(Universidad Autónoma de Madrid - ERIAC)
Miguel de Cervantes a figé dans La Gitanilla (1613) les stéréotypes sur les Gitans qui se sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif jusqu’à nos jours. Cette « nouvelle exemplaire » renforçait l’idée d’une supposée nature, fondée sur la condition sociale et juridique des Gitans, qui empêchait l’assimilation dans la société majoritaire. Ce texte se centrera sur la représentation de l’enfance gitane entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, période durant laquelle cette vision perdurait. La tentative d’assimilation des mineurs gitans constitue un projet raté auquel s’ajoutera l’incapacité historique de transformer les pratiques et les habitudes des Gitans, dans un cadre de persécution et d’« extermination ». En s’appuyant sur des sources visuelles – photographie, peinture et gravure – et des sources écrites – romans et essais hygiénistes, principalement – nous analyserons les représentations de l’enfance gitane. Dépeints comme des enfants déguenillés ayant une tendance innée à la délinquance, ces images contrastent avec la volonté affichée de civiliser leurs coutumes à travers l’éducation, représentée par des figures comme celle du prêtre Andrés Manjón, dont le projet de ségrégation scolaire pour l’enfance gitane dans les écoles de l’Ave María sera analysé comme une étude de cas. Cependant, ces écoles n’ont pas abouti à une amélioration sociale notable pour les mineurs gitans, ce projet étant affecté par le poids d’un imaginaire antérieur.
Cette contribution s’appuie sur les méthodologies qui se réfèrent à la création en 2018 de la revue Critical Romani Studies, et par extension, sur le courant d’analyse proposé à travers son développement. Le trait le plus saillant de cette revue, éditée par l’université d’Europe centrale, est qu’elle insiste sur la nécessaire participation des Gitans à la production de connaissances sur leurs propres communautés. La coopération entre chercheurs gadjé (non gitans) et Gitans, et la suppression de la relation de pouvoir qui avaient jusqu’alors été en cours, du fait du monopole des connaissances scientifiques sur ce sujet, est aussi remarquable. Cette proposition est apparue spécifique au champ scientifique des Études gitanes. Bien que de façon tardive par rapport à d’autres champs d’étude concernant des populations, symptôme de l’état social dans lequel se trouvent les Gitans, les tendances néocoloniales ont aussi refait surface. Ainsi, dans les dernières décennies du XXe siècle, au moment où les Études roms et gitanes furent instaurées, la réponse apportée par les structures attitrées ne fut pas adéquate. Les pontes de la recherche menée jusqu’alors, canalisés pour la plupart par la Gypsy Lore Society, ont catalogué comme « scientifiques d’ONG » les jeunes chercheurs gitans et roms. Ceci révélait le rapport de pouvoir évoqué plus haut et la nécessaire critique du colonialisme. Leur publication impliqua aussi une rénovation de la trajectoire suivie jusqu’alors par le centre qui éditait la revue. Ce fut ainsi que le Romani Studies Program de l’université d’Europe centrale connut des changements non seulement avec l’admission de chercheurs gitans et roms de cette génération dans le groupe des enseignants-chercheurs, mais aussi avec l’adoption d’une perspective rénovée et plus critique dans les cours et les ateliers dispensés.
Ainsi, comme le souligne le chercheur gitan Helios Garcés, on s’est aperçu en Espagne qu’une colonisation interne affectait le développement théorique lorsque les Gitans devenaient des objets d’étude et que ce biais se transposait aux périodes qui précédaient l’analyse de l’information1. Appliqué à l’exercice historiographique, cela signifie que la manière dont on recherche et dont on organise les sources peut également être influencée par le fait colonial. Il ne revient pas au même de prendre comme éléments descriptifs les essais hygiénistes ou les portraits au lieu de les analyser du point de vue de la construction de catégories dans lesquelles la représentation et la réalité peuvent entrer en conflit. D’un autre côté, en Espagne également mais à une période plus récente, on a commencé à configurer les schémas théoriques nécessaires pour situer les études des chercheurs gitans au centre des analyses sur les communautés ethniques auxquelles ils appartiennent. L’anthropologue gitan Iván Periáñez Bolaño explique que le trauma colonial et les traces qu’il a laissées dans la mémoire gitane sous la forme de l’oubli, du syncrétisme et de la déformation, ne constituent pas un obstacle à une expression de la résistance et à un nouveau pouvoir d’émancipation dans le champ du savoir2. C’est également à l’université de Coimbra (Portugal) que les chercheurs gitans Sebijan Fejzula et Cayetano Fernández ont signalé que le problème principal ne relevait pas des Gitans qui produisent de l’histoire mais de ceux qui, sans l’être, portent de forts jugements de valeur dans le champ des études gitanes à partir de limitations épistémologiques souvent provoquées précisément par leur non-appartenance à la communauté étudiée3.
Cet article traite de la représentation de l’enfance gitane à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il a pour but d’analyser la représentation des filles et des garçons gitans, en établissant des points de comparaison entre les images et les sources écrites pour mettre en évidence l’ensemble des représentations et des préjugés sur l’enfance gitane. En particulier, nous aborderons la question des différences entre les images d’enfants gitans et des paysans, ainsi que des filles et des garçons gitans. Nous observerons comment les artistes conceptualisent les portraits familiaux et le thème de la maternité gitane au cours de cette période. Comme le montre l’historienne gitane Sarah Carmona, la représentation des Gitans n’a pas toujours été négative, mais elle a évolué « d’une interprétation herméneutique et positive de l’altérité vers un traitement négatif d’une extériorité radicale qui s’érige de plus en plus comme une anormalité4 ». Pour preuve, la première représentation (non byzantine) de Gitans connue à ce jour montre une femme gitane avec un bébé dans les bras de façon assez neutre5. Il s’agit d’une œuvre anonyme de la fin du XVe siècle conservée par la Galerie nationale de Prague. La représentation des Gitans est une constante dans l’art européen, mais ces images se sont multipliées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Comme le remarque Charnon-Deutsch « l’arrivée du nationalisme européen rendit de plus en plus importante la division dans la race blanche entre blancs clairs et individus plus basanés, et entre groupes primitifs et plus civilisés6. » Avec la consolidation des États-nations et l’apogée des discours nationalistes, les Roms et Gitans furent chaque fois davantage considérés comme un peuple attardé et pittoresque, à la fois proche et résistant à l’assimilation. Ils constituaient une curieuse anomalie dont les tenues et les coutumes contrastaient avec la population majoritaire, qui fascinait les artistes romantiques. À partir de là, la figure de l’homme, et a fortiori de la femme gitane ont été considérés comme des anti-modèles de la société dominante, que ce soit pour mettre en avant un exotisme ou pour insister sur un supposé caractère antisocial7. Dans ce qui suit, nous proposerons l’idée qu’il en est de même pour les garçons et filles gitans, dont les images ont été modelées en opposition au modèle bourgeois de l’enfant idéal, sous un prisme tout aussi colonial.
La représentation des groupes familiaux avec des bébés
Du point de vue iconographique, on peut distinguer trois modèles principaux de représentation de l’enfance à la fin du XIXe siècle qui, avec peu de variantes, s’additionnent et perdurent dans le temps. Les plus fréquents sont les groupes de familles avec des bébés, qui sont presque toujours représentés accrochés à leur mère aux côtés de leur famille proche – père, frères et sœurs et parfois grand-mère.
Gustave Doré. Famille nomades de musiciens (1847).
Par exemple, la gravure Famille nomade de musiciens (1847), de Gustave Doré, bien que le titre ne mentionne pas explicitement l’origine rom des personnages, contient les motifs caractéristiques de ce type de représentations. La famille, qui est représentée en marche, est composée du père, de la mère, de la grand-mère et de deux enfants. Ils sont montrés à un endroit indéterminé du chemin, en mouvement, accentuant ainsi leur condition nomade qui est le signe, pour l’artiste, de leur identité gitane, même si cette condition est historiquement erronée car les Gitans espagnols étaient pour la plupart sédentaires. Cette gravure rassemble deux des thèmes qui ont accompagné la représentation des Roms et Gitans dès leur apparition dans l’imaginaire européen. D’un côté, la tradition de leur représentation comme un peuple errant héritée du XVIe siècle se poursuit. À cette période, leurs tenues et leurs traits servaient d’inspiration aux artistes qui ne pouvaient pas voyager en Terre Sainte pour représenter des figures bibliques. D’après Carmona, la figure rom servait à la représentation de l’errance biblique, en particulier pour la thématique de la fuite d’Égypte : « C’est le thème du voyage, expiatoire, de transition, imposé par la volonté divine, qui est symbolisée par la figure rom et ses signes distinctifs8. » D’un autre côté, le thème de l’amour maternel-filial gitan est également présent, s’exprimant, évidement, en termes visuels à travers les bébés et plus rarement envers des enfants plus âgés. De ce point de vue, ils présentent un modèle de maternité et de famille qui suit fondamentalement les préceptes de l’idéal féminin des images mariales de l’époque. Le bébé dort tranquillement, ignorant les secousses, emmitouflé dans le châle de sa mère. Sous celui-ci, on devine ce que l’on appellerait aujourd’hui une écharpe de portage. La mère appuie ses lèvres amoureusement sur la tête de son fils tout en le protégeant d’un bras. Pourtant, on peut voir aussi un élément qui distingue la mère gitane de l’idéal blanc de la maternité. Alors qu’elle protège son fils d’une main, elle tient de l’autre un tambourin, instrument qui, à côté de la guitare paternelle, annonce la profession qui permet de nourrir la famille. La taille considérable du tambourin et la façon peu commode dont elle le porte pourraient faire référence au difficile équilibre entre les obligations de travail de la femme gitane et l’inéluctable devoir de mère de s’occuper de son bébé. En effet, la mère gitane ne travaille pas seulement en dehors du foyer. Elle vaque également d’un lieu à l’autre pour distraire les spectateurs. Un autre petit s’accroche aux jupes de sa mère. Comme ses parents, il marche pieds nus et il est couvert d’une chemise en guenille qui lui laisse le derrière à découvert. Ce détail du petit Gitan accroché aux jupes de sa mère est mentionné par Vicente Blasco Ibáñez dans La Horde (1905) qui décrivait des groupes de mineurs gitans comme « (…) les bandes de bambins couleur chocolat, pieds nus et le ventre à l’air, qui s’agrippaient aux jupes bariolées des mères ». Sur la gravure, la nudité du petit est, malgré les apparences, fidèle à la réalité du moment, puisque les familles gitanes laissaient les parties génitales des enfants à l’air pour démontrer l’existence d’une descendance masculine qui garantissait la continuité de la lignée.
Jean Laurent. Famille de bohémiens (Grenade, 1856-1886).
Dans Famille de bohémiens (Grenade, 1856-1886) de Jean Laurent, une photographie un peu postérieure à la gravure de Doré, l’attention du photographe suit un modèle semblable, avec un regard extérieur sur une famille gitane en mouvement. Elle fait partie d’une série qui rend compte de l’intérêt de l’auteur, comme de nombreux artistes et photographes étrangers à l’époque, pour le portrait de types et de coutumes populaires de l’Andalousie. Il s’agissait d’images très populaires qui se vendaient à l’étranger, ainsi qu’aux visiteurs français et britanniques qui parcouraient l’Espagne à la recherche de la singularité du peuple gitan. Ce type de photographies rapportait des bénéfices qui permirent à Laurent d’ouvrir deux magasins de photographie rue de Richelieu, à Paris, comme l’a rapporté Pérez Gallardo9.
Un autre artiste étranger, le peintre russe Evgraf Sorokin qui, comme Doré ou Laurent, faisait partie de ces nombreux voyageurs qui visitèrent l’Espagne, reproduit dans Famille gitane espagnole (1853) le thème de l’amour maternel-filial. Au centre de la composition, entourée des autres figures, la mère, qui se trouve assise sur un tissu à même le sol, entoure de son bras protecteur une petite fille de quelques mois qui, totalement nue, se trouve debout et a du mal à trouver l’équilibre. À l’ombre des treilles, profitant de la douceur du climat, le père, allongé au sol, joue de la guitare, en signe d’indolence, alors que son fils aîné danse pieds nus sur une natte. Dans ce cas précis, la famille n’est pas en voyage, mais les personnages sont représentés assis et allongés en dehors de leur domicile. La toile fait le portrait de l’unité sociale la plus importante pour les Gitans – la famille –, dans une scène qui reproduit l’instant de transmission patrimoniale du flamenco. Le regard de la fillette semble indiquer son désir d’imiter la danse de son frère aîné, alors qu’elle est trop jeune pour tenir debout. Il semble intéressant de noter, sur cette toile, la place du chien au premier plan, se reposant également comme un membre de la famille, faisant ainsi un parallèle entre l’animal et les humains. Comme nous le verrons plus loin, le thème de l’animalisation des Gitans – spécialement des garçons – sera l’un des traits les plus saillants du regard colonial porté sur la famille gitane.
Evgraf Sorokin. Famille gitane espagnole (1853).
Les enfants gitans : ensauvagés, animalisés et irrécupérables
Dans une communication récente, Aliénor Asselot décrivait le modèle idéal de l’enfant bourgeois qui apparaissait dans les journaux à visée didactique, destinés aux enfants espagnols entre 1840 et 189010. Illustrées à profusion, ces publications constituent une source visuelle très appréciable car elles dévoilent la sphère quotidienne des enfants aisés de l’époque. Elles permettent ainsi de comparer le modèle vertueux de l’enfant auquel aspiraient le public de ces publications avec l’image des enfants gitans à la même époque. Les enfants de bonne famille apparaissaient impeccablement vêtus, ce qui symbolisait leur statut social, mais aussi une société de consommation naissante, préoccupée par la façon de « présenter au monde » leurs enfants comme de futurs citoyens productifs. Au contraire, l’enfant gitan allait en guenilles, pieds nus et pouilleux, pour souligner les conditions d’habitation, le manque d’hygiène et la promiscuité qu’il subissait. Si on représentait les premiers dans des espaces fermés – généralement dans leur foyer – entourés de mobilier confortable et luxueux, les enfants gitans déambulaient en totale liberté dans des scènes naturelles et sans supervision paternelle. Dans les rares occasions où l’on représentait les enfants de familles aisées en dehors de l’espace domestique, c’était lorsqu’ils se rendaient dans un lieu précis, soit à l’église soit pour faire des courses avec leur mère. Au contraire, les enfants vagabonds parcourent à leur aise les champs sans ordre ni autorisation. Nous n’avons pas trouvé d’images urbaines d’enfants gitans, peut-être parce que ceux-ci sont associés avec des scènes de la nature, hors des espaces civilisés habités par les enfants bourgeois. Cependant, Benito Pérez Galdós décrivait ainsi l’ébullition de l’historique « quartier gitan » de Las Cambroneras dans Miséricorde (1897), un quartier de Madrid qui exista entre la moitié du XIXe siècle et les années 1930 :
« Dans les joyeuses bandes tout n’était que rires, plaisanteries, courses à droite à gauche. Les jeunes filles sautaient, les jeunes gens leur couraient après : les petits, en guenilles, faisaient des cabrioles, et seuls les ânes restaient graves et pensifs au milieu de tant d’agitation et de vacarme11. »
Les enfants qui sont décrits ici ne sont jamais individualisés. Ils agissent en groupe. En l’absence de leurs parents et d’une éducation cadrée, la nature et la rue sont leurs seules maîtresses. Un trait qui définit l’imaginaire de l’enfance gitane est qu’on ne lui reconnaît pas d’innocence et, par conséquent, que les bêtises d’aujourd’hui annoncent les crimes que ces enfants commettront demain. En conséquence, l’enfant gitan n’est jamais représenté par le modèle du « bon pauvre », docile et faisant preuve d’abnégation, qui travaille pour aider sa famille, décrit par Asselot. Il ne mérite pas, contrairement aux enfants de paysans pauvres, l’aide caritative accordée dispensée par des enfants privilégiés ou des membres de l’Église. Au contraire, il s’agit d’un enfant avec lequel il faut éviter tout contact. Son espace est la rue, où il apparaît souvent mendiant ou dansant, deux faits répréhensibles car ils dénotent la paresse et une dangereuse tendance à l’oisiveté et, par conséquent, au crime. De plus, plusieurs textes contemporains imputent à ces enfants de la cruauté envers les animaux, comme une préparation de la nature à leurs méfaits futurs :
« Ils volent les nids, écrasent les œufs, ils arrachent les yeux des chouettes, clouent les chauves-souris sur les portes des cavernes et les brûlent, devant leur famille qui profite du spectacle, alors que ce spectre reste suspendu comme un sinistre trophée. Ils apprennent à être cruels : ce sont d’abord des rapaces dénaturés qui deviennent ensuite des voleurs et des assassins.12 »
Il est encore plus fréquent que les mineurs gitans soient représentés non seulement comme violents envers les animaux, mais eux-mêmes animalisés. Francisco de Sales Mayo reprend, dans El gitanismo, historia, costumbres y dialecto de los gitanos (1870), les mots du docteur Sancho de Moneada, professeur d’Écriture sacrée à l’université de Tolède, qui adressa à Philippe III un discours célèbre dans lequel il traitait de « voleurs, sorciers et maléfiques » non seulement les Gitans adultes, mais aussi les femmes et les enfants, et où il demandait leur expulsion arguant « qu’il n’y a pas de loi qui oblige à élever des chiens-loups [sic]13 ». L’écrivaine Blanca de los Ríos les comparait également à des loups ou à d’autres animaux qui traquaient des créatures sans défense :
« Ce sont de petits louveteaux, ce sont les petits Gitans de l’avenir qui se forment : ils ont été élevés ainsi comme leurs parents. Les Gitanes sont souvent des aigles, […] les enfants des aigles, les oisillons des milans, sont ceux qui virevoltent autour de leurs nids14. »
L’animalisation des enfants gitans est une forme de déshumanisation qui n’a rien d’innocent, car elle tient pour acquis que leur manière d’être est innée, et donc immuable. Il est significatif, à l’inverse de ce que l’on trouve dans les représentations des enfants bourgeois, qu’il n’y ait pas de trait de religiosité dans l’enfance gitane, qu’on ne mentionne jamais leur crainte ou de leur confiance en la providence divine. En conséquence, ils sont non seulement considérés comme irrécupérables par la société, mais également vus comme des âmes qu’on ne peut pas sauver. Blasco Ibáñez les présentait de la façon suivante dans La horde :
« Le portail de la rue des Gitans vomissait de multiples groupes de petits enfants sales, qui avaient passé la journée à chanter en choeur, faisant sonner leurs castagnettes et prenant des cours de danse pour tromper la faim15. »
En conséquence de cette présomption d’apprentis délinquants qui pèse sur ces enfants, les œuvres artistiques et la littérature ne concèdent que de rares regards d’empathie, même lorsque ces enfants souffrent de la faim.
Les filles gitanes : sexualisation et parasitisme
De la même façon qu’il existe une différence entre la caractérisation des garçons et des filles de la bourgeoisie, fondée sur les attentes sociales et familiales, la représentation des filles gitanes diverge de l’image dévolue aux garçons. La première différence significative, tant dans les représentations visuelles que dans les sources écrites, se rapporte à ce qui détermine un regard masculin d’objectivation sexuelle envers les fillettes, justifiée par la couleur de peau. Benito Pérez Galdós qui, dans Miséricorde (1897), apportait une connotation négative à la description d’un groupe de Gitans madrilènes, affirme en revanche au sujet des filles :
« Certaines de ces filles avaient le teint si basané, presque noir, qu’il faisait ressortir les filigranes qui pendaient de leurs oreilles ; d’autres étaient couleur d’argile, toutes agiles et gracieuses, sveltes de taille et la langue bien pendue16. »
Mise à part cette insinuation quant à leur loquacité et à leur manque de retenue féminine qui ressort à la lecture de ce passage, les mots de Galdós sont clairement plus bienveillants que ceux qu’il consacre aux garçons gitans dans l’extrait cité plus haut. Il fait ici référence au caractère attractif et à l’élégance des filles gitanes, même s’il leur attribue la même saleté et la même misère qu’aux autres membres de la famille. Cela se répercute dans une sélection de motifs visuels. Sur les jupes des filles, par exemple, on peut distinguer quelques pièces ravaudées, mais elles n’apparaissent jamais aussi négligées que leurs frères.
Emilio Beauchy Cano. Sans titre (ca. 1880).
Le portrait familial photographié par Emilio Beauchy Cano autour de 1880 dans ce qui semble être l’entrée d’une grotte, attire l’attention sur le nu frontal de la fillette gitane17. Ce corps attire le regard du spectateur, comme une sorte de Vénus prépubère, encadrée par les jupes de celle qu’on peut supposer être sa mère. La pose des figures féminines – toutes assises et regardant l’appareil photo dans une composition triangulaire – contraste avec les positions du petit garçon et de l’adulte, en mouvement au second plan, n’attachant aucune attention au photographe au moment de la prise de vue. Cette divergence ne fait qu’accentuer l’idée d’une exposition de la femme ou de la fille « exotique », dont l’image est capturée pour être contemplée par des tiers. Comme sur la toile de Sorokin commentée plus haut, la nudité de la fillette, autour de laquelle sont disposés les autres membres de la famille avec un chien, là aussi, assis au premier plan, montre la persistance de certains motifs iconographiques au cours des décennies et des moyens visuels employés.
Un autre motif répétitif à retenir est le contraste entre les filles et les vieilles femmes de la communauté. Un bon exemple de cela est l’œuvre de Gustave Doré : Gitanes (Provinces basques, 1874). La composition est inhabituelle, elle montre une femme âgée allongée qui, l’air peu amical, se situe plus haut que le reste des personnages. Dans la frange inférieure de la gravure, on observe une fille qui en épouille une autre. Cette dernière est allongée dans la même position que la grand-mère, alors qu’elle s’amuse à caresser un chat, un animal qui, tout comme la présence de la vieille, pourrait faire référence à la sorcellerie ou aux arts divinatoires, professions qu’on associe à la femme gitane. Cette scène d’épouillage peut se lire aussi comme une association du Gitan à une plaie gênante et parasitaire. Ici, non seulement les supposées habitudes antihygiéniques sont mises en avant, mais l’image est elle-même le reflet d’un mode de vie parasitaire. Par conséquent, la confrontation entre ces deux petites Gitanes et la vieille rappelle que, tôt ou tard, ces filles deviendront elles-mêmes une plaie et qu’elles useront de leurs savoirs néfastes pour exploiter la superstition de la société bien-pensante. Enfin, il est important de s’arrêter sur le fait que les filles gitanes sont considérées comme plus âgées qu’elles ne le sont en réalité. En conséquence, si on niait aux garçons gitans leur innocence d’enfant, en les traitant comme des prédélinquants congénitaux, cette négation de l’innocence chez les mineures gitanes se traduit par un doute sur leur vertu :
« Comment doit sortir la colombe du nid des milans ? Tous les tulles de l’enfance, tous les voiles de la virginité se déchirent dans cette aspérité : dans cette boue, la tunique de l’innocence est tachée […]18. »
Gustave Doré. Gitanes (Provinces basques, 1874).
Contre ce que représentent ces images s’opposera le projet civilisateur qui, à travers l’éducation, essaiera d’éliminer les coutumes et les stigmates auxquels on associait les Gitans. C’est ce que tentera de faire le père Manjón, fondateur des écoles de l’Ave Maria, dont nous parlerons ci-dessous. Paradoxalement, ce sera l’intériorisation de ces images stéréotypées qui fera échouer ce projet et les futurs modèles éducatifs destinés aux élèves gitans.
Éduquer l’enfance gitane : civiliser leurs coutumes et élever leur esprit
Andrés Manjón (1846-1923) est né à Burgos et a poursuivi sa carrière dans l’enseignement supérieur à Madrid, où il s’établit pour devenir docteur en Droit et dispenser des cours à l’université. Cela lui apporta une stabilité économique qui lui permit de s’établir à Grenade et d’entrer comme séminariste à l’Abbaye du Sacromonte, où il fut finalement ordonné prêtre en juin 1886. Le contact avec les Gitans était pour lui inéluctable, puisque ces derniers vivaient principalement dans ce quartier du Sacromonte et dans d’autres quartiers comme l’Albaicín, en particulier dans les grottes qui, depuis des siècles, attiraient l’attention des voyageurs, attirant celle des romantiques au XIXe siècle et enfin celle de ce prêtre.
Manjón s’est intéressé aux Gitans « lorsqu’il entendit chantonner divers enfants qu’une vieille, qu’ils appelaient la maîtresse Migas, gardait à part dans une grotte moyennant de misérables rétributions. Il conçu alors l’idée de les éduquer19 ». C’est ainsi que le raconta le pédagogue Ézéquiel Solana dans son œuvre originale de 1922, ainsi que la presse dans les décennies suivantes, insistant pour mettre en valeur cette première rencontre. Ainsi, le journal La Unión Patriótica rapportait : « Tandis qu’il descendait [du Sacromonte] il mit de l’ordre dans ses idées pour les expliquer plus tard et en y revenant, il étudia les caractères de la race gitane, l’abandon inqualifiable dans lequel ils vivaient et le remède à tant de grands maux20. » La situation d’abandon des Gitans incita le prêtre de Burgos à acheter une maison et à commencer son projet particulier de scolarisation des enfants qu’il avait vus priant la Vierge, raison pour laquelle il donna à son institution le nom d’« Écoles de l’Ave Maria ». La bibliographie ne manque pas au sujet de Manjón et de ses écoles, puisqu’au-delà du cas de Grenade et les Gitans, il y eut des tentatives semblables dans tout le pays où fleurirent les « écoles de l’Ave Maria, de l’Andalousie à la Cantabrie, et de La Corogne à Valence21 ». Ainsi, son œuvre a été étudiée comme une institution novatrice ayant exercé une influence sur le développement pédagogique contemporain espagnol22. Pour autant, malgré les descriptions écrites par ce prêtre sur ces communautés23, les Gitans et l’enfance gitane n’ont pas fait l’objet d’une étude précise. Il n’existe pas non plus de contribution solide qui aborde le travail de Manjón en considérant les Gitans comme une catégorie socialement construite, se fondant sur les représentations et les préjugés qui s’inspirent d’une identification de leur « culture », décrite depuis longtemps comme homogène et endogamique, pour produire un récit du point de vue de l’altérité24. Le présupposé de départ de ces écoles se résume aussi à la contextualisation établie par Solana :
« En prenant comme point de départ le travail de la maîtresse Migas, le nombre d’enfants alla en augmentant, il les éduqua vertueusement et vit que bientôt beaucoup de ces jeunes apprirent à lire, que les coutumes du quartier s’améliorèrent et que ces premiers enfants gitans, éduqués et instruits par ses soins, devinrent plus tard des maîtres auxquels il put donner la charge de nouvelles maisons et écoles, où ils enseignaient à d’autres enfants aussi incultes qu’ils l’avaient été au départ, devenant peu à peu des hommes utiles pour eux-mêmes et pour leur patrie25. »
Cependant, dans le domaine restreint de la pédagogie critique du projet Manjón, le chercheur José Eugenio Abajo a remarqué que l’œuvre du prêtre n’a été un modèle que dans la mesure où il a été pratiquement le premier à s’intéresser à la scolarisation des Gitans. Quant à sa vision, elle restait critiquable car elle se référait aux Gitans à travers un prisme stéréotypé qui les représentait depuis des décennies comme les auteurs d’un mal auquel il fallait remédier. D’après Abajo, les logiques de Manjón s’inscrivaient dans ce que d’autres anthropologues de la seconde moitié du XXe siècle avaient déjà relevé, un travail missionnaire davantage centré sur l’évangélisation que sur la promotion scolaire26. Sur un plan plus technique, au-delà du fait de mettre Dieu au centre et à l’horizon de toutes choses, le projet se proposait d’éduquer les enfants, puisque la raison et la foi étaient considérées comme les outils de dépassement de l’immoralité et du déséquilibre social dans lequel ils vivaient. La première école ouvrit en octobre 1889 et, en quelques mois, elle passa de quatorze élèves à plus de deux-cents. Ainsi dit, cela semble être un franc succès, mais on ne doit pas oublier que des pédagogues comme Manjón furent récupérés et promus dans la mémoire collective du franquisme après l’épuration de l’éducation et des maîtres issus de la Seconde République espagnole. Le projet de Manjón fut adopté largement par l’Église et les personnes qui s’y reconnaissaient. Un récit fut ainsi construit pour encenser les réussites du prêtre et le convertir en modèle. Cependant, face à l’affirmation que « les enfants jouaient et apprenaient… profitaient du fait d’écouter un maître qui leur apprenait tant de choses utiles et agréables et qui les aimait comme un père27 », d’autres intellectuels de l’époque pensaient différemment. Par exemple, l’écrivain Miguel de Unamuno, après avoir visité les écoles de Grenade, soutint que la méthode de Manjón était « erronée et même funeste », car elle ne se préoccupait pas vraiment du caractère enfantin des élèves ni de leur projection comme de futurs hommes de Dieu28. Ainsi, ce programme éducatif était assez éloigné de ce dont ces enfants, comme n’importe quels autres, avaient besoin pour suivre un complet itinéraire de formation au-delà des bases de la lecture et de l’écriture. Quoi qu’il en soit, la réception de la part de l’Église fut positive et une preuve en est, si on se tourne vers le présent, le processus de béatification d’Andrés Manjón qui débuta en 2020, à l’initiative de l’archidiocèse de Grenade, et qui invoquait les vertus évangéliques du prêtre portées à un niveau héroïque29. La presse de ces années s’en fit aussi l’écho en certaines occasions, demandant notamment aux lecteurs qu’ils fassent des dons en résumant le projet de cette façon :
« Ce vertueux prêtre a compati à la détresse dans laquelle se trouvaient des centaines d’enfants de la race gitane, abandonnés ou presque par leur famille, et voyant que leur manque d’instruction et de soin pouvait les transformer en des candidats à toutes formes de délits, conçut l’idée de les regrouper pour les éduquer physiquement et moralement, en devenant pour eux un véritable père. Le nombre de disciples augmenta, arrachés au vagabondage et à la vacuité… Des écoles pour enfants des deux sexes, avec des locaux distincts, selon leur âge…30 »
À cela s’ajoutait que depuis la fin du XIXe siècle, mais spécialement tout au long du premier tiers du XXe siècle, les représentations des Gitans dans la presse se développèrent dans le monde entier et particulièrement en Espagne, notamment parce que le développement et la transformation des villes modernes avait aussi apporté des changements dans l’industrie culturelle, coïncidant avec une présence accrue et une sédentarisation des Gitans dans ces villes. Ainsi, il n’était pas rare de trouver des articles qui renforçaient l’exotisme et le romantisme au sujet des communautés gitanes, vantant leur mysticisme et de leur vocation artistique. Écrivains et hygiénistes, quant à eux, soutenaient une image orientalisée et négative des Gitans dans leurs œuvres. Entre-temps, des articles ont vu le jour, en relation avec l’enfance gitane et sa scolarisation. Or, malgré une différence substantielle quant à la démarche spirituelle, ces articles continuaient à être liée au projet du prêtre de Grenade au siècle passé. Ainsi, par exemple, El Correo Español se fit l’écho en 1912 d’« un essai pédagogique naturiste, l’école zingara de Barcelone », « une œuvre semblable à celle que le père Manjón a développé à Grenade31 ». En l’occurrence, il s’agissait d’une initiative venant de la Société végétarienne de Barcelone, au sujet de laquelle on pouvait lire :
« Le fleuve Besós a à proximité de son embouchure de beaux bois, et d’agréables potagers. Les enfants gitans qui sont si nombreux dans ces parages y trouveront, gratuitement, l’éducation nécessaire et une alimentation saine et simple, qu’on leur distribue tous les jours sous les hospices de la Société végétarienne de Barcelone. Les petits Gitans font leur toilette en se baignant dans les eaux de la Méditerranée, ils aèrent leur corps avec les brises marines et la lumière du soleil. Rien de cela ne doit leur être étranger : ils sont les fils d’une race nomade (…). Il est plus raisonnable, me semble-t-il, de nommer ces endroits cliniques naturistes ou centres de réhabilitation …32 »
Au-delà de ce cas particulier catalan, nous voyons que l’Église, la presse, mais aussi une bibliographie plus récente, ont reçu de façon très positive l’enseignement du prêtre Andrés Manjón et la nécessité de s’occuper des Gitans, même si cela impliquait de notables démonstrations de paternalisme33. Il s’agissait d’ailleurs d’un substitut de paternité apporté par l’Église ou par les écoles, car selon ces dernières, les géniteurs gitans abandonnaient généralement leurs enfants et n’y prêtaient plus attention, du fait de l’état primitif dans lequel ils vivaient. L’idée de racheter ou de ramener à Dieu les âmes des enfants gitans viendrait par la suite. Pour l’instant, nous allons nous pencher sur les réflexions et les contributions particulières de Manjón sur les Gitans. Même s’il ne s’agit pas ici d’examiner minutieusement l’œuvre magistrale de Manjón sur les gitans, El Gitano et ultra34, il est néanmoins nécessaire de soulever quelques questions.
À l’époque, et durant tout le XXe siècle, les Gitans étaient communément désignés comme « race gitane ». Cette catégorie revêtait donc certains attributs qui les rendaient différents et se construisaient y compris sur le plan biologique. En effet, Manjón, comme beaucoup d’autres pédagogues, écrivains, politiciens ou intellectuels de l’époque, n’avait pas dépassé le darwinisme social et dans le cas des Gitans, cette tendance était encore plus forte.
« Dans leur situation présente, c’est une race dégénérée et cette dégénérescence est héréditaire, elle touche les plans physique, intellectuel et moral. Les Gitans naissent basanés, vivent maigres, ils sont nombreux à être faibles, bossus, ils habitent dans des porcheries, ils vivent de déchets, au hasard, ils gaspillent leur vie et vieillissent prématurément (…). La race gitane est une race éminemment menteuse et trompeuse, à tel point que le mensonge semble être inné chez eux. Dès leur naissance, ils apprennent à mentir et jusqu’à leur mort ils ne cessent de tromper, [c’est] une race ignoble pour ses flatteries et ses mensonges, qui n’inspire aucune confiance, ni par ses paroles ni par ses faits (…) Du fait de cette dégénérescence, la race gitane est inférieure et inassimilable aux races supérieures auxquelles elles pourraient s’assimiler, ce pourquoi elle se trouve éparpillée, dispersée entre les peuples, pour lesquels elle est comme un cauchemar, et dépréciée35 ».
Ce genre d’affirmations a déjà été relevé par des auteurs comme José Eugenio Abajo, déjà mentionné, ou l’historien Manuel Martínez36. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les réflexions concrètes de Manjón sur l’enfance gitane. Dans son ouvrage de 1895, Pensamiento de la colonia escolar, las escuelas del camino del Sacromonte, [Pensée de la colonie scolaire, les écoles du chemin de Sacromonte] ce prêtre expose quelques questions qui corroborent ce que nous avons déjà signalé. Entre autres, d’après Manjón, le « ferment de la race gitane, persistant dans la culture37 ». Tout d’abord, il affirme :
« L’objectif final de ces Écoles est d’éduquer et d’enseigner jusqu’à faire de ces enfants des hommes et des femmes honnêtes, c’est-à-dire sains de corps et d’esprit, bien développés, en condition d’employer leur forces spirituelles et corporelles pour leur bien et celui des leurs, en somme, des hommes et des femmes dignes du but pour lequel ils ont été créés et de la société à laquelle ils appartiennent38. »
Cette affirmation sous-entend, bien entendu, l’idée de faire en sorte que les Gitans coïncident avec le canon spirituel de l’Église catholique, mais elle s’approche aussi du discours sur le progrès associé à l’idée de productivité, en particulier à partir des récits qui ont émergé avec l’industrialisation. Mais pour cela, il faut d’abord éduquer ces enfants…
« Aux élèves les plus petits, on enseigne toutes les connaissances du premier enseignement, aux moyens on élargit les notions et on les complète encore avec les grands, et les plus appliqués et disposés à poursuivre des études restent dans les Écoles d’adultes pour se consacrer à un métier39. »
L’école était organisée par niveaux et l’idée était d’étendre l’accompagnement jusqu’à l’âge adulte. Nous n’allons pas entrer dans le détail de tout le programme, mais il semble néanmoins intéressant de souligner quelques éléments qui concernent l’analyse iconographique et littéraire. Le premier élément est l’enseignement de l’histoire sacrée et de l’histoire de la patrie :
« Histoire sainte : lue, racontée, gravée sur plaques, que l’on grossit avec des loupes, pour faire entrer les faits par les yeux et pour qu’ils se convertissent en maximes afin que cette Histoire représente la morale en action (…). Histoire de la patrie : seulement les faits les plus notables, s’ajoutant la géographie, avec le dessein de former le cœur des enfants40. »
L’enseignement de ces deux matières montre la matérialisation de la mentalité coloniale qui inspire le projet Manjón. Le renoncement à ce qui était considéré comme « culture gitane » doit se produire sur les critères de cette vieille assimilation. Celle-ci se manifeste dans l’éducation de l’enfant, à travers la transformation de ses normes morales. À cela s’ajoutent aussi le soin du corps et les aspects liés à leur présentation dans la société :
« Hygiène : en cela nos écoles sont uniques du fait de nos trois magnifiques villas, mais concernant les vêtements propres et l’alimentation saine, nous devons implorer la charité publique car la plupart de nos élèves ou bien vont nus, ou n’ont pas de chemise pour se changer, et ils connaissent presque tous la faim41. »
Bien l’école pût se vanter d’être de premier plan en raison de son emplacement, Manjón comprenait que cela n’était pas suffisant et demandait la charité pour améliorer l’hygiène et pour offrir des vêtements et des repas aux enfants. Ici, il ne s’agit pas tant de saleté que d’éviter la nudité et l’image d’un corps mal nourri. L’hygiène semblait donc plutôt liée à un aspect moral. Cet objectif du programme de l’école rejoint l’idée de Solana lorsqu’il affirmait « qu’il n’y a pas d’hygiène, et que sans hygiène il n’y a pas d’éducation physique, et sans hommes sains et robustes il n’y a pas de race ni de patrie42 ». En plus de l’aspect moral, le projet était lié au projet national d’un point de vue non seulement culturel mais aussi biologique, ce qui coïncide avec les discours eugénistes et sur l’euthanasie du XIXe siècle. Un autre aspect de cette volonté d’hygiène morale se retrouve concernant d’autres groupes non gitans, faisant partie de l’organisation de la population générale. Il s’agit soit de normes religieuses, soit de division entre les sexes :
« Travaux. Les enfants doivent s’exercer à des travaux des champs au fur et à mesure de leur développement (…). Les filles doivent s’exercer aux travaux propres à leur sexe, spécialement à ceux que doit connaître toute femme pour son foyer, comme balayer, frotter, laver, coudre, repriser, découper, fabriquer et marquer toutes sortes de vêtements, tricoter, repasser et broder.43 »
On cherche à mettre en place une division sexuelle, inexistante chez les Gitans, et plus particulièrement dans l’organisation spatiale des habitations, qu’il s’agisse de grottes ou de maisons basses. Par conséquent, on essaie d’éradiquer le fait d’être « mélangés » de façon immorale dans les grottes. Ce problème considérant la possibilité de la promiscuité a toujours préoccupé l’Église, d’où son intérêt pour la division de l’espace. Cela coïncide donc avec ce que Manjón appelle la « démoralisation de la famille44 », fait aggravé dans le cas d’élèves « enfants vagabonds de pères dégénérés45 ». Il y consacre d’ailleurs un chapitre entier de son livre, chapitre intitulé « Mais les Gitans sont-ils éducables ? » et dans lequel, entre autres caricatures typiques de la « race gitane », il explique que :
« Il faut civiliser les Gitans comme les Indiens, en supportant leurs défauts, en les traitant comme des enfants mal élevés, en exigeant d’eux peu d’efforts, en les aidant à vivre, en encourageant et en purifiant l’amour de la famille…46 »
On constate que l’éducation des Gitans et plus spécifiquement la transformation des coutumes de l’enfance gitane s’est hybridée avec la pensée coloniale qui avait déjà opéré de l’autre côté de l’Atlantique avec les Indigènes47. En examinant ces apports, ainsi que leur réception dans diverses instances, l’étude ce projet semblait justifiée. Pourquoi faisons-nous référence à cette expérience comme à un échec ? Une première réponse se trouve dans l’appréciation concernant Manjón mais aussi concernant de nombreux autres écrivains, hygiénistes, politiciens et journalistes, sans parler de la société en général, au sujet des Gitans. C’est-à-dire un prisme au travers duquel les Gitans apparaissent comme une race particulière, étrangère au reste du monde et qui, de par ses coutumes et sa nature est un groupe irrécupérable, malgré tout le travail qu’on peut faire avec lui. Manjón lui-même le reconnaissait en affirmant :
« Sur le plan moral, on observe un autre fait encore plus triste, généralement, lorsque les enfants ou les adolescents quittaient l’école pour l’atelier, ils changent d’aspect, de langage et de conduite. Étant sortis de l’École innocents, parlant bien, sains et pieux, ils sortaient ensuite de l’atelier corrompus, grossiers, malades et sans pratiques religieuses48. »
Par conséquent, le prêtre lui-même prédit l’échec, lorsqu’il assure que les écoles religieuses sont l’unique moyen de convertir et de consolider l’homme. Cela appelle au moins deux remarques. D’un côté, cela confirme l’idée que les Gitans ne peuvent pas changer réellement à moins d’être toujours sur le chemin de Dieu. D’autre part, cela construit un lien de dépendance à ces structures pour éviter de commettre le mal, qu’il soit matériel, moral ou les deux à la fois.
Un autre constat d’échec se trouve dans deux réflexions où Manjón fait allusion au seul cas de Grenade. Il est vrai que des recherches récentes d’histoire orale on fait ressortir le témoignage de personnes gitanes âgées selon lesquelles, grâce aux Écoles de l’Ave Maria, elles avaient pu apprendre à lire et à écrire, et même recevoir une un début de formation dans des domaines inhabituels pour les Gitans (les travaux habituels étant la vannerie ou la vente ambulante…49). Ce qui rend leur témoignage intéressant, c’est qu’elles expliquent que les autres écoles ne voulaient pas des Gitans et qu’ils n’y avaient donc pas accès. Cela renvoie à la ségrégation scolaire dont continuent à souffrir aujourd’hui beaucoup de Gitans, en particulier ceux qui habitent les périphéries des grandes villes. En ce sens, les écoles de Manjón recelaient une possibilité d’échec en parallèle à ce qui pourrait s’appeler une « hétérotopie scolaire ». L’échec actuel est lié à une situation scolaire favorisée par des processus historiques de ségrégation et de persécution tout au long du XXe siècle, comme l’expulsion du Sacromonte et la création d’espaces relégués loin de la ville comme le Polygone d’Almanjáyar (quartier exclusivement gitan en banlieue). Ainsi, malgré les expériences tentées dans écoles de l’Ave Maria, les perspectives de succès s’évanouirent. La société elle-même, malgré la formation aboutie de quelques Gitans, continua à les discriminer, qu’ils aient ou non suivi des études. Cette question concernant la scolarisation et l’alphabétisation se pose non seulement à Grenade mais dans tout le pays. Elle constitue l’un des principaux défis en matière de politiques publiques. Malgré la mauvaise expérience des « écoles-ponts » au milieu du XXe siècle, les démarches erronées n’ont pas pris fin, comme le souligne le pédagogue gitan Fernando Macías Aranda50.
Ainsi, au-delà des images et des portraits, au-delà des tentatives hygiénistes et des apports littéraires, on a développé des projets à répercussion directe en termes d’« intervention sociale » auprès des Gitans, en mettant les enfants au cœur du processus. On pensait qu’à moins d’imposer un changement dans l’enfance gitane, la « dégénérescence de la race » serait la principale force qui mènerait les Gitans à leur fatale destinée.
« Enfant, Le Gitan apparaît mal formé et mal éduqué, mais dans sa jeunesse, il devient plus audacieux et pire encore, du fait d’une mauvaise organisation, de l’absence de culture et de piété, de l’exemple de ceux qui l’entourent, des besoins et des passions croissantes, de l’audace, de la bravoure et du caractère imprévisible du jeune âge. Ainsi, à huit ans, ils ne sont déjà plus des enfants, et à dix-huit ans ils ne sont pas des hommes, mais des êtres méprisables51. »
Notes
1
Helios F. Garcés, « El racismo antirom/antigitano y la opción decolonial », Tabula Rasa, nº 25, 2016, p. 225-251.
2
Iván Periáñez Bolaño, « Huellas del Trauma Colonial Romaní-Gitano en España (1499-1978). Narrativas de Recuperación y Reparación de un Pueblo con Historia (-s) », Open Library of Humanities Journal, nº 7, 2021, p. 1-19.
3
Sebijan Fejzula et Cayetano Fernández, « Anti-Roma racism, social work and the white civilisatory mission », in Stephen A. Webb (dir.), The Routledge Handbook of International Critical Social Work, Londres, Routledge, 2022, p. 389-402.
4
Sarah Carmona, « “Cubre a esos gitanos, que yo no pueda verlos”. Alteridad, exterioridad y éxtimo en la pintura europea del siglo XV al XIX. El paradigma romaní », in Ismael Cortés, Patricia Caro et Markus End (dir.), Antigitanismo. Trece miradas, Madrid, Traficantes de sueños, 2021, p. 126.
5
Voir l’analyse de Tímea Junghans, « Roma Art : an Epistemic, Political and Institutional achievement », Barvalipe, Roma Online University, ERIAC, 24 novembre 2020. En ligne : https://www.facebook.com/EuropeanRomaInstituteERIAC/videos/196661198596945/ (dernière consultation le 5 octobre 2023).
6
Lou Charnon-Deutsch, The Spanish Gypsy. The History of a European Obsession, University Park, PA, Pennsylvania State University Press, 2004, p. 88.
7
David Berná Serna, « Públicas, brujas y sumisas. La mujer gitana en los discursos de alterización identitaria europea hasta mediados del siglo XX », Historia Social, nº 93, 2019, p. 42.
8
Sarah Carmona, « Cubre a esos gitanos, que yo no pueda verlos. Alteridad, exterioridad y éxtimo en la pintura europea del siglo XV al XIX. El paradigma romaní », in Ismael Cortés, Patricia Caro et Markus End (dir.), Antigitanismo. Trece miradas, Madrid, Traficantes de sueños, 2021, p. 128.
9
Helena Pérez Gallardo, « Jean Laurent (1816-1886). Un fotógrafo y su empresa », Luz sobre papel. La imagen de Granada y la Alhambra en las fotografías de J. Laurent, Grenade, Patronato de La Alhambra y Generalife, 2007, p. 62.
10
Aliénor Asselot, « Cuerpos de niños e identidad social en los periódicos infantiles (España, años 1840-1890) » au séminaire Infancia : representaciones y prácticas cotidianas (1700-1939), UNED, 25 novembre 2022. En ligne : https://canal.uned.es/video/63846944b9130f12ff289152 (dernière consultation le 5 octobre 2023).
11
Benito Pérez Galdós, Misericordia, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2022 (1897), Chapitre XXVII. Sur ce quartier, on peut consulter l’article de Rafael Buhigas Jiménez, « Un espacio de producción y de sociabilidad laboral en las sombras de la capital. El barrio de las Cambroneras en Madrid (1868-1930) », in Santiago Castillo et Jorge Uría (dir.), Sociedades y culturas, Oviedo, Asociación de Historia Social, 2019, p. 403-425. Citation traduite par la traductrice.
12
Blanca de los Ríos, « La gitana », in Faustina Sáez de Melgar (dir.), Las mujeres españolas, americanas y lusitanas pintadas por sí mismas. Estudio completo de la mujer en todas las esferas sociales, Barcelone, Juan Pons, 1881, p. 593.
13
Francisco de Sales Mayo, El gitanismo, historia, costumbres y dialecto de los gitanos, Séville, Extramuros, 2008 (1870), p. 28.
14
Blanca de los Ríos, « La gitana », in Faustina Sáez de Melgar (dir.), Las mujeres españolas, americanas y lusitanas pintadas por sí mismas. Estudio completo de la mujer en todas las esferas sociales, Barcelone, Juan Pons, 1881, p. 593.
15
Vicente Blasco Ibáñez, La horda, Barcelone, Plaza & Janés, 1979 (1905), p. 235. Traduction de la citation par la traductrice.
16
Benito Pérez Galdós, Misericordia, Alicante, Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2022 (1897). Citation traduite par la traductrice.
17
D’après le registre de la Collection Maqueda-Goeury, la photographie transmise par José Luis Tirado indique que l’image pourrait correspondre à une famille d’Utrera. Sin título / Retrato de una familia gitana. En ligne : https://beauchyphoto.com/category-beauchy/beauchy-cano/retrato-de-familia-gitana-en-utrera/ (dernière consultation le 5 octobre 2023).
18
Blanca de los Ríos, « La gitana », in Faustina Sáez de Melgar (dir.), Las mujeres españolas, americanas y lusitanas pintadas por sí mismas. Estudio completo de la mujer en todas las esferas sociales, Barcelone, Juan Pons, 1881, p. 593.
19
Ezequiel Solana, Don Andrés Manjón. Sus obras y doctrinas pedagógicas, Madrid, Editorial Escuela Española, 1941, p. 4. Il est intéressant de souligner qu’une bonne partie des éditions du travail d’Andrés Manjón, ainsi que des textes qui analysent positivement son œuvre, ont été établies dans le cadre du national-catholicisme soutenu en Espagne durant la dictature franquiste (1939-1975).
20
La Unión Patriótica, 15 mai 1930. La ligne éditoriale de ce journal, ainsi que son titre, renforcent l’idée proposée dans la note précédente d’une promotion intéressée, développée sous le franquisme, de ce genre de pédagogues liés à l’Église et opposés au communisme comme l’était le prêtre Andrés Manjón.
21
Ezequiel Solana, Don Andrés Manjón. Sus obras y doctrinas pedagógicas, Madrid, Editorial Escuela Española, 1941, p. 5.
22
Quelques œuvres mises en avant sur le sujet : Francisco Canes Garrido, « Las Escuelas del Ave María, una institución renovadora de finales del siglo XIX en España », Revista Complutense de Educación, nº 2, 1999, p. 149-166 ; Antonio Romero López, La formación del carácter en Andrés Manjón, Malaga, Universidad de Málaga, Thèse de doctorat, 1985 ; José Montero et Andrés Palma, Pedagogía manjoniana: itinerario educativo propuesto por Andrés Manjón a las Escuelas del Ave María, Grenade, Editorial AVM, 2013.
23
Nous n’avons trouvé que des approximations, par exemple, José E. Abajo Alcalde, « El padre Manjón y la escolarización de la infancia gitana (cuando ser pionero no significa ser un modelo) », O Tchatchipen, nº 72, 2010, p. 27-35. Un article récent remarquable du même auteur : José E. Abajo Alcalde, « Andrés Manjón ; su obra y su influjo en el ideario franquista y en el antigitanismo », Educació i Història : Revista d’Història de l’Educació, nº 41, 2023, p. 33-64.
24
Un bon exemple de la pensée qui sous-tend la production de la connaissance scientifique est qu’on a continué à défendre et à excuser la pensée de Manjónau sujet des Gitans en raison des contextes dans lesquels elle s’est développée – ce qui supposerait qu’on ne peut la qualifier de raciste ou d’anti-gitane, car elle était « spécifique à l’époque ». Ce débat a surgi ces dernières années à l’occasion des critiques émanant des associations gitanes vis-à-vis de la béatification du prêtre. Voir par exemple : D. García de Trigueros, « Andrés Manjón, por la educación del pueblo gitano en Granada », GranadaHoy, 2 mai 2021. URL : https://www.granadahoy.com/granada/Andres-Manjon-educacion-pueblo-gitano-Granada_0_1570044216.html (dernière consultation le 26 décembre 2022).
25
Ezequiel Solana, Don Andrés Manjón. Sus obras y doctrinas pedagógicas, Madrid, Editorial Escuela Española, 1941, p. 5.
26
José E. Abajo Alcalde, « El padre Manjón y la escolarización de la infancia gitana (cuando ser pionero no significa ser un modelo) », O Tchatchipen, nº 72, 2010, p. 27-35. Les anthropologues auxquels on se réfère sont Teresa San Román et Tomás Calvo Buezas, tous deux commencèrent à travailler le sujet en Espagne de façon pionnière, particulièrement à partir des années 1970.
27
José E. Abajo Alcalde, « El padre Manjón y la escolarización de la infancia gitana (cuando ser pionero no significa ser un modelo) », O Tchatchipen, nº 72, 2010, p. 27-35. Les anthropologues auxquels on se réfère sont Teresa San Román et Tomás Calvo Buezas, tous deux commencèrent à travailler le sujet en Espagne de façon pionnière, particulièrement à partir des années 1970.
28
Buenaventura Delgado, Unamuno, educador, Espagne, Editorial Magisterio Español, 1973, p. 84-85. Il y est aussi fait référence dans Ernesto Ladrón De Guevara, « El pensamiento pedagógico de Miguel de Unamuno », Revista Española de Pedagogía, nº 220, 2001, p. 403-420.
29
On rend compte de cela dans différents médias, par exemple : Marina Droujinina, « Causas de los santos: Reconocidas las virtudes heroicas del padre Andrés Manjón », ZENIT-Espanol, 26 novembre 2020. URL : https://es.zenit.org/2020/11/26/causas-de-los-santos-reconocidas-las-virtudes-heroicas-del-padre-andres-manjon/ (dernière consultation le 26 décembre 2022).
30
La Época, 21 mai 1899.
31
El Correo Español, 26 mars 1912.
32
El Correo Español, 26 mars 1912.
33
Il a aussi reçu l’approbation de personnes de renom comme le Grenadin Federico Olóriz Aguilera, médecin et chercheur qui prononça, en 1898, un discours à l’Ateneo de Madrid faisant l’éloge de l’œuvre de Manjón et qui fut édité sous le titre de : Federico Olóriz Aguilera, Recuerdos de una visita a la colonia escolar fundada por D. Andrés Manjón, Madrid, Imprenta de Hernando y Compañía, 1899.
34
Une version se trouve éditée sous la mention de : Andrés Manjón, El Gitano et ultra. Hojas de educación social et ultra del Ave María, Grenade, Imprenta-Escuela del Ave María, 1921.
35
Andrés Manjón, El Gitano et ultra. Hojas de educación social et ultra del Ave María, Grenade, Imprenta-Escuela del Ave María, 1921.
36
L’article de José Eugenio Abajo a déjà été cité en diverses occasions. De son côté, l’historien Manuel Martínez a publié de nombreux ouvrages sur la situation des Gitans à l’époque moderne, et fut l’initiateur de la campagne pour le retrait de la proposition de béatification d’Andrés Manjón, exprimant ses arguments sur sa page web de recherche : http://adonay55.blogspot.com/2021/04/el-venerable-antigitanismo-del-padre.html (dernière consultation le 26 décembre 2022).
37
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 6.
38
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 3.
39
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 7.
40
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 8.
41
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 9.
42
Ezequiel Solana, Don Andrés Manjón. Sus obras y doctrinas pedagógicas, Madrid, Editorial Escuela Española, 1941, p. 23.
43
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 9.
44
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 11.
45
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 30.
46
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 17.
47
Une étude sur le phénomène de scolarisation des Indigènes au XIXe siècle se penchant sur un cas concret, celui du Chili : Sol Serrano, « De escuelas indígenas sin pueblos a pueblos sin escuelas indígenas : la educación en la Araucanía en el siglo XIX », Historia, nº 29, 1995, p. 423-474.
48
Andrés Manjón, Pensamiento de la colonia escolar : Escuelas del camino del Sacromonte, Colegios del Ave María, Grenade, Imprenta de Indalecio Ventura, 1895, p. 15.
49
Témoignages rassemblés dans Mª Dolores Fernández, « La mujer gitana y la guerra civil », O Tchatchipen, nº 70, 2010, p. 14-19.
50
Sur Grenade en particulier, on peut lire : Ana Amaro et Pilar González, « Experiencia de escuela inclusiva en una zona de exclusión social. Colegio Luisa de Marillac. Granada », Edetania. Estudios y propuestas socioeducativos, nº 41, 2012, p. 177-190. Concernant les « écoles-ponts », des écoles réservées aux élèves gitans instituées par les Secrétariats Gitans liés à l’Église catholique durant l’époque tardive du franquisme et la Transition espagnole, il faut consulter : Jesús Salinas, « Un viaje a través de la historia de la escolarización de las gitanas y gitanos españoles », Anales de Historia Contemporánea, nº 25, 2009, p. 166-188. Pour finir, la thèse de doctorat de Macías aborde de façon critique les positions politiques et éducatives sur la coïncidence des Gitans avec l’école contemporaine : Fernando Macías Arandas, Contribuciones del pueblo gitano para luchar contra la pobreza y el antigitanismo a través de su participación en actuaciones educativas de éxito, Barcelone, Universidad de Barcelona, 2017.
51
Andrés Manjón, El Gitano et ultra. Hojas de educación social et ultra del Ave María, Grenade, Imprenta-Escuela del Ave María, 1921.