La publicité est-elle démocratique ? Une question datée : 1860-1940
Directeur d’études

(EHESS - Centre d’histoire et théorie des arts - CEHTA)

« Autrefois, c’étaient les chefs de tribu, les rois, les dignitaires religieux qui

créaient ou modifiaient l’opinion publique. Aujourd’hui, tout le monde partage

ce privilège. La démocratie, en effet, a cela de particulier qu’elle autorise le

premier venu à essayer de convaincre ses semblables et à exercer l’autorité́

en vertu de la thèse qu’il défend. »

Edward Bernays, Propaganda, 1928.

Dans une féroce et fulgurante nouvelle, Émile Zola décrivait avec une distance ironique la puissance nouvelle de la publicité qui, après avoir massivement occupé les pages des journaux sous la forme de l’annonce, envahissait alors progressivement par l’affiche les murs des rues et des places des cités. C’était d’abord sa puissance normative qui fascinait Zola : sous sa plume, elle remplissait en effet la fonction d’une véritable institution sociale, comparable à l’Église ou à l’École puisqu’elle se substituait à ces dernières dans leur rôle de « souverains guides ».

Plusieurs fois réécrite entre 1866 et 1872, après que Zola eut quitté la direction de la publicité chez Hachette, Une victime de la réclame dessinait le portrait lamentable d’un homme que la publicité avait lentement privé de tout, jusqu’à finalement le réduire à un tas de pourriture sans nom. « Claude, dès l’âge de raison, s’était tenu ce raisonnement : “Le plan de mon existence est tout tracé. Je n’ai qu’à accepter aveuglément les bienfaits de mon âge. Pour marcher avec le progrès et vivre parfaitement heureux, il me suffira de lire les journaux et les affiches, matin et soir, et de faire exactement ce que ces souverains guides me conseilleront. Là est la véritable sagesse, la seule félicité possible”. À partir de ce jour, Claude prit les réclames des journaux et des affiches pour code de sa vie. Elles devinrent le guide infaillible qui le décidait en toutes choses ; il n’acheta rien, n’entreprit rien qui ne lui fût recommandé par la grande voix de la publicité. »

Non seulement le malheureux vécut un véritable enfer, mais il mourut à petit feu de sa foi inébranlable en la publicité. D’abord atteint dans ses biens et ses propriétés, il souffrit bientôt dans sa personne – dans ses vêtements, puis dans sa chair, enfin dans son esprit, jusqu’à ce qu’une guérisseuse somnambule le conduise à la mort. Mais après sa mort même, il fut encore victime de la réclame : parce qu’il avait choisi d’ « être enseveli dans une bière à embaumement instantané dont un droguiste venait de prendre le brevet, (…) son tombeau, en carton-pierre et en simili-marbre, détrempé par les pluies du premier hiver, ne fut bientôt plus sur sa fosse qu’un tas de pourriture sans nom1».

Vallotton

Gravure de Félix Vallotton.

Le motif de cette charge impitoyable contre la publicité, Zola l’avait sans aucun doute trouvé dans les notes et réflexions que Philarète Chasles, critique et professeur au Collège de France, avait rassemblées dans une « Histoire de la Presse » publiée la même année 18662. Lui aussi tenait la publicité pour la nouvelle institution sociale qui, en ces temps de massification démocratique, était en passe de succéder à l’Église. La réclame, affirmait-il avec une clairvoyance certaine, « a remplacé la religion, la poésie ; elle tient lieu de toutes les croyances. En un mot, qui ne croit plus à Dieu garde du moins la superstition de l’annonce3. »

« Essentiellement démocratique, elle s’adresse au peuple, à la masse, à la crédulité ». Et tandis que Zola voyait dans les annonces ce qui vient satisfaire un insatiable besoin « de souverains guides » pour la conduite d’une vie, pour Philarète Chasles, l’annonce avait pour cible « la masse humaine facile à duper, heureuse d’être dupe », puisqu’il y a toujours dans l’annonce « une espérance, c’est-à-dire une portion de vie et de bonheur4 ». « La promesse, la grande promesse est l’âme de la publicité » avait déjà écrit Samuel Johnson au siècle précédent5.

À coup sûr, ces deux textes témoignaient de l’émergence d’une configuration nouvelle dans l’histoire récente de la France comme des autres pays industriellement avancés. Tous se trouvaient confrontés à la disparition de ce qui fondait jusqu’alors l’ordre social, au vide que laissait la religion déclinante. L’attraction d’un Salut dans l’au-delà, toujours conditionné à l’observation plus ou moins stricte d’une conduite vertueuse, s’effaçait au profit de l’attraction de mille petits bonheurs immédiats, ceux que promettait l’acquisition ici-bas des objets si bien vantés par les réclames. « La passion du bien-être matériel », disait Tocqueville6, propre à la classe moyenne avant de gagner la société entière, favorisait l’industrie, encourageait la production de ces « petits objets » auxquels s’attachait l’âme et qui finissaient par « lui cacher le reste du monde », parfois par « se placer entre elle et Dieu ». Aussi les images de la religion, rudement concurrencées en nombre et en couleurs par les publicités, ne parvenaient-elles plus à imposer les conduites exemplaires ni les gestes salvateurs, quand, à l’inverse, les images du commerce et de l’industrie apprenaient toujours mieux à susciter des comportements nouveaux, capables de métamorphoser en masse ceux qui troquaient leur foi en Dieu contre la « superstition de l’annonce ». On entrait dans « L’Âge de l’Affiche7 », affirmait en 1896 un important essai de la Revue des Deux Mondes qui ne manquait pas d’évoquer « l’âge des foules » tout juste mis au cœur du débat politique par le très conservateur Gustave Le Bon. En même temps que leurs supports, affirmait Maurice Talmeyr, c’était la nature des injonctions imagées qui avait considérablement changé : les murs couverts d’affiches ne parlaient plus le langage du monument d’autrefois. Ce dernier, avec toutes les peintures, les sculptures et les décorations qu’il englobait, relevait d’un art seigneurial, aristocratique et dominateur. Il s’en dégageait l’idée d’une autorité, de quelque chose de supérieur au peuple, de plus fort, de plus grand, d’autre que lui ; ces arts ne parlaient à la foule que de son devoir social ou religieux et le lui imposaient par l’image de la sainteté, de la puissance ou de la majesté. Le peuple ne trouvait dans ces monuments que « des exhortations à prier et des suggestions d’obéissance. L’Église vous criait l’éternité de la religion, le palais la splendeur du prince, et l’individu, le sujet, se sentait ainsi écrasé par le poids et l’ampleur d’un intérêt divin ou royal auprès duquel le sien n’existait plus ». Or que se passait-il, à présent que la rue avait remplacé ces anciens monuments qui avaient été les véritables maîtres de la foule ? L’affiche ne nous parlait plus que de nous-mêmes, de nos plaisirs, de nos goûts, de nos intérêts, de notre alimentation, de notre santé, de notre vie. « Elle ne nous dit pas : “Prie, obéis, sacrifie-toi, adore Dieu, crains le maître, respecte le roi…” Elle nous chuchote : “Amuse-toi, soigne-toi, nourris-toi, va au théâtre, au bal, au concert, danse, lis des romans, bois de bonne bière, achète de bon bouillon, fume de bons cigares, mange de bon chocolat, fais ton carnaval, tiens-toi frais, beau, fort, dispos, plais aux femmes, teins-toi, peigne-toi, purge-toi, parfume-toi, veille à ton linge, à tes habits, à tes dents, à tes mains, et prends des pastilles, si tu t’enrhumes !” 8». Assurément, l’entrée dans l’âge de l’affiche signalait que l’on avait définitivement quitté l’Ancien régime pour l’âge de ces foules dont beaucoup se demandaient alors comment les gouverner pour ne pas être gouverné par elles9.

Colleurs d'affiche

Colleurs d’affiche, anonyme.

 La réclame, disait-on encore, était « devenue l’un des beaux-arts de notre époque, ou plutôt (elle) les a remplacés tous10 ». Bientôt, le critique Roger Marx s’enthousiasmait : l’affiche, comprise par tous les âges, était aimée du peuple ; elle avait désormais « remplacé, au dehors et au foyer, les peintures jadis visibles au seuil des palais, sous les voûtes des cloîtres et des églises11 ». C’est donc avec raison que Raymond Williams, au siècle suivant, pourra voir dans la publicité « l’art officiel du capitalisme12» : c’était un art qui prenait en somme la place si longtemps occupée par l’art religieux. Jacques Ellul l’avait compris : la sensibilité de l’homme moderne à la publicité comme à la propagande avait « une raison religieuse ». Car si la publicité était indispensable, c’était bien moins pour des motifs économiques que comme « célébration du système des temps modernes et liturgie d’une eucharistie nouvelle13 ».

Mais d’où provenaient à présent ces gestes inédits ? Quelle autorité les commandait, et pour réaliser quelles espérances nouvelles ? La grande machine anonyme qui s’était mise en branle, ou plutôt le grand circuit de production et de consommation qu’était le capitalisme industriel moderne, trouvait certes dans la publicité son moteur idéal. Mais la publicité était d’abord celle des noms et des marques, et c’était l’absorption de tous ces noms auxquels il s’était successivement identifié comme à autant d’hosties qui avait causé la perte du pauvre Claude de Zola, réduit à un tas de pourriture sans nom. C’était elle qui donnait l’impulsion générale, qui permettait d’imprimer aux machines productrices de biens un rythme qui se répercutait partout, jusque dans les boutiques les plus éloignées des centres industriels. Une fois de plus, l’auteur anglais qu’avait traduit Philarète Chasles ne s’y était pas trompé : les bienfaits de la réclame s’étendaient à l’ensemble de la civilisation puisqu’elle établissait « dans toutes les branches du commerce et de l’industrie une circulation continue et progressive14 ». C’était une invention admirable qui faisait en effet circuler les objets, l’or et le désir dans le grand cycle productif mis en branle par les démocraties libérales, unissant inséparablement libéralisme économique et libéralisme politique.

On se souvient des analyses de Jürgen Habermas, formulées à l’aube des années 1960 : « À l’origine, la Publicité garantissait le lien qu’entretenait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs de la domination qu’avec un contrôle critique de son exercice. Depuis, elle est au principe d’une domination qui s’exerce à travers le pouvoir de disposer d’une opinion non publique, ce qui aboutit à cette singulière équivoque : la “Publicité” permet de manipuler le public, en même temps qu’elle est le moyen dont on se sert pour se justifier face à lui. Ainsi, la “Publicité” de manipulation prend-elle le pas sur la “Publicité” critique15 ». Toutefois, une telle opposition demeurait idéaliste parce que purement formelle. La manipulation des affects ne résulte pas d’une quelconque perversion de l’usage public de la raison, elle lui est véritablement consubstantielle. L’émotion ne s’oppose pas à la rationalité, comme le voulait Habermas, mais elle en est inséparable : « Pour réagir de façon “raisonnable”, il faut d’abord avoir été “touché” par l’émotion16 » ; en outre, l’idée qu’un « échange d’arguments rationnels » pourrait être dépourvu d’affect relève avec assez d’évidence du fantasme.

Dans la langue française, le terme de publicité souligne aujourd’hui encore, par sa polysémie relative, les liens étroits unissant la « publicité » donnée aux débats parlementaires et les « publicités » commerciales et politiques se déployant dans l’espace public. De même, en Angleterre, l’advertisement était né du « gouvernement représentatif », il en était le premier et le plus précieux rejeton17. Ainsi Guizot, qui reconnaissait dans la publicité « le caractère le plus essentiel » du gouvernement représentatif, avait souligné qu’elle avait cependant tardé à s’y introduire : « En Angleterre, le premier pas vers la publicité fut de faire imprimer et vendre les actes de la chambre des communes, ses adresses, ses résolutions. (…) Quand le gouvernement aristocratique ou absolu prévaut, la publicité disparaît18. » C’est, on le sait, à cette conception libérale et parlementaire de la démocratie – dont Guizot était à ses yeux le représentant typique – que s’en prendra Carl Schmitt un siècle plus tard. Refusant de séparer libéralisme politique et libéralisme économique, il raillait ceux qui professaient que « de la libre concurrence économique d’individus privés, de la liberté de contracter, de la liberté de commerce, de la liberté d’entreprendre résulteront d’elles-mêmes l’harmonie sociale entre les intérêts et la richesse la plus grande possible. » Tout cela dérivait à ses yeux de la « métaphysique » du principe libéral en général : « Car c’est exactement la même chose que la vérité procède du libre conflit des opinions ou que l’harmonie surgisse d’elle-même de la compétition économique. » Ce qui était insupportable au juriste catholique Carl Schmitt, c’était que la « vérité » se trouve réduite avec le parlementarisme à « une simple fonction dans une concurrence des opinions » : « Par rapport à la vérité, cela signifie qu’on renonce à un résultat définitif19. » Il percevait donc clairement que le pluralisme de la démocratie parlementaire impliquait le renoncement à une vérité absolue. Comme le dira Claude Lefort avec une juste insistance : « La démocratie s’institue et se maintient dans la dissolution des repères de la certitude20. »

Atget, Rue des Bourdonnais, 1910

Atget, Rue des Bourdonnais, 1910 / Chéret, Affiche pour les pastilles Géraudel, 1896 / Atget, rue du Plat d’Etain, 1908.

Or la publicité commerciale, avec son pluralisme constitutif, apparaissait tout à la fois comme la conséquence de cette dissolution des repères de la certitude et comme une réponse infiniment démultipliée à l’incertitude nouvelle. Elle en était la conséquence, puisqu’elle surgissait de l’anxiété suscitée par le retrait du religieux : la « superstition de la réclame » succédait à la foi en Dieu et à l’obéissance au Prince ; et simultanément elle répondait au désarroi par une prolifération d’images et de noms qui constituaient, comme le disait Émile Zola, autant de « guides infaillibles » dans les innombrables décisions qu’appelaient les tâches et les gestes de chaque jour. Comme pour métaphoriser le sentiment d’appartenance à une époque vidée de Dieu, post-monarchique et où nulle tête ne maîtrisait plus de corps politique mystiquement soudé dans toutes ses parties, Edgar Allan Poe avait décrit l’attraction universelle de Newton par la tendance de chacun des atomes à se rallier, non pas à un lieu concret ou abstrait, mais à un principe : « Leur source est dans le principe Unité. C’est là le père qu’ils ont perdu. C’est là ce qu’ils cherchent toujours, immédiatement, dans toutes les directions, partout où ils peuvent le trouver, même partiellement ; apaisant ainsi, dans une certaine mesure, leur indestructible tendance, tout en faisant route vers leur absolue satisfaction finale21. » Ainsi pourrait-on également décrire les sujets modernes de la démocratie : en deuil du principe Unité, mais le cherchant toujours, dans toutes les directions, pour tenter d’apaiser leur soif.

Anatole de Monzie, ministre aux sympathies mussoliniennes, directeur avec Lucien Febvre durant les années 1930 de la grande entreprise de L’Encyclopédie française qui devait éclairer la nation, préfaçait en ces termes une grande exposition d’affiches : « Plus que jamais, les peuples ont besoin d’images. Tous les peuples, le nôtre comme celui de New-York ou de Moscou. Il leur en faut pour orienter leur curiosité, approvisionner leurs mémoires, soutenir leurs enthousiasmes et leur approbations22. » Dans ce temps de l’entre-deux-guerres où l’usage des termes de propagande et de publicité n’était nullement fixé, ce « besoin d’images » s’affirmait comme un besoin de guides, politiques autant que commerciaux. De Monzie les associait d’ailleurs aussitôt, sans hésitation aucune. Ce n’était pas un hasard, poursuivait-il, si l’art de l’affiche s’était développé en France sous la Troisième République : « Son essor coïncide avec l’épanouissement de la Démocratie, régime publicitaire en effet23. » Cette coïncidence signifiait au moins que le rôle attribué à l’affiche, qu’elle fut de propagande politique ou de publicité commerciale, ne se limitait ni à convaincre le citoyen d’une idée ni à vendre au flâneur une quelconque marchandise. Car définir la Démocratie comme un régime publicitaire, c’était non seulement rappeler que la publicité des débats était au fondement de la démocratie parlementaire, mais c’était aussi, en référence à l’affiche, conférer aux images de propagande et de publicité un rôle politique central et décisif : celui de diriger l’attention d’un peuple pour construire son histoire (sa mémoire) et obtenir son soutien enthousiaste – en bref, régner sur le passé, le présent et l’avenir d’un peuple.

On ne peut en douter : le « besoin d’images » qu’Anatole de Monzie pensait déceler chez tous les peuples du monde était compris comme un besoin de chefs. Non pas d’un guide, mais plutôt de ces myriades de petits « guides infaillibles » qu’avait évoqués Zola ; il n’était pas ici question de l’attente d’un Duce ou d’un Führer unique, comme on le clamait depuis Gustave Le Bon24, mais bien de sa figure éclatée, dispersée et comme démultipliée dans l’espace public. Chacun en reconnaissait l’extraordinaire puissance normative. Mais c’était tantôt pour se féliciter des effets d’homogénéité et de discipline que les images exerçaient sur les masses, et tantôt pour s’inquiéter que nul esprit fort ne se trouvât aux commandes de mouvements si considérables, qui décidaient de tout et pour tous.

Autour de 1930, le critique Louis Chéronnet voyait dans son « époque publicitaire » le signe que le XXe siècle opérait un « retour aux masses, c’est-à-dire à des sociétés conscientes de leurs besoins et de leur volonté, soit, mais perméables avant tout aux démonstrations simples et concrètes ». Cette époque ne se rapprochait-elle pas « des temps fervents où l’image », représentation d’un idéal et répandue sur les murs et dans les lieux publics, « dirigeait les grands courants d’idées ou exaltait les cœurs » ? Aussi mettait-il en parallèle le Moyen Âge, où la foi religieuse était répandue, entretenue et magnifiée par une « propagande graphique », avec ce XXe siècle où l’image régnait partout, sur les murs, les journaux et les écrans, s’adressant à la masse comme un « moyen d’action puissant, suggestif, auquel nul n’échappe, qui peut servir à déterminer le meilleur et le pire, et dont les appels peuvent être compris par tous ». C’était pourquoi les mêmes dispositifs publicitaires qui servaient des intérêts commerciaux lui semblaient être aussi « les plus propres à propager les soulèvements les plus généreux » : eux seuls, par leur façon de frapper l’imagination et leurs répétitions obsédantes, pouvaient « répandre l’idée de paix comme on répand le nom d’un produit commercial, de lancer la paix comme on lance un produit de première nécessité25 ». La puissance de frappe de l’image « suggestive » était la panacée universelle, capable de guérir par la vue le corps social de tous ses maux, physiques aussi bien que moraux ; et jamais, sous la plume des laudateurs de la publicité ou de la propagande humaniste, il n’était question d’autre chose que d’imprimer aux masses, par cette frappe, un irrésistible mouvement salvateur, bien loin de toute forme de « débat ».

 

Pourtant, et par-delà les différences qui pouvaient séparer les cultures nationales, l’idée selon laquelle la publicité était au cœur de la démocratie était devenue en quelques décennies l’une des assertions les plus ordinaires de ses thuriféraires comme de ses contempteurs. Pour les premiers, l’espace public, l’espace de la publicité, n’était-il pas celui de la libre concurrence des opinions et des marchandises, celui qui offrait aux citoyens et aux clients un choix qu’aucun autre régime que la démocratie libérale ne pouvait proposer ?

Les professionnels allemands de la publicité semblaient le penser sincèrement lorsque, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils se félicitaient de quitter le régime économiquement contraignant de l’Empire de Guillaume II pour la constitution libérale de la République de Weimar. Dès le mois de décembre 1919, l’un d’eux se félicitait de « l’esprit démocratique dans la réclame » : il se réjouissait de vivre « dans une époque démocratique » qui convenait tellement mieux aux publicitaires que les époques marquées par les privilèges de l’aristocratie. C’était « dans les pays démocratiques tels que les États-Unis, l’Angleterre et la France », soit les pays les plus développés quant à la réclame, que celle-ci reflétait « le mieux le caractère de tout un peuple ». En Allemagne, ajoutait Arthur Stampler, la poussée démocratique était sensible dans chacune des publicités nouvelles. Car au fond, qu’était-ce que la publicité, sinon « la forme la plus appropriée et la plus forte de parler à des nations entières » ? Le caractère brut d’un peuple se réjouissait toujours « d’une langue claire et puissante » comme celle de la réclame et de l’affiche qui « crie comme un enfant des rues ». Ce discours identifiait donc presqu’entièrement le rôle de la réclame à celui d’une propagande nationale. Le publicitaire devait, tout comme le dirigeant politique, être à l’écoute du « peuple » pour en comprendre les aspirations profondes26. Les Anglais, les Américains et les Français, poursuivait Stampler, avaient ouvert la voie durant la seconde moitié du XIXe siècle, mais chacun à sa façon. La publicité anglaise, « pleine d’amour pour son objet »,  montrait le « goût étrange et fanatique de beaucoup d’Anglais ». L’Américain, travaillant avec une puissance effrénée et un gigantesque optimisme, produisait des réclames à son image : « Ses mots sont comme des vents d’orage et ses images brillent comme des torches enflammées. » Quant au Français « complètement différent », « agréable de forme et d’un être gracieux », son affiche était d’abord de nature séductrice (schmeichelt). Chaque pays ayant donc « son propre style de réclame »,  l’Allemagne, qui n’avait que très peu emprunté aux Anglais, pouvait moins encore imiter l’art français de la réclame dont la nature lui était infiniment étrangère (so unendlich wesensfremd). Sans passé démocratique, sans tradition économique libérale, sa réclame n’en était qu’aux balbutiements mais se montrait déjà très singulière. Nul doute qu’elle allait contribuer plus que tout autre facteur à la reconstruction de la future vie économique de l’Allemagne et « peut-être surtout à la mise en scène de cette vie économique » (dieses Wirtschaftsleben vielleicht überhaupt zu inszenieren)27.

C’était bien de mise en scène qu’il s’agissait en effet, explicitement conçue pour toucher un public national et l’amener à soutenir une économie nationale. Il est à peine nécessaire de rappeler que l’une des tâches essentielles que s’assignera quelques années plus tard le national-socialisme sera de mettre en scène le caractère supposé national de la vie économique allemande. Raymond Williams le soulignera : si la contradiction la plus évidente du capitalisme tardif se situait entre une minorité qui contrôle et une très grande majorité qui attend, alors la publicité était cette forme sociale et culturelle nouvelle dont l’élaboration devait répondre « à l’écart entre l’attente et le contrôle par une sorte de fiction organisée ». Cette fiction travaillait à « présenter les décisions de production des plus grandes firmes comme étant "votre" choix », vous donnant l’illusion de dessiner votre « propre » existence28.

C’était presque une constante de la critique formulée à l’encontre de la publicité que de s’identifier aussitôt à la critique générale de la démocratie libérale. En Angleterre Wyndham Lewis, en grande sympathie avec le fascisme italien, stigmatisait violemment tous ceux qui étaient persuadés que la démocratie leur offrait la possibilité d’exprimer leur « propre » personnalité alors qu’ils étaient en réalité sous l’effet hypnotique de la presse, de la radio, du cinéma et de la publicité29. Une autre fois, il s’en prenait à « ce qu’on appelle les masses démocratiques, maintenues sous hypnose dans une sorte d’imbécillité hystérique par les méthodes mesmériques de la Publicité. Tout ce qu’on peut dire en faveur de la "démocratie" doit toujours être retourné contre elle, pour cette excellente raison que sa réalisation politique est invariablement à la merci de l’hypnotiseur30. » Le topos de l’hypnose ennemi de la démocratie n’était pas absolument dénué de fondement s’agissant de la publicité :  depuis le tout début du siècle, la plupart des manuels revendiquait en effet haut et fort ce modèle, ou celui de son double : la suggestion.

En France, Paul Valéry empruntait en 1937 la voix de son Méphistophélès pour arriver, par d’autres détours mais presque mot pour mot, à la même conclusion. Il s’alarmait d’abord du caractère incontrôlé et incontrôlable de cette incontestable puissance formatrice d’avenir qu’était la publicité, dont les images décuplaient les forces de l’industrie : « Vous êtes des cobayes, chers hommes et des cobayes fort mal utilisés, puisque les épreuves que vous subissez ne sont infligées, variées, répétées, qu’au petit bonheur. Il n’est point de savant, point d’assistant de laboratoire qui règle, dose, contrôle, interprète des expériences, des vicissitudes artificielles, dont nul ne peut prévoir les effets plus ou moins profonds sur vos personnes précieuses. Mais la mode, l’industrie, mais les forces combinées de l’invention et de la publicité vous possèdent, vous exposent sur les plages, vous expédient à la neige, vous dorent les cuissent, vous cuisent les cheveux ; cependant que la politique aligne nos multitudes, leur fait lever la main ou dresser le poing, les fait marcher au pas, voter, haïr ou aimer en cadence, indistinctement, statistiquement !31 »

Aussi Valéry pensait-il que « l’homme moderne » était « l’esclave de la modernité », s’enchaînant lui-même et s’avilissant par des moyens toujours renouvelés : « La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique32. » L’année suivante, critique hautain des normes standard massivement imposées aux passions humaines, il dénonçait dans la publicité « la fabrication industrielle des goûts et des dégoûts » ; plus tard, la « fabrication artificielle des indignations, des enthousiasmes, des valeurs ».

Pourtant, c’était le même Valéry qui avait été à ses débuts le secrétaire du directeur de l’agence Havas, Edouard Lebey et qui venait d’écrire « Louanges de l’eau » pour la Société de la Source Perrier, une publicité pour les Céramiques Rouart ou les « Réflexions sur l’acier », au profit de l’Office Technique pour l’Utilisation de l’Acier qui regoupait les industriels parmi les plus puissants de France33. Mais y songeait-il seulement lorsqu’il notait dans ses Cahiers : « Publicité — Agent des plus dangereux. La démocratie est à la merci de la publicité. Du reste, l’une ne va pas sans l’autre34. » Ne voyait-il pas qu’il jouait lui-même le rôle de l’un de ces innombrables « assistants de laboratoire » dont il dénonçait l’obéissance aveugle à un ordre venu de nulle part ? À moins qu’il n’ait recherché pour lui-même un peu de cette jouissance extraordinaire qu’il enviait au dictateur : celle de « faire exécuter par un peuple ce que l’on a conçu à l’écart ; et parfois de modifier à soi seul (…) le caractère d’une nation ?35 » 

La même question de la formation des masses – dont on sait l’omniprésence obsédante durant la première moitié du XXe siècle – conduisait Sigmund Freud au même pessimisme réactionnaire, dénonçant le danger représenté par cet état    particulier qu’il appelait « la misère psychologique » d’une masse, désorientée parce que dépourvue de vrais guides : « Ce danger menace au plus haut point quand le lien de la société est surtout établi par l’identification mutuelle de ses membres, alors que des individualités de chefs ne prennent pas l’importance que la formation de la masse devrait leur conférer36. » Plus terrible et accablante encore sera sa façon de justifier, dans une lettre à Albert Einstein, l’absolue nécessité des chefs et autres meneurs : « C’est l’une des faces de l’inégalité humaine – inégalité native et que l’on ne saurait combattre – qui veut cette répartition en meneur (Führer) et sujets. Ceux-ci forment la très grosse majorité ; ils ont besoin d’une autorité prenant pour eux des décisions auxquelles ils se rangent presque toujours sans réserves37. » Commentant ces propos de Freud, Mikkel Borch-Jacobsen notait que cette exacerbation historique du rôle du meneur et l’élaboration de son mythe provenait de ce constat que beaucoup partageaient : « Dès lors que les masses n’ont aucune identité propre, seul un mythe pourra la leur fournir en leur proposant une fiction où figurer à nouveau leur unité38. »

Il est facile de comprendre que la montée en puissance du nombre de ces « petits guides » partout diffusés par la publicité ne contredisait en rien celle des « grands guides » ou dictateurs, bien au contraire. Hitler n’avait-il pas été « lancé » sur le marché des opinions politiques comme un remède miracle39 ? Au demeurant, n’avait-il pas lui-même déclaré qu’il était venu « soulager les masses du fardeau de la liberté40 » ?  Et c’est sans doute sa connaissance des techniques de propagande, apprises dès juin 1919, qui l’a conduit à comprendre que les différences entre ces dernières et les techniques de la publicité commerciale importaient bien moins que leurs ressemblances. Mais la fusion croissante de la publicité commerciale et de la publicité politique était un phénomène européen, qui précéda en Allemagne l’accession au pouvoir des nazis41. Dans la République de Weimar, la publicité des marchandises et des idées était comprise comme nécessaire à l’expression de la liberté de choix, qui elle-même résultait de la libre compétition issue de la libéralisation des marchés. Elles n’étaient donc nullement perçues comme des outils de manipulation, mais comme les preuves d’une réelle démocratisation. La réclame, disait un publicitaire en 1929, était « la seule manifestation démocratique véritable de la vie publique actuelle42 ». Mais à partir de la dépression économique de 1930, l’autorité du gouvernement républicain commença à décliner tandis qu’au même moment, on vantait toujours plus les   mérites de la très efficace « publicité » des nazis qui faisait le succès de Hitler43. Il fallait donc lui opposer d’urgence une « propagande d’État » qui ferait appel aux professionnels de la publicité et serait organisée comme une campagne commerciale. En janvier 1933, quelques jours seulement avant l’accession de Hitler au pouvoir, le Deutscher Reklame-Verband décidait enfin de « réveiller et maintenir dans le peuple et la nation la conscience de l’idée de communauté. » Il importait au plus haut point de promouvoir « ce qui est commun, ce qui unit, ce pour quoi tous peuvent faire des efforts. » Ce sont les nazis qui s’acquitteront immédiatement de cette tâche44.

Toute idée de « manipulation » jette aujourd’hui la plus grande suspicion sur les techniques de communication qu’elle prétend caractériser. Mais de même que la propagande n’a pas toujours fait l’objet d’une condamnation morale, bien au contraire, de même le terme de manipulation n’a pas toujours été, dans ce même contexte, synonyme de dissimulation, de tromperie ou d’abus de confiance. Une affiche, réalisée par Max Burchartz45 pour l’Exposition internationale de l’art publicitaire qui se tenait à Essen en 1931, montrait que l’idée de manipulation pouvait signifier simplement la maîtrise accomplie d’une technique.

Max Burchartz

Max Burchartz (1887-1961) Exposition international/ L’art de la publicité Essen. 1931. 

Tout en demeurant anonyme, sans corps ni visage, le publicitaire y figurait explicitement avec le gros plan photographique de ses mains dans le rôle de « celui qui tire les ficelles ». Mais ce manipulateur tirait des fils dont on ne voyait pas à quoi ils se reliaient, ni donc ce qu’ils étaient supposés animer d’un certain mouvement. Au spectateur d’imaginer soit une marionnette ou un pantin (mais alors comment comprendre l’horizontalité du dispositif ?), soit tout autre objet. Toujours est-il que la position et le mouvement des doigts évoquait le signe ou le geste par lequel on cherche à faire venir à soi quelqu’un ou quelque chose. Ainsi était suggérée l’idée d’une certaine facilité dans l’acquisition d’un objet ou dans la réalisation d’un souhait.

Mais une seconde observation, plus attentive peut-être, notait que cette affiche qui exposait en toute franchise la manipulation se construisait sur une double absence : absence de l’être ou de l’objet tenu et retenu par les fils, mais absence aussi de celui qui les tient, représenté de façon seulement métonymique par ses mains. La publicité apparaissait ainsi comme pure médiation entre deux termes, dont aucun n’était expressément désigné. S’agissait-il, en amont de ces mains sans visage, du publicitaire ? S’agissait-il de son commanditaire ? Toujours est-il que cette image éminemment autoréflexive – exposant la publicité de la publicité – présentait la réalisation en acte d’un désir : la technique publicitaire y figurait la médiation idéale46 permettant de satisfaire un désir en faisant se mouvoir X conformément au vœu de Y. Tout à la fois très réaliste par l’usage de la photographie et très abstraite, cette image semblait aussi constituer l’illustration littérale du « gouvernement invisible » théorisé trois ans plus tôt par Edward Bernays, le double neveu de Freud.

Intitulé Propaganda, son livre, s’ouvrait par ces lignes devenues fameuses :

« La manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes organisées des masses est un élément important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement notre pays.

Nous sommes, pour une large part, gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d'une société au fonctionnement bien huilé47. »

La critique souvent scandalisée des thèses « cyniques » de Bernays quant à la nécessaire « manipulation » des masses démocratiques par une élite oublie qu’elles furent aussi, sous d’autres noms et parmi tant d’autres, les thèses de son oncle Freud ou d’un Paul Valéry, fasciné tout à la fois par la dictature et par le principe aristocratique48. Elle manque surtout le fait que l’exposition des principes de la « manipulation » ne nuit jamais à la manipulation : elle la renforce au contraire, car elle est elle-même la « manipulation » exposant sa puissance.

Sans trancher quant au caractère « démocratique » ou « antidémocratique » de la publicité, l’éditeur et critique Christian Zervos estimait vers le milieu des années 1930 que l’on n’avait pas encore accordé suffisamment d’attention à cet immense phénomène. Pourtant, assurait-il, elle constituait « une force concentrée et intense, ce par quoi se manifeste la présence et l’action d’une mythologie moderne, de symboles visuels nouveaux ». En quelques lignes, Zervos énumérait de la manière la plus concise certaines des qualités que tous les traités de publicité répétaient à l’envi depuis un quart de siècle : elle possédait « un pouvoir affectif » qui la rendait capable non seulement d’accrocher l’attention, pourtant sollicitée aujourd’hui par mille événements, mais encore de faire « résonner à tous les yeux les mêmes harmoniques qui finissent par vaincre l’attention ». Là résidait sa signification. Très riche dans sa diversité, elle démontrait son « pouvoir irrésistible pour le but fondamental à atteindre : transformer la volonté de l’homme en intervenant à chaque instant dans le cours de sa vie, faire naître en lui de nouveaux besoins et faire aboutir ces besoins. Elle crée ainsi l’institution d’un ordre auquel le public finit par se conformer49 ».

Le plus remarquable était que, dans son désir de démontrer la puissance instituante et normative de cette « mythologie moderne », Christian Zervos empruntait secrètement à Lévy-Bruhl les descriptions et arguments publiés en 1934 dans ses « Vues sur la mythologie primitive50», puis développées l’année suivante dans La Mythologie primitive51. Cette mythologisation de la publicité le conduisait à porter un regard « ethnographique », tout à la fois plus distant et moins pénétrant que d’autres, sur ce phénomène ultramoderne du capitalisme occidental. Zervos voyait en effet l’espace urbain des modernes se peupler d’images publicitaires exactement comme le paysage de la Nouvelle-Guinée était peuplé de Dema, sortes de puissances totémiques des Papous Marind-anim. Car ce terme de dema, loin de ne désigner que leurs ancêtres mythiques, était aussi employé comme adjectif, signifiant « une certaine qualité des êtres et des objets, ou plutôt, la présence en eux d’une force que nous appellerions surnaturelle ». Le concept de dema impliquait quelque chose d’étrange, d’extraordinaire et d’inexplicable. Comme le mana mélanésien, il désignait les corps d’aspect insolite contenant, sous une forme concentrée, une force, une énergie psychique d’une intensité remarquable dont la présence et l’action devenait l’objet d’un mythe. Or, tout comme les Dema se retirent dans des endroits remarquables par « quelque chose d’étrange et d’extraordinaire », « les endroits où la publicité est fixée sont remarquables par quelque chose d’étrangement fascinant », assurait Zervos. L’indigène, avait écrit Lévy-Bruhl, « ne peut guère jeter les yeux autour de lui sans avoir le sentiment que là, et encore là, et plus loin encore, une force naturelle, un Dema s’est manifesté ou même définitivement logé. (…) Chaque trait particulier de la configuration du terrain (…) a provoqué la formation de mythes. Le sol et la mer sont des albums vivants où les mythes sont inscrits ». « Il arrive, répétait Zervos dans une transposition remarquable, qu’on ne peut plus tourner les yeux autour de soi, sans avoir le sentiment qu’ici, que là, et encore là, et plus loin là-bas, des choses vous guettent. Les murs et les paysages et les rochers et les routes sont devenus des albums vivants où le mythe s’est inscrit. » Et tandis que les Dema « interviennent dans le cours ordinaire des choses », la publicité « intervient continuellement dans le cours ordinaire de la vie ». Enfin, ne retrouvait-on pas dans la publicité « jusqu’à la fluidité du monde mythique » et la même ignorance de la logique ? demandait Zervos, justifiant pour lui-même le parallèle. Au demeurant, sa transfiguration primitiviste de la modernité urbaine s’accordait fort bien à l’esprit du temps qui élevait l’affiche publicitaire au rang du mythe.

Un bref récit fantastique de Léon-Paul Fargue faisait écho à cette mythologisation, mais en la colorant d’une singulière ambivalence. « J’ai rêvé que la publicité était morte et je me croyais aveugle. » En vérité, c’était un effrayant cauchemar que racontait ce poète en 1935. Il y voyait courir dans Paris des passants hagards, asphyxiés, privés de tout : de brosses à dent, de savons, de mers, d’hélices et de café. Une fois la publicité disparue, toutes les conversations s’étaient tues, les pas eux-mêmes ne s’entendaient plus. « On hésitait à vivre. On avait la frousse d’acheter » : privés de leurs réclames, les objets avaient perdu leur puissance d’attraction ; la ville était devenue indécente et creuse. Errant sans but au long des rues, les gens allaient tous dépérissant, renfermés sur eux-mêmes. Et puis, tout soudainement, la publicité leur fut rendue. Ce fut alors comme un ouragan : « On vit des êtres embrasser l’image du beurre, se prosterner devant la reproduction de l’épargne, de l’ivresse, du dormir, du voyage, de l’hygiène. Les boutiques furent envahies. Enfin, on savait quel était le meilleur rasoir, le meilleur disque, le plus joli bas de soie. De nouveau, les choses obligeaient l’homme à se détourner lorsqu’il passait dans les rues. Il n’était plus seul. On lui parlait52. » 

Singulier récit qui faisait de l’aliénation une délivrance, qui retournait en cauchemar le rêve d’un monde enfin purifié de toute publicité, qui liait indissociablement le silence des hommes à la parole des murs et décrivait la ruée consommatrice des foules comme étant la conséquence immédiate de leur adoration des images. Non pas des objets eux-mêmes, mais de leurs images. Non pas adoration de valeurs transcendantes que recéleraient les marchandises, mais adoration de leurs médiations parlantes capables de ne plus laisser l’homme « seul avec lui-même ». Était-ce pure ironie provocatrice de la part de cet ancien ami d’Alfred Jarry et de Stéphane Mallarmé, ou bien Léon-Paul Fargue témoignait-il d’un enthousiasme sincère pour la publicité ? Était-elle pour lui ce qu’elle était pour Blaise Cendrars : « la fleur de la vie contemporaine53 », une « affirmation d’optimisme et de gaieté » sans laquelle une tristesse sans nom s’emparerait des rues, des places, des gares, des routes – et même de la nature54 ? Si Blaise Cendrars se contentait de chanter le lyrisme d’un art « qui fait appel à la psychologie des foules55 », le très ambigu récit de Léon-Paul Fargue décrivait non seulement le passage à l’acte d’achat par des masses soumises à l’emprise des images, mais il décrivait en outre la fonction puissamment prescriptive des affiches et autres panneaux-réclames : « Enfin, on savait ». On savait maintenant le nom du meilleur rasoir ou du meilleur disque, on savait enfin comment vivre.

Création permanente de mythes, la publicité – sous la forme du panneau-réclame ou de l’affiche – remplissait donc exactement son office : ces « guides infaillibles » à la Zola venaient soulager les hommes de l’angoissant devoir de choisir, ou de « l’honorable fardeau de la liberté » cher à Jean-Jacques Rousseau. Mais ils faisaient bien plus et mieux encore : en les guidant vers les bons objets dont il fallait s’incorporer la force, ils les constituaient en communautés rassemblées chaque fois autour d’un objet totémique. Comparable en effet au totémisme tel que théorisé par Durkheim, le système de la publicité fonctionnait comme « la religion (…) d’une sorte de force anonyme et impersonnelle, qui se retrouve dans chacun de ces êtres, sans pour autant se confondre avec eux. Nul ne la possède tout entière et tous y participent. Elle est tellement indépendante des sujets particuliers en qui elle s’incarne, qu’elle les précède comme elle leur survit56 ».

Jacques Ellul voyait dans la propagande et la publicité des forces créatrices d’« images motrices », capables de susciter « l’adhésion de l’être tout entier sans passer par la réflexion » : c’est bien en quoi ces images ont la puissance des mythes. Que ces images soient de nature immédiatement politique ou qu’elles soient de caractère commercial, elles relèvent toutes d’un régime de croyance et s’opposent en cela fondamentalement à la démocratie, qui n’est pas objet de foi ni de croyance57 mais un régime qui s’instaure et se maintient au contraire, comme le dira Claude Lefort, dans la dissolution des repères de la certitude. Aussi ces images, en réactivant constamment la croyance, n’ont-elles jamais cessé d’entrer en conflit avec l’exigence démocratique.

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1

Emile Zola, « Une victime de la réclame », 1866-1872. D’abord publié dans L’Illustration, 17 novembre 1866 ; puis sous le titre « Une victime des annonces », dans L’Evénement illustré, 29 août 1868 ; puis sous le titre « Causerie » dans La Tribune, 12 décembre 1869 ; enfin dans La Cloche, 29 juin 1872 : c’est la version utilisée ici. En 1883, Emile Zola publiera Au Bonheur des Dames, roman presqu’entièrement consacré à la publicité et dont les observations « précèdent la théorie d’un bon siècle » ; voir Christian Denis, « La stratégie publicitaire au temps de Zola », Communication & langages n°103, 1995, p. 88-101.

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2

Dans la version de L’Illustration (17 novembre 1866), Zola rendait à César son bien : « M. Philarète Chasles parle quelque part d’un pauvre diable que la réclame mit à deux doigts de la mort. »

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3

Pour un écho contemporain de ce thème du XIXe siècle, cf. Emanuele Coccia, Le Bien dans les choses, Paris, Rivages, 2013.  

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4

Philarète Chasles, « Histoire de la Presse », Etudes contemporaines. Voyages, Philosophie et Beaux-Arts, Paris, Amyot, 1866, p. 51-52. La Ve section de l’« Histoire de la Presse », tout entière consacrée à l’annonce, était largement inspirée d’un article issu du Tait’s Edinburg Magazine, journal libéral écossais, traduit et considérablement transformé trente ans plus tôt par ses soins dans la Revue britannique. Choix d’articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne, Troisième Série, Tome II, 1835, p. 211-218 : « Economie sociale. Des annonces et de leurs rapports avec les Beaux-Arts, le commerce et la civilisation ».

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5

Samuel Johnson, « Art of Advertising », The Idler, n° 40, 20 janvier 1767, vol. I, p. 225 : « Promise, large Promise, is the soul of an Advertisement ».

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6

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gosselin, 1840, p. 257 (Première partie, Ch. X).

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7

Maurice Talmeyr, « L’Âge de l’Affiche », Revue des Deux Mondes, Septembre 1896, p. 201-216.

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9

Voir sur ce point le texte d’Yves Cohen dans ce volume.

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10

Philarète Chasles, ouv. cité, p. 53.

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11

Roger Marx, Préface (10 Novembre 1897), Les Maîtres de l’Affiche, Paris, 1898, Imp. Chaix, vol. III, p. IV.

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12

Raymond Williams, « Advertising : the Magic System » (1960-1969), Culture and Materialism. Selected Essays, London, New York, Verso, 2005, p. 170-195.

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13

 Jacques Ellul, Les Nouveau possédés, Paris, Fayard, 1973, p. 187. 

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14

Ph. Chasles, ouv. cité, p. 53. Loin de toute violence arbitraire, « elle ne force pas, elle persuade ».

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15

Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), trad. Marc B. de Launay, Paris, Payot, 1978, p. 186

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16

Myriam Revault d’Allones, L’Homme compassionnel, Paris, Seuil, 2008, p. 14.

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17

Revue britannique, 1834, ouv. cité (note 4), p. 212.

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18

Guizot, Histoire du gouvernement représentatif en Europe (1820-1821), Bruxelles, Méline, Cans & Cie, 1851, t. I, p. 104-105.

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19

Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie (1923), trad. J.-L. Schlegel, Paris, Seuil, 1988, p. 44-45. Le grand juriste Hermann Heller lui répondra que le fondement du parlementarisme « n’est pas la foi en la discussion publique comme telle, mais la croyance en l’existence d’un fondement commun pour la discussion » : on pense « pouvoir trouver un accord sans recourir à la violence pure. » (« Démocratie politique et homogénéité sociale » [1928], trad. M. Köller et D. Séglard, Cités n° 6, 2001 « Qu’est-ce qu’un chef ? La crise de l’autorité aujourd’hui »), p. 199-211. Voir Chantal Mouffe, « Penser la démocratie moderne avec, et contre, Carl Schmitt », Revue française de science politique, 42e année, n°1, 1992. p. 83-96 (en particulier p. 88 sq.).

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20

Claude Lefort, « La question de la démocratie » (1983), Essais sur le politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 1986, p. 29 (c’est Claude Lefort qui souligne).

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21

E. A. Poe, Eureka (1848), Œuvres en prose, trad. Ch. Baudelaire, éd. Y.-G. Le Dantec, Paris, Gallimard (Pléiade), 1975, p. 735.

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22

Anatole de Monzie, « Préface », catalogue de l’Exposition de l’affiche en couleurs de Chéret à nos jours, Paris, CNAM, Juillet-Août 1939, p. III. 

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23

Id., ibid. (je souligne).

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24

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895. Voir Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Ed. Amsterdam, 2013.

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25

Louis Chéronnet, « Un beau thème publicitaire : la paix », Arts et métiers graphiques n° 30, 1931-1932, p. 9-10 ; reproduit par Dominique Baqué, Les Documents de la modernité. Anthologie de textes sur la photographie de 1919 à 1939, Nîmes, J. Chambon, 1983, p. 352-353.

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26

Voir Yves Cohen, ouv. cité, p. 135-138, sur « l’appel au chef » selon Geyer dans l’Allemagne démocratique de Weimar.

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27

Arthur Stampler, « Der demokratische Geist der Reklame », Seidel Reklame, vol. IV., n° 14, 15 décembre 1919, p. 299-301.

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28

Raymond Williams, ouv. cité (note 9), p. 193-194. Raymond Williams y datait ce moment des années 1960, mais il semble clair aujourd’hui que le processus qu’il décrivait ainsi avait commencé bien plus tôt, dès les années qui suivirent la Première Guerre mondiale (je souligne).

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29

Wyndham Lewis, The Art of Being Ruled, Londres, Chatto & Windus, 1926, p. 164.

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30

Id., « The Revolutionary Simpleton », The Ennemy. A Review of Art and Literature, n° 1, 1927, p. 49.

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31

Paul Valéry, « Notre destin et les lettres » (1937), Regards sur le monde actuel et autres essais, Œuvres, II, éd. Jean Hytier, Paris, Gallimard (Pléiade), 1960, p.1062.

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32

Paul Valéry, « Fluctuations sur le mot ‘liberté’ » (Le Figaro, 9 juillet 1938), Œuvres, II, ouv. cité, p. 968 .

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33

Paul Valéry, « Louanges de l’eau », Préface à Au gaz naturel, édité par la Source Perrier, 1935 ; « Réflexions sur l’acier », Acier, 1938, n°1, revue de l’Office Technique pour l’Utilisation de l’Acier.

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34

Paul Valéry, Cahiers, II, éd. Judith Robinson, Paris, Gallimard (Pléiade), 1973, p. 1497 et 1542.

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35

Œuvres II, ouv. cité, p. 978-979.

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36

Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation (1930), trad. Aline Weill, Paris, Payot & Rivages, 2010, p. Sur la « foule sans maître », voir Yves Cohen, ouv. cité, p. 815.

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37

Correspondance Einstein-Freud, « Pourquoi la guerre ? » (1932), cité par Mikkel Borch-Jacobsen, « Le sujet freudien, du politique à l’éthique » (1986), Le Lien affectif, Paris, Aubier, 1991, p. 48.

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38

Mikkel Borch-Jacobson, ouv. cité, p. 50.

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39

Sabine Behrenbeck, « ‘Der Führer’ : die Einführung eines propagandistischen Markenartikels », Gerald Diesener et Rainer Gries (dir.), Propaganda in Deutschland : zur Geschichte der politischen Massenbeeinflussung im 20. Jahrhundert, Darmstadt, Primus, 1996, p. 51-78.

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40

Hermann Rauschning, Hitler m’a dit. Confidences du Führer sur son plan de conquête du monde, trad. Albert Lehman, Paris, Coopération, 1939, p. 254.

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41

Pourquoi, demandait le publicitaire français Jules Arren en 1914, ne pas donner à la publicité politique la forme des autres publicités ? « Ne peut-on démontrer la supériorité de la politique radicale par les moyens qui ont été employés pour persuader le public de la supériorité du cacao ou de l’utilité des machines à écrire ? Ces méthodes de persuasion sont arrivées à un degré de perfection qui les rend très efficaces. On opère à coup sûr quand il s’agit de faire dépenser de l’argent, la chose la plus difficile au monde : n’arriverait-on pas au même résultat pour un bulletin de vote ? » (J. Arren, Sa Majesté la Publicité, Tours, Mame & Fils, 1914, p. 30-31.)

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42

Voir l’excellent article de Corey Ross auquel j’emprunte ici : « La professionnalisation de la publicité et de la propagande dans l’Allemagne de Weimar », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 101, 2009/1, p. 9-26 (ici p. 13-14).

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43

Le seul précédent européen semble avoir été l’immense propagande organisée par le Général Boulanger en 1888-1889, avec ses millions d’affiches, de brochures et d’« objets dérivés ». B. Tillier, « L’affaire Boulanger et la personnalisation du pouvoir », La RépubliCature. La caricature politique en France, 1870-1914, Paris, CNRS, 1997, p. 46-51. J. Garrigues, « Boulanger, ou la fabrique de l’homme providentiel », Parlement(s). Revue d’histoire politique, n° 13, 2010, p. 8-23.

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45

Un exemplaire de l’affiche de Max Burchartz (peintre expressionniste d’abord, graveur, photographe et graphiste allemand, 1887-1961) est conservé au Museum of Modern Art de New York.

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46

Paolo Napoli me fait justement remarquer que « rien ne pourrait mieux signifier cette autonomie de la rationalité instrumentale, d'un instrument prêt à servir plusieurs patrons, la cause démocratique comme la cause autoritaire, avec des formes de légitimation distinctes pour l'une et l'autre ». Qu’il en soit remercié ici.

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47

Edward Bernays, Propaganda, (Chap. I, Organizing Chaos), New York, Leveright, 1928, p. 9. Trad. fr. Propagande. Comment manipuler l’opinion en démocratie, préf. Normand Baillargeon, Paris, La Découverte-Zones, 2007, p. 31. Voir les fines analyses de Y. Cohen, ouv. cité, p. 407-415 ; on pourra aussi se reporter à E. Bernays, « Correspondance avec Freud », Le Coq-héron, 2008/3, n° 194, p. 81-99.

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48

Par exemple : « Démocratie n’a de sens non absurde que celui de possibilité de formation continuelle d’une aristocratie » (Paul Valéry, Cahiers II, ouv. cité, p. 1497).

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49

Christian Zervos, « Architecture et publicité », Cahiers d’Art, vol. 11, n° 6/7, 1936, p. 203-207.

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50

Lucien Lévy-Bruhl, « Vues sur la mythologie primitive », nrf, n° 250, Juillet 1934, p. 50-75 (ici p. 54-57).

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51

Id., La Mythologie primitive. Le monde mythique des Australiens et des Papous, Paris, Alcan, 1935.

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52

Léon-Paul Fargue, « Salut à la publicité », Arts et Métiers Graphiques n° 45, 15 février 1935, p. 5-8.

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53

Blaise Cendrars, « C’est un art ! (à Cassandre) », Aujourd’hui, Paris, Grasset, 1931, p. 209.

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54

Fargue empruntait le motif à Cendrars : « Avez-vous déjà pensé à la tristesse que représenteraient les rues, les places, les gares, le métro, les palaces, les dancings, les cinémas, le wagon-restaurant, les voyages, les routes pour automobiles, la nature, sans les innombrables affiches, les vitrines (ces beaux joujoux tout neufs pour familles soucieuses), sans les enseignes lumineuses, … » (Aujourd’hui (1931), Œuvres complètes, IV, Paris, Denoël, 1960, p. 229) 

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56

Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie (1912), Paris, Quadrige / PUF, 1990, p. 269 (je souligne).

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57

Jacques Ellul, Propagandes, Paris, Armand Colin, 1962, p. 265-266.