Marketing.
Nous nous trouverions confrontés à « l’ère de l’individu tyran » : l’avènement d’une condition civilisationnelle inédite marquée par l’abolition d’une multitude d’êtres épars qui prétendent représenter l’unique source normative de référence et occuper de plein droit une place prépondérante. Tout se passe comme si, en deux décennies, l’imbrication de l’horizontalité supposée des réseaux et du déchaînement des logiques néolibérales, après avoir chanté les louanges de l’« empowerment » individuel, la responsabilité individuelle avait conduit à une atomisation des sujets qui ne sont plus capables de tisser des liens constructifs et durables entre eux, pour faire prévaloir des revendications qui reposent d’abord sur leurs propres biographies et conditions1.
Les récits partagés du passé ont joué dans la société ce rôle d’un fondement commun et ont fait en sorte que différentes communautés ont pu s’y identifier et être reconnues dans le présent comme égales ou au moins similaires. Il est arrivé plus d’une fois que différents récits partagés assument cette fonction de lien constructif et durable. Cependant, les deux forces mentionnées par Sadin – les réseaux (technologiques) et les logiques néolibérales, que nous préférons appeler ici postmodernes parce que nous allons les aborder dans une perspective purement culturelle – sont en train de disloquer la compréhension commune de l’histoire et ont favorisé sa numérisation en offrant à chaque individu une représentation spécifique du monde historique.
La primauté de l’individu dans le rapport à l’histoire n’est pas un phénomène propre aux médias et aux réseaux, c’est un trait constitutif de la société actuelle dans son ensemble, caractérisée par l’importance qu’elle accorde, dans le présent, au témoin et à sa mémoire. Cette prééminence de la figure du témoin et de la mémoire individuelle dans le souvenir contemporain des événements passés et leur représentation dans la culture de masse, est liée à la manière de se souvenir propre à notre époque et, selon Enzo Traverso : « Nous sommes entrés [...] dans l’“ère du témoin”, désormais placé sur un piédestal, incarnation d’un passé dont le souvenir est prescrit comme un devoir civique2. » L’historienne Annette Wieviorka est d’accord avec son collègue italien, car pour elle, depuis les années 1970, la figure du témoin et du témoignage est devenue de plus en plus importante dans notre vision du passé. C’est une conséquence de la démocratisation de ceux qui sont considérés comme des acteurs historiques par les nouveaux courants historiographiques et les médias. Pour Wieviorka, « l’homme-individu est ainsi placé au cœur de la société et rétrospectivement de l’histoire. Il devient publiquement, et lui seul, Histoire3 ». Cette même opinion avait déjà été exprimée par le sociologue Gilles Lipovetsky qui, en 1983, dans son livre L’Ère du vide, allait plus loin en affirmant que « nous vivons pour nous-mêmes, sans nous soucier de nos traditions et de notre postérité : le sens historique se trouve déserté au même titre que les valeurs et institutions sociales4 ». La mémoire de l’individu reste donc le seul et le plus important lien avec le passé. D’ailleurs, la temporalité très accélérée de notre présent favorise cette relation historique souple et légère qu’autorisent les médias, puisque, comme le dit Baudrillard à propos de notre rapport à l’écran, c’est l’écran qui a remplacé les archives, mais aussi les monuments et les lieux publics de mémoire5, qui étaient partagés par tous ceux qui les regardaient. Aujourd’hui, cependant, chacun regarde son propre écran, et chaque écran reflète une histoire différente et unique.
Les nouveaux médias n’ont fait qu’accélérer et intensifier ce processus en construisant autour de chaque individu un scénario historique virtuel adapté à ses propres préférences et émotions avec lequel il peut interagir. Dans le même sens, et plus concrètement dans le cas des jeux vidéo, la chercheuse Kristine Jorgensen a confirmé ce phénomène par les différentes enquêtes et interviews qu’elle a réalisées : « Voir le monde du jeu à travers les yeux de l’avatar crée la sensation pour le joueur de devenir lui-même l’avatar le temps qu’il joue6. » Il y a donc identification entre le joueur et ce qui s’est passé à l’écran et, par conséquent, il y a aussi une relation émotionnelle entre les deux. Les marques d’historicité intégrées dans le jeu induisent et renforcent cette identification ; elles permettent aussi à l’utilisateur d’adopter la posture et le rôle du témoin et de passer du « c’est comme ça » au « j’y étais ».
Les caractéristiques de l’image interactive ont pour conséquence que le jeu vidéo ne permet pas seulement l’identification à un récit du passé, mais aussi l’expérience individuelle de celui-ci grâce à un principe clé : la variabilité, qui résulte de la remédiation qui s’opère dans le média en raison de son caractère informatisé et qui entraîne l’hyper-individualisation de l’expérience, en l’occurrence historique.
L’immense popularité des jeux vidéo et des objets numériques dans la culture contemporaine, dont témoignent leur diffusion auprès du grand public, leurs chiffres de vente et leur pénétration dans la société moderne confère à toutes ces caractéristiques, et celles que nous allons détailler dans cet article, une importance particulière. Battlefield 1 qui est sorti en 2016 s’est vendu, selon l’institution financière Morgan Stanley, à plus de 15 millions d’exemplaires7. Dans la Première Guerre mondiale telle que la dépeint Battlefield 1, chaque utilisateur joue un rôle individuel qui décide du cours du conflit. Tous ces soldats, au début de la campagne, seront membres du 369e régiment d’infanterie américain, plus connu sous le nom de Harlem Hellfighters. Or la participation globale de ce régiment, composé de recrues afro-américaines, dans le conflit, était très minoritaire par rapport à celle d’autres nationalités, telles que les Français et les Allemands. Cependant, le joueur ne pourra prendre le contrôle d’aucun soldat de ces deux pays. Qui plus est, il faudra attendre une version ultérieure augmentée pour pouvoir incarner un combattant français. Plus de 15 millions de personnes ont vécu virtuellement une représentation du monde historique à laquelle aucun historien n’a participé et qui présente, comme on peut en faire la démonstration, la réalité historique de manière déformée. Pour mettre en lumière deux aspects essentiels du présent travail, je prendrai pour exemple les médias électroniques : sans doute permettent-ils une individualisation de la représentation du monde historique, mais elle sera toujours accordée à la forme et aux décisions de conception de ceux qui sont aux commandes.
Un autre exemple est Call of Duty WWII (Sledgehammer Games, 2017), qui a rassemblé durant sa première année de commercialisation plus de 20 millions de personnes qui ont pu savourer une expérience historique virtuelle de la Seconde Guerre mondiale telle que la croix gammée n’y apparaît pas. Et cela va même plus loin, puisque des centaines de millions de joueurs ont pu vivre ensemble dans le virtuel une Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle aucun génocide n’a eu lieu. Chacun des participants a pu faire sienne cette représentation du monde historique et a eu la possibilité de la diffuser sur ses propres réseaux sociaux et sur les plateformes mises à sa disposition.
Sans doute cette représentation du monde historique si éloignée du métier d’historien nous paraît-elle manquer de complexité ; libre à nous de la considérer comme une œuvre de fiction historique et d’admettre que le tableau qu’elle constitue est faux et que le lecteur prendra en compte cette caractéristique fictionnelle. Cependant, la diffusion et l’audience du jeu vidéo ne cessent de croître. Aujourd’hui, selon les données de la société DFC Intelligence, il y a plus de 2,8 milliards de joueurs dans le monde, soit un tiers de l’humanité, selon le Libro Blanco del Desarrollo Español de Videojuegos [Livre blanc du développement espagnol des jeux vidéo]8. Le jeu vidéo n’est pas un média du futur, mais du présent. C’est une nouvelle forme de communication de masse. Et, comme tout autre média de masse, il doit être observé et étudié, car 2,8 milliards de personnes y ont accès, selon Ian Bogost :
Les jeux vidéo sont un moyen d’expression. Ils figurent la manière dont fonctionnent les systèmes réels et imaginaires, et invitent les joueurs à interagir avec ces systèmes et à émettre des jugements à leur sujet. En tant que joueurs, développeurs ou critiques, nous participons du processus continu d’intelligence de ce média et plus encore de son essor, c’est pourquoi nous devons nous efforcer de comprendre comment les représentations de notre monde se construisent sous forme de jeux vidéo et développer une approche critique9.
L’historien, comme l’explique Bogost, doit comprendre comment se construit, dans les jeux vidéo, la représentation du monde historique. On peut même s’interroger sur l’éventualité que ce genre d’œuvre parvienne à produire différentes formes de représentation du monde historique, et nous retrouvons ici une question qui a déjà été abordée pour le cinéma et d’autres types de manifestations visuelles associées à la mémoire de la guerre du Vietnam et de l’épidémie de SIDA par des historiennes telles que Marita Surken dans son ouvrage Tangled Memories10 ou Inez Hedges, qui s’est attelée plus récemment à la même tâche dans son ouvrage World Cinema and Cultural Memory11 dans lequel elle questionne dans une perspective globale les formes mémorielles, et leur création, associées au cinéma. Ainsi, même si nous considérons que le jeu vidéo ne peut pas générer un type spécifique de représentation du monde historique, l’une de nos tâches en tant qu’historiens devrait être d’étudier, d’évaluer ou de critiquer les usages qui en sont faits dans ces deux mediums que sont les films et les jeux vidéo. Dans son essai « Identity History Is Not Enough », Eric Hobsbawm a déclaré que « nous autres historiens professionnels produisons la matière première pour que les non-professionnels puissent l’utiliser à bon ou à mauvais escient12 ». Face à la progression de l’image interactive comme moyen d’expression du passé, l’historien de profession doit être attentif à deux problèmes ou opportunités : comment retourner la situation en sa faveur et utiliser ces nouveaux médias pour diffuser la connaissance historique produite par des historiens compétents, et comment critiquer ou contrôler l’utilisation du passé dans ce type de produit. Pour reprendre les termes de Hobsbawm :
L’histoire est la matière première dont se nourrissent les idéologies nationalistes, ethniques et fondamentalistes, tout comme le pavot est l’élément clé qui est à la base de la dépendance à l’héroïne. Le passé est un facteur essentiel – peut-être le plus essentiel – de ces idéologies. Et, quand il n’y en a pas de convenable, il est toujours possible d’en inventer un13.
Aujourd’hui, les médias informatiques offrent aux utilisateurs la possibilité d’inventer leur propre monde historique et de le diffuser massivement à travers les réseaux sociaux et les espaces virtuels qui, grâce à l’économie de l’attention, peuvent être utilisés par de grandes communautés d’utilisateurs d’Internet comme références pour penser le passé. Telle est, entre autres, la raison pour laquelle il est nécessaire d’étudier les formes dans lesquelles ce passé se manifeste et comment ces formes imposent un contenu et un discours vérifiable sur l’histoire.
Remédiation et hyper-individualisation
La remédiation et l’élaboration de la représentation du monde historique par le biais de programmes informatiques impose à leur contenu trois caractéristiques : la modularité – car il s’agit de petites parties qui s’intègrent jusqu’à former l’objet final ; l’automatisation – car ils sont conçus à travers des logiciels et des codes ; et la variabilité – car ils offrent la possibilité de varier la relation avec ces contenus en fournissant des options ouvertes ou fermées ; trois caractéristiques qui, réunies et articulées avec d’autres, nous permettent de parler d’un nouveau phénomène lié à la représentation et à l’expérimentation virtuelles du passé dans les nouveaux médias numériques : l’hyper-individualisation. Loin d’être une lubie personnelle ou un désir d’inventer de nouveaux concepts, le choix du préfixe « hyper » correspond à la nouveauté représentée par ces trois caractéristiques, comme le souligne Lev Manovich :
La logique des nouveaux médias correspond donc à celle, postindustrielle, de la « production à la demande » et de la livraison à « flux tendu », elles-mêmes rendues possibles par l’utilisation d’ordinateurs et de réseaux informatiques à toutes les étapes de la fabrication et de la distribution. Ici, l’« industrie culturelle » […] est réellement en avance sur la plupart des autres sphères de la production. L’idée qu’un client puisse préciser au concessionnaire les caractéristiques exactes de la voiture qu’il désire, que ce dernier transmette les spécifications à l’usine et reçoive le véhicule quelques heures plus tard demeure un rêve, mais lorsqu’il s’agit des médias informatiques, une telle immédiateté devient réalité. Étant donné que l’on se sert de la même machine chez le concessionnaire et à l’usine, c’est-à-dire que le même ordinateur génère et affiche le médium, et que ce dernier existe non sous la forme d’objet matériel mais sous celle de données pouvant être communiquées par câbles à la vitesse de la lumière, la version personnalisée, en réponse aux données fournies par l’utilisateur, est livrée presque immédiatement. Ainsi, pour en rester à cet exemple, lorsque vous accédez à un site Web, le serveur assemble aussitôt une page Web personnalisée14.
Cette citation du théoricien des médias est particulièrement pertinente ici, dans la mesure où l’objectif de ces pages est de mettre en évidence qu’il y a, chez les utilisateurs des nouveaux médias, un usage et une relation extrêmement individualistes du passé. En effet, grâce aux caractéristiques de l’image interactive, ils peuvent créer un passé médiatique15 à leur service et en fonction de leurs intérêts, de leurs préférences et de leurs émotions avec une marge d’action jamais connue auparavant. Simultanément, ces caractéristiques leur permettent de s’intégrer dans cette même représentation du monde médiatico-historique créé et d’interagir, d’une manière personnelle, avec leur histoire. C’est à ces deux aspects, la variabilité des nouveaux médias, en particulier les jeux vidéo, et la capacité d’immersion qu’ils offrent, que nous consacrerons les deux sections suivantes.
Le principe de variabilité des nouveaux médias et la représentation individuelle du monde historique
Le passé médiatique interactif généré par ordinateur offre à l’utilisateur la possibilité de varier, de moduler et d’automatiser sa relation à l’histoire, et même de l’individualiser. Il s’agit là d’une composante essentielle des objets médiatiques électroniques, ainsi que d’un élément fondamental des objets générés par ordinateur. Cette capacité d’individualisation entraîne des conséquences considérables sur le rapport que nous avons à l’histoire en tant que société. Même s’il les affecte tout particulièrement, ce phénomène ne concerne pas exclusivement les médias électroniques mais fait partie de la culture contemporaine et renvoie aux caractéristiques sociales et économiques qui nous entourent.
Dans la citation que nous avons reproduite plus haut, Manovich met l’accent sur la « production à la demande de l’utilisateur » dont il dit qu’elle est l’une des caractéristiques fondamentales de cette nouvelle logique culturelle ; il précise que certains objets numériques permettent à l’utilisateur de « produire sa propre histoire » à la fois à l’intérieur du récit de l’œuvre et depuis l’extérieur, en lui donnant tous les outils nécessaires pour qu’il puisse construire sur mesure son propre scénario historique. « Produire sa propre histoire » est d’une importance particulière dans le débat public sur le passé, car cela conduit à confronter, dans la sphère publique, différents discours autour d’événements antérieurs.
Il existe de nombreux exemples qui le prouvent, comme la succession de modifications apportées par différents utilisateurs au jeu de stratégie Hearts of Iron IV (Paradox Development Studios, 2016). Ce jeu vidéo suédois permet au joueur de vivre une représentation sur mesure du monde historique et de contrôler tous les leviers d’un pays de 1936 à 1945. Comme pour les jeux vidéo en général, la grande différence entre ce jeu vidéo et les autres objets numériques est précisément sa variabilité, c’est-à-dire le nombre de chemins que le joueur peut emprunter, ce qui lui permet de fabriquer de nouvelles histoires de la Seconde Guerre mondiale sur mesure ; sa modularité16 qui génère automatiquement, grâce à sa structure fractale, de nouvelles configurations ; son automatisation17 qui permet, grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle, de répondre de manière appropriée aux décisions prises par le joueur. Ces trois principes renforcent l’hyper-individualisation de l’expérience virtuelle du passé propre au jeu. Johan Anderson, EVP creative director chez Paradox, a salué cet élément comme l’un des plus caractéristiques de ce jeu et a de surcroît identifié en lui une valeur éducative en termes de connaissance du passé :
J’ai vu un Axe Berlin/Moscou et tous les autres se battre contre ces deux-là […]. J’ai vu les États-Unis rejoindre l’Axe. J’ai vu des alliés à la fois de la Grande-Bretagne et du Japon. Toutes ces choses bizarres se produisent. Et cela rend le jeu, je ne dirais pas imprévisible, mais, lorsqu’un humain commence à s’y plonger, c’est extrêmement stimulant et amusant […]. Il apprend aux gens qu’il n’y a pas de réponses isolées, que tout est lié. La production est liée aux ressources, aux unités. Les batailles sont liées à la logistique. La politique est liée à la diplomatie, et la diplomatie est liée à la guerre. Tout est lié dans la vie, c’est probablement la chose la plus importante que les gens peuvent apprendre du jeu18.
Toutefois, le studio a limité les actions des utilisateurs ; il n’a pas non plus inclus parmi les choix historiques à faire la construction de camps de concentration ou d’extermination ni la représentation de croix gammées ou d’autres symboles du national-socialisme ; il faut dire que ce type d’omission est largement répandu dans les jeux vidéo qui représentent la Seconde Guerre mondiale19. Les utilisateurs ont contourné cette limitation par le biais de la création de modifications, en tirant parti de la fonction d’automatisation associée à l’image interactive. Ils ont ainsi hyperindividualisé encore davantage leur expérience d’un passé désormais ouvert et mis à leur service par l’entreprise responsable.
La possibilité de modifier le contenu grâce à l’automatisation et à la variabilité permet aux utilisateurs de Hearts of Iron IV d’inclure toutes sortes d’extensions, parmi lesquelles nous pouvons citer : la mise en œuvre de la Solution finale, l’imposition aux États-Unis d’un gouvernement dominé par le Ku Klux Clan et le remplacement du drapeau actuel par le drapeau confédéré, la possibilité d’exterminer différents groupes ethniques ou la possibilité de choisir des régimes ultranationalistes et racistes inspirés de l’actualité20. Cependant, les modifications les plus populaires sont celles qui portent sur des événements anachroniques ; par exemple, que se serait-il passé si l’Allemagne avait gagné la Première Guerre mondiale21 ? Et la Deuxième22 ? Et celles qui ajoutent des détails qui accroissent la vraisemblance historique de l’ensemble. En résumé, Hearts of Iron IV fonctionne comme un jeu de construction dont les caractéristiques – automatisation, variabilité et modularité – permettent d’inclure tous les éléments que le joueur considère comme possibles, comme le dit la description de la page web où il est hébergé :
Au cœur de l’action, des champs de bataille jusqu’au centre de commandement, vous guiderez votre nation à la gloire, ferez la guerre, négocierez la paix ou envahirez des territoires. Vous seul pouvez remporter la victoire ! Il est temps de dévoiler vos aptitudes de chef de guerre. Reproduirez-vous l’histoire ou changerez-vous la destinée du monde en remportant la victoire à n’importe quel prix23 ?
Hearts of Iron IV permet au joueur de se mettre en rapport de la manière qu’il préfère avec cette période traumatisante pour la représentation du monde historique européen que sont les années 1936-1945. Cette situation compromet l’établissement d’une mémoire commune des événements qui se sont déroulés à ce moment de l’histoire. La possibilité d’apporter des modifications, avec l’impact qu’elle a sur le « je », est un aspect crucial de la culture visuelle numérique, qui atteint avec le jeu vidéo sa plus haute expression, que ce soit sur un plan externe – puisqu’il inclut tel ou tel événement historique selon nos intérêts et nos préférences – ou sur un plan interne – en nous introduisant, virtuellement, dans la représentation du monde historique et en nous transformant en sujets actifs d’un hier avec lequel nous interagissons.
Dans le titre Red Dead Redemption 2 (Rockstar Games, 2019), qui se déroule dans les derniers soubresauts du XIXe siècle américain et du mythe du Far West, les joueurs ont découvert tel ou tel élément dont ils se sont emparés et qu’ils ont diffusés à l’intérieur et à l’extérieur de l’œuvre, forgeant ainsi leur propre rapport au passé. Comme le disait Manovich, « l’on se sert de la même machine chez le concessionnaire et à l’usine, c’est-à-dire que le même ordinateur génère et affiche le médium ».
Dans l’espace virtuel de ce jeu vidéo, le joueur peut tomber sur des personnages associés à des événements historiques qui ont encore une forte présence dans le présent, par exemple le mouvement des suffragettes ou l’existence du suprémacisme blanc. Les créateurs du jeu vidéo n’imposent pas les réponses à apporter à ces groupes, ils les mettent simplement à disposition comme dans une salle d’exposition, et c’est au joueur de leur donner un sens à travers les interactions qu’il a avec eux. On peut trouver sur le web différentes vidéos dans lesquelles des joueurs, représentés à l’écran par leur avatar, kidnappent des suffragettes, les battent ou les utilisent même pour nourrir des animaux. De même, d’autres groupes d’utilisateurs ont découvert des communautés virtuelles appartenant au Ku Klux Clan qu’ils ont rouées de coup et tuées tandis qu’ils enregistraient leur partie qu’ils ont ensuite diffusée sur des chaînes vidéo en ligne. Chacune de ces interventions devrait intéresser l’historien, car elles sont une illustration de la lutte pour le passé et de construction de nouveaux discours sur l’histoire, deux phénomènes très présents aux États-Unis aujourd’hui24.
Ces deux situations montrent qu’il est possible, au sein d’un même objet limité par la manière dont ses créateurs l’ont conçu, de se rapporter au passé de deux manières très différentes, en fonction des désirs de l’utilisateur et de son interprétation de l’histoire. Loin d’être isolée dans l’industrie, cette situation est générale, et on peut la retrouver dans n’importe quel jeu vidéo, puisqu’à cause de leur nature interactive, les utilisateurs peuvent facilement capturer des éléments et les infléchir en leur attribuant de nouveaux sens qu’ils élaborent. C’est encore plus vrai dans le premier exemple cité supra, dans lequel l’utilisateur construit de toutes pièces sa propre représentation du monde historique grâce aux outils d’édition proposés par les créateurs de l’œuvre.
Les objets numériques, grâce à leur variabilité et à leur transformabilité, combinées aux facilités offertes par les studios qui les conçoivent pour que les utilisateurs puissent effectuer ces variations et transformations, permettent aux individus d’établir leurs propres liens avec le passé et d’en diffuser la version du jeu, ainsi modifiée, aux autres utilisateurs. À titre d’exemples, les cas cités dans le paragraphe précédent, utilisés par des groupes d’extrême droite pour renforcer leurs récits et leur identité politique, ou encore d’autres comme le jeu-vidéo Sonderkommando Revolt (Doomjedi, 2009), une modification du jeu original Wolfenstein 3D (id Software, 1993) due à un seul utilisateur. Ce travail individuel a suscité une très forte controverse. Le jeu avait pour cadre la révolte des Sonderkommandos d’Auschwitz en octobre 1944 et proposait de prendre le contrôle d’une insurrection qui éliminait les troupes nazies du camp avec la plus grande violence possible. L’action se déroulait dans des espaces recréés à partir des photographies conservées du lieu et était en contradiction, sur le plan mémoriel, avec les autres discours élaborés sur la Shoah dans les jeux vidéo25. Ce processus d’individualisation de la représentation du monde historique ne prend pas exclusivement place dans les jeux vidéo, mais s’étend au reste des manifestations numériques propres à la culture générée par ordinateur, comme les réseaux sociaux ou les jeux MMO [jeu en ligne massivement multijoueur], des espaces virtuels massifs où chaque utilisateur endosse un rôle différent et interagit avec les autres.
Civilization VI (2016) est un autre grand exemple de variabilité hyper-individualisée ; en effet, il s’agit d’un jeu vidéo qui promet au joueur un scénario similaire, mais plus étendu dans le temps. Sur sa page, on peut lire la définition suivante :
Civilization, créé à l’origine par le légendaire concepteur de jeux vidéo Sid Meier, est un jeu de stratégie au tour par tour dans lequel votre objectif est de construire un empire qui résistera à l’épreuve du temps. Conquérez le monde en établissant et en dirigeant votre propre civilisation, de l’âge de pierre à l’âge de l’information. Faites la guerre, utilisez la diplomatie, faites progresser votre culture et affrontez les plus grands leaders de l’histoire pour créer la plus grande civilisation jamais connue26.
Comme Hearts of Iron IV, il propose, dans sa définition même, d’insérer le joueur dans l’histoire en dotant ses actions et décisions virtuelles de la capacité de modifier la représentation du monde historique comme il l’entend. D’ailleurs, la description même rédigée par ses concepteurs est claire à cet égard.
Les deux titres offrent au joueur un espace virtuel qui permet la reconstruction du passé et l’insertion du joueur. C’est pourquoi les interactions avec ces espaces deviennent uniques et exclusives en raison de la variabilité qu’ils offrent et de la quantité et de la variété des réponses aux décisions et aux actions de l’utilisateur sous la forme d’hypermédias, qui, selon Manovich :
[…] constitue une autre structure fort répandue des nouveaux médias, conceptuellement proche de l’interactivité par embranchement (car ses éléments sont assez souvent reliés au moyen d’une structure arborescente). Dans l’hypermédia, les éléments multimédias constituant un document sont interconnectés au moyen de liens hypertextes. Ils sont donc indépendants de la structure plutôt que liés à celle-ci, comme dans les médias traditionnels27.
Dans la représentation du passé médiatique déployée par les nouveaux médias, chacun des utilisateurs, spectateurs, lecteurs, joueurs, etc., interagit avec une version différente de l’objet grâce à l’inclusion d’éléments hypermédias, dans les limites imposées par le concepteur. Tels sont les cas que j’ai présentés pour illustrer cette section : les décisions y sont prises en fonction de structures hypermédias à caractère arborescent, ce qui signifie qu’il n’y a pas deux chemins identiques.
Capture d’écran de l’arbre de décision concernant l’Espagne républicaine dans le jeu suédois Hearts of Iron IV.
Graphique réalisé par un utilisateur de Civilization IV reprenant l’ensemble des décisions technologiques de la civilisation mésopotamienne dans le jeu vidéo.
Babylon, « Tech tree for Babylon », Reddit, 8/5/2021 (consulté le 8/5/2022).
La deuxième image met en évidence les différents chemins que le joueur peut emprunter pour personnaliser la civilisation qu’il a choisie, Babylone, dans le jeu vidéo Civilization VI. C’est cette structure ramifiée qui permet à chacun d’avoir des interactions uniques et singulières avec la représentation du monde historique déployée dans l’espace virtuel. Les jeux de « haute stratégie », tels les deux titres choisis, présentent ce phénomène à son niveau le plus puissant : le joueur doit guider une culture ou une communauté politique de la Préhistoire à nos jours, en générant, par le biais de ses propres décisions et en accord avec les possibilités de l’objet numérique, de nouveaux discours historiques globaux plus vastes, adaptés à ses préférences.
Il n’est guère aisé de combler les espaces qui séparent les différentes branches de l’arbre hypermédia et de les recouvrir d’une strate qui offre contexte, nuance et critique herméneutique ; c’est au créateur de l’œuvre d’imaginer de nouvelles façons pour y parvenir. Le nouvel écosystème numérique dans lequel nous nous trouvons placés offre des possibilités infinies en termes de solutions comme, par exemple, l’inclusion d’hypertextes qui facilitent l’insertion du contexte historique de l’objet. Selon la théoricienne Marie-Laure Ryan :
Ce mécanisme [l’hypertexte] favorise une approche typiquement postmoderne de l’écriture, étroitement liée à ce que Lévi-Strauss a décrit comme le « bricolage ». Selon la description de Sherry Turkle28, dans ce système d’écriture, l’auteur n’adopte pas une méthode « descendante », ne part pas d’une idée donnée pour la décomposer ensuite, mais procède « de bas en haut », en assemblant des fragments relativement autonomes, l’équivalent verbal des objets trouvés, jusqu’à ce qu’ils constituent un artefact dont la forme et le(s) sens sont reconstruits par le processus de liaison29.
Le spectateur et le lecteur d’une œuvre d’histoire feront alors le lien entre les différentes images, éléments de création individuelle, qui y apparaissent, favorisant d’autant plus la variabilité de leur expérience virtuelle du passé, dans la mesure où cela leur permet de jouer un rôle qui n’existe pas dans les œuvres de fiction historique traditionnelles. Aussi les historiennes Tessa Morris-Suzuki et Ann Rigney ont-elles préconisé le recours à cette ressource pour les ouvrages d’histoire. Dès 2005, la première a préconisé de faire appel à des liens hypertexte pour la production d’œuvres historiques, étant donné que « l’hypertexte numérique est un excellent moyen de présenter une série interconnectée de courtes déclarations exprimant différentes perspectives sur le même événement historique30 ». Morris-Suzuki faisait ici référence à un site Web consacré au navire La Amistad, une goélette marchande espagnole à bord de laquelle se produisit, en 1839, une rébellion d’esclaves, alors que le navire naviguait au large des côtes de Cuba. Cet événement a inspiré le film Amistad (1997) de Steven Spielberg. Morris-Suzuki défend la valeur supérieure du site Web hébergé sur le site de Mystic Seaport par rapport à l’œuvre de Spielberg : en effet, ce dernier n’exprime qu’une seule interprétation fictionnelle et narrative de ce qui s’est passé, tandis que le site web permet à l’utilisateur de découvrir, en dirigeant ses propres pas, toute une série de données et d’informations sur les esclaves du navire et leur trajectoire ultérieure aux États-Unis. Cependant, avertit Morris-Suzuki, cette caractéristique présente elle aussi un problème : l’hypertexte tend à fragmenter plutôt qu’à synthétiser l’information, à varier l’expérience plutôt qu’à l’homogénéiser, et rend difficile l’élaboration d’interprétations générales, car cette tendance à la fragmentation favorise l’individualisation de l’expérience du passé. Dès lors que, parmi les nombreux hyperliens, l’utilisateur en choisit un et un seul, l’intrigue qui en résulte finit par être unique, ce qui ajoute aux problèmes que j’ai déjà signalés dans les pages précédentes. C’est pourquoi, comme dans le jeu vidéo, le concepteur doit veiller à présenter suffisamment d’informations dans les différentes étapes pour que les utilisateurs partagent une conception générale de l’événement. En résumé, et selon Manovich :
Le principe de variabilité est utile parce qu’il nous permet de relier de nombreuses caractéristiques importantes des nouveaux médias qui, à première vue, pourraient sembler sans rapport entre elles. En particulier, les structures populaires des nouveaux médias telles que l’interactivité arborescente (ou menu) et les hypermédias peuvent être considérées comme des exemples particuliers du principe de variabilité. Dans le cas de l’interactivité arborescente, l’utilisateur joue un rôle actif en déterminant l’ordre dans lequel il accède aux éléments déjà créés ; il s’agit du type d’interactivité le plus simple. Mais il en existe aussi de plus complexes, où tant les éléments que la structure de l’objet dans son ensemble peuvent être modifiés ou générés à la volée, en réponse à l’interaction de l’utilisateur avec le programme. Nous pouvons qualifier ces applications d’interactivité ouverte, pour les distinguer de l’interactivité fermée, qui utilise des éléments fixes disposés dans une structure arborescente fixe. L’interactivité ouverte peut être mise en œuvre selon diverses approches, allant de la programmation informatique procédurale et de la programmation par objets à l’intelligence artificielle, la vie artificielle et les réseaux neuronaux31.
Dans cette section, nous avons examiné les applications d’interactivité ouverte – les jeux vidéo qui contiennent des outils d’édition et des moteurs de développement automatique – et les applications d’interactivité fermée – les jeux vidéo dont les possibilités sont limitées par des concepteurs qui privilégient une ligne parmi toutes les lignes possibles, ou qui du moins essaient de guider le joueur selon cette ligne. Ces deux types d’objets permettent à l’utilisateur de créer sa propre interprétation du monde d’hier en fonction de ses intérêts et de ses préférences du moment. Sans doute est-il possible de guider, à travers la conception de l’œuvre, l’utilisateur sur un chemin particulier ; il n’en reste pas moins que de nombreux autres chemins possibles naissent de la liberté dirigée dont disposent les utilisateurs au sein d’une œuvre interactive32. Mais c’est l’interactivité ouverte qui favorise une plus grande hyper-individualisation des représentations du monde historique, comme c’est le cas dans les réseaux sociaux.
Ce phénomène illustre une nouvelle lecture de l’histoire qui perd progressivement son caractère social pour prendre un nouveau caractère, individuel. Il faut y voir la conséquence de l’essor d’une nouvelle logique du temps et de la production médiatique qui renforce et consolide cette nouvelle perception du temps. Comme l’explique Manovich :
Le principe de variabilité illustre la manière dont la transformation des technologies médiatiques est corrélative de changements sociaux. Si la logique des anciens médias correspondait à la logique de la société industrielle de masse, celle des nouveaux médias correspond à celle de la société postindustrielle qui valorise l’individualité aux dépens de la conformité. Dans la société industrielle de masse, tout le monde était censé bénéficier des mêmes biens de consommation et partager les mêmes croyances. La technologie médiatique relevait elle aussi de cette logique. Un objet médiatique était assemblé dans une usine médiatique (un studio hollywoodien, par exemple). Des millions d’exemplaires identiques étaient produits à partir d’un original et distribués à tous les citoyens. Les émissions radiophoniques, le cinéma et l’imprimé obéissaient tous à cette logique33.
Dans les représentations du monde historique, et grâce à ces objets médiatiques construits de manière homogène, les citoyens de n’importe quel pays pouvaient partager une série de références communes qui diffusaient une vision similaire de l’histoire. Aujourd’hui, la variabilité de ces médias a brisé cette perception et a mis à l’écran une infinité de représentations parmi lesquelles l’utilisateur a le choix. Cette situation détruit la composante sociale de la perception du monde historique et entrave d’éventuels projets politiques fondés sur une même interprétation du passé.
L’intégration du « Je » dans le passé virtuel
Les différentes manières qu’a la variabilité de se manifester dans les jeux vidéo, comme nous l’avons mentionné au début, renforcent toutes l’expérience hyper-individualisée des représentations du monde historique dans les médias interactifs. C’est le cas, par exemple, de la capacité d’immersion, qui permet à l’utilisateur d’entrer virtuellement dans le passé médiatique élaboré pour son plus grand plaisir. Ainsi, grâce à la variabilité des images interactives et des contenus hypermédias, il peut suivre un chemin à chaque fois différent et varier sa traversée de l’histoire, diluant ainsi l’expérience commune.
Selon Murray, ce qui détermine le caractère figuratif du jeu vidéo est sa réactivité aux décisions de l’utilisateur. La plupart des jeux vidéo narratifs réalisent leur potentiel figuratif par l’intégration de personnages non contrôlés par l’utilisateur. Cette décision oblige le concepteur à mettre en œuvre une certaine dose d’intelligence artificielle qui lui permet d’interagir avec le joueur de la manière la plus cohérente possible. Au fur et à mesure de l’évolution du média, l’intelligence artificielle a gagné en complexité. Dans le contexte de la représentation virtuelle du passé, cela suppose toute une série d’actions telles que la conception de comportements sociaux et la prédiction des réactions du joueur à des scénarios historiques.
Ces deux caractéristiques, la conception de comportements et les efforts pour anticiper les actions du joueur, ont pour conséquence et conclusion les plus fréquentes la création de situations déjà connues du joueur, la remédiation. Selon Janet Murray, ces deux phénomènes sont consubstantiels à l’ordinateur en tant que créateur d’histoires :
L’enthousiasme avec lequel les gens s’engagent dans le dialogue avec Eliza montre également la deuxième propriété fondamentale des ordinateurs : leur organisation participative. Si la succession des procédures nous séduit, ce n’est pas parce que l’ordinateur se comporte selon un code de règles, mais parce que nous pouvons provoquer certains comportements. L’ordinateur répond à nos actions. Tout comme la propriété figurative fondamentale de la caméra de cinéma et du projecteur est la capacité de montrer une action qui se prolonge dans le temps à travers la photographie, la propriété figurative fondamentale de l’ordinateur est la codification des comportements de réponse. C’est ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que les ordinateurs sont « interactifs ». Nous voulons dire qu’ils créent un environnement qui est régi par des procédures successives et qui est participatif34.
Les représentations du monde historique élaborées dans les médias informatiques sont créées comme un scénario dans lequel le joueur doit occuper un rôle et interagir avec son environnement virtuel par le biais, dans le cas du jeu vidéo, de mécanismes et de modèles de conception (le système central du jeu vidéo) dans des limites qui peuvent être modifiées (mods ou appropriation et transformation du code). Ce qui rend « figuratives » ces représentations du monde historique ce sont les réponses offertes par les éléments avec lesquels le joueur interagit, la capacité de faire en sorte que le joueur se sente partie prenante. Les situations perçues comme les plus réelles ou les plus proches de la réalité seront toujours celles qui sont cohérentes et familières, et cette familiarité ne peut être obtenue que par la répétition des mêmes scènes d’une œuvre à l’autre, car elles créent un passé médiatique familier pour le joueur, qui en attend des réponses déjà connues de lui à certaines actions déjà familières. Par exemple, dans un jeu vidéo de tir à la première personne, le joueur s’attendra à ce que son adversaire meure d’un coup de feu sans montrer de signes de douleur. Cependant, cette situation d’action – une réponse qui sera familière au joueur parce qu’elle s’est imposée comme un lieu commun du genre – conditionnera complètement la reconstruction du monde historique au sein de l’œuvre. En effet, le concepteur doit construire l’action de telle manière que l’utilisateur n’établisse jamais de liens empathiques avec le personnage abattu en introduisant des mécanismes associés à la déshumanisation. En ce sens, la familiarité avec les réponses est cruciale, tant en ce qui concerne les décisions prises par les créateurs de l’objet au regard de l’intelligence artificielle que les interactions de l’utilisateur avec les personnages non-protagonistes qui peuplent les espaces virtuels. Toujours selon Murray :
L’environnement fantastique donne à l’utilisateur un rôle familier et permet aux développeurs d’anticiper les réactions du joueur. En utilisant ces conventions littéraires et ludiques pour limiter les actions du joueur à un ensemble restreint de commandes parfaitement adaptées, les concepteurs ont pu concentrer leur imagination pour que le monde virtuel réponde de manière appropriée à n’importe quelle combinaison de ces commandes35.
Cependant, il existe une autre façon de faire en sorte que le joueur se sente partie prenante du jeu : qu’il se représente à l’intérieur. C’est souvent le cas dans les jeux vidéo axés sur l’histoire. La société à l’origine de Red Dead Redemption 2 (2018), par exemple, a créé un réseau social similaire à Instagram pour encourager les joueurs à partager des captures d’écran de leur progression dans le monde virtuel. Les développeurs du récent titre Ghost of Tsushima (2020) ont concentré une grande partie de leurs efforts sur la construction d’un « mode photo » capable de prendre des images spectaculaires de leur reconstitution du Japon du XIIIe siècle. Cette décision a eu un impact sur la réception de l’œuvre par les utilisateurs, qui ont commencé à partager sur les médias sociaux leurs propres photographies dans le jeu. Les studios de jeux vidéo d’histoire, en particulier ceux dont les œuvres peuvent être classées comme relevant du passé médiatique, favorisent et encouragent la diffusion de leurs images spectaculaires par la capture et la diffusion ultérieure de celles-ci sur les réseaux sociaux augmentées des photographies virtuelles prises par les joueurs. Cette orientation récente, de plus en plus significative, impose une nouvelle contrainte au studio de développement : la nécessité de représenter des scènes dignes d’être capturées et partagées. Ce succès n’aurait pas été possible sans la conviction répandue que, dans « notre présence en ligne », selon Martín Prada,
[…] nous devons être, à chaque instant, capables de démontrer que nous avons une vie « à nous ». Et, bien que cela puisse paraître paradoxal, il semble que sur le net la vie ne devienne « nôtre » que lorsqu’elle a été partagée, comme si rien ne valait vraiment à moins d’être partagé en tant qu’image, à moins de prendre cette dimension distribuée et circulatoire qui en fait l’objet d’une attente collective36.
Le passé médiatique hyperindividualisé, celui qui offre à chacun l’objet numérique qui lui plaît, est créé lorsque l’utilisateur le partage sur les réseaux sociaux ou les plateformes de vidéo en direct. L’interprétation personnelle de notre voyage dans un temps et un espace donnés ne reste pas en nous, mais nous la faisons connaître à travers différents espaces que nous partageons avec d’autres utilisateurs. Ainsi pouvons-nous trouver sur l’internet une myriade d’interprétations capturées dans différentes œuvres et hiérarchisées en fonction de leur impact sur des écosystèmes virtuels divers et variés. Une économie de l’image et de l’interprétation du passé se met en place autour de ces services. Selon Brea, la valeur d’une image répond à sa popularité et à sa présence continue sur le plus grand nombre d’écrans possible37.
Les images obtenues et partagées dans Ghost of Tsushima, Red Dead Redemption 2, Assassin’s Creed : Oddissey, etc., tant sur les services internes des entreprises qui les ont développées que sur les réseaux sociaux de l’utilisateur, sont destinées à « appartenir aux nombreux [joueurs], à faire partie d’une communauté. Cependant, nous connaissons depuis des années l’existence de ce que l’on appelle la « bulle de filtrage », l’état d’isolement intellectuel provoqué par l’algorithme de certains réseaux sociaux qui ne montre à l’utilisateur que des opinions similaires à celles qu’il a lui-même exprimées et renforce ainsi la polarisation de leurs utilisateurs. Ainsi les réseaux sociaux consolident-ils les perspectives, les points de vue et les discours sur le passé qui sont en vigueur dans des groupes spécifiques grâce à l’impact que certaines images ont sur eux. Selon le critique des médias et des réseaux Geert Lovink :
L’éducation aux médias s’apparente désormais à une méfiance à l’égard des médias et non plus à une critique fondée sur des faits. Au lieu de prendre en compte les témoignages d’experts, il suffit désormais d’exposer sa propre expérience. L’indignation a triomphé, le débat raisonnable s’est atrophié. Il en résulte une culture fortement polarisée qui favorise le tribalisme et l’autoségrégation38.
Cette méfiance s’est également étendue au métier d’historien, qui n’est plus nécessaire pour traiter de tout sujet lié au passé. Il suffit de faire allusion à la représentation du monde historique, à sa propre expérience et à sa mémoire, pour que n’importe quelle opinion soit considérée comme une preuve, qui atteindra son efficacité maximale si elle parvient à attirer l’attention. Tant ces images que les messages partagés et diffusés par le biais de la sphère numérique doivent se distinguer pour conserver leur valeur. C’est précisément dans ce but que les créateurs de jeux accentuent les aspects spectaculaires et les plus évidents de leur configuration emblématique, tout en permettant la personnalisation des avatars et en accentuant l’introduction d’effets spectaculaires qui parviennent à attirer l’attention au sein de la communauté et à s’y distinguer. La relation du joueur avec la représentation du monde historique est personnalisée à sa guise. Le jeu vidéo, et le passé médiatique élaboré, deviennent un moyen d’expression à la disposition de l’utilisateur, selon Éric Sadin :
Tous, aujourd’hui, nous disposons de moyens nous laissant croire que nous pouvons compenser nos failles, nos malheurs, nos échecs, non seulement en profitant sans compter des systèmes se proposant de plier le réel à nos désirs, mais plus encore par la pratique effrénée de la nouvelle passion contemporaine : l’expressivité39.
L’exercice de l’expressivité dans l’utilisation de l’histoire du jeu vidéo atteint des sommets dans les portraits des avatars numériques, qui sont au cœur du désir de se démarquer de la foule des joueurs-photographes. Ces autoportraits numériques, ou « selfies virtuels », ouvrent de nouvelles perspectives sur l’identification du joueur à la représentation du monde historique. Le « selfie », selon Fontcuberta, « introduit un changement plus substantiel, car il renverse le noème éculé de la photographie : “ceci a été”, pour un “j’étais là”. Le selfie a plus à voir avec l’état qu’avec l’essence. Il remplace la certification d’un fait par la certification de notre présence dans ce fait, par notre condition de témoin40 ».
Le « selfie », ou autoportrait virtuel, permet à l’utilisateur de s’insérer dans le jeu vidéo et de capturer le personnage principal comme s’il s’agissait de lui. Ce n’est plus une capture d’écran qui indique qu’il en a été ainsi, mais un « j’y étais », et cette différenciation est cruciale en ce qui concerne la représentation du monde historique. Le besoin de participation directe à l’image du jeu vidéo est l’une des caractéristiques mises en évidence par José Luis Brea pour l’image électronique et l’économie de l’image. Selon le théoricien de la culture visuelle, cette « économie de l’image génère de la richesse en proportion de sa capacité à induire et à formaliser – à travers la force médiatrice des imaginaires d’identification – des modèles de reconnaissance, des formations d’autoreprésentation dans lesquelles chacun projette et reconnaît la construction de sa propre vie41 ». Et c’est bien cela, offrir des modèles de reconnaissance et d’autoreprésentation pour tenter de construire sa propre vie au sein du jeu et du passé, que proposent des titres comme Red Dead Redemption 2 (2018), qui permet de modifier la perspective et la posture du protagoniste-avatar pour personnaliser le « selfie » et l’adapter aux goûts et préférences de la personne, et ainsi renforce encore davantage l’identification individuelle du joueur à son avatar.
Selfie virtuel pris dans le jeu vidéo Red Dead Redemption 2 où le personnage, contrôlé et personnalisé par l’utilisateur, pose à côté de deux cadavres congelés.
Cette image a été prise par « Radgeta », un usager du réseau social Reddit, et publiée sur ce support sous le titre « This couple froze when I asked for a selfie » (Ce couple s’est figé lorsque j’ai demandé un selfie). Tant la posture du protagoniste, qui pose et regarde l’appareil photo avec une tenue personnalisée par l’utilisateur, que le titre, établit une relation directe avec ce qui est représenté, le passé médiatique. Dans les commentaires qui suivent cette image, la relation directe avec l’histoire devient encore plus intense puisque certains utilisateurs posent d’autres questions comme, par exemple, où se trouvait le couple sur la carte, comment ils ont réussi à le trouver, etc., renforçant ainsi l’idée d’une interaction directe, personnelle et individualisée avec le passé médiatique.
Red Dead Redemption 2 incluait dans son « mode photo » un autoportrait virtuel. Cette fonction permettait au joueur de faire poser son avatar pour prendre une photo. Si, comme l’affirme Fontcuberta, le « selfie » permet de passer de « ceci a été » à « j’étais là », le « selfie » virtuel dans un jeu vidéo au contenu historique permet au joueur de faire partie de l’histoire, de la capturer et de la partager avec ceux qui le suivent. Cette définition est d’une pertinence rare étant donné que l’un des traits essentiels du passé est précisément qu’il n’existe plus, il vit dans un continuel départ. En revanche, dans le jeu vidéo d’histoire, il est possible de se représenter avec une certaine individualité, grâce aux fonctions de personnalisation modulaire, variable et automatique de l’avatar, à un certain moment d’hier. Nous pouvons nous représenter dans le passé et accentuer cette sensation qu’a l’individu contemporain d’être le centre et le moteur de l’histoire.
Le jeu vidéo de Rockstar n’est pas le seul à permettre ce scénario, d’autres offrent également une sensation similaire, par exemple Assassin’s Creed : Oddissey (2018). Ce titre de la société française Ubisoft permet à l’utilisateur de voyager dans la Grèce antique au Ve siècle avant Jésus-Christ et de s’y photographier, ouvrant la possibilité à des démonstrations telles que celle de « Lynxerax », un usager de Reddit :
Quand je me suis rendu compte que Socrate était dans le jeu, j’ai été stupéfait. Et je l’ai aimé dès la première conversation (Je ne suis pas arrivé beaucoup plus loin que ça dans l’histoire). C’est un parfait équilibre entre le chaotique, le réfléchi et l’agaçant. Je ne sais pas, je deviens dingue parce que j’aime la philosophie. Parfois, ce qu’il dit a si peu de sens qu’en réalité cela semble intelligent, et il discute pour se sortir de n’importe quelle situation, même quand il se contredit. J’adore ça. C’est peut-être un peu ennuyeux, mais je m’en moque42.
L’usager, dans sa description de son interaction virtuelle avec le personnage recréé de Socrate dans le jeu vidéo, parle de cette rencontre comme si elle était réelle. La conversation ainsi générée se poursuit entre les autres usagers, qui s’interrogent et parlent de l’authenticité de ce qui est montré sans jamais remettre en question des aspects tels que les sources utilisées par le studio, la manière dont le personnage prend place et les caractéristiques de l’œuvre. Cette attitude se répète avec d’autres personnages qui apparaissent dans le jeu vidéo, comme Hérodote ou Léonidas Ier. La conversation tourne toujours autour de « j’étais là et je l’ai vu » et maintenant je vais décrire l’événement.
Cette capacité unique du jeu vidéo laisse la porte ouverte à de nouvelles potentialités et permet de personnaliser notre rapport au passé par la prise d’images quasi-uniques. Cette pratique place l’utilisateur dans le jeu et dans la photo qu’il a l’intention de partager avec des connaissances ou des followers. « Cela nous permet de nous donner à voir en permanence », explique Martín Prada :
[…], cet avènement dans le regard de l’autre a cependant beaucoup à voir avec un besoin enfantin, comme lorsqu’un enfant, face à ce qu’il a dessiné ou construit, demande une reconnaissance parentale immédiate avec un « regardez ce que j’ai fait ! ». D’aucuns pourront en faire un business lucratif, mais, pour la plupart, cette transformation restera une simple aspiration : pouvoir gagner sa vie en la montrant sur le net est un rêve (frustré chaque jour) de la plupart des followers des si jalousées celebrities des réseaux sociaux43.
Joan Fontcuberta qui partage cet avis ajoute que, « dans les selfies les plus courants, la volonté ludique et auto-exploratrice l’emporte sur la mémoire. Prendre des photos et les montrer sur les réseaux sociaux fait partie des jeux de séduction et des rituels de communication44 ». En effet, des centaines de milliers de jeunes enregistrent et diffusent continuellement leurs jeux sur différentes plateformes telles que YouTube ou Twitch avec l’intention de devenir le « youtuber » ou le « streamer » du moment. Cette caractéristique est du reste mise en avant par Sadin pour illustrer son idée de « tyrannie de l’individu ». Selon le philosophe :
En 2005, est créé le site d’hébergement de vidéos YouTube, qui choisit comme slogan « Broadcast Yourself » (diffusez-vous). Formule à entendre dans un double sens, invitant à la fois les utilisateurs à devenir leur propre programmateur autant qu’à engager une visibilité d’eux-mêmes45.
Depuis, les canaux d’utilisateurs qui programment leurs propres expériences historiques virtuelles hyper-individualisées n’ont cessé de se développer. En effet, il existe sur Internet des dizaines de guides pour améliorer ce « fait de nous donner à voir en permanence » et améliorer la manière dont « nous interférons dans le regard de l’autre » pour réaliser notre objectif d’obtenir une position privilégiée dans le système de célébrité déjà établi et créé par la nouvelle culture du « voir et partager » des jeux vidéo. Le passé sert alors de toile de fond, mais dans nombre non négligeable de parties, il arrive aussi que des discours et des interprétations du passé historique s’élaborent autour de ces images.
Les selfies virtuels ne sont généralement pas pris dans une intention commémorative, « mais pour la visualisation et l’expérience communes d’un présent continu », selon Martín Prada, pour qui « le désir de représentation à travers l’image a progressivement cédé la place au désir de présence. Nous pourrions dire que nous ne partageons plus tant des représentations que des états, convertissant une situation ou une émotion individuelle (représentée photographiquement) en support d’une relation sociale46 ». Les images prises dans les jeux vidéo d’histoire et partagées sur les réseaux sociaux font partie de ce présent continu dans lequel le passé médiatique s’est transformé en histoire.
Conclusion. Problèmes posés par l’hyper-individualisation de la représentation du monde historique.
L’histoire qui change en fonction des préférences et des décisions de l’utilisateur est une réalité dans les nouveaux médias tels que les jeux vidéo. La capacité d’expression que les réseaux sociaux et les plateformes offrent à l’expérience historique hyperindividualisée permet d’atteindre des publics que l’on n’avait peut-être jamais envisagés auparavant. Ce contexte, la possibilité de créer des relations individualisées avec le passé et de les projeter dans la société – existait déjà auparavant, mais il y a aujourd’hui une différence très importante de degré et d’intensité, comme nous l’avons mentionné au début de l’article, en faisant référence aux chiffres de vente et de consommation des jeux vidéo et aussi au pouvoir de la communication à l’époque contemporaine, comme Manuel Castells l’a étudié à juste titre dans son ouvrage Communication et pouvoir47. Selon l’historien de l’art Mitchell, ce problème de représentation a toujours existé, mais la pression exercée par l’écran est aujourd’hui incomparable à ce qu’elle était dans le passé48.
L’intensité de l’écran et la hiérarchie établie par les réseaux doivent nous faire réfléchir à la diminution, et plus encore, à la possibilité même d’une pensée historique commune, à la liquidation des référents historiques partagés et à l’élaboration d’une myriade d’histoires qui justifient une multitude de présentations. Nous ne voulons pas prétendre que les références historiques partagées sont en voie de disparition, pas plus que nous ne pouvons considérer ces expressions individualisées comme des manifestations du passé historique élaborées par des historiens, mais l’intensité et la surreprésentation des discours individualisés du passé, que nous avons décrite de manière récurrente au long de l’article, fait qu’elles peuvent soutenir ou remettre en question des expériences et des discours du passé largement acceptés. Nous ne pouvons pas oublier la pertinence du nationalisme numérique aujourd’hui, la capacité de certains pays à élaborer, via les médias électroniques, de nouveaux récits du passé49 et la manière dont ceux-ci jouent un rôle déterminant dans la formation matérielle de la politique internationale et de la géopolitique50. De plus, comme ces nouveaux passés individualisés sont basés sur des œuvres numériques, nous devons faire entrer dans l’équation [qui sont] ceux qui élaborent l’objet de base et qui permettent la distribution du résultat ; cette question mériterait une analyse plus approfondie. Srniceck, dans son travail sur le pouvoir des plateformes sociales, a déjà mis en garde contre le processus de monopolisation des informations que détiennent ces entreprises qui, en tant que propriétaires des sociétés d’édition, peuvent décider de ce qu’elles vont ou non censurer51. En fait, nous ne devons pas oublier, comme Manovich nous en a avertis, que le logiciel sur lequel les jeux sont construits porte également une idéologie et une vision du monde52.
Cet article a ainsi présenté toute une série de problèmes et de questions que l’historien du présent devra comprendre et utiliser à son avantage pour étudier et enquêter sur ce phénomène qui n’a cessé de croître depuis le début du XXIe siècle et qui menace de faire voler en éclats toute compréhension ou mémoire communes du passé.
Notes
1
Éric Sadin, L’Ère de l'individu tyran : la fin d’un monde commun, Paris, Grasset, 2020, p. 80.
2
Enzo Traverso, Le Passé : mode d’emploi. Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique, 2005, p. 9.
3
Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1998, p. 128.
4
Gilles Lipovetsky, L’Ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1989, p. 47.
5
Jean Baudrillard, Écran total, Paris, Galilée, 1997, p. 21.
6
Kristine Jorgensen, « “I’m Overburdened !” : An empirical study of the player, the avatar, and the gameworld », Proceedings from DiGRA, vol. 5, 2009, p. 8.
7
Jeff Grubb, « Morgan Stanley raises Battlefield 1 sales estimate to 15 million », VentureBeat, 23/1/2017.
8
DEV, Libro blanco del desarrollo español de videojuegos, Madrid, DEV - Asociación Española de Empresas Productoras y Desarrolladoras de Videojuegos y Software de Entretenimiento, 2022.
9
Ian Bogost, Persuasive Games : The Expressive Power of Videogames, Cambridge, The MIT Press, 2007, p. VII.
10
Marita Surken, Tangled Memories : The Vietnam War, the AIDS Epidemic, and the Politics of Remembering, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
11
Inez Hedges, World Cinema and Cultural Memory, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015.
12
Eric Hobsbawm, On History, New York, The New Press, 1997, p. 270.
13
Eric Hobsbawm, « Outside and Inside History », in On History, New York, The New Press, 1997, p. 5.
14
Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias,Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 112-113.
15
Le passé médiatique est une remédiation incessante de la mémoire esthétique qui parvient à maintenir une version en boucle d’un passé qui n'a jamais existé et que nous n’observons que sur des écrans. La viabilité de ce passé médiatique n’est soutenue que par sa demande et sa consommation dans le présent.
16
Selon Manovich : « Dans les années 1990, le domaine des nouveaux médias où l’utilisateur d’ordinateurs moyen rencontra l’intelligence artificielle ne fut cependant pas celui de l’interface homme-machine, mais celui des jeux vidéo. Presque tous les jeux commerciaux comprenaient une composante appelée “moteur d’intelligence artificielle” qui représente la partie du code informatique du jeu qui contrôle les personnages : conducteurs de voiture dans une simulation de course automobile, forces ennemies dans un jeu de stratégie comme Command and Conquer, attaquants isolés dans des jeux de tir subjectif comme Quake. Pour simuler l’intelligence humaine, les moteurs d’IA utilisent différentes méthodes allant de systèmes à base de règles à des réseaux de neurones artificiels. À l’instar des systèmes experts d’IA, les personnages des jeux vidéo ont une expertise dans un champ bien déterminé mais relativement restreint (comme par exemple attaquer le joueur). » Voir Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 107-108.
17
Selon Manovich, « on peut qualifier ce principe de “structure fractale des nouveaux médias”. Tout comme une fractale possède la même structure à des échelles différentes, un objet néomédiatique possède la même structure modulaire de part en part. La représentation des éléments médiatiques (images, sons, formes ou comportements), est disposée en échantillons discontinus (pixels, polygones, voxels*, caractères, scripts). Ces éléments sont assemblés en objets à plus grande échelle mais conservent leur identité propre. Les objets eux-mêmes peuvent être combinés en objets encore plus importants, sans perdre eux non plus leur indépendance ». Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 103.
18
Charlie Hall, « China’s Tencent just bought a piece of Paradox », Polygon, 27/5/2016.
19
Alberto Venegas Ramos, « Recuerdo y representación de la Shoah en el videojuego : Entre la construcción y la reconstrucción de la memoria », Revista Universitaria de Historia Militar, vol. 10, no. 20, 2021, p. 252-280.
20
Luke Winkie, « The Struggle Over Gamers Who Use Mods To Create Racist Alternate Histories », Kotaku, 6/6/2018.
21
« Kaiserreich », Steam, 24/9/2018.
22
Europe, T. N., « The New Order : Last Days of Europe – A New Millennium », Steam, 22/3/2022.
23
« Hearts of Iron IV », Steam, 6/6/2016.
24
Alberto Venegas Ramos, « Recuerdo y representación de la Shoah en el videojuego : Entre la construcción y la reconstrucción de la memoria », Revista Universitaria de Historia Militar, vol. 10, no. 20, 2021, p. 252-280.
25
Alberto Venegas Ramos, « Recuerdo y representación de la Shoah en el videojuego : Entre la construcción y la reconstrucción de la memoria », Revista Universitaria de Historia Militar, vol. 10, no. 20, 2021, p. 252-280.
26
« Sid Meier’s Civilization VI », civilization.com, 2016.
27
Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 114.
28
Sherry Turkle, La vida en la pantalla. La construcción de la Identidad en la Era de Internet, Barcelone, Paidós Ibérica,1997, p. 50-73.
29
Marie-Laure Ryan, La narración como realidad virtual : la inmersión y la interactividad en la literatura y en los medios electrónicos, Barcelone, Paidos, 2004, p. 24.
30
Tessa Morris-Suzuki, The Past Within Us: Media, Memory, History, New York, Verso, 2005, p. 215.
31
Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 118.
32
Víctor Navarro Remesal, Libertad dirigida : una gramática del análisis y diseño de videojuegos, Santander, Shangrila, 2016.
33
Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 119-120.
34
Janet H. Murray, Hamlet en la holocubierta, Barcelone, Paidós, 1999, p. 86.
35
Janet H. Murray, Hamlet en la holocubierta, Barcelone, Paidós, 1999, p. 91.
36
Juan Martín Prada, El ver y las imágenes en el tiempo de internet, Madrid, Akal, 2018, p. 72.
37
José Luis Brea, Las tres eras de la imagen, Madrid, Akal, 2010, p. 104.
38
Geert Lovink, Tristes por diseño : Las redes sociales como ideología, Bilbao, Consonni, 2020, p. 41.
39
Éric Sadin, L’Ère de l’individu tyran, Paris, Grasset, 2020, p. 18.
40
Joan Fontcuberta, La furia de las imágenes, Barcelone, Galaxia Gutenberg, 2016, p. 87.
41
José Luis Brea, Las tres eras de la imagen, Madrid, Akal, 2010, p. 104.
42
Lynxerax, « Oh my Socrates. (He is exactly like what I’d imagine him being like) », Reddit, 6/19/2023.
43
Juan Martín Prada, El ver y las imágenes, Madrid, Akal, 2018, p. 75.
44
Joan Fontcuberta, La furia de las imágenes, Barcelone, Galaxia Gutenberg, 2016, p. 50.
45
Éric Sadin, L’Ère de l’individu tyran, Paris, Grasset, 2020, p. 72.
46
Juan Martín Prada, El ver y las imágenes, Madrid, Akal, 2018, p. 104.
47
Manuel Castells, Communication et pouvoir, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, coll. 54, 2013 [2009].
48
William John Thomas Mitchell, Teoría de la imagen, Madrid, Akal, 2009.
49
Florian Schneider, China’s Digital’s Nationalism, Oxford, Oxford University Press, 2018.
50
Matthew Newton, « Russia Media Profile : Digital Patriotism and a Nationalist Agenda », The Henry M. Jackson School of International Studies, 6/9/2017.
51
Nick Srnicek, Capitalisme de plateforme : l’hégémonie de l’économie numérique, Montréal, Lux, 2018 [2017].
52
Lev Manovich, Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel, 2010 [2001], p. 240.
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