inquiètent de la présence parmi les Français d’anarcho-syndicalistes, auxquels Nicolas Lazarevitch, un militant syndical d’origine russe, naguère emprisonné à Souzdal puis expulsé d’URSS, a remis une liste de quatre-vingt-trois questions. Pierre Pascal et Victor Serge, qui vivent alors en Russie, essaient d’aiguiser le sens critique des délégués en attirant leur attention sur les arrestations d’enfants abandonnés et la situation de l’opposition – en vain83. Malgré quelques dérapages et de nombreux ratés84, les visites et les discussions se déroulent sans accroc selon une mécanique déjà bien rodée. Les questions sont fournies à l’avance aux Soviétiques qui font des réponses globales permettant d’esquiver les discussions gênantes sur les grèves, le chômage en forte augmentation, les inégalités salariales, la présence déjà très marquée de l’appareil policier. Et lorsqu’un problème est évoqué à partir d’un exemple précis, les Soviétiques rétorquent qu’« il s’agit d’un cas isolé », qui « ne révèle en rien la règle générale » et que « les syndicats s’en sont occupés »85. L’essentiel n’est pas le détail, mais les grands principes.
C’est à l’occasion du Congrès des témoins que l’instrumentalisation est la plus manifeste. Contrairement aux déclarations officielles et aux comptes rendus publiés dans la presse, il ne procède pas d’une « initiative spontanée » de Barbusse et de la délégation anglaise, mais bien du plan « secret » proposé par Münzenberg86 (même si ce dernier n’y assiste pas lui-même). Et ce sont les Russes qui ont fixé à l’avance l’ordre du jour, choisi les orateurs et préparé le projet de résolution finale appelant les délégués à une action concrète en faveur de l’Union soviétique87. L’organisation des Amis n’est alors qu’une coquille vide ; il faudra attendre la conférence de Cologne en mai 1928, pour que le mouvement soit véritablement institutionnalisé sous le titre d’Association internationale des Amis de l’Union soviétique88.
À leur retour les délégués participent à des tournées de conférence, alors que leurs témoignages paraissent dans la presse communistes et apparentées, en particulier celle du « Konzern Münzenberg »89. Tous les témoins ne sont pas dupes, mais rares sont les cas d’apostasie publique, du moins sur le moment. Panaït Istrati, qui en novembre transmettait à l’Humanité ses impressions enthousiastes, est revenu ébranlé du voyage « hors des sentiers battus » effectué dans le prolongement des fêtes en compagnie de Nikos Kazantzaki : « Ce fut seulement pendant les trois derniers mois de mon séjour... que le charme se rompit, que le voile tomba brusquement et que la situation réelle, absolument évidente pour tout homme de bonne foi, s’imposa à moi dans toute sa cruauté »90. Ses doutes s’aggravent encore lorsque Romain Rolland, auquel il confie son désarroi, l’adjure de ne pas publier de critique. En effet « cela ne servirait en rien à la Révolution russe – mais à la réaction européenne, dont les oppositionnistes [sic] font aveuglément le jeu »91. Le récit du voyage d’Istrati intitulé Après seize mois dans l’URSS, premier témoignage critique écrit par un compagnon de route célèbre, paraîtra en 1929 dans un recueil rassemblant aussi des textes de Boris Souvarine (La Russie nue) et de Victor Serge (Soviet 1929)92.
Une matriochka stalinienne
Touche pas à l’URSS !
Ma première poupée jubilaire, la plus volumineuse, se présente sous les traits, forcément hideux et agressifs, de l’impérialisme occidental, d’où son titre : « Touche pas à l’URSS ! »93. C’est la raison officielle de cette gigantesque mobilisation, la plus explicite puisqu’elle figure dans l’appel à participer aux fêtes et dans la résolution finale du Congrès des témoins. Paradoxalement elle est aussi la plus difficile à identifier malgré le souvenir des interventions étrangères de 1918. En 1926-1927 une multitude d’événements a priori sans liens entre eux, mais que les Soviétiques replacent dans une perspective unique – citons pêle-mêle l’adhésion de l’Allemagne à la SdN, la rupture des relations diplomatiques avec l’Angleterre en mai 1927, la détérioration des relations avec la France et enfin de celles avec la Chine – convainc le groupe dirigeant que l’URSS est l’objet d’un encerclement général, prémisse d’une intervention impérialiste. Cette mentalité de citadelle assiégée, cette thématique du complot international, en partie motivée par des considérations de politique intérieure, entraîne un réarrangement des priorités de la politique extérieure sur la base du mot d’ordre stalinien d’« édification du socialisme dans un seul pays ». Alors que Boukharine assimile encore lutte pour la paix à la « lutte pour le renversement des classes dirigeantes dans les pays capitalistes », Staline l’identifie, dès août 1927, à la défense inconditionnelle de l’URSS : à ses yeux, la contradiction principale au niveau international ne se situe plus à l’intérieur du camp capitaliste, mais entre le camp capitaliste et le camp socialiste identifié à l’URSS.
« La guerre menace », titre quotidiennement la presse soviétique en 1927, « Touche pas à l’URSS »94, répond en chœur la presse communiste et apparentée dans le reste du monde. Une multitude de publications commémoratives déclinent le thème : Pourquoi l’impérialisme anglais attaque la Russie, Une nouvelle guerre mondiale commence, et surtout Les dangers de guerre, La révolution chinoise et l’IC. Ce dernier titre est particulièrement intéressant, car la solidarité qu’espèrent obtenir les Soviétiques n’est pas seulement celle des ouvriers occidentaux, c’est une solidarité des opprimés du monde entier. Dès le printemps 1927 toutes les manifestations communistes sont organisées sous les slogans : Contre une nouvelle guerre, pour la Chine, pour l’URSS. Et chaque meeting dispose de son conférencier chinois, qui finit par avoir conscience d’être un peu instrumentalisé.
L’URSS est l’enfant du prolétariat international
Ma deuxième matriochka esquisse les traits rassurants – longue barbe blanche et petites lunettes – de Kalinine, le président de la Commission du présidium pour la préparation des célébrations du 10e anniversaire ; elle est sous-titrée : « L’URSS est l’enfant du prolétariat international »95. Face à l’image diabolisée de l’ennemi, la fête représente au niveau réel et symbolique la réunion d’un « nous » solidaire : la classe ouvrière internationale. Toutefois, pour obtenir la sympathie et le soutien, y compris financier (sous forme d’un emprunt ouvrier international) et technique (par l’appel aux spécialistes étrangers), du prolétariat international en faveur de l’URSS, encore faut-il que les ouvriers soient informés de la situation réelle de l’URSS, de ce qui a été édifié en une décennie. Or, comme le relève depuis plusieurs années le secrétariat de l’Agitpropotdel, « la presse social-démocrate, en particulier allemande, ne pouvant plus parler de débâcle des Soviets, s’efforce désormais de prouver que la classe ouvrière vit en URSS plus mal que dans les pays capitalistes et que la politique sociale du gouvernement soviétique ne se distingue pas de celle des gouvernements capitalistes »96. Cette presse s’appuie en outre sur « les calomnies de l’extrême gauche pour parler de dégénérescence de l’État ouvrier et d’une Russie livrée aux paysans riches »97.
C’est la raison pour laquelle les célébrations du jubilé d’Octobre ne sont pas placées sous l’étendard de la révolution mondiale (comme ce fut le cas en 1923), du Parti ou du communisme, mais sous le signe du travail accompli « par nos frères de classe » dans le cadre de l’État prolétarien. Les réalisations économiques du régime sont encore très modestes, mais la propagande peut mettre en avant quelques avancées législatives (la journée de travail de huit heures, six pour un métier exercé dans un environnement dangereux comme l’industrie chimique98), et surtout le novyi byt’ soviétique, la nouvelle quotidienneté ouvrière (clubs ouvriers, cantines, crèches…), l’égalité des sexes, l’alphabétisation des campagnes, l’émancipation des minorités nationales.
Dans le même esprit, les héros visibles de la fête ne sont pas, à l’exception de Boukharine qui dirige l’Internationale, les figures légendaires du parti : Léon Trotski, Grigori Zinoviev et Lev Kamenev, ou même Staline, qui se tient – volontairement en ce qui le concerne – au second plan99. Non, les héros des fêtes sont les directeurs rouges, les syndicalistes ouvriers, les cadres ouvriers ou paysans de l’État à l’instar de Kalinine qui, depuis 1919, est à la tête de l’exécutif des Soviets, d’Alexis Rykov, le président du Conseil des commissaires du peuple et de Mikhaïl Tomski, qui préside le Conseil central des syndicats. Ces modèles d’identification issus de la droite du Parti sont en 1927 la vitrine rassurante de l’État, et de l’Internationale s’agissant de Boukharine. À l’exception de Kalinine, qui aura une longue et insignifiante carrière, tous vont perdre leur fonction en 1929, puis seront éliminés lors des grands procès.
Marginaliser puis éliminer l’opposition
Ma troisième poupée dessine les traits de Trotski. Elle est libellée : « Marginaliser puis éliminer l’opposition ». Ce n’est en effet pas un hasard si la popularisation massive du dogme stalinien, le « marxisme-léninisme », est concomitante de la mobilisation commémorative. À travers les fêtes le pouvoir parle aux masses, il leur transmet son interprétation de l’histoire et de l’actualité. Commémorer ne signifie pas débattre de la révolution comme Trotski avait tenté de le faire en 1924 avec ses Leçons d’Octobre, suscitant à son encontre une campagne de calomnie unilatérale dénommée « discussion littéraire ». Les critiques notamment celles de Staline (Sur la route d’Octobre, 1925100), ne portaient d’ailleurs pas sur le rôle dirigeant du Parti dans le déroulement des événements, ni sur l’importance des préparatifs militaires ou les hésitations de Zinoviev et Kamenev, mais sur l’effacement par Trotski de ses divergences d’avant 1917 avec Lénine et le parti bolchevik.
Faute de désaccords sur la nature du récit – « la révolution d’Octobre » était selon la formule de Lénine « une révolution bolchevique » – l’attention des organisateurs du jubilé se porte sur la mise en place d’une narration accessible au plus grand nombre, laissant éclater la cohérence, l’inexorabilité et la dramaturgie d’Octobre101. Tous les films du jubilé (La Fin de Saint-Pétersbourg de Vsevolod Poudovkine, Octobre de Sergueï Eisenstein et Moscou en Octobre de Boris Barnet) soulignent ainsi l’importance du Parti. Et quel que soit le support – le son et lumière de Leningrad, le film Octobre, les tableaux… – le récit commémoratif d’Octobre se focalise sur la prise du Palais d’hiver par des masses prolétariennes conscientisées par le parti bolchevique, et appuyées par les bombardements du Croiseur Aurore.
Au-delà de la reconstitution de la trame événementielle et de la mise en adéquation des chronologies locales avec le récit du centre, la mission de la Commission pour l’Histoire de la Révolution d’Octobre et du Parti communiste russe (l’Ispart) consiste à fournir des généralisations scientifiques en lien avec les tâches révolutionnaires du moment102. La fonction légitimatrice des fêtes se double dans ce contexte d’une fonction d’objectivisation. Sous prétexte de commémoration, l’Ispart distribue aux militants des questionnaires types qui, en couplant le développement du mouvement révolutionnaire à la justesse des décisions du parti, servent à vérifier le passé des militants – « Où étiez-vous en 1917 ? », « À quel parti apparteniez-vous ? » – et l’intériorisation par la population du dogme stalinien. Selon un rapport interne, les célébrations du 10e anniversaire doivent en effet contribuer à la diffusion du marxisme-léninisme au sein des masses ouvrières. Comme l’avait déjà noté un responsable de la propagande au sein du parti allemand, la question n’est pas de lire Lénine mais de savoir « comment le lire »103. Le Parti organise ainsi, dans le cadre des préparatifs des fêtes, des réunions de lecture du recueil de textes de Staline, Les Questions du Léninisme. Des séances de lectures très encadrées puisqu’elles se terminent systématiquement par un questionnaire afin de vérifier que les militants ont bien intégré le message. À la question « Que veut l’opposition ? », les militants répondent désormais en chœur : « Discréditer l’URSS pour servir la réaction ! » Le thème est décliné sous toutes les formes, à toutes les occasions et à tous les échelons des partis frères. Nombreux sont les messages de félicitations envoyés à l’occasion du 10e anniversaire qui demandent dans cette perspective une ferme condamnation de l’opposition104.
Dans un premier temps Trotski laisse faire105. Mais les bruits et les lumières des festivités servent aussi à couvrir les manœuvres de l’appareil qui a commencé à organiser des rafles d’oppositionnels durant le mois de septembre. Trotski et Zinoviev ont été exclus du Comité central du parti le 23 octobre. Le 7 novembre, les oppositionnels décident donc de sortir de l’ombre en se joignant aux manifestations avec leurs propres mots d’ordres106. À Moscou, bien que Trotski soit en résidence surveillée, ils sont quelques-uns à tenter de s’infiltrer dans la manifestation organisée sur la place Rouge. Ils sont interceptés par des gros bras de l’appareil de sécurité qui arrachent puis mettent en pièces leurs banderoles. Bagarres et arrestations s’ensuivent. Puis c’est au tour des oppositionnels chinois, pour la plupart des étudiants de Karl Radek à l’Université Sun Yat-sen107, de déployer devant le Mausolée une banderole portant les inscriptions : « Vivent les dirigeants de la révolution mondiale : Trotski, Zinoviev, Radek, Préobrajenski ! »108. L’intervention du service d’ordre stalinien met promptement fin à l’incident. Même scénario à Leningrad, où les oppositionnels, dirigés par Zinoviev et Radek, sont encerclés et isolés du gros de la manifestation officielle. À Kharkov, cependant, Khristian Rakovsky profite du passage des délégations étrangères pour évoquer l’opposition dans son discours109. Ce sont les premières et les dernières contre-manifestations organisées par l’opposition dans le cadre des commémorations d’Octobre.
Münzenberg assiste – sans y prendre part – à l’une de ces manifestations publiques de l’opposition qui se tient sur le balcon du 1er étage de l’hôtel Paris sur la Tverskaïa. À l’image de la plupart des délégués étrangers il n’a certainement guère goûté ces notes discordantes dans le déroulement du spectacle qu’il a contribué à créer. L’unité du parti russe se reconstruit dans la condamnation unanime des activités antiparti de l’opposition. Le 14 novembre Trotski et Zinoviev sont exclus du Parti communiste russe ; ceux qui refusent de faire leur autocritique seront déportés au début de 1928, alors que se prolonge l’écho des commémorations. Derrière son image rassurante de vecteur de rassemblement autour du régime, la fête a servi de paravent à la lutte contre l’ennemi intérieur. Au-delà du Parti communiste russe, l’année 1927 constitue aussi un tournant dans l’histoire du mouvement révolutionnaire international, marqué par l’élimination de l’opposition dite de gauche, ou opposition trotskiste, et la préparation à la ligne « classe contre classe », sanctionnée en 1928 lors du VIe congrès de l’IC110. C’est « l’étrange tournant » dont parle Victor Serge, qui se fait paradoxalement sous le regard de près d’un millier d’observateurs étrangers. Le Pays de Lénine, pour reprendre le titre du documentaire évoqué en introduction, est en passe de devenir celui de Staline.
Mobiliser pour préparer la troisième révolution
Enfin ma dernière poupée laisse apparaître le visage de Staline et son mot d’ordre est : « Mobiliser pour préparer la troisième révolution ». À première vue, ces commémorations d’Octobre semblent marquer la fin de l’enthousiasme révolutionnaire des premières années, la « dégénérescence d’un régime devenu conservateur », écrit Boris Souvarine à Paris. « Nous sommes dans une période où parmi les gens actifs, les uns festoient, les autres intriguent pour le pouvoir ou la fortune [...]. On peut appeler cela Directoire ou non, peu importe, les faits sont les mêmes111». Les étrangers non-communistes semblent même rassurés par la mise à l’écart de ceux qui, comme Trotski, incarnaient la révolution mondiale dans sa dimension la plus internationaliste. Mais cette normalisation apparente du régime est un « soleil trompeur » car c’est pendant l’été et l’automne 1927 que la mise en place d’une économie planifiée et de la collectivisation forcée de l’agriculture a été décidée. Le plus important, note en effet le Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, est de pouvoir s’appuyer sur la mobilisation des masses dans la perspective de l’édification à venir112. Elle se fait d’abord en direction des campagnes, un espace qui au cours de la NEP avait progressivement échappé au contrôle du parti. Durant une semaine des propagandistes traversent des milliers de kilomètres pour diffuser les thèmes de la collectivisation de l’économie agricole. Les échanges de délégations entre villes et campagnes rétablissent symboliquement le lien entre ouvriers et paysans113, tout en préparant la population aux déplacements des années 1930. La fréquence et la violence des slogans anti-koulaks – « frappez les sans pitié » – attisent la haine de classe et préparent la violence de la fin de la NEP.
La mobilisation se place aussi dans la perspective du projet d’industrialisation du pays et de « l’édification du socialisme dans celui-ci » en fixant les objectifs de la décennie à venir. Les célébrations témoignent souvent moins de ce qui a été réalisé que de ce qui est à réaliser. Lors des préparatifs, le représentant du comité des fêtes ukrainien rappelle à ses interlocuteurs du centre que l’Ukraine ne peut célébrer dix ans de politique scientifique faute d’une Académie des sciences. En réponse, la direction de Moscou propose que soit déposé solennellement à Kiev, le 7 novembre, la première pierre du futur bâtiment de l’Académie des sciences ukrainiennes114. Toute l’URSS se couvre ainsi de premières pierres : celles du futur palais du peuple, de la future usine, de la future station électrique, du futur barrage, de la future voie ferrée, du futur orphelinat… Rapidement s’installe, sous prétexte de commémoration, une culture de la surenchère qui annonce le stakhanovisme. « Nous jurons de doubler notre production d’acier en l’honneur du 10e anniversaire », affirme ainsi une pétition des mineurs du Donetz.
Enfin, les méthodes de mobilisation utilisées pendant les fêtes, comme les haut-parleurs branchés en permanence, seront autant d’éléments typiques d’encadrement durant la période stalinienne. Après les bruits des fêtes, les 100 000 récepteurs radios installés dans la province du Nord-Ouest115 relayeront les mots d’ordre de la collectivisation, puis la dénonciation des traîtres successifs.
Le prix du spectacle : marchandisation des fêtes et réification d’Octobre
Créations chaotiques au départ, les commémorations d’Octobre témoignent à l’occasion du 10e anniversaire de la consolidation du régime et de la centralisation du pouvoir soviétique. L’ingérence pointilleuse de l’État-parti dans l’organisation de cette super production s’est traduite par la mise en place d’une structure organisationnelle extrêmement hiérarchisée, un véritable mille-feuille administratif, qui a contribué dans la célébration d’Octobre à l’unification des territoires et des peuples soviétiques. Malgré la tentative de revenir à des formes plus participatives, supprimant les frontières entre acteurs et spectateurs, les professionnels se sont de fait substitués aux amateurs dans l’organisation des événements, et les participants seront de plus en plus cantonnés à un rôle de figurants et de « consommateurs » des fêtes.
Cette sorte « d’exposition universelle » ou de « foire mondiale du socialisme116» a d’ailleurs favorisé l’émergence d’une véritable industrie d’objets commémoratifs et autres memorabilia qui répond à des logiques propagandistes et commerciales : papeterie, porcelaine (agitfarfor), pièces de monnaie, médailles et badges (znatchki), rubans, drapeaux et autres babioles117. En URSS mais aussi en Allemagne, grâce à l’Aufbau Industries & Handels Aktion Gesellschaft, le conglomérat commercial fondé par le SOI qui fournit ce matériel commémoratif aux multiples associations de masse gravitant autour des partis communistes. Objets-totems du pouvoir, ils sont devenus le signe de la réification de la révolution et de la marchandisation des fêtes. C’est la naissance du business commémoratif qui s’épanouira sous Brejnev. Il convient en réalité de parler d’une renaissance, car ce merchandising politique avait déjà été pratiqué par l’ancien régime à l’occasion des célébrations du tricentenaire des Romanov.
Sur le fond comme dans la forme, les célébrations du 10e anniversaire de la Révolution ont bien été selon la formule d’Emilia Koustova un moment crucial, « à la fois épilogue de l’histoire des fêtes nées avec la Révolution et prologue du tournant qui allait donner naissance à la fête stalinienne118».
Notes
1
Hronika prebyvaniâ inostrannyh rabočih delegacij v SSSR v dni desâtiletiâ Oktâbrʹskoj revolûcii, Régisseur N. Lebedev, Métrage : 2050,7 ; 7 bobines déposées aux Archives d’État du film documentaire et de la photographie, (désormais RGAKFD), F.2692.
2
Légendes du film : Au pays de Lénine, F.5451/13a/177, doc. 475, Archives d’État de la Fédération de Russie, Moscou (désormais GARF).
3
Rapport sur la diffusion de Au pays de Lénine, F.5451/13a/177, doc. 487, GARF.
4
« Proposition pour l’organisation d’une vague de sympathie en faveur de l’URSS », F.495/60/117, doc. 43, Archives d’État de Russie de l’histoire sociale et politique, Moscou (désormais RGASPI) et Sophie Coeuré, « Les “fêtes d’Octobre” 1927 à Moscou. La dynamique des structures d’influence soviétiques et kominterniennes autour d’un anniversaire », Communisme, n° 42-43-44, 1995, p. 57-74.
5
[Sans nom] à Dmitri Manouilski, et aux autre membres de la délégation russe, 30.4.1927, F.495/30/371, doc. 83, RGASPI.
6
L’expression est de Joseph S. Jr. Nye, Soft Power. The Means to Success in World Politics, New York, Public Affairs, 2005.
7
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 131 et suivants, RGASPI.
8
Lettres de félicitations, F.495/30/369, doc. 45-48, RGASPI.
9
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 150, RGASPI.
10
André Calomer, délégué français, à sa fille Viviane, 7.11.1927, F.495/30/392, doc. 173, RGASPI.
11
Organisation des commémorations dans les club ouvriers : F.5283/8/47, doc. 55, GARF.
12
Alexandre Sumpf, « Le public soviétique et Octobre d’Eisenstein : enquête sur une enquête », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 42 | 5, note 6. DOI : 10.4000/1895.275
13
André Calomer à sa fille Viviane, 7.11.1927 : F.495/30/392, doc. 173, RGASPI.
14
Description de Paul Vaillant-Couturier, F.495/30/392, doc. 183, RGASPI.
15
Description de Paul Vaillant-Couturier, F.495/30/450, doc. 47, RGASPI.
16
André Calomer à sa fille Viviane, 7.11.1927, F.495/30/392, doc. 175, RGASPI.
17
Description de Paul Vaillant-Couturier, F.495/30/450, doc. 47, RGASPI.
18
Le nombre estimé des manifestants est de 750 000 à Moscou, 800 000 à Leningrad (Susan M. Corbesero, The Anniversaries of the October Revolution, 1918-1927. Politics and Imagery, PhD, University of Pittsburgh, 2005, p. 185).
19
O prazdnovanii 10-letnei godovshchiny Oktiabr’skoi Revoliutsii v gorode Leningrade i Leningradskoi Oblasti, 1927 ; Agitatsionno-massovoe iskusstvo. Oformlenie prazdnestv, 1917-1932, vol. II, Moskva, Iskusstvo, 1984, p. 169.
20
Sur l’Ukraine, voir : Eric Aunoble, « Commemorating an Event that Never Occurred: Russia’s October in Soviet Ukraine in the 1920s », in J-F. Fayet, S. Prezioso, V. Gorin (dir.), Echoes of October. International Commemorations of the Bolshevik Revolution 1918-1991, London, Lawrence & Wishart, 2017, p. 28-55.
21
Pour la description des itinéraires dans quelques villes de province voir : Emilia Koustova, Les Fêtes révolutionnaires dans la Russie soviétique, mémoire de DEA sous la direction de Wladimir Berelovitch, EHESS, Paris, 1999, p. 90-104 ;
Malte Rolf, Sovetskij massovyj prazdnik v Voroneže i Central’no-Černozemnoj Oblasti Rossii (1927-1932), Voronež, Izdatel’stvo voronežskogo gosudarstvennogo Universiteta, 2000 ;
Svetlana Malyševa, Sovetskaja prazdničnaja kul’tura v provincii (1917-1927), Kazan, Kazanskij Gosudarstvennyj Universitet. 2005.
22
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 131 et suivantes, RGASPI.
23
Rapport sur la tournée des Blouses bleues en Allemagne, 1927, F.5451/13a/233, doc. 26, et F.5283/11/28, doc. 77, GARF.
Voir aussi Kasper Braskén, The International Workers’ Relief, Communism, and Transnational solidarity, Willi Münzenberg in Weimar Germany, Basingstoke, Palgrave, 2015, p. 178-180.
24
Explication des tableaux de l’Exposition du 10e anniversaire : « Dix années d’édification du socialisme », F.495/30/373, doc. 91-176, RGASPI.
25
Rapport, F.495/30/732, doc. 194, RGASPI et Rapport de J. Poulet à VOKS, F.5283/11/49, doc. 139, GARF.
26
Rapport du bureau des expositions de la VOKS, 1927, F.5283/7/5, doc. 3-5, GARF.
27
« Manifestation à Berlin à l’occasion du 10e anniversaire », Sovkino-zhurnal, n° 48/106, 1927, RGAKFD et Kasper Braskén, « Celebrating October: a Transnational Commemorations of the Tenth Anniversary of the Soviet Union in Weimar Germany », in J-F. Fayet, S. Prezioso, V. Gorin (eds.), Echoes of October: International Commemorations of the Bolshevik Revolution 1918-1991, Lawrence & Wishart, 2017, p. 76-105.
28
Elizabeth Henderson, « Majakovskij and Eisenstein Celebrate the Tenth Anniversary », The Slavic and East European Journal, Vol. 22, n° 2, 1978, p. 153-162 ;
Alexandre Sumpf, Révolutions russes au cinéma. Naissance d’une nation : URSS, 1917-1985, Paris, Armand Colin, 2015.
29
Rapport sur la Lituanie, 29.11.1927, F.495/30/371, doc. 264, RGASPI.
30
Anastasia Koukouna, « Commemorating the October Revolution in Greece, 1918-1949 », in J-F. Fayet, S. Prezioso, V. Gorin (eds.), Echoes of October : International Commemorations of the Bolshevik Revolution 1918-1991, Lawrence & Wishart, 2017, p. 141.
31
Liste des délégations du 10e anniversaire, F.495/30/392, doc. 162 a-c, RGASPI.
32
F.5283/1a/99, doc. 23, GARF.
33
Plan pour l’arrivée de Barbusse en Octobre 1927, F.495/30/357, doc. 2, RGASPI.
Sur le voyage de Theodor Dreiser, voir : Ludmila Stern, Western Intellectuals and the Soviet Union, 1920-1940, New York, Taylor and Francis Routledge, 2007, p. 105-106 et Michael David-Fox, Showcasing the Great Experiment: Cultural Diplomacy and Western Visitors to the Soviet Union, 1921-1941, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 127-141.
34
F.495/30/392, doc. 85, RGASPI.
35
Discours de N. I. Boukharine, novembre 1927, F.495/99/12, doc. 10, RGASPI.
36
Victor Serge, Mémoires d’un Révolutionnaire, Paris, Le Seuil, 1951, p. 155.
37
Discours de Henri Barbusse « Sur les menaces de guerre impérialiste contre l’URSS », 10.11.1927, F.5451/13a/188, doc. 15, GARF.
38
Description de visites de prisons : F.495/30/392, doc. 235, F.495/30/450, doc. 23, RGASPI, et « Mes impressions sur la ville de Moscou, ses prisons et ses casernes » par Max Tobler, Moskauer Eindrücke, Zürich, Internationale Rote Hilfe, 1927.
39
Premier congrès des Amis de l’Union soviétique, F.495/99/14, doc. 58-75, RGASPI.
40
Paul Vaillant-Couturier, esquisse d’article pour L’Humanité, F.495/30/450, doc. 70, RGASPI.
41
Im Zeichen von Hammer und Sichel. Protokoll des Kongresses der Freunde der Sowjetunion (10.-12. November 1927 in Moskau), Berlin, Verlag Die Einheit, 1928, 127 p. et F.495/99/12, doc. 33-75, RGASPI.
42
François Furet, Le passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, p. 254 et Rolf Surmann, Die Münzenberg-Legende, Köln, Prometh Verlag, 1983.
43
Cité par Béla Kun, secrétaire du CEIC, 30.11.1925, F.495/30/141, doc. 159 et F.495/60/117, doc. 43-49, RGASPI.
44
Proposition de Willi Münzenberg pour le 10e anniversaire, 14.11.1926, F.495/30/264, doc. 132-135, RGASPI.
45
Christopher Binns, « The Changing Face of Power: Revolution and Accomodation in the Development of the Soviet Ceremonial System », Part I-II, Man-Journal of Royal Anthropological Institut, Vol. 14, n° 4, Dec. 1979, p. 555-606 & Vol. 15, n° 1, Mars 1980, p. 170-187;
Malte Rolf, Soviet Mass Festivals, 1917-1991, (First Edition Hamburg 2006), Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 2013, p. 72.
46
Willi Münzenberg à Staline, novembre 1926, F.538/2/37, doc. 170-171, RGASPI.
47
Cité par Sean McMeekin, The Red Millionaire. A Political Biography of Willi Münzenberg, Moscow’s Secret Propaganda Tsar in the West, New Haven & London 2003, p. 195.
48
Kasper Braskén, The International Workers’ Relief, Communism, and Transnational solidarity. Willi Münzenberg in Weimar Germany, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2015, p. 117-123.
49
Unfried, Prometheus Film-Verlag à Agitpropotdel, CEIC, 23.6.1927, F.495/30/53, doc. 86 et Agitpropotdel du CEIC à Sovkino, 27.6.1927, F.495/30/371, doc. 68, RGASPI.
50
Proposition de Willi Münzenberg pour le 10e anniversaire, 14.11.1926, F.495/30/264, doc. 135, et F.495/60/117, doc. 49, RGASPI.
51
Willi Münzenberg à secrétariat de l’IC, Bennett, 26.3.1927, F.495/30/290, doc. 10, RGASPI.
52
Rapport de Willi Münzenberg F.495/60/117, doc. 36, RGASPI et Sean McMeekin, The Red Millionaire. A Political Biography of Willi Münzenberg, Moscow’s Secret Propaganda Tsar in the West, New Haven/London, Yale University Press 2003, p. 198.
53
Rapport de Willi Münzenberg à la commission préparatoire des fêtes du 10e anniversaire, 25.5.1927, F.495/99/22, doc. 46-60, RGASPI.
54
Béla Kun, secrétaire du CEIC 3.11.1925, F.495/30/141, doc. 159, RGASPI.
55
Plan provisoire de réalisation des fêtes du 10e anniversaire élaboré par le CEIC, Alfred Kurella, 12.1.1927, F.495/30/371, doc. 8-14, RGASPI.
56
Sous-commission internationale auprès du présidium du Tsik SSSR, F.495/60/17, doc. 1, et F.367/1/20, doc 1-2, RGASPI.
57
Alfred Kurella à l’Agitpropotdel du CEIC, aux CC des PC, 4.2.1927, F.496/30/376, doc. 8, RGASPI.
58
Ahmad Subardjo Djoyoadisuryo, Kesadaran Nasional. Sebuan Otobiografi, Jakarta, Gunung Agung, 1978, p. 139. Merci à Klaas Stutje pour la traduction.
59
Proposition de Willi Münzenberg pour le 10e anniversaire, 14.11.1926, F.495/30/264, RGASPI.
60
Gaetano Rosati, Berrotaran-Argentine, à l’URSS, 1.10.1927, F.496/30/369, doc. 11, RGASPI.
61
Union allemande des ouvriers agricoles, G. Schmidt, à l’Union des paysans soviétiques, F.495/30/392, doc. 60 RGASPI.
62
Jean-François Fayet, VOKS. Le laboratoire helvétique. Histoire de la diplomatie culturelle soviétique durant l’entre-deux-guerres, Genève, Georg, 2014, p. 212
63
“My only consolation is that as celebrations are bourgeois institutions at which nobody tells the truth it perhaps just as well that I shall be at a safe distance”, Lettre de G. B. Shaw à Varvara Polovtseva, VOKS, 18.10.1927, F.5283/8/47, doc. 186, GARF.
64
Information, Agitpropotdel du CEIC, 11.10.1927, F.495/30/392, doc. 78, RGASPI.
65
Information, Agitpropotdel du CEIC, 11.10.1927, F.495/30/392, doc. 115-116, RGASPI.
66
Sportintern : sur l’interdiction faite par l’ISL à ses sections de participer au 10e anniversaire : F.537/2/202, doc. 6, RGASPI.
67
Agitpropotdel du CEIC, à Wilhelm Pieckm 29.12.1927, F.495/30/353, doc. 38, RGASPI.
68
KVS-VTsSPS, 28.10.1925, F.5451/13a/10, doc. 162, GARF.
69
Olga Kameneva à CC PCUS, 1928, F.495/99/26, doc. 208-210, RGASPI.
70
Rapport de Willi Münzenberg sur la préparation des fêtes, 25.5.1927, F.495/90/22, doc. 46, RGASPI.
71
Willi Münzenberg à sec. Comintern, Paul Bennett, 26.3.1927, F.495/30/371, doc. 63, RGASPI.
72
Willi Münzenberg à Nicolas Boukharine, 4.4.1927, F.495/30/371, doc. 79, RGASPI.
73
Commission du présidium pour la préparation des célébrations du 10e anniversaire, point 3 c, F.495/30/371, doc. 55-66, RGASPI.
74
Agitpropotdel du KPD au CEIC, 2.9.1927, F.495/30/371, doc. 129, RGASPI.
75
Jean-François Fayet, VOKS. Le laboratoire helvétique. Histoire de la diplomatie culturelle soviétique durant l’entre-deux-guerres, Genève, Georg, 2014, p. 101-126.
76
Heinz Willmann, Geschichte der Arbeiter-Illustrierten Zeitung 1921-1938, Berlin, Dietz Verlag, 1974, p. 50.
77
La Commission M. F. Vladimirovski (F.357/1/ : RGASPI) – formée de représentants du Parti et de l’État, auxquels s’ajoutent les délégués des syndicats, des jeunesses communistes et de nombreux autres – chapeaute une multitude de sous-commissions techniques et artistiques : Publications (F.3914/1, F.5283/1a/), Expositions (F.3914/1, F.5283/1a/), ... Cette structure est reproduite à l’identique à chaque niveau administratif (Union, République, …).
78
Rachel Mazuy, Croire plutôt que voir ? Voyages en Russie soviétique (1919-1939), Paris, Odile Jacob, 2002, p. 99-102.
79
F.495/30/392, doc. 51, RGASPI.
80
Dès 1926, l’Agitpropotdel du CEIC suggère aux Agitpropotdel de tous les PC d’organiser des cours de deux jours pour propagandistes : F.495/30/243, doc. 52, RGASPI.
81
Il existe une immense production de manuels et revues spécialisée consacrée à l’organisation des fêtes : Le club ouvrier, Le compagnon du propagandiste, Création, le Messager du Théâtre, Comment organiser un spectacle de masse.
82
Programme des cours pour la formation des guides-traducteurs, VOKS, 1927, F.5283/1/76, doc. 304, GARF.
83
F.495/30/392, doc. 113, et Sophie Coeuré, La Grande Lueur à l’Est. Les Français et l’Union soviétique 1917-1939, Paris, Le Seuil, 1999, p. 130-131.
84
« Sur les seize camarades allemands invités, seul un figurait sur nos listes, […] nous ne savons où sont les autres », Société des vieux-bolcheviks à Agitpropotdel du CEIC, 27.10.1927, F.495/30/392, doc. 38, RGASPI.
85
Rapport sur la délégation française, F.5451/13a/187, doc. 905, GARF.
86
« Il ne faut pas mentionner la convocation de ce congrès », la convocation est « absolument secrète », Résolution du secrétariat politique du CEIC : F.495/30/392, doc. 55, 58, RGASPI.
87
Agitpropotdel du CEIC, protocole n° 10, 28.101927, F.495/30/371, doc. 232, 238, et F.495/30/392, doc. 171, RGASPI.
88
Amis de l’Union soviétique (AUS), Conférence de Cologne, F.495/99/16, doc. 1, RGASPI.
89
Rolf Surmann, Die Münzenberg-Legende, Zur Publizistik der revolutionären deutschen Arbeiterbewegung 1921−1933, Köln, Prometh Verlag, 1983.
Pour les témoignages allemands : Matthias Heeke, Reisen zu den Sowjets. Der ausländische Tourismus in Rußland 1921-1941. Mit einem bio-bibliographischen Anhang zu 96 deutschen Reiseautoren, Münster, LIT Verlag, 2003.
90
Cité par Boris Souvarine, Souvenirs sur Panaït Istrati, Isaac Babel et Pierre Pascal, Paris, Lebovici, 1985, p. 73.
91
« Correspondance P. Istrati/R. Rolland », Cahiers Panaït Istrati, n° 2-3-4, 1987, p. 320.
92
Panaït Istrati, Vers l’autre flamme, Paris, Rieder, 1929.
93
Cette formulation proposée par Willi Münzenberg était utilisée depuis 1925 à propos de la Chine, comme mot d’ordre et comme appellation d’associations « Touche pas à la Chine ».
94
F.495/99/12, doc. 35-38, RGASPI.
95
Déclaration de Staline aux délégués étrangers, F.5451/13a/187, doc. 758, GARF.
96
Rapport de l’Agitpropotdel du CEIC, 2.5.1925, F.495/30/139, doc. 2, RGASPI.
97
Thèses pour les agitateurs, 1926, F.495/30/264, doc. 80, RGASPI.
98
Slogans de l’Agitpropotdel du CEIC, 29.10.1927, F.495/30/371, doc. 246, RGASPI.
99
A titre d’exemple, Staline, lors de la parade, se tient sur la terrasse du Mausolée derrière Kalinine, au deuxième rang, et n’apparaît qu’à la page 71 du rapport des délégués suisses.
100
La préface de l’ouvrage intitulée « La Révolution d’octobre et la tactique des communistes russes » est incluse dans toutes les éditions de Questions du léninisme.
101
Frederick C. Corney, Telling October. Memory and the making of the Bolshevik Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 2004, p. 184.
102
Frederick C. Corney, Telling October: memory and the making of the Bolshevik Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 2004, p. 131.
103
« Comment lit-on Lénine ? », séance du KPD, 1926, F.495/30/243, doc. 120.
104
Lettre de félicitations du 16edistrict de la province de Stalingrad à l’IC, F.495/30/369, doc. 47, RGASPI.
105
Léon Trotsky, Ma Vie, Paris, Gallimard, 1953, p. 620.
106
Voir les récits de Victor Serge (Mémoires d’un Révolutionnaire, Paris, Le Seuil, 1951, p. 246-247) et Pierre Pascal (Russie 1927, t.IV, Lausanne, L’Âge d'Homme, 1982, p. 249-251).
107
Jean-François Fayet, Karl Radek : biographie politique, Berne, Lang, 2004, p. 587.
108
Alexander Pantsov, « La naissance de l'opposition de gauche dans le PC chinois », Cahiers Léon Trotsky, n° 57, 1996, p. 42.
109
Rapport sur le discours de Rakovski à Kharkov, F.495/99/12, doc. 138, RGASPI.
110
Bruno Groppo, Michel Prat, « Les commémorations comme instrument dans la lutte contre l’opposition (1926-1927) », Communisme, 1984, n° 5.
111
Pierre Pascal, Russie 1927, t. IV, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1982, p. 24.
112
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 135, RGASPI.
113
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 156, RGASPI.
114
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 147, RGASPI.
115
Bulletin de la Commission pour le 10e anniversaire, F.495/30/371, doc. 154, RGASPI.
116
« A kind of Word’s fair of socialism », Frederick C. Corney, Telling October. Memory and the making of the Bolshevik Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 2004, p. 175.
117
Voir Et 1917 devient Révolutions, catalogue de l’exposition édité par Carole Ajam, Alain Blum, Sophie Coeuré, Sabine Dullin, Paris (Le Seuil, 2017) et Le Spectacle de la révolution. Histoire de la culture visuelle des commémorations d’Octobre, en URSS et ailleurs, édité par Jean-François Fayet, Gianni Haver, Emilia Koustova et Valérie Gorin (Lausanne, Antipodes, 2017).
118
Emilia Koustova, « Manifestation, carnaval, défilé stalinien, naissance d’une chorégraphie festive », in J-F. Fayet, G. Haver, E. Koustova, V. Gorin (dir.), Le Spectacle de la révolution. Histoire de la culture visuelle des commémorations d’Octobre, Lausanne, Antipodes, 2017, p. 44.
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