(Université de Genève - Département d’études méditerranéennes, slaves et orientales)
Un Youkaghir plaçant ses pièges.
Goulag et autochtones de la Kolyma : un hors-champ mémoriel
Tu creuses et tu creuses une tombe.
Tu blasphèmes la terre.
(Dicton évène)
« Enfer blanc », telle est l’appellation qu’a reçue, au XXe siècle, la Kolyma, région du Nord-Est de la Sibérie. Son isolement – ses habitants la considèrent comme une île, appelant tout le reste du pays « le continent » – et son climat extrême – de longs hivers à -50° – l’ont fait entrer dans l’histoire comme un lieu d’exil et de « perdition1 ». Dans les années 1920, on y trouve des minerais et ce territoire glacé devient un haut lieu de l’exploitation aurifère du pays. Sous Staline, on y déporte des milliers, puis des centaines de milliers de personnes assignées au travail forcé dans les gisements à ciel ouvert et les mines souterraines. Les pics de mortalité sont parmi les plus élevés du Goulag2, les conditions particulièrement inhumaines et les survivants, parmi lesquels on trouve de nombreux représentants de l’élite politique et artistique d’URSS, lui font une réputation de point de non-retour : « Auschwitz sans les fours3 », « pôle de férocité4. » Quand, récemment, il évoque la Kolyma pour s’inquiéter de l’effacement de la mémoire des répressions soviétiques, le journaliste Juri Dud’ la désigne comme le « lieu de naissance de notre peur5 ».
Cette importance symbolique a fait oublier que la Kolyma est d’abord et avant tout un fleuve6 (voir l’image 1 ci-dessous). C’est-à-dire, comme toutes les grandes rivières de Sibérie, une source de nourriture et un axe de transport.
Image 1. Fleuve Kolyma, vue du ciel.
Prenant sa source dans les monts Tcherski, près de la mer d’Okhotsk (entre la mer du Japon et celle de Behring), il traverse tout le continent eurasien sur plus de 2 000 kilomètres, déroulant ses méandres dans d’infinis espaces de taïga, puis de toundra, avant de se jeter dans l’océan Arctique.
À en croire l’archéologie7, plusieurs peuples (certains génétiquement proches des Amérindiens) auraient vécu sur ces terres pendant des milliers d’années : Tchouktches, Évènes, Dolganes, Youkaghirs. Parfaitement adaptés à la vie arctique, capables de passer ces hivers glaciaux dans des huttes de branchages recouvertes de peaux ou dans des yourtes, la plupart n’ont pas rencontré d’Européens jusqu’au XIXe siècle. Dans les années trente du XXe siècle, ils sont soudain poussés dans les marges pas l’afflux massif de nouveaux venus, les détenus du nouveau régime.
La région de Magadan, dont le territoire dépasse celui de la Suède, ne comptait que 7 000 habitants en 1926. Elle en compte près de 200 000 au début des années 1950, cela en raison du développement forcé de la région par le Dalstroï8, qui gère l’activité des camps. Les autochtones9, nomades et semi-nomades, sont alors sédentarisés, placés sous la protection et la surveillance de l’État, éduqués, soignés, et d’ailleurs présentés tour à tour comme des « communistes primitifs » ou des « arriérés ». Économiquement, on les cantonne à la sphère des transports ou de l’approvisionnement. En quelques années, des hommes et des femmes qui vivaient dans un isolement quasi-total, en petites communautés, et chassaient avec des flèches de pierre en symbiose avec la nature, se retrouvent intégrés dans un projet pharaonique et répressif d’une ampleur inédite. Pour ces premiers habitants, l’entrée dans le concert des nations soviétiques se confond avec la grande entreprise coloniale du système des camps.
Or, on possède très peu de témoignages sur la façon dont les peuples autochtones de la Kolyma ont vécu ces bouleversements. Après la chute de l’URSS, quand vient l’heure des bilans, cette question est largement laissée hors-champ. Dans l’élan du mouvement de « renaissance des nationalités », les principaux leaders des communautés autochtones revendiquent leur autonomie et s’attellent à défendre (et bien souvent à redécouvrir) leurs langues et cultures que les politiques des nationalités (remaniant les groupes ethniques et excluant certains peuples des territoires autonomes10) et la russification11 ont mises en péril. En même temps, quand fleurissent mémoires et témoignages sur les répressions, les autochtones sont confrontés à la question de leur loyauté envers un régime qui les a régulièrement intégrés dans le système répressif des camps (par exemple pour rattraper les évadés). Il est plus confortable pour les habitants locaux de se disculper de leur participation à l’entreprise soviétique en plaçant l’histoire des camps dans le domaine des « affaires russes » (ou, plus largement, coloniales12) tout en alimentant la mémoire idéalisée d’un passé sans âge. À l’école, la plupart des parents autochtones s’opposent aujourd’hui encore aux enseignants soucieux de transmettre l’histoire du Goulag, car ils souhaitent présenter « le territoire natal comme riche en ressources, en beautés naturelles et pouvoir spirituel » et « préfèrent que leurs enfants apprennent la poésie des poètes locaux autochtones plutôt que les vers ou la prose des étrangers célèbres qui croupissaient dans les camps environnants13 ».
La mémoire institutionnelle ne fait qu’accentuer ce hors-champ. Presqu’un siècle après les faits, les musées régionaux de la Kolyma (Seïmtchan, Magadan) continuent à présenter ces thèmes dans des salles à part, parfois même à des étages différents. Dans l’une de ces salles, on peut découvrir une exposition sur les cartes et reliques des sites concentrationnaires, les mémoires des dissidents et artistes témoins des camps ; dans une autre est décrite la culture matérielle des peuples premiers, selon la grande tradition de l’ethnographie du XIXe siècle. La littérature joue la même partition. Au corpus très riche de récits et mémoires, à la grande littérature classique sur le Goulag, s’oppose une littérature due à la plume des « petits peuples du Nord », qui excellent à chanter une vie détachée de l’univers moderne, enracinée dans la nature vierge, en harmonie avec le climat extrême et le monde des animaux. Certes, les mémoires et la littérature sont trop riches pour ne pas signaler d’intersections. Mais le témoignage autochtone du camp naît toujours sous la plume de survivants, chez qui l’entreprise de déshumanisation finit par effacer particularismes et croyances. Rien ne distingue a priori les mémoires d’un éleveur de rennes nénets, survivant du camp de Lazo, de celles d’un intellectuel exilé : comme les 30 nationalités qu’il célèbre, il est entré dans la « nation des zeks », pour qui la vie sauvage n’est plus que menace ou garde-manger14.
Sur une même terre, la Kolyma, la mémoire déroule donc deux récits irréconciliables : celui du « tombeau collectif15 » et celui de « l’idylle autochtone ». Quand surgit une intersection entre ces thèmes, l’État russe s’attelle activement à l’effacer. Récemment, la déportation de communautés rurales de Yakoutie centrale dont, pendant plusieurs décennies, le souvenir a été cultivé par la population, est devenue un sujet tabou, et ce sont leurs compagnons d’infortune, d’origine balte, qui en conservent la mémoire dans un musée virtuel, hors de Russie16.
L’étude qui suit a été motivée par le désir d’explorer ce hors-champ en puisant dans la mémoire orale. Il me semblait curieux que des centaines de témoignages aient été enregistrés sur la Kolyma du point de vue des nouveaux venus, les détenus, et qu’on en sache si peu sur l’expérience de ceux qui, pendant des siècles, avant l’apparition des camps, occupaient ce territoire, en tiraient leur subsistance et s’y déplaçaient librement. Plusieurs années de suite, entre 2017 et 2021, à l’occasion de séjours chez l’habitant dans différents villages, naviguant avec pêcheurs et chasseurs sur les rivières sauvages entre Yakoutsk et Magadan, j’ai récolté des données sous forme d’interviews et de conversations libres. Mes interlocuteurs ont été principalement des femmes nées entre 1930 et 1965 en Moyenne et Basse-Kolyma, de langue maternelle autochtone. Ont également été recueillis les récits de mes guides, autochtones et locaux, lors de trajets prolongés, notamment en bateau, entre Zyrianka et Seïmtchan. Mon intérêt de départ étant la micro-histoire et les récits de vie, je n’ai que rarement abordé frontalement la question des camps.
Les problèmes de recueil de la mémoire orale17, amplifiés par les « non-dits » typiquement soviétiques et post-soviétiques et les conditionnements de la « commande sociale » (tourisme mémoriel, récits muséaux) m’ont très vite conduite à laisser librement parler les gens, à recueillir remarques et réflexions à partir d’activités quotidiennes ou de déplacements, à croiser les récits des différents membres d’une même famille ou communauté, et à demeurer le plus longtemps possible avec les mêmes personnes18. Constamment, j’ai cherché à croiser mémoire orale et sources écrites, notamment celles des centres culturels et des archives locales. Cet article explore donc un nouveau champ d’études, celui des intersections « vie autochtones/vie des camps » à partir des relations au paysage et au territoire.
Première intersection : le kolkhoze, « potager du camp »
Pour mes interlocuteurs de Basse-Kolyma, la transformation marquante des années 1930-1940, sur laquelle ils reviennent toujours, c’est le passage à l’agriculture : « On mangeait de l’écureuil, du poisson, puis sont venus les kolkhozes, les sovkhozes, et on a reçu de la viande et du lait19. » La création des villages de type urbain et l’apparition des véhicules à moteur, dès les années 1950-1960 (et 1970-1980 pour les hélicoptères) sont les deux autres grands marqueurs du passage à la modernité :
« Mon père (dans les années 1970) revenait à la maison avec des traîneaux tirés par les rennes. On entendait crisser la neige. Puis sont arrivés les hélicoptères. Ils embarquaient les chasseurs avec leurs chiens et les déposaient pour plusieurs mois dans la forêt20 ».
Quand ils racontent leur histoire familiale, mes interlocuteurs relatent un premier bouleversement lié aux chercheurs d’or (vers 1910 pour la région de Korkodon), qui ont été les premiers à forcer leurs parents et grands-parents à quitter leurs lieux de nomadisation traditionnels, puis tous évoquent la fracture de la collectivisation. En même temps que sont construits les premiers bâtiments de la direction des camps à partir du début des années 1930, les « gros » propriétaires de troupeaux de rennes ou de chevaux sont « dékoulakisés ». Avec les détenus et nouveaux salariés du Dalstroï, toute une logistique de l’approvisionnement est mise en place, notamment en nourriture. Parallèlement au centre administratif des camps de Sevostlag, on construit le kolkhoze « Héros rouge » (à Mylga, près de Taskan), destiné à employer surtout des travailleurs autochtones, yakoutes et évènes. Ces kolkhozes avaient la réputation de mal fonctionner, les employés n’ayant aucune habitude de l’agriculture. Cependant, grâce à l’ingéniosité d’agronomes nouvellement arrivés, le plus souvent des détenus européens (Polonais, Baltes, Ukrainiens), on finit par faire pousser des légumes dans la terre peu hospitalière de la Kolyma. A. L., fille d’un riche marchand yakoute victime de la collectivisation, commente ce développement forcé par une formule laconique : « On croyait qu’on nourrissait le front, mais en fait, on nourrissait le Goulag !21 »
Les enfants d’éleveurs dékoulakisés entretiennent la peur et le sentiment d’injustice liés aux persécutions et aux disparitions de leurs proches. À l’inverse, certains descendants de familles démunies déclarent : « Les Russes nous ont sauvés ». Les autochtones sont également venus régulièrement renforcer les contingents de main d’œuvre gratuite des camps : « Parmi les locaux, il y avait aussi A. S. et le vieillard V. Le premier avait été jugé pour mauvaise production de fourrure et le second pour port d’arme illégal. Ils avaient écopé de deux ans. Nous leur avons envoyé du thé et du pain au camp d’I.22 » Dans chaque communauté, des leaders et cadres sont par ailleurs « montés à Leningrad », puis tombés dans les rouages de la répression23.
L’arrivée massive de nouveaux venus conduit à de grands remaniements : des brigades internationales composées de détenus, de libérés et de « spécialistes » travaillent avec les employés locaux. De nouvelles échelles sociales s’établissent parmi des autochtones devenus « salariés du kolkhoze ». Certains, envoyés pour chasser à des kilomètres des lieux de peuplement, conservent un mode de vie proche de celui de leurs parents. D’autres se voient confier de nouvelles responsabilités. Une de mes interlocutrices, B. M., née en 1934, a arpenté différents lieux de Basse-Kolyma en déménageant tous les 2 à 3 ans parce que son père, mi-autochtone mi-descendant d’un explorateur européen (la mixité favorise l’ascension sociale), a été nommé responsable dans la logistique de l’approvisionnement : « Nous avons été trimballées comme des sacs, mes sœurs et moi.24 »
Les différentes communautés vivant à la Kolyma avaient en commun une identité propre à cette « île » : ils se sentaient « Kolymtchanes ». Pendant des siècles, les colons, marchands, exilés venus de la Russie européenne, ont respecté les traditions des chasseurs et pêcheurs liées au système de survie dans le fragile environnement arctique25. Avec l’afflux des nouveaux venus et la politique de développement industriel, le paysage change. Même quand les besoins de la production exigent qu’ils se déplacent – transhumances des rennes, migrations du gibier – les autochtones, auparavant nomades ou semi-nomades, sont assignés à des lieux de résidence. Le développement du réseau des camps les transforme, bon an mal an, en unités mobiles de surveillance, et les rend plus généralement responsables de l’alimentation de toute la population. Ces changements leur apportent de nouveaux gains, de nouveaux conforts, mais aussi les exposent à des risques nouveaux et transforment intégralement leur relation au territoire.
Deuxième intersection : occupation du territoire, le cadastre
Suivant les traces des animaux sur la neige, se déplaçant à ski et en traîneaux tirés par l’homme ou les rennes, remontant les rivières, les autochtones parcouraient des centaines de kilomètres pour, au printemps, se retrouver entre eux. Un des leaders d’une communauté, Tekki Odoulok, ironise sur cette connaissance approfondie du pays qu’ont développée les autochtones bien avant l’arrivée des « Christophe Colomb » soviétiques :
« Nous connaissions chaque sommet de ces montagnes, chaque dénivellation et sentier qui y conduisait ; nous “nomadisions” et nous chassions sur toutes nos rivières et sur tous nos ruisseaux ; nous buvions l’eau et attrapions le poisson de nos lacs. Bien plus, chaque forêt, chaque petite île, on peut même dire, chaque buisson de ce territoire est pour nous un jalon qui nous indique le chemin. C’est pourquoi, il faut bien l’avouer, nous étions un peu vexés de ce que, il y a peu, on ait fait si grand cas de la “découverte”, par des “spécialistes-savants” étudiant la Yakoutie, de certaines montagnes, rivières, etc. Comme si avant eux, personne n’avait rien su de ces lieux26. »
Image 2. Pictogramme peint par des enfants sur le mur du centre culturel de C.
Les déplacements des Youkaghirs, chasseurs de Basse Kolyma, sont répertoriés au moyen de cartes très particulières, gravées sur des écorces de bouleau qui leur permettent de communiquer entre eux par un système de pictogrammes pour signaler les lieux giboyeux27 (voir l’image 2 ci-dessus). Dès leur arrivée, employés du Dalstroï et détenus se mettent à développer les infrastructures, routes et rails. Aux représentations des chasseurs et pêcheurs se substitue alors un ensemble de cartes métriques : les cadastres.
Dans les rapports des géologues chargés de dessiner ces cartes et de déterminer les lieux d’habitation, la taïga, cet espace sauvage qui désespère les détenus, apparaît sous une tout autre perspective. Elle devient un « espace vert », une zone de repos et d’agrément, à structurer et délimiter dans les nouvelles agglomérations prévues pour le travail de production :
« Le long des rues, des places et des propriétés, des espaces verts peuvent être aménagés sans dépenses particulières. En effet, sur le terrain du centre, la végétation forestière est actuellement bien développée. Il suffira de libérer l’espace de la présence des buissons lors de la construction des bâtiments d’habitation et de travail pour aménager un passage. Dans les autres lieux, on prendra toutes les mesures nécessaires à la préservation des espaces verts28. »
Symbole du contrôle opéré par le NKVD sur ces terres (les expéditions géologiques sont toujours accompagnées par un membre de la police politique), les plans de délimitation instaurent sur le territoire tout un système de relais de la surveillance (voir l’image 3 ci-dessous).
Image 3. Plan cadastral du 27 avril 1940 délimitant le territoire du kolkhoze.
On interdit aux kolkhoziens de s’éloigner au-delà de certaines limites. On vérifie avec minutie leur productivité. On profite de leurs connaissances de terrain pour les intégrer dans le système de la détention : « La rumeur courait à travers la taïga que circulaient de dangereux criminels et qu’il fallait les rattraper…29 ».
« Au printemps dans la taïga, les villageois de T. voyaient pas mal de fugitifs. Ils ne faisaient rien de mal, c’étaient des gens pacifiques. D’habitude, c’était S. P. qui les rattrapait, réalisant ses devoirs de président du Soviet du village30 ».
De leur côté, les détenus croyaient qu’en dehors du périmètre du camp, il n’y avait que des espaces hostiles à perte de vue avec, çà et là, un campement d’employés du Dalstroï ou d’autres petits camps : « Je me dis que je ne connaissais qu’un tout petit bout de ce monde, une part insignifiante et que, vingt kilomètres plus loin, il pouvait y avoir une cabane de géologues prospecteurs en quêtes d’uranium ou une mine d’or avec 30 000 détenus. On pouvait cacher tant de choses dans les replis de la montagne.31 »
En réalité, dans cette immensité, ils parcouraient tous des territoires qui semblaient vierges, mais étaient cadastrés par l’État32, aux parcelles numérotées selon les secteurs de production des kolkhozes : « Héros rouge », « Vie radieuse », « Voie nouvelle », etc. Et si les détenus ne voyaient rien, pas un seul de leur déplacement n’échappait aux habitants des lieux. Les prisonniers éveillaient l’inquiétude, mais également la pitié des habitants de la taïga. Régulièrement, reprenant les traditions de la « voie des forçats » en Sibérie centrale, les femmes et les enfants leur venaient spontanément en aide en contrevenant aux ordres :
« Quand un convoi passait près du village et que nous le savions à l’avance, nous jetions sur le chemin du pain, du tabac, de la nourriture, parfois des moufles. Si les autorités l’apprenaient, on nous appelait à l’administration, et on nous passait un savon. On nous a souvent donné des avertissements à ma sœur et ma mère et moi33. »
Troisième intersection : l’internat, les peupliers
Dès qu’il arrive sur les lieux, le pouvoir soviétique s’attelle à plusieurs tâches simultanées : fixer les peuples autochtones sur le territoire, les soigner et les éduquer. Tout un réseau d’écoles villageoises fleurit dans le paysage ainsi que des « yourtes rouges », œuvrant à leur instruction. « Les Russes ont construit des cabanes de rondins, ont commencé à soigner les Yakoutes et les Evènes contre les maladies et à leur apprendre à lire et à écrire. En 1933, on a construit le premier bâtiment en bois, l’école (toujours en place et devenue bibliothèque) où, la même année, j’ai commencé à étudier.34 »
Et comme d’habitude, la civilisation arrive à marche forcée. À Seïmtchan, en même temps que l’aéroport, on construit une petite ville qui compte bientôt hôpital, bibliothèque, magasins, école et même un internat. À la suite d’une épidémie de rougeole menaçant leur communauté, certains enfants autochtones de P. sont envoyés à l’hôpital et soignés par des détenus, anciens médecins de Moscou. Une vingtaine d’enfants autochtones sont placés en internat, qui est aussi un orphelinat. Celui-ci voisine un camp pour femmes, dont la réputation est d’avoir « fourni des services aux cadres du Goulag35 ».
Un autre exemple est celui des enfants du village autochtone de T., expédiés très loin de chez eux. Séparés de leurs familles par la nouvelle politique d’instruction de l’État, ils ne cessent de fuguer de l’internat tout proche pour retourner chez leurs parents. Ainsi, la décision est prise de les envoyer près de Magadan, à plusieurs centaines de kilomètres de là.
On possède des récits de ce voyage en bateau qui durera plus d’un mois (il faut s’arrêter pour réapprovisionner en bois les chaudières). Le trajet s’achève en train monorail à Elgen (lieu du camp-kolkhoze rendu célèbre par Evguenia Guinzbourg). À l’arrivée, les voici placés dans une école très particulière, comme le relate E.D. :
« Tous les enseignants de Taskan étaient des détenus. Maria N. Zimina enseignait la zoologie et la biologie. On disait qu’elle avait été la secrétaire de Trostski (sic.). Elle a fait 10 ans de camp. V. P. Kozlov, mathématicien, c’était lui qui nous surveillait pendant les contrôles, il claquait dans ses doigts, et on comprenait qu’on avait répondu faux. M. A. Krivenkov, historien. Il avait été secrétaire du Parti de Sibérie. Très intelligent. Érudit. Il pouvait citer des textes au mot près, on allait vérifier à la bibliothèque. E. I. Kolytchev, mathématicien, très doué. N. A. Derksen, professeur d’allemand. Allemand. Il travaillait comme comptable au kolkhoze. Avant lui, on a eu B.T., un vieux détenu. Il était très bon, très gentil. Je montais sur son dos et on jouait au cheval36. »
Les témoins expriment tous une forte émotion chargée de reconnaissance envers ces condamnés qui, de leur côté, eurent la chance d’échapper au camp pour œuvrer à leur édification. Toujours E.D. :
« C’est avec amour que je me souviens de Taskan, ville de détenus. Seuls des gens bien avaient été envoyés là-bas et ce sont eux qui ont tout construit37. Pour nous ce n’étaient pas des détenus. C’étaient des gens cultivés, c’est ce qui les a protégés. Rien à voir avec des criminels. Bien sûr, parfois, il y avait quelqu’un de mauvais, c’est comme ça, c’est la nature humaine. Aujourd’hui encore, je ne supporte pas qu’on les appelle détenus38. »
Comme les enfants et leurs maîtres partageaient les travaux assurant leur survie, la transmission intellectuelle s’est vue doublée d’apprentissages nés des pratiques maraîchères et de la conservation des aliments venus des villes de Russie et d’Europe centrale. Comme le rapporte G.L. :
« Autour de l’internat il y avait un potager où poussaient des pommes de terre et du chou. On ramassait le chou sous la neige et on le salait : on l’apportait, on le lavait. On le coupait. Le cuisinier était le détenu Ian F. On allait avec lui chercher des baies avec les chevaux et on faisait des réserves pour tout l’hiver. À l’internat ne travaillaient que des détenus : le palefrenier, oncle J., les enseignants. On a planté une allée de peupliers allant de l’école à l’internat39. »
Aujourd’hui, alors que les infrastructures et des villages entiers de la Kolyma disparaissent, l’allée de peupliers de l’Internat de Taskan demeure, vestige des ambitions paysagistes du Dalstroï. À l’instar d’autres vestiges disséminés à travers l’ex-URSS, ces signes végétaux et les marques dans l’herbe perdus dans la vastitude, sont ravalés au rang de « litote » : on s’en convainc, notamment, en regardant leur image aérienne, comme par exemple celle du camp de Yamal, en Sibérie centrale, dont tout le bâti a disparu au cours des ans40 (voir l’image 4 ci-dessous).
Image 4. Yamal, camp 93, vue aérienne du camp.
L’allée de peupliers de Taskan parle d’une autre intersection, du contact récurrent et de la collaboration étroite, ordonnée par l’État, entre autochtones et détenus. Des prisonniers savants, déambulant semi-librement dans leur prison à ciel ouvert, sont devenus, par la force des choses, parents adoptifs d’enfants déracinés auxquels ils ont appris, en même temps que le jardinage et la soupe aux choux, les mathématiques, l’allemand et la littérature russe. De façon totalement improbable, ils ont travaillé avec ces enfants à transformer le paysage et placer dans la forêt semi-arctique un des marqueurs les plus symboliques de la civilisation stalinienne : le peuplier. Celui-là même dont Pline l’Ancien s’indignait qu’il fût amené à Rome d’un pays étranger, « juste pour son ombrage41 ». Ainsi, l’une des litotes du paysage raconte, à qui sait la lire, une histoire très différente de celle que cherchent à transmettre les musées et la littérature de la Kolyma.
Quatrième intersection : les morts, la tradition
Parlant avec les autochtones âgés des villages, j’ai pu constater que certains thèmes éveillent encore de fortes émotions. La présence, dans ces terres, de grandes quantités de cadavres, abandonnés sans rituels42, dans une culture croyant aux esprits (on y contourne soigneusement les cimetières), soulève de grandes peurs, jusqu’à aujourd’hui. O. Ulturgasheva a pu s’entretenir avec des Évènes chez qui « la peur d’une métamorphose irréversible liée à la contagion des fantômes du Goulag […] conduit à la perception d’un village (construit sur un ancien camp) comme d’un espace contaminé ». Elle conclut à la notion d’un sentiment « d’ensorcellement cosmologique en lien avec la mémoire du passé violent43 ».
Concernant l’activité des camps, l’une des émotions récurrentes dont font état les autochtones est l’horreur devant le percement et le retournement de la terre :
« Avant le pouvoir soviétique, les Évènes vivaient en nomades et bougeaient librement sur ces territoires où ils ne rencontraient personne. Puis, tous ces gens sont arrivés, géologues et chercheurs d’or, et ça a commencé à nous faire peur car sur nos territoires des gens creusaient, cherchaient, et salissaient l’eau44. »
Vivant de la nature, les autochtones de la Kolyma veillent scrupuleusement à son renouvellement à travers de nombreux rituels. Même les habitants de Yakoutsk nés en ville apprennent aux enfants à nourrir le feu et l’eau, à ne jamais prélever dans la nature plus que nécessaire, à ne pas cracher ni faire leurs besoins dans l’eau. « La terre est notre mère, elle doit rester propre45. » Dans cette logique, les travaux d’abattage et d’extraction menés par les Soviétiques ont profondément marqué les consciences :
« Un local ne ferait jamais de mal à la nature. Alors que les Russes creusent cette terre en cherchant l’or, ils ruinent la nature. Je ne supporte pas qu’on abîme un arbre, ou la terre, c’est l’horreur pour moi : la terre est une personne, de même que l’arbre qui pousse sur elle. Le local protège tout cela, il ne tuera pas une femelle46. »
[À noter que mon interlocutrice, née au début des années 1930, reste loyale au pouvoir russe, elle écoute tous les jours les émissions de l’Église orthodoxe et méprise profondément le chamanisme]. La même horreur devant les actes de creuser et mélanger l’eau et la terre m’a été exprimée par une vieille dame lettrée d’origine yakoute47. Nombre de proverbes évènes formalisent ces interdits :
« Il ne faut pas creuser la terre : ça lui fait mal. »
« On n’a pas le droit de creuser la terre, c’est un péché : ce sont les ours qui creusent leurs tanières. »
« Tu creuses et tu creuses une tombe. Tu blasphèmes la terre. »
« Ne va pas au cimetière, c’est un péché : tu as enterré et tu ne dois pas y aller. »
« Il faut brûler toutes les affaires du mort sinon il peut revenir. »48
Comme on le voit, au travail dans les mines et sous la terre s’associe la peur d’une malédiction par contact ou pénétration dans le royaume des ombres (la cosmogonie sibérienne est basée sur trois mondes, dont un souterrain). Un des leviers sur lequel joue le gouvernement en faisant de la mémoire tragique un tabou, semble être la peur, omniprésente dans la population, d’éveiller les fantômes du passé.
Cinquième intersection : mémoire orale, sémiologie de la disparition
Aujourd’hui, les villes du bassin de la Kolyma qui ont poussé comme des champignons sous l’activité du Goulag, sont presque totalement abandonnées. Elles deviennent des villes-fantômes, si bien qu’à l’évanouissement des camps se superpose la disparition de la civilisation soviétique tout entière. Les gens se souviennent à cause de certains vestiges qui subsistent dans la mémoire orale, et n’ont même pas remarqué qu’avec le temps, ces derniers ont disparu. On m’amène voir des restes de rails du camps d’Ougolnoïé, sur une banale grand-route, pour constater qu’ils n’y sont plus (emportés par des bricoleurs ou par une crue récente) ; on m’indique le camp d’Izvestkovoe depuis le bateau, sur la rivière, à l’endroit d’une falaise où se trouvait une échelle fixée dans la roche, mais elle est tombée elle aussi (voir l’image 5 ci-dessous).
Image 5. Ancien camp d’Izvestkovoe vu depuis le fleuve Kolyma.
Ainsi, la mémoire, motivée par des points d’ancrage, demeure localisée d’une certaine façon, tout en perdant ses objets-témoins concrets.
Pourtant, certains signes demeurent, cachés plus profondément, dans la mémoire des plantes.
Image 6. Lazo, l’ancien camp.
Quand on parvient au camp de Lazo (voir l’image 6 ci-dessus) en canot gonflable (le pont s’est écroulé), on découvre un lac toujours pollué par les activités minières des années 1940, autour duquel rôdent des ours (voir l’image 7 ci-dessous). Mon guide, fils d’un employé libre du Dalstroï, qui habitait le hameau en face du camp, reconstitue de mémoire tous les bâtiments de la « zone libre » où vivait sa famille : boulangerie, école, buanderie, bains, dont il ne reste pas une seule trace au milieu de l’herbe folle.
Image 7. Le lac pollué.
Dans le camp en ruines, mon guide me fait ensuite remarquer une plante qui pousse entre les murs de rondins des baraquements effondrés : « Vous voyez cet arbuste ? Il a très bien pu pousser de pépins de fruits qu’avaient mangés des détenus, compote ou confiture. »
La consultation d’une botaniste me confirmera que ce buisson de groseiller appartient à une espèce qui n’était pas originaire de la Kolyma, mais provient de la région de Baïkal, à plusieurs milliers de kilomètres de là (voir l’image 8 ci-dessous).
Image 8. Groseiller dans les restes d’un baraquement.
Ainsi, on peut faire une lecture végétale de la présence fantôme des camps. À Moscou, une botaniste œuvrant pour Mémorial en a fait son thème de prédilection49. En croisant les sources et analyses de différentes disciplines (photos aériennes, dendrochronologie pour l’analyse des troncs, ornithologues pour vérifier quelles graines peuvent avoir été amenées par les oiseaux, documents et herbiers historiques répertoriant l’état de la flore avant le camp, etc.), il devient possible de reconstituer les traces cachées de la civilisation du Goulag dans des lieux redevenus sauvages, transformés par la présence et l’activité de grands groupements humains.
Le groseiller du camp de Lazo, côtoyant un habitant vernaculaire des lieux, le pin nain, parle des migrations des plantes liées à celles des humains et montre que l’attention des « initiés » est portée spontanément à détecter cette sémiologie de la transformation de la nature.
Alors qu’aujourd’hui, en Russie, les sites sont laissés à l’abandon, et le travail de mémoire constamment confisqué par des entreprises politiques de réécritures de l’histoire50, on voit que, sur les lieux mêmes du Goulag, des pratiques sociales entretiennent le souvenir tragique par des biais indirects. Chez certains Kolymtchanes, peut-être en lien avec les souvenirs de la « grande école des camps », des formes de transmission se sont perpétuées, liées à une « mémoire fantôme ». De même que le corps amputé se souvient à travers des « douleurs fantômes » de l’existence du membre manquant, ainsi la présence des hommes et femmes disparus se fait-elle sentir in absentia dans les formes qu’ils ont contribué à faire naître, cachées dans les infrastructures, en train de s’effacer aujourd’hui. Ces traces sont pourtant toujours perceptibles pour les descendants et habitués des lieux, « sémiologues de la disparition », dans la dégradation du bâti, les ruines effondrées, démolies, absorbées par les hivers successifs, et jusque dans les variétés végétales.
Notes
1
Voir Vladimir Tan-Bogoraz, Récits de la Perdition, Genève, Éd. des Syrtes, 2022.
2
Luba Jurgenson et Nicolas Werth, Le Goulag. Témoignages et archives, Paris, Laffont, 2017 ; Mihail Smirnov, Arsenij Roginski et Nikita Ohotin (dir.), Sistema ispravitel’no-trudovyh lagerej v SSSR (1923-1960) [Le système des camps de travail correctifs en URSS, 1923-1960], Moscou, Zvenija, 1998.
3
Semën Vilenskij (dir.), Osvencim bez pečej [Auschwitz sans les fours], Moscou, Vozvraščenie, 1996.
4
Alexandre Soljenitsyne, L’Archipel du Goulag 1918-1956 : essai d’investigation littéraire, T. 1, trad. Geneviève Johannet, Paris, Seuil, 1973, p. 5.
5
Jurij Dud’, « Kolyma, rodina našego straha » [La Kolyma, lieu de naissance de notre terreur], YouTube, 23 avril 2019 (dernière consultation le 12 mai 2024). L’auteur cite un sondage russe de 2018 selon lequel près de 50 % des 18-24 ans n’ont jamais entendu parler des répressions staliniennes.
6
Le kraï de la Kolyma a connu différents remaniements administratifs et a compris, avant 1953, la Tchoukotka.
7
Sur le consensus actuel entre archéologues et généticiens concernant les parentés entre peuples autochtones des deux côtés du Détroit de Behring, voir le résumé de Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible : techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019, p. 106-110.
8
Organisation soumise au NKVD qui administre l’Extrême-Orient soviétique et les camps de la Kolyma dès 1931.
9
Pour les définitions de l’autochtonéité, qui diffèrent selon les législations et sont compliquées par les politiques des nationalités, voir « Les peuples autochtones du Grand Nord. Entretien avec Boris Chichlo », Le Courrier des pays de l’Est, 2008 et Marina Leberre-Semonov, Renaissantismes et renaissance des peuples du nord, Louvain, Paris, Peeters, 2008. Sur les problèmes de recensements, voir Ivan Sablin et Maria Savelyeva, « Mapping Indigenous Siberia: Spatial Changes and Ethnic Realities, 1900-2010 », Settler Colonial Studies, n° 1, 2011, p. 77-110.
10
Contrairement aux Yakoutes, qui bénéficient d’une République autonome dès 1922, les « petits peuples minoritaires du Nord » ne connaissent pas de territoires séparés. Considérés comme « en voie d’extinction » et protégés depuis le XIXe siècle (en particulier grâce aux efforts des scientifiques du Comité du Nord, 1924-1936), ils sont assimilés dans les projets de modernisation forcée dès les années 1930 (voir Yuri Slezkine, Arctic Mirrors: Russia and the Small People of the North, Ithaca, Cornell University Press, 1994, p. 188-194, et Marina Leberre-Semonov, Renaissantismes et renaissance des peuples du nord, Louvain, Paris, Peeters, 2008, chap. II, « Processus coloniaux », p. 53-83).
11
L’étude et la promotion des langues liées à la politique « d’indigénisation » des années 1920 ont été suivies par un retour massif du nationalisme russe en 1935-1937 : réduction du nombre des langues autochtones enseignées, interdiction de ces langues dans l’administration locale, puis fermeture de l’Institut des peuples du Nord. Entre 1960 et 1980 quatre résolutions du Comité central du P.C. sont mises en œuvre pour étendre la pénétration du russe dans les écoles nationales. Voir Aleksandr L. Aref’ev, Jazyki korennykh maločislennyx narodov Severa, Sibiri i Dal’nego Vostoka v sisteme obrazovanija : istorija i sovremennost’ [Les langues des peuples minoritaires du Nord de Sibérie et d’Extrême-Orient dans le système d’instruction : histoire et actualité], Ministerstvo obrazovanija i nauki RF, Moscou, Centr social’nyh issledovanij, 2014, p. 43-48.
12
Sur le discours des représentants de l’intelligentsia autochtone de Sibérie dénonçant les méfaits de la civilisation européenne sur le mode de vie traditionnel (années 1960-1990), voir Yuri Slezkine, Arctic Mirrors: Russia and the Small People of the North, Ithaca, Cornell University Press, 1994, p. 353-385 et Marina Leberre-Semonov, Renaissantismes et renaissance des peuples du nord, Louvain, Paris, Peeters, 2008, chap. V, « Reconstruction identitaire et culture sakha néo-traditionnelle ».
13
Marjorie Mandelstam Balzer, « Local Legacies of the Gulag in Siberia: Anthropological Reflections », Journal of Global and Historical Anthropology, n° 73, 2015, p. 103.
14
Voir le récit sur le partage de la viande d’ours, Arkadij Evsjugin, Sud’ba, klejmënnaja GULAGom [Un destin marqué au fer rouge par le Goulag], Narian-Mar, 1993, https://www.sakharov-center.ru/asfcd/auth/?t=page&num=6079 (dernière consultation le 12 mai 2024).
15
Luba Jurgenson et Nicolas Werth, citant Varlam Chalamov, Le Goulag, Témoignages et archives, Paris, Laffont, 2017, p. 709.
16
« […] les Lituaniens survivants ont écrit des mémoires dont beaucoup ont été traduits dans différentes langues. Alors que les paysans de Tchouraptcha ont gardé le silence jusqu’à très récemment, sans même parler de témoignages écrits sur les crimes du régime stalinien. » Musée virtuel du Goulag : https://www.delfi.lt/ru/news/live/virtualnyy-muzey-gulaga-v-litovskom-konsulstve-v-sankt-peterburge-19186858 ; le site Internet de l’école de Sakha (Yakoutie) a été récemment revu pour souligner l’effort de guerre et effacer la responsabilité de Moscou – on insiste surtout sur la sécheresse, ramenant cette « nécessité d’État » – au niveau d’un problème agricole. https://virtualyakutia.ru/node/379 (dernière consultation le 12 mai 2024).
17
Voir Florence Descamps, L’historien, l’architecte et le magnétophone : de la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Institut de la gestion publique du développement, 2005 ; Elisabeth Gessat-Anstett, Une Atlantide russe. Anthropologie de la mémoire en Russie post-soviétique, Paris, La Découverte, 2007, p. 13 ; Melanie Ilic et Dalia Lenarte, « Introductions », in The Soviet Past in the Post-Socialist Present: Methodology and Ethics in Russian, Baltic and Central European Oral History and Memory Studies, New York, Routledge, 2015, p. 3-18 ; Alexia Bloch, Red Ties and Residential Schools : Indigenous Siberians in a Post-Soviet State, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2004, p. 11.
18
Pour préserver la sécurité de mes interlocuteurs, leurs noms et ceux de certains lieux sont ici anonymisés.
19
Entretien avec P. V., née en 1948 à P., 7 juillet 2018.
20
Entretien avec A. L., née en 1958, 25 juin 2020.
21
Entretien avec A. L., née en 1958, 25 juin 2020.
22
Récit d’E. M., née en 1930, transcrit par V. Volkov, Sovetskaja Kolyma, décembre 1992.
23
Cf. Nikolaj Spiridonov, « monté à Leningrad » pour faire des études à l’Institut des peuples du Nord, premier docteur en économie parmi les autochtones de la Kolyma, fusillé en 1938.
24
Entretien avec B. M., née en 1934, Seïmtchan, 14 juillet 2021.
25
Voir Vladimir Tan-Bogoraz, Récits de la Perdition, Genève, Éd. des Syrtes, 2022.
26
Tekki Odulok, Na krajnem severe [Dans le Grand Nord], 1928, cité in Ulakhan Imteurgin ologo, Na krajnem Severe, Bičik, Jakutsk, 2016, p. 98. Le voyage dont il est question a eu lieu en 1925.
27
Nikolaj Vaxtin, Jukagirskie tosy [Les toss youkaghirs], Saint-Petersbourg, izd. Evropejskogo Universiteta v SPb, 2021.
28
Expédition de plan cadastral NKZ du 27 avril 1940 du colonel Kapustin, Archives d’État de Magadan, village de P., R-38, doss. 9. f. 45.
29
Entretien avec M. G., née en 1958, Seïmtchan, 10 juillet 2021.
30
Souvenirs d’A. C. (1930-2015), recueillis en 1993, musée de l’école du village de T., République de Sakha (Yakoutie), tapuscrit non paginé.
31
Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, trad. Sophie Benech, Catherine Fournier et Luba Jurgenson, Lagrasse, Verdier, 2003, p. 516.
32
Entre les années 1935 et 1945 dans la région de Basse-Kolyma, voir archives d’État de Magadan, R-38, doss. 8, l.56-65 : « Plan de développement du kolkhoze “Vie radieuse” », et doss. 2 « Documents : le développement des districts de la Kolyma », 1938-1950.
33
Souvenirs d’A. C. (1930-2015), recueillis en 1993, musée de l’école du village de T., République de Sakha (Yakoutie), tapuscrit non paginé.
34
Ivan Panikarov, Istorija posëlkov central’noj Kolymy [Histoire des villages de Kolyma centrale], Magadan, Maobti, 1997.
35
Ivan Panikarov, Istorija posëlkov central’noj Kolymy [Histoire des villages de Kolyma centrale], Magadan, Maobti, 1997. Mon interlocutrice B. M. m’a confirmé les faits en me priant de ne pas les noter.
36
Souvenirs d’E. D., « Les enseignants de l’école de Taskan » (recueillis en 1998), bibliothèque de V. Tapuscrit non paginé.
37
C’est là un autre motif de la mémoire autochtone et locale du Goulag que tous ces esprits brillants survivants des camps et parfois restés dans leur région ait élevé le niveau de culture, non seulement par leurs savoirs (agronomes, ingénieurs, historiques et scientifiques, etc.) mais aussi par leurs réalisations (notamment, en architecture, les clubs de Zyrjanka et de Lobuja).
38
Entretien avec B. M., née en 1934, Seïmtchan, 12 juillet 2021.
39
Souvenir de G. L., « Les enseignants de l’école de Taskan » (recueillis en 1998), bibliothèque de V. Tapuscrit non paginé.
40
Projet de l’École polytechnique fédérale de Lausanne 2019-2022, yamal.ch (droits réservés).
41
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XII, Littré. E., Dubocher, 1848-1850.
42
En l’absence d’une politique mémorielle (voir Elisabeth Gessat-Anstett, Une Atlantide russe. Anthropologie de la mémoire en Russie post-soviétique, Paris, La Découverte, 2007, Luba Jurgenson et Nicolas Werth, Le Goulag. Témoignages et archives, Paris, Laffont, 2017 ; Nicolas Werth, Poutine, Historien en chef, Paris, Gallimard, « Tracts », 2023), la Kolyma reste une « terre de cadavres à ciel ouvert » (land of the unburied) pour reprendre les mots d’Alexandre Etkind, Warped Mourning: Stories of the Undead in the Land of the Unburied, Redwood City, Stanford University Press, 2013.
43
Olga Ulturgasheva, « Ghosts of the Gulag in the Eveny World of the Dead », The Polar Journal, vol. 7, n° 1, 2017, p. 26-45. URL : https://pure.manchester.ac.uk/ws/portalfiles/portal/56134322/Ghosts_of_the_Gulag_May_24_2017_1_.pdf (dernière consultation le 25 novembre 2024).
44
Entretien avec M. G., née en 1958, Seïmtchan, 10 juillet 2021.
45
Ljudmila Žukova, Očerki po jukagirskoj kul’ture [Essais sur la culture youkaghir], Iakoutsk, Bičik, 2013, p. 11.
46
Entretien avec B. M, née en 1934, Seïmtchan, 12 juillet 2021.
47
Entretien avec O. V., née en 1947 à Srednekolymsk, Yakoutsk, 20 juin 2019.
48
U rodnogo očaga [Auprès du foyer natal], récits et souvenirs de Maria Grott, née en 1958 dans la communauté d’éleveurs de rennes de Rassokha, édité à compte d’auteur, Bibliothèque de Seïmtchan.
49
Vérifiables, notamment, à partir d’herbiers créés dans le centre scientifique du camp : « L’herbier créé par V. Vekhovy compte des plantes absentes de la région Carélie-Mourmansk qui s’avèrent originaires de l’Oural », « Les arbres et les plantes conservent la trace d’événements qu’il faut seulement savoir déchiffrer », Nadežda Pantjulina, exposition Zasušennomu verit’ [Il faut croire les herbiers], Musée biologique Timirjazev et Mémorial international, 2017. URL : http://zasushennye.ru/ (dernière consultation le 25 novembre 2024).
50
Nicolas Werth, « Mémorial sur le front de l’histoire », Esprit, n° 484, 2022, p. 51-61 ; Emilia Koustova, « L’affaire Mémorial et “Mur du chagrin” : les paradoxes de la Russie de Poutine face à la Grande terreur », L’Observatoire, centre d’analyse de la CCI France Russie, 1er nov. 2018. URL : https://fr.obsfr.ru/report/15205/12084/ (dernière consultation le 25 novembre 2024) ; Nikolaj Koposov, Pamjat’ strogogo režima. Istorija i politika Rossii [Mémoire à régime sévère : Histoire et politique de la Russie]. Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2011.
Bibliographie
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Archives, Magadan
Classification thématique des documents
« Histoire et culture des peuples minoritaires du Grand Nord », documents des archives d’État de la région de Magadan, 1923-1945, Magadan 2014.
« Histoire et culture des peuples minoritaires du Grand Nord », documents des archives d’État de la région de Magadan, 1946-1965, Magadan 2018.
Sélection de dossiers consultés
R-39, village d’Ola, décrets sur la liquidation de l’analphabétisme, 1924-1925.
R-38, doss. 8, « Plan de développement du kolkhoze “Vie radieuse” », inventaires, 1938 et doss. 2 « “Documents : le développement des districts de la Kolyma”, 1938-1950 ».
R-39-42, « Ordre de distribution des registres d’armes de chasse », ibid.
R-43, Décisions du Dalstroï concernant la fusion des villages de Korkodon et Balytchygan et création du kolkhoze « Voie nouvelle », 1941.
R-110, Barybyry, archives du kolkhoze « Voie nouvelle », doss. 6, Comptes rendus des Soviets de villages, 1940-1942, 1946, 1948 et al.
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R-43, « Inventaire de la population des régions Nord de Srednekan et Severo-evensk », 1939-1953.