Introduction
Les burakumin sont un groupe minoritaire que les chercheurs euro-américains qui travaillent sur le Japon connaissent bien. De 1968 à 2003, le gouvernement japonais a cherché à résoudre le problème social qu’ils représentent en mettant en œuvre une politique d’assimilation et de lutte contre les discriminations (dowa taisaku jigyo). Mais la ségrégation a continué, si bien qu’en décembre 2016, une « loi visant à éliminer la discrimination à l’égard des burakumin » (burakumin sabetsu kaisho suishin hoan) a été adoptée. Pour le gouvernement, c’était une façon de reconnaître que la discrimination à l’égard des burakumin se poursuivait et qu’il s’engageait à l’éliminer.
Au Japon, les burakumin ont longtemps été considérés comme un vestige pré-moderne de la société féodale. Il est clair que ce cadre d’interprétation n’apporte pas une explication rationnelle. Cent-cinquante ans après l’Édit de libération (mibun kaihorei), la discrimination continue, alors que le Japon a connu une modernisation et une croissance économique incontestables. Dans les lignes qui suivent, j’analyserai les discours qui problématisent les burakumin, ainsi que les nouveaux savoirs, les technologies et les institutions de gouvernance qui se sont mondialisés de la fin du XIXe au début du XXe siècle en relation avec la notion de « racialisation ».
Dans un régime capitaliste moderne, explique Michel Foucault, le gouvernement des populations se caractérise par un pouvoir qui s’exerce sur la santé, la vie et la mort des êtres humains afin d’optimiser la vie et de la rendre plus efficace. Le biopouvoir envisage les humains comme un agglomérat d’espèces biologiques (une population), et vise à accroître la productivité de l’ensemble de la société en intervenant dans le processus même de la vie. Autrefois, le pouvoir souverain était monopolisé par un monarque absolu qui avait le droit de retirer la vie, ou alors il s’agissait d’un pouvoir disciplinaire qui individualisait chaque être humain en le soumettant à un contrôle corporel minutieux et à une surveillance forcée. Au contraire, le biopouvoir conforte les désirs de chacun, oriente son comportement vers la normalité et le guide vers une « vie meilleure ». Pour Foucault, le racisme fonctionne comme un mécanisme essentiel permettant de donner la « mort » dans le cadre de ce biopouvoir. Le gouvernement des populations vise à maîtriser les contingences afin d’éliminer les dangers de la vie collective. Les personnes dégénérées et anormales sont considérées comme une race inférieure parce qu’elles représentent un risque biologique. Elles sont classées au plus bas de la hiérarchie qui distingue les vies qui valent la peine d’être vécues de celles qui ne le valent pas1.
Nikolas Rose prolonge les recherches de Foucault sur la gouvernance. Il analyse les différents types de contrôle exercés sur la vie humaine dans les espaces de la maison, de l’école, du droit, du travail social, de la médecine et de la prison. Il soutient que le savoir spécialisé et la technologie de la psychologie qui mesure les capacités humaines et détermine ce qui est « normal » et « anormal », la peur de la dégénérescence et l’intérêt pour l’eugénisme, l’éducation, le bien-être et les pratiques de réhabilitation sont liés2. Il qualifie ce réseau de pouvoir de « complexe psychologique »3. Nikolas Rose ajoute que ni la psychologie ni l’eugénisme ne sont le produit de recherches universitaires qui fonctionneraient en vase clos ; au contraire, ils sont en relation étroite avec les institutions et les pratiques qui visent à résoudre les questions et les problèmes de la vie humaine. Autrement dit, les différents savoirs scientifiques ne sont pas des opiums du peuple. Ils fonctionnent plutôt comme des outils de recherche de la « vérité » au sein de ce « complexe de gouvernementalité » fait de discours, de pratiques, de technologies, de lois, d’institutions et d’agents, outils qui permettent l’existence et le contrôle des sujets modernes, dont les soldats, les travailleurs et les enfants4.
Kurokawa Midori analyse l’histoire des burakumin dans le Japon moderne en mettant en avant la question du racisme5. Elle montre que ce sont les travaux des anthropologues qui y ont introduit cette dimension raciste. Elle ajoute que l’origine de ces réflexions est à chercher dans les notions japonaises traditionnelles de « ie » (lignage) et de « sang » qui suscitent des débats depuis la période prémoderne. De son côté, Fujino Yutaka explique que les discours modernes sur les burakumin sont très influencés par les théories eugénistes6. Les travaux de Kurokawa et de Fujino sont intéressants parce qu’ils insistent sur l’origine moderne du problème des burakumin, et refusent l’idée qu’il s’agirait d’un vestige de la société prémoderne. J’ai déjà fait référence à la théorie du biopouvoir de Foucault et j’ai montré en quoi les connaissances scientifiques occidentales influent sur les idées et les pratiques vis-à-vis des burakumin7. Il s’agit maintenant de comprendre dans quelle mesure le Japon moderne et la question des burakumin ont été affectés par la notion de racialisation, et ce, dans le contexte de la mondialisation du gouvernement biopolitique moderne.
I. « Normalité » et « anormalité » humaines
1. L’être humain comme espèce et les « critères » de son développement
Outre les Eta (les « très souillés ») et les Hinin (les « non-personnes »), la société japonaise des débuts de la modernité comprenait de nombreux parias, mais l’exclusion et l’oppression de ces parias ont disparu avec l’époque moderne8. En revanche, les Eta ont continué à être victimes d’un violent rejet et sont devenus la cible de graves discriminations sous l’appellation tokushu buraku (au sens littéral, « hameau spécial ») à partir de la fin du XIXe siècle. Cette désignation est apparue entre le début de la période moderne et la période moderne proprement dite et elle est considérée comme un marqueur de la transformation de discrimination statutaire en discrimination sociale. C’est un concept-clé pour comprendre les caractéristiques du problème des burakumin modernes.
Kojima Tatsuo, qui a longtemps travaillé sur le mot buraku, a découvert que l’expression tokushu buraku apparaissait dans des documents administratifs de la préfecture de Nara qui encourageaient la fréquentation de l’école primaire. La première occurrence date de 1899 et se trouve dans le rapport d’un maire du comté d’Ikoma. Ce dernier répondait à la consultation du gouverneur de la préfecture au sujet de la politique de scolarisation des enfants.
Au Japon, le taux d’inscription des enfants ayant l’âge de l’école primaire était de 10 % environ à la fin du XIXe siècle et ce pourcentage est resté stable au début du XXe. La diffusion de l’enseignement primaire dans la population était due à la promotion de l’instruction et à la présence d’instituteurs dans tout le pays9. Dans la préfecture de Nara, le personnel enseignant insistait pour que la fréquentation de l’école soit plus ou moins obligatoire au cours de réunions avec les parents et les tuteurs des enfants10. Les burakumin étaient mentionnés ainsi dans le rapport du maire du comté d’Ikoma : « Nous avons noté beaucoup d’enfants pauvres dans les tokushu buraku. Ces gamins sont mal nourris, mal vêtus et paresseux de nature. Dussent-ils aller à l’école, leur fréquentation serait chaotique. De ces enfants pauvres naîtront sûrement des adultes prêts à répandre du poison dans l’État. ». Analysons à la fois le contexte historique de ce rapport et la nouvelle vision de l’homme qui émerge dans les milieux éducatifs à cette époque.
Voilà ce que rapportait la préfecture de Mie au même moment : « Il semblerait que la plupart des enfants qui ne vont pas à l’école viennent des tokushu buraku ». Chez tous les enseignants, le burakumin était considéré comme un élément central du problème de l’absentéisme et de la non-scolarisation des enfants11. Dans le rapport du maire du comté d’Ikoma, où l’expression tokushu buraku fut utilisée pour la première fois, les burakumin étaient qualifiés de tokushu (« spéciaux »). Il était urgent de les inclure dans le système éducatif parce qu’ils risquaient de devenir des adultes socialement inadaptés, à cause de leurs conditions de vie effroyables et de leur éloignement de l’école. L’éducation scolaire fournissant l’institution et l’appareil permettant de former des Japonais civilisés, il est facile de comprendre pourquoi les burakumin étaient considérés comme des obstacles au bon fonctionnement de la gouvernementalité moderne.
N’oublions pas que c’est l’époque où de nouvelles réflexions sur le développement humain biologique essaimaient dans les milieux éducatifs qui cherchaient à mettre à profit ces réflexions pour améliorer la société. Prenons le cas de deux intellectuels, Takashima Heizaburo et Fujikawa Yu, qui sont à l’origine de l’Association japonaise pour l’étude de l’enfant et encourageaient la diffusion et l’entretien d’un savoir scientifique sur l’éducation et le soin des enfants12.
Takashima Heizaburo était un psychologue. C’est lui qui a introduit au Japon la psychologie de l’enfant de W. Preyer et G.S. Hall, fortement influencée par la théorie de l’évolution de Darwin. Il a également diffusé la théorie de l’éducation à domicile, en appliquant la psychologie de l’enfant à la parentalité et à l’éducation des enfants. Il a joué un rôle essentiel dans l’émergence des études sur l’enfance et la culture de l’enfance à l’époque, puisqu’il a non seulement créé l’Association japonaise pour l’étude de l’enfant, mais créé la revue de cette association, L’Étude de l’enfant, et organisé une « Exposition des enfants » et une « Exposition des jouets ». Jusqu’ici, les enfants étaient considérés comme des « adultes incomplets », et le but de l’éducation était de modeler leur façon de penser et d’agir immature pour qu’elle corresponde aux normes des adultes. Takashima critiquait cette approche en expliquant que « l’enfance » était un stade spécifique du développement de l’être humain et que l’enfant avait une vision unique du monde qu’il fallait reconnaître et protéger.
Heisaburō Takashima (1865-1946).
Son ouvrage Jidō shinri kōwa 児童心理講話 (Conférences sur la psychologie de l’enfant), publié en 1909, a été largement lu par les éducateurs et est devenu un long-seller au cours de la première moitié du XXe siècle.
Takashima a participé à la mise en œuvre de la politique de réformes sociales du ministère de l’Intérieur, à travers le mouvement visant à renforcer les communautés locales, les activités caritatives, les entreprises réformatrices et le travail social, et il mentionnait souvent le problème des burakumin. En 1903, dans son discours d’ouverture de la Convention nationale de la charité, qui annonçait le programme de protection sociale du gouvernement, il rapporta la remarque suivante d’un inspecteur de police : « Au Japon, les gens qui commettent des meurtres sont souvent des Eta. Comme vous le savez, tuer des animaux est une des tâches habituelles de ces “nouveaux roturiers” (shinheimin). Du coup, ils ne pensent pas que tuer des gens soit si terrible ». Citant l’exemple d’un burakumin qui avait tué huit personnes au cours d’un vol à main armée, il déclara : « Évidemment, c’est un cas pathologique, mais n’oubliez pas que c’est un “nouveau roturier”. La vraie raison, c’est que ces gens sont habitués à tuer de gros animaux ». Le commentaire de Takashima revenait à relier le « symptôme » – être mu par des instincts bestiaux – à la cause : l’environnement dans lequel avait grandi ce burakumin13.
Pour un homme comme Takashima, les êtres humains ont tous des instincts animaux, mais la faculté de la raison permet de les supprimer à mesure que le corps et l’esprit se développent. Les enfants sont aussi « cruels » que les hommes primitifs et les chasseurs-cueilleurs, mais cette cruauté disparaît avec la maturité. Il faut donc les former correctement pour qu’ils dépassent ce stade. En revanche, si leur développement mental est entravé, ce sont les instincts qui dominent. Par exemple, si l’on inflige une punition physique à un enfant exclusivement pour lui apprendre la discipline, son développement est freiné et il grandit sans se déprendre de ses instincts animaux. La violence contre les enfants devait être strictement interdite, expliquait Takashima, et il fallait leur épargner la moindre cruauté14. Il écrivait :
« Une personne qui a été physiquement battue perd le sens de sa propre dignité et devient insensible aux atrocités. Elle continue à s’attaquer physiquement aux autres. Les adultes habitués à la cruauté dès l’enfance commettent souvent des actes cruels en grandissant. C’est pourquoi, dans notre pays, les personnes coupables de meurtres sont surtout des Eta. En Occident aussi, les gens qui, comme les Eta, sont habitués à abattre des animaux sont plus susceptibles de tuer des personnes sans scrupules »15.
Takashima, pionnier japonais du nouveau regard porté sur les enfants, avait pris conscience de la notion d’« enfance » à la faveur de l’interprétation du développement humain liée à l’évolution. C’est ainsi qu’il décrivait le processus suivant lequel un enfant devient un adulte civilisé et socialisé : « Un enfant passe par le stade animal, le stade de l’homo erectus, puis répète ce long processus en tant qu’humain avant d’atteindre le stade de la civilisation dans lequel vit chacun de nous »16. En d’autres termes, le développement de l’enfant est comparable au processus d’émergence de l’humanité qui a évolué du stade de l’animal à celui de l’homo erectus, pour arriver à celui de l’homme civilisé. La thèse de Takashima était fondée sur la théorie de la récapitulation formulée par le biologiste allemand Ernst Haeckel. La théorie de la récapitulation est une théorie de l’embryologie qui postule qu’au cours du développement d’un zygote vers un organisme complet (ontogénie), chaque espèce répète les modifications qui ont eu lieu au fil de l’évolution de ses ancêtres, du stade inférieur jusqu’à l’organisme fini (phylogénie)17. W. Preyer et G. S. Hall analysaient le processus du développement humain et la psychologie en appliquant cette théorie au développement de l’enfant. L’espèce humaine, disaient-ils, est née sous la forme d’un organisme unicellulaire qui est devenu une forme de vie supérieure, pourvue de structures complexes, sur une longue période. Cette forme de vie a acquis la capacité à penser de façon abstraite en développant un système nerveux central, dont le cerveau et la moelle épinière, et elle a évolué de l’homme-singe à l’homo erectus, puis à l’homme civilisé que nous connaissons. Ils considéraient le passage de l’enfant à l’adulte comme un processus linéaire qui reprenait les traits et la nature du corps apparus au cours de l’évolution phylogénétique.
À l’aide du célèbre diagramme de Heckel (de gauche à droite, le processus de développement des poissons, salamandres, tortues, poulets, cochons, vaches, lapins et humains), Takashima explique : « Toutes les espèces ont évolué à partir d’un ancêtre commun, ce qui fait qu’il y a peu de différences dans la forme des espèces aux premiers stades de l’ontogenèse. »
À l’époque, la psychologie et la pédagogie du développement étaient fondées sur une interprétation du développement vu au prisme de l’évolutionnisme18. La revue L’Étude de l’enfant expliquait que la recherche comparative sur les enfants, les animaux et les peuples primitifs pouvait compléter et aider la recherche en d’autres domaines, notamment l’anthropologie et la biologie19. La revue avait à cœur de publier des travaux comparant le corps des enfants et celui des simiens, les jeux des enfants et la vie quotidienne des peuples primitifs, les dessins des enfants et ceux des hommes du paléolithique et du néolithique, et les auteurs de ces travaux étudiaient la psychologie de chaque groupe à partir des similitudes20. Ils jugeaient que l’état d’esprit d’un enfant était le même que celui des peuples primitifs et des animaux. L’enfant grandit et devient un adulte, c’est-à-dire un être humain civilisé, arrivé au stade final de l’évolution. C’est le principe fondamental de la vision de l’être humain comme être biologique. « Les principes élémentaires de l’éducation des enfants » devaient encourager un développement sain, en accord avec « les mécanismes de la nature »21. Takashima ajoutait que la biologie évolutive du développement était « le principal fondement de la recherche universitaire basée sur l’évolution »22.
Takashima explique : « Les bébés humains et les singes sont assis de manière très similaire, et leurs capacités sont au même niveau de développement ».
L’interprétation biologique du développement incitait à porter un regard pathologique sur tous ceux qui s’écartaient de ce développement « normal »23. En 1909, Takashima donna une conférence dans le cadre d’une formation sur les entreprises de réforme organisées par le gouvernement. C’est ainsi qu’il évoquait les personnes socialement inadaptées (les êtres humains « inférieurs ») : « Quoi qu’il en soit, le fonctionnement de l’esprit d’un enfant à un certain stade révèle une nature comparable à celui d’un animal, peu importe que l’enfant soit humain. Cependant, plus l’enfant acquiert de l’expérience et s’instruit, plus ses éléments animaux diminuent et plus ses éléments humains s’épanouissent. Une personne inférieure a donc peu de qualités humaines et une nature animale plus importante »24. Certains devenaient des criminels parce qu’ils étaient nés avec des dispositions génétiques en ce sens, ou avaient grandi dans des familles défavorisées. « Ils sont devenus des adultes sans concepts ni élans permettant de se forger une personnalité parce que leur développement mental a été gravement entravé ». En d’autres termes, le dénominateur commun des déviants était soit un développement entravé du système nerveux central, dont le cortex cérébral, soit une dégradation des plus hautes fonctions que les humains acquièrent à la fin de l’évolution. Selon Takashima, les criminels ne possédaient pas les facultés rationnelles inhérentes à l’homme civilisé. Ils étaient dominés par les instincts animaux et sauvages qui précèdent l’homme du point de vue de l’évolution phylogénique25.
2. La théorie de la dégénérescence
La théorie de la dégénérescence a servi d’explication médicale au mécanisme de rupture du développement humain. Fujikawa Yu, fondateur, avec Takashima, de l’Association japonaise pour l’étude de l’enfant, a diffusé le concept de dégénérescence dans la société japonaise à travers toutes sortes d’activités, dont l’écriture et l’enseignement.
Yū Fujikawa (1865-1940)
Il avait fait ses études de médecine à l’université d’Iéna, fief du darwinisme en Allemagne, où Ernst Haeckel était professeur. Il revint au Japon où il se fit le porte-voix de ce courant de pensée occidental à une époque où l’évolutionnisme influençait de nombreux champs de la société occidentale26. C’est ainsi qu’il soulignait l’importance de l’âge du développement : « Le corps d’un enfant est en cours de développement. Si ce développement n’est pas normal, s’il s’arrête à un moment donné ou s’il est entravé, cela aura des conséquences irréparables. Le soin des enfants demande beaucoup plus d’attention que le soin des adultes »27.
La « dégénérescence » est un concept psychiatrique mis au point par Bénédict-Augustin Morel et Valentin Magnan. Il a influencé la philosophie et la littérature du monde entier, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la moitié du XXe siècle28. La dégénérescence est un phénomène qui se produit quand les humains vivent dans un environnement peu propice à la survie – métier peu hygiénique, malnutrition, maladie et alcoolisme – et que des symptômes pathologiques apparaissaient. Elle affecte les enfants à cause du transfert génétique, car les symptômes de dégénérescence organiques se reproduisent et provoquent des troubles mentaux et physiques, déclenchant des maladies par réaction à des stimuli externes, ou incitant à la criminalité. Les symptômes de dégénérescence sont amplifiés quand ils se transmettent à la génération suivante, et la progéniture disparaît après plusieurs générations.
Fujikawa est rentré d’Allemagne en 1904. Il a commencé à évoquer les risques de « dégénérescence » dans les cercles médicaux, auprès des responsables des réformes sociales et auprès du public. L’idée de « dégénérescence » s’est répandue dans la société japonaise grâce aux médias, mais toujours associée à celles de décadence et de « dissipation ». Examinons donc les explications de Fujikawa sur ce concept.
« La dissipation est l’état dans lequel la structure et la constitution du corps dévient du schéma normal et se dégradent. C’est ce qu’en Occident on appelle la dégénérescence, la décadence ou l’entartung. La structure et la constitution du corps s’écartent de la norme à cause d’obstacles présents dans le corps et l’esprit. Un état dissipé avéré se transmet génétiquement aux enfants qui en ont les symptômes dès la naissance. Du point de vue de la recherche, la dissipation est un trait anatomique et physiologique qui se manifeste génétiquement, considéré comme une transmutation régressive de l’humanité »29.
Pour Fujikawa, la tendance à commettre des actes antisociaux se manifeste quand une anomalie se produit dans le système nerveux qui contrôle le développement de l’esprit et qu’elle se combine avec des facteurs environnementaux : malnutrition, pauvreté, manque d’instruction, mauvaises fréquentations, alcoolisme, syphilis, tuberculose, mariage entre proches parents et dénaturation raciale. Quand la dégénérescence a lieu, la résistance aux stimuli externes faiblit, et la personne est plus réactive et plus susceptible de commettre un crime30. Les déviants finissent par être considérés comme biologiquement « inférieurs », et, ajoute Fujikawa, « parmi les soi-disant fous, jeunes délinquants, paresseux et vagabonds, beaucoup ont l’esprit dégénéré »31.
À partir de cette théorie, Fujikawa expliquait que les enfants en cours de développement devaient être suivis : il fallait prévenir leur « dégénérescence ». Les parents qui souffraient de tuberculose, de syphilis, de névrose ou de psychose donnaient naissance à des enfants qui avaient des troubles génétiques, disait-il, et il y avait plus de chances que « leur corps et leur esprit diffèrent de la norme ». Il était « nécessaire de prendre soin du corps des parents avant la naissance des enfants » pour éliminer les effets des troubles héréditaires32.
N’oublions pas que l’époque ne disposait pas d’explications sur la transmission du patrimoine génétique. L’idée impressionnait beaucoup les esprits, mais on en savait très peu sur ce sujet par rapport à ce que nous connaissons. C’est ainsi que la théorie de la « dégénérescence », selon laquelle la pression exercée sur le corps par de mauvaises conditions de vie entraîne la transmission de maladies génétiques, a contribué à l’émergence d’un jus sanguinis scientifique33.
Les théories diffusées par Takashima et Fujikawa sur ce qui est « anormal » peuvent être résumées comme suit. Un être humain en phase de développement, s’il grandit dans de mauvaises conditions de vie, ou si le développement complet de son système nerveux pâtit d’une maladie génétique transmise par ses ancêtres, cesse de croître et dévie de la forme humaine « normale ». Il n’est plus adapté à la société civilisée car il se comporte suivant sa nature d’homme primitif et se montre déterminé à satisfaire son versant sauvage et animal, sa raison et ses émotions étant altérées. La « dégénérescence » incitait donc à juger « anormales » les personnes qui s’écartaient de la norme biologique et menaçaient la génération suivante à cause de problèmes génétiques34.
Takashima ajoutait que les méthodes de réhabilitation de ces déviants étaient mauvaises. Les œuvres de bienfaisance qui faisaient l’« aumône » aux pauvres finissaient par encourager les « paresseux ». Il valait mieux « aider les gens qui vivaient dans des conditions peu naturelles à revenir à un état naturel » suivant des méthodes éducatives et un traitement appropriés35. Les nouvelles sciences devaient y contribuer puisqu’il s’agissait d’accompagner un développement humain « naturel », de garantir une croissance normale et saine, et d’exploiter une technologie permettant de rapprocher une personne éloignée de la « norme » d’un « modèle » biologique.
Fujikawa défendait l’idée d’une « médecine sociale » qui annonçait la future politique de réforme sociale du gouvernement. La « médecine sociale » était une approche que Fujikawa avait découverte en Allemagne, en même temps que la théorie de la « dégénérescence », et qu’il cherchait à diffuser. Elle se situait, disait-il « à la croisée des chemins entre la médecine et la société » et visait à « rapprocher la politique sociale et la médecine » afin de « réaliser l’idéal d’une vraie réforme sociale ». Fujikawa était sensible aux bienfaits de l’assurance sociale des travailleurs telle qu’il l’avait découverte en Allemagne et ailleurs. « Le corps et l’esprit des personnes des classes laborieuses se dégradent de plus en plus, ce qui crée de nombreux problèmes pour la société. Il est donc urgent, écrivait-il, d’adopter des lois pour sauver les membres des classes laborieuses et ceux qui souffrent de maladies incurables »36. La politique sociale était considérée comme un moyen de prévenir la dégénérescence humaine à partir de connaissances médicales.
Plus tard, Fujikawa a été invité par l’université de Toyo à donner des cours sur les études de sciences sociales37. « Les médecins doivent être proches de la société des pauvres et s’efforcer d’éliminer leurs souffrances, dit-il. Leur principal objectif doit être d’éradiquer ou de soulager les maladies et les obstacles liés au métier, au mode de vie et au logement des ouvriers. » Il avait à cœur d’améliorer les conditions professionnelles, le logement et le mode de vie des plus démunis afin de les protéger de la dégénérescence provoquée par la maladie et le handicap, et de les aider à retrouver une vie saine. L’idée que l’essence de la protection sociale est la prévention de la dégénérescence provoquée par les conditions de vie et les facteurs héréditaires était donc largement admise au Japon à cette époque.
Il est intéressant de voir que les journaux japonais de la fin du XIXe et du début du XXe présentaient aussi les burakumin, les criminels, les jeunes délinquants, les pauvres, les handicapés et les malades mentaux comme des personnes « anormales ». Les pauvres sont « une espèce de singes proche des êtres humains, » écrivait Yokoyama Genosuke dans une enquête intitulée Les Basses couches du Japon (1899). Un « chiffonnier » était « mi-homme, mi-singe », entre le « voleur à la tire » (s’il était intelligent) et le « mendiant » (s’il était stupide)38. Le Mendiant, une enquête de Harada Tofu (1902) affirmait que le « mendiant » vivait « vraiment comme un animal » parce que « son cerveau n’est pas complètement développé. » « Beaucoup naissent mendiants, » précisait-il, sous-entendant que ce problème de développement était héréditaire39. L’enquête d’Ishikawa Tengai sur Tokyo (1909) expliquait que l’habitude du gaspillage chez les pauvres était due à « un trouble de l’esprit lié à leurs conditions de vie et à leurs coutumes, et à leur tendance à profiter goulûment de plaisirs sensuels éphémères ». Il y voyait « une forme de maladie affectant le fonctionnement équilibré du cerveau »40. Les enquêtes de Yokoyama, Harada et Ishikawa montrent que la pauvreté n’était pas seulement considérée comme un problème économique mais comme un problème lié à la nature des personnes dégénérées.
L’influence de la théorie de la dégénérescence est encore plus évidente dans les articles sur les faits divers et les crimes. Un exemple : les reportages consacrés à un jeune cordiste qui tua huit personnes entre 1909 et 1912 à Shibanihonmatsu, un quartier de Tokyo. En 1913, il commit un vol et un meurtre, et fut arrêté. Il était âgé de 23 ans et vivait près de chez ses deux victimes. Le journal Asahi Shinbun publia une série d’articles sur l’éducation et la vie du coupable afin d’en savoir plus sur sa « nature »41. Le jeune homme avait hérité des gènes d’un père qui souffrait d’une maladie de l’estomac, expliquait un des articles, et d’une mère qui avait des migraines provoquées par des troubles cérébraux et une « faiblesse » nerveuse. Sa phrénologie était typique de celle qu’avait identifiée Cesare Lombroso chez les criminels. Par ailleurs, le suspect était un « pleurnichard introverti » quand il était enfant et il avait dégénéré avant de devenir un homme à l’esprit anormal. Sa dégénérescence était due aux mauvaises conditions de vie de son enfance, à une scolarisation sommaire, à la « brutalité » qu’il avait acquise en travaillant avec sa famille adoptive (une famille de pompiers et de cordistes), à son manque de formation, à son rapport immature à l’argent et à sa fréquentation des maisons de passe avec des mauvais garçons.
Ce genre de reportages alertaient les lecteurs sur les dangers de la « dégénérescence » et sous-entendaient que la santé de la famille et l’environnement dans lequel un enfant grandissait étaient des facteurs importants pour son avenir. Ils soulignaient le rôle de l’environnement familial, notamment l’hygiène, la nutrition, la santé et l’amour. En même temps, ils confortaient l’aversion pour les plus démunis, les malades et les criminels.
3. Le gouvernement de la population et le regard sur les burakumin
L’idée que la criminalité, les maladies du corps et de l’esprit et le handicap étaient des questions graves, liées à la dégénérescence provoquée par l’arrêt du développement, finit par être largement acceptée dans la société qui y voyait un nouveau savoir scientifique. La notion de « population » et l’eugénisme avaient suffisamment essaimé pour que ces problèmes ne soient plus ignorés.
Tomeoka Kosuke est un éducateur qui a activement participé au mouvement de réformes sociales amorcées par le ministère de l’Intérieur du début du XXe. Il a œuvré à la réhabilitation des jeunes délinquants et à celle des burakumin, persuadé qu’une réforme était nécessaire depuis qu’il avait été visiteur de la prison de Sorachi à Hokkaido. Il connaissait les statistiques qui montraient que beaucoup de criminels étaient des burakumin.
Kōsuke Tomeoka (1864-1934)
À en croire les recherches effectuées à l’échelle des préfectures, les statistiques de 1905 (Meiji 38) établies pour celle de Mie montraient qu’il y avait en moyenne 0,647 prisonniers pour 1000 habitants ; les prisonniers burakumin, eux, arrivaient à 2,897 pour 1000, soit 3,5 fois plus que la moyenne42. Dans la préfecture de Shiga, la moyenne était de 1,3 criminels pour 1000 habitants de 1897 (Meiji 30) à 1906, mais elle montait à 10,4 criminels dans le buraku de Minamino, soit près de 8 fois plus que la moyenne préfectorale43. Une enquête du ministère de l’Intérieur révélait qu’à l’échelle nationale, le nombre moyen de criminels pour 1000 habitants était de 1,3, mais il était de plus de 8 chez les burakumin, et de plus de 10 dans les zones de buraku les plus chaotiques : le ratio était de 8 à 10 fois plus élevé que la moyenne nationale44. Ces chiffres en disaient long sur le sort des burakumin, et ils permettent de comprendre pourquoi Tomeoka Kosuke s’est engagé dans la prévention de la criminalité et la réhabilitation des jeunes délinquants.
Le taux de criminalité n’était pas le seul problème. Le taux de croissance démographique des burakumin était également plus élevé que la moyenne, ce qui était considéré comme un facteur de trouble à l’ordre public dans l’ensemble de la société. En 1871 (Meiji 4), date de l’édit de libération, 380 000 burakumin environ ont été comptabilisés dans le registre général des familles. En 1911 (Meiji 44), la population était passée à 800 000 personnes. « Leur fertilité est étonnante, » écrivait Tomeoka Kosuke, qui disait avoir « conçu l’idée de réformer les burakumin parce qu’il était important de réduire le nombre des forfaits dont ils étaient responsables pour diminuer la criminalité totale du pays »45.
À partir de la pensée eugéniste, on préconisa une prise en charge par le politique des problèmes sociaux dus à la dégénérescence de la race. Un’no Yukinori, auteur du premier essai eugéniste japonais, La Réforme de la race japonaise (Nihonjinshu kaizoron, 1910), expliquait que le seul moyen de sauver la race japonaise était d’empêcher la naissance de personnes ayant de mauvais gènes.
Un’no Yukinori (1879-1954)
Fasciné par l’eugénisme en vogue en Europe et en Amérique, Un’no était très critique quant au travail accompli par les œuvres de bienfaisance. Il s’appuyait sur les recherches du biologiste allemand August Weismann, qui affirmait que les caractères acquis n’étaient pas héréditaires, pour dire que les personnes ayant des « mauvais gènes » étaient destinées à être « anormales » ou « déviantes ». Si on ne les stérilisait pas, le déclin de la nation et de la société était inévitable. « La protection des handicapés, des malades et des criminels finira par empêcher la sélection naturelle, écrivait-il. Les handicapés, les malades et les criminels auront des conjoints et des enfants, ils feront fuir les bons éléments sociaux et créeront un monde plein de handicapés, de malades et de criminels. La charité aveugle finira par se retourner contre la classe moyenne, qui est la colonne vertébrale de la société et de l’État, et donc […] lui retirera sa nourriture, et réduira la qualité des vêtements et du logement des personnes capables et compétentes »46.
Un’no insistait pour dire que les programmes de lutte contre la pauvreté nuisaient à la société civilisée et en appelait à « se débarrasser des personnes nocives ». Les animaux incluaient des espèces inaptes à s’adapter à l’environnement, qui finissaient par être sélectionnées et éliminées, et des espèces qui s’adaptaient et étaient capables de protéger leur progéniture. Chez les hommes, le processus de sélection pâtissait de l’approche caritative ; par ailleurs, les personnes inadaptées à la société civilisée avaient des enfants. La classe moyenne, qui était la source de revenus de ce travail caritatif, s’affaiblissait puisque le nombre d’indésirables augmentait et que celui des bons éléments diminuait. À terme, concluait Un’no, cela entraînerait le déclin de l’État et de la société.
La théorie de la détermination génétique était incompatible avec la théorie de la dégénérescence, ce qui explique les nombreux débats sur les « personnes anormales ». En parallèle, des discussions avaient lieu sur les objectifs des œuvres de bienfaisance et des programmes d’aide sociale, et sur le choix de leurs bénéficiaires47. L’idée d’améliorer la race, liée à l’eugénisme, a donc eu un impact significatif sur le bien-être social du Japon. Les responsables ont constaté et reconnu l’augmentation du nombre de « retardés » et d’« anormaux » suivant ce que demandaient les eugénistes. Désormais, la réflexion sur les problèmes sociaux ne visait plus à assurer le bonheur des personnes ayant des difficultés, mais à prévenir la dégénérescence de l’État, de la société et de la race, donc à minimiser le coût de la gouvernance.
Nakagawa Nozomu était un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur profondément impliqué dans la politique de réformes sociales. Il envisageait le problème de la dégénérescence due à la génétique du point de vue démographique. Dans Le Bien-être social et l’Amélioration de la race (1912), il fait référence aux recherches européennes et américaines pour rappeler que la « classe supérieure », la « classe moyenne » et la « classe inférieure » diffèrent aussi en termes de croissance démographique. Le taux de natalité des plus démunis était plus élevé que celui des classes moyennes et supérieures, écrivait-il. Les pauvres étaient également atteints de maladies, et « beaucoup sont en mauvaise santé et malsains ». « Un taux de natalité élevé dans la partie malsaine d’une nation signifie que les espèces nationales vont progressivement se détériorer et décliner. C’est donc un problème difficile à résoudre ». « Veiller à ce que les citoyens soient en bonne santé est essentiel pour la prospérité éternelle de l’État. Les enfants des malades mentaux sont souvent eux-mêmes malades mentaux. Il est donc extrêmement important pour l’avenir de l’État de prendre des mesures afin de les empêcher de se reproduire ». Nakagawa qualifiait les personnes qui bénéficiaient d’une aide sociale de « parasites » de l’État et affirmait que cette aide ne devait pas être une « bonne action coûteuse » entraînant la dégénérescence de la race. Il insistait pour que le Japon débatte des mesures eugénistes prises en Europe et en Amérique48.
Rappelons que l’idée que la dégénérescence raciale serait à l’origine des problèmes sociaux était largement acceptée par les intellectuels de la Démocratie Taisho. Ukita Kazutami était un constitutionnaliste qui estimait qu’« une réforme sociale est avant tout une réforme raciale ». Il faisait référence au mouvement eugéniste américain pour proposer que le mariage soit soumis à un certain nombre de critères. Il fallait établir des lois interdisant le mariage des individus qui empoisonnaient la société : les clochards, les crétins, les épileptiques, les faibles d’esprit et tous ceux qui n’avaient aucune perspective d’amélioration49.
Kawakami Hajime, dont les recherches universitaires sont reprises dans son Histoire de la pauvreté (1917), écrivait à propos de l’essai d’Henry Goddard intitulé La Famille Kallikak :
« Le pouvoir des gènes congénitaux est si enraciné que leurs effets, difficiles à annuler par l’éducation, se transmettent de génération en génération. Il est très important que les jeunes gens qui se marient choisissent bien la lignée de leur conjoint et veillent à ne pas polluer celle de leurs ancêtres. Il faut éviter les alliances qui risqueraient de prolonger une lignée subnormale ou de transmettre à la progéniture des séquelles, que ce soit une constitution trop faible ou un tempérament de dépravé. Il faut aussi éviter de mêler son sang à celui des races inférieures, conquises par le Japon. Par exemple, si quelqu’un épouse une personne coréenne, donc de race inférieure, il est inutile de donner une bonne éducation à l’enfant, c’est une perte de temps. Inversement, pour la race supérieure, c’est une porte ouverte à l’autodestruction »50.
Dans les années 1910, l’idée que la réforme sociale allait avec la réforme raciale était presque un dogme. Certes, la stérilisation contrainte n’est devenue légale que plus tard, en 1940, avec la loi sur l’eugénisme national. Mais bien avant, les personnes dont les gènes étaient jugés « inférieurs » étaient sous surveillance, et le gouvernement cherchait à œuvrer afin qu’elles soient non seulement « inoffensives » mais « utiles ».
II. Le bien-être social, outil d’inclusion et d’exclusion : pratiques humanitaires et réforme raciale
1. Le nouveau regard sur l’« anormalité » et la naissance du bien-être social
La prise en charge des personnes jugées « déviantes » ou « anormales », dont les criminels, les jeunes délinquants, les vagabonds, les handicapés physiques et mentaux et les lépreux, a pris son essor dans les années 1910. À Tokyo, le quartier situé autour de la prison de Sugamo était un centre de recherche et de diffusion des connaissances scientifiques sur la formation, l’éducation et l’assistance dans tout le pays.
Autour de Sugamo furent crées les institutions suivantes : L’hôpital psychiatrique métropolitain de Tokyo, en 1886 (construit en Meiji 19, à Sugamo Kagomachi, arrondissement de Koishikawa, cet établissement fut rebaptisé hôpital métropolitain Sugamo de Tokyo en 1889) ; le département de la police métropolitaine, attaché à la prison de Sugamo, créé en 1895 (Meiji 28) à Sugamomura, et rebaptisé filiale de la prison de Sugamo en 1897, puis prison de Sugamo en 1903 ; le Foyer de la ville de Tokyo destiné aux enfants abandonnés et aux sans-abri, ouvert en 1886 (à Otsuka Asatsujimachi, arrondissement de Koishikawa, et à Sugamo Azamiyajishita, arrondissement de Toshima), qui ouvrit une succursale à Sugamomura en 1908, pour les orphelins, les enfants des rues et les jeunes délinquants ; Takinogawa Gakuen, première école pour enfants handicapés mentaux, créée en 1896 (établie à Takinogawamura, c’était l’ancien Kojoen Seisanichi Kojiin, créé en 1891, qui fut transféré à Sugamomura en 1906) ; le Centre de détention pour jeunes délinquants, ouvert en 1899 (à Sugamomura), et dirigé par Tomeoka Kosuke. Les établissements créés à l’époque de la naissance de l’État social japonais étaient donc concentrés dans une même zone51. Enfin, le Département de psychiatrie de l’Université impériale de Tokyo était logé dans l’hôpital de Sugamo, ce qui créait une vraie synergie entre la recherche médicale et la prise en charge des patients.
Parmi les personnalités qui ont travaillé dans ces institutions, citons les psychiatres Kure Shuzo, Katayama Kunika, Miyake Koichi et Sugie Tadasu, qui ont enseigné au Département de psychiatrie de l’université impériale de Tokyo et suivi des patients de l’hôpital de Sugamo. Sans oublier Terada Seiichi qui fit des recherches sur la criminologie dans la prison de Sugamo ; Adachu Kenchu qui dirigea le Foyer de la ville de Tokyo ; Ishii Ryoichi, responsable de l’école de Takinogawa Gakuen, et Tomeoka Kosuke, promoteur de l’école familiale (katei gakko). Fujikawa Yu et Takashima Heizaburo, que j’ai déjà mentionnés, ont collaboré avec ce groupe de praticiens pour promouvoir les soins à apporter aux enfants à l’école et en famille en tenant compte de la psychologie enfantine. Les dirigeants de ces établissements organisaient souvent des réunions et des groupes d’étude. Ce sont eux qui ont relayé les recherches scientifiques euro-américaines sur la criminalité, la délinquance, le vagabondage, le handicap, la maladie mentale et la prostitution, ainsi qu’un savoir spécialisé sur la prise en charge, l’éducation et l’assistance à autrui. Les chercheurs et les spécialistes cités plus haut, que ce soit en psychiatrie, psychologie, sciences de l’éducation et activités philantropiques, participaient activement aux conférences de l’Association japonaise de criminologie créée en 1913, dirigée par Sugie Tadasu et Terada Seiichi, qui travaillaient à l’hôpital Sugamo52.
Locaux d'activités sociales autour de Sugamo (vers 1910).
Ces experts expliquaient eux aussi que l’origine des problèmes sociaux était l’« anormalité » de certaines personnes, et ils y voyaient une dégénérescence due à des troubles génétiques et des facteurs environnementaux. Ces thèses étaient transmises aux administrateurs et aux travailleurs sociaux de tout le pays au cours de journées d’études sur les réformes visant à promouvoir les activités caritatives et le bien-être social, et par l’intermédiaire de ceux-ci, aux membres des associations éducatives, religieuses, policières et gouvernementales de chaque région.
Le niveau d’« anormalité » provoqué par l’arrêt du développement était évalué suivant les notions psychiatriques d’« idiotie » (hakuchi), d’« imbécillité » (chigu) et de « débilité » (rodon)53. L’« idiotie » était le handicap le plus grave, puisqu’elle désignait une personne ayant un niveau intellectuel de deux ans et ne parlant pas correctement. L’« imbécillité » était un handicap moins grave, puisqu’elle sous-entendait le développement mental d’un enfant de deux à sept ans. La « débilité » touchait les personnes difficiles à différencier au premier abord, mais ayant des troubles du comportement et incapables de s’adapter à la société à cause d’un développement arrêté à l’âge de douze ans, suite à une malformation du cerveau. Ces définitions de l’ « anormalité » et de la « déviance » étaient contemporaines des recherches sur les familles jugées anormales, telles que la famille Jukes, étudiée par Richard Dugdale, ou la famille Kallikak, étudiée par Henry Goddard, dans le cadre de l’eugénisme qui essaimait en Amérique. Ces travaux étaient faits pour attirer l’attention et mettre en garde contre les patrimoines génétiques déficients.
Ces connaissances scientifiques servaient de base aux praticiens et aux responsables du bien-être social en cours de formation. Ishii Ryoichi, fondateur de l’école Takinogawa Gakuen, affirmait que les criminels, les vagabonds, les jeunes délinquants et les prostituées étaient des « crétins », et qu’ils étaient dangereux pour la société54. Adachi Kenchu, directeur du Foyer de la ville de Tokyo, expliquait que la plupart des vagabonds qu’il hébergeait manquaient d’une éthique évoluée, incluant le goût du travail et le sens l’hygiène, à cause de leur patrimoine génétique55. Le poids de l’hérédité transmise par les gènes était considéré comme une donnée essentielle par tous les responsables œuvrant pour le bien-être social. Ishii Juji, fondateur du premier orphelinat japonais à Okayama, estimait que l’éducation n’intervenait qu’à 20% dans l’avenir d’un enfant. « Nous devons tenir compte de l’accumulation de gènes héréditaires quand nous envisageons l’avenir d’un enfant »56, disait-il.
À Sugamo, les spécialistes des prisons, des hôpitaux psychiatriques, des centres d’éducation pour jeunes délinquants et handicapés mentaux, ainsi que des foyers de vagabonds et d’orphelins, avaient droit à une formation qui leur permettait d’acquérir des connaissances précises sur les différentes méthodes de réhabilitation, de soin, d’assistance et de prise en charge. De leur côté, les médias relayaient ces pratiques et contribuaient à diffuser des normes et des principes d’hygiène, d’éducation et de santé visant à éviter les « anomalies » et les « déviances » dans les foyers.
Dans le même esprit, le gouvernement mit en place des organismes de protection sociale et encouragea la création d’associations et la formation d’agents, dont les travailleurs sociaux. Le mouvement donna naissance à un programme de formation pour les responsables d’entreprises réformatrices et suscita la création de l’Institut central de la protection sociale en 1908 (Meiji 41). Ce programme visait à diffuser un savoir scientifique censé devenir le socle des œuvres de charité et d’assistance. Il commençait par expliquer que les activités de secours social telles qu’elles existaient ne s’occupaient que de cas individuels, qu’elles étaient donc incohérentes et hors contrôle. Il ne s’agissait pas de distribuer l’aumône aux mendiants et autres. Ces activités devaient être menées dans le cadre d’une politique d’éducation et de santé fondée sur de vraies connaissances scientifiques. Le programme de formation eut lieu pendant 36 jours de septembre à octobre 1908. Il comprenait 106 heures de 25 cours, 14 conférences supplémentaires sur 24 heures, pour un total de 353 participants et une moyenne de 292 participants par jour. 63 hauts-fonctionnaires de préfecture, 16 fonctionnaires municipaux, 33 enseignants, 16 aumôniers de prison, 10 prêtres shintoïstes, 69 moines bouddhistes, 2 pasteurs chrétiens, 128 responsables de projets et 16 volontaires y ont participé. La formation était portée par un réel enthousiasme. Des inspections des lieux avaient lieu tous les dimanches, et dès que l’emploi du temps le permettait, des groupes d’étude se formaient et les discussions pratiques se multipliaient57.
Dans la lignée de Nikolas Rose, j’ai fait référence au « complexe de gouvernementalité, » c’est-à-dire à la structure sociale qui inclue les discours, les pratiques, les institutions, les technologies et les agents qui interviennent et travaillent sur la vie de de la population. Au Japon, à cette époque, le but de ce complexe de gouvernementalité était d’agir sur la population à partir des connaissances et des pratiques de ses nombreux participants, de réformer la race et d’améliorer la sécurité et la productivité de la société. Les burakumin étaient considérés comme un groupe de population dangereux et potentiellement très menaçant pour la société en raison d’une menace de dégénérescence raciale.
2. La « racialisation » des buraku
En septembre 1908, au cours du programme de formation mentionné plus haut, Tomeoka organisa un groupe d’étude sur les tokushu buraku en réunissant 28 membres d’organisations liées au problème des buraku de chaque préfecture, ainsi qu’Aida Yoshio, haut-fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. Le groupe était présidé par Tomeoka, et il profita de plusieurs exposés sur les expériences et les recherches menées par quatre personnes : Okamoto Wataru, maire d’un village du comté de Kii, dans la préfecture de Wakayama, qui avait lancé un programme d’aide aux buraku ; Ogawa Kyokuo, chef de police de la préfecture de Gifu ; Nakabo Minjiro, directeur d’une école primaire à Kyoto ; Kubo Torazo, travailleur social de la préfecture de Nara58.
Tomeoka Kosuke avait découvert les études pénitentiaires et la criminologie européenne et américaine quand il était aumônier (chrétien) de la prison de Sorachi dans la préfecture d’Hokkaido. Il avait continué en faisant des études en Amérique et en Europe avant d’ouvrir une « école familiale » (katei gakko), c’est-à-dire un centre de jeunes délinquants. Des années 1900 aux années 1920, il joua un rôle intellectuel et pratique de premier plan dans la politique sociale, notamment en ce qui concerne les entreprises réformatrices et le mouvement en faveur des communautés locales, le tout sous la houlette du ministère de l’Intérieur59.
Sa vision du travail d’assistance en maison de correction pourrait être résumée comme suit. Les criminels naissent avec un corps et un esprit insuffisamment développés en raison de défauts génétiques innés et de l’environnement dans lequel ils grandissent. Le foyer où naît l’enfant joue donc un rôle essentiel. Si l’on retirait un enfant de son foyer pour le placer dans un environnement idéal, son corps et son esprit se développeraient correctement et il s’adapterait à la société civilisée. Le corps et l’esprit sont sains s’ils sont placés dans un environnement « naturel » accueillant, c’est-à-dire hygiénique, aimant et nourricier. Tomeoka pensait que les idées et les méthodes de réhabilitation des criminels et des jeunes délinquants qu’il avait mises en place dans le cadre de la réforme des prisons et des maisons de correction seraient efficaces pour améliorer le sort des buraku, si bien qu’il décida de les appliquer.
Lors des conférences qu’il donnait dans les zones rurales, Tomeoka rappelait que « les buraku abritent de nombreux enfants délinquants, des handicapés physiques et mentaux, des idiots, des handicapés et des mendiants ». « Nous devons en être conscients pour améliorer la situation, disait-il. Je tiens à attirer votre attention sur le fait qu’il y a beaucoup de prostituées et de serveuses dans les tokushu buraku »60. Il comparait cette situation avec le problème « racial » des Juifs et des Noirs en Europe et en Amérique. Selon lui, les Noirs du sud des Etats-Unis avaient un caractère faible et étaient peu scolarisés, d’où un taux de criminalité et de délinquance plus important. Les Juifs d’Europe et d’Amérique étaient chassés de leur patrie et persécutés, disait-il. Certains étaient bons en affaires, mais dans l’ensemble, il s’agissait de gens inférieurs. Ils faisaient commerce de produits volés, par exemple. À New York, beaucoup de Juifs vendaient des vieux vêtements et des menues marchandises. Ils trempaient également dans des affaires sordides. Les Noirs américains, les Juifs et les tokushu buraku formaient donc une sorte de « triade » à l’échelle mondiale61.
Tomeoka expliquait que les burakumin avaient longtemps été exclus de la société et contraints de se marier entre eux en raison d’un choix limité. Cela expliquait chez eux une tendance physiologique à donner naissance à des jumeaux et des triplés. Le point de vue de Tomeoka sur le patrimoine génétique était sans doute conforté par ce qu’il avait appris au cours de ses études en Amérique. « Je rappelle que la lèpre se répand surtout dans les villages d’Eta, disait-il. Comme ils se marient avec des parents proches, leur sang n’est pas suffisamment renouvelé et ils se transmettent le virus. Finalement, ils sont encore plus isolés des villages voisins et ne sont pas autorisés à s’associer aux autres, encore moins à se marier »62. En outre, on disait que beaucoup d’entre eux étaient naturellement cruels et insensibles parce qu’ils vivaient de professions rudes tel que l’abattage d’animaux.
En 1912 (Meiji 45), Tomeoka et d’autres organisèrent un Congrès sur la prise en charge des buraku appauvris. C’était la première fois que le gouvernement faisait de la question des buraku le thème principal d’un congrès national sur le bien-être social. L’événement réunit environ 130 enseignants, maires de villages et dirigeants de comtés, députés, responsables de communautés, officiers de polices, autorités religieuses, administrateurs et fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, tous engagés à améliorer le sort des buraku dans le pays. Les sujets abordés étaient très variés puisqu’ils comprenaient l’éducation, les usages et les coutumes, les professions, le logement, l’hygiène, la fiscalité, les finances, l’épargne, la socialisation, l’organisation des réformes, la religion et le travail des migrants. De nombreux projets de réforme furent proposés par les participants. Dans le domaine de l’éducation, par exemple, ces projets expliquaient que les enfants étaient malades parce que leur corps ne se développait pas correctement. Par ailleurs, les mariages étaient plus précoces et les enfants plus nombreux, si bien que les ménages avaient des difficultés financières. L’acquisition du langage et du savoir-vivre était insatisfaisante parce que l’éducation à la maison était rudimentaire. Les maisons des burakumin étaient petites, peu hygiéniques et infestées de maladies telles que le trachome, car il n’y avait pas de toilettes ni de bains63.
Le Rinpo jigyo était un des programmes de protection sociale visant à prendre en charge ce problème. À l’origine, l’expression Rinpo jigyo désignait un projet d’implantation japonaise en Occident. Le but initial de ce projet était d’améliorer la vie des pauvres, mais petit à petit c’est devenu une entreprise centrée sur les buraku. Namae Takayuki, haut-fonctionnaire du ministère de l’Intérieur responsable du programme, expliquait qu’il s’agissait d’installer au cœur des quartiers défavorisés des maisons d’accueil proposant un large éventail d’activités et de services64. C’était, disait-il, « un nouveau programme qui permettra à un groupe de bénévoles instruits de se consacrer à un quartier difficile, en accompagnant et en éclairant les résidents pour améliorer leur vie et les sensibiliser à leur condition ». En d’autres termes, il s’agissait de s’impliquer dans la vie des pauvres, de leur transmettre des connaissances sensées et d’améliorer leur qualité de vie.
Namae Takayuki défendait son projet en expliquant que l’espèce humaine, comme tout organisme, pouvait éviter les méfaits de l’hérédité et de l’environnement. Ces effets étaient particulièrement frappants dans la classe improductive dont les membres étaient confrontés à toutes sortes de défis quotidiens.
« Les personnes dont le patrimoine génétique entraîne des conséquences néfastes, disait-il, ont souvent des capacités et un caractère plus faibles. […] Celles qui sombrent dans l’alcoolisme parce que leurs parents ont trop bu, ou les nombreux enfants de personnes souffrant de maladies sexuellement transmissibles ont aussi des capacités réduites et un caractère plus faible. […] Beaucoup de gens ont une faible espérance de vie et vivent dans une pauvreté extrême parce qu’ils ont un caractère fragile et des capacités moindres, si bien qu’ils ne peuvent gagner décemment leur vie »65.
Ces personnes étaient incapables de sortir de la misère par elles-mêmes en raison de cet environnement pauvre et limité, elles avaient donc besoin d’être instruites et conseillées.
« Elles n’ont aucune intimité personnelle ni familiale, ajoutait-il. Il suffit qu’elles se déshabillent pour que les voisins le sachent immédiatement. Cela confirme qu’elles vivent dans des conditions toxiques en termes de coutumes et d’hygiène. […] Voilà pourquoi elles perdent le sens moral, manquent d’intelligence, ont tendance à s’autodétruire, n’en font qu’à leur tête et finissent par anéantir leur propre personne. Elles sombrent dans une telle décadence qu’elles ne jugent pas particulièrement déshonorant d’être prises en charge par la société »66.
Les réformes initiées par Tomeoka Kosuke et d’autres visaient à améliorer la vie des déshérités incapables de sortir seuls de la misère, de la délinquance et des maladies, en les accompagnant pour qu’ils aient une vie sociale plus saine. Notons que ces entreprises étaient fondées sur les notions d’« égalité de tous » et d’« amour fraternel ». Cependant, envisagés sous l’angle du « complexe de gouvernementalité », cette pensée altruiste s’accompagnait d’une vision racialiste qui jugeait que ces groupes avaient une nature « anormale ».
En 1918 (Taisho 7), quand éclatèrent les émeutes du riz, les médias en situèrent l’origine dans les buraku et en attribuèrent la responsabilité aux burakumin en rappelant leur caractère anti-social67. Kaneko Junji, psychiatre, expliquait que ces troubles étaient dus à l’effusion du psychisme dégénéré des basses couches. « L’analyse de l’état psychologique des sujets qui ne peuvent s’offrir qu’un gruau de riz étranger une ou deux fois par jour et ont du mal à joindre les bouts » montrent que « ces gens sont affamés et dans un état pathologique tel qu’ils sont plus crédules et réagissent aux stimuli extérieurs, si bien qu’ils provoquent des incidents majeurs que l’on peut juger socialement pathologiques ». Kaneko Junji rappelait qu’on avait arrêté un coupable à Namerikawashi, dans la préfecture de Toyama, qui était « un déviant, du point de vue psychiatrique » dont « la personnalité oscillait entre celle d’un malade mental et celle d’une personne saine ».
L’auteur faisait aussi référence à « un groupe de femmes de tokushu buraku » de la préfecture de Toyama qui « allèrent voir les plus riches, demandèrent de l’aide et se présentèrent au bureau de la ville pour se faire entendre ». Il justifiait leurs revendications en disant que « les habitants des tokushu buraku épousaient souvent des parents du même sang, si bien que du point de vue psychiatrique il y avait plus de personnes dites déviantes, plus faciles à duper à cause de facteurs génétiques ». Et il ajoutait : « Le fait que l’année dernière, au moment des émeutes du riz, les burakumi représentaient un danger réel, non seulement dans la préfecture de Toyama mais dans d’autres, prouve qu’il faut se pencher sur la déviance pour comprendre les “émeutes des femmes” de Toyama »68.
Cette façon d’envisager les burakumin comme un groupe « anormal » ayant une nature anti-sociale revenait à les racialiser. Inversement, cela racialisait les Japonais qui n’étaient pas des burakumin mais des Japonais « normaux » et « sains ». Kaneko, lui, militait pour « la prise en charge immédiate des déviants ». À présent, il faudrait donc faire davantage de recherches pour comprendre en quoi ce regard racialisant d’inclusion/exclusion, constitutif de la prise en charge des burakumin, a joué un rôle dans la modernisation de l’ensemble de la société japonaise.
Conclusion
Le « complexe de gouvernementalité » englobant les fondements institutionnels de la réforme sociale, les savoirs de la psychiatrie et de la psychologie, les entreprises sociales comme les maisons d’accueil, les travailleurs sociaux, les institutions, les nouveaux espaces et les agents, incluait/excluait les burakumin en tant que population de nature anormale et anti-sociale. Il jetait donc sur cette population un regard « racialisant ». Jusqu’ici, la question des buraku était considérée comme une preuve de modernisation tardive et un vestige du Japon féodal. En réalité, il est plus juste de les envisager au sein du développement mondial de la gouvernementalité moderne telle qu’elle a été analysée par Michel Foucault et Nikolas Rose.
Revenons donc à l’analyse de Michel Foucault sur le racisme en tant que mécanisme fondamental du biopouvoir moderne. Le philosophe soulignait la différence entre le nationalisme prémoderne et le racisme de la période moderne. Dans le gouvernement des populations, la réduction du nombre de personnes jugées inférieures permet d’augmenter la productivité de la société et d’améliorer les conditions de vie individuelles. La vie de ces « inférieurs » est donc une préoccupation importante pour la société, en termes de contenu, de risques et de coûts, et elle devient un objet d’intervention, de surveillance, d’évaluation et de violence. Les crimes haineux et la discrimination dont sont victimes les migrants aujourd’hui sont la preuve que nos vies continuent d’être gouvernées selon ce régime et que le racisme persiste, mais sous une forme différente.
Le rationalisme moderne encourage à améliorer la production et l’efficacité. En même temps, il entretient le regard et les technologies objectivant les races « anormales » qui entravent son progrès. Comment conceptualiser et démanteler le racisme à l’ère du néolibéralisme où l’hyper-gouvernementalité est devenue une réalité ? Seule une généalogie de la subjectivité dans la société moderne permettrait de répondre à ces questions.
Notes
1
Michel Foucault, Il faut défendre la société : cours au Collège de France. 1975-1976, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 1997.
2
Le concept de « complexe psychologique » vient du « complexe tutélaire » de Jacques Donzelot qui analyse la gestion rationnelle des problèmes sociaux tels que la délinquance, la violence et la pauvreté à partir du travail social tel qu’il a émergé au XIXe siècle. Voir Jacques Donzelot, La Police des familles, postface de Gilles Deleuze, Paris, Minuit, 1977.
3
Nikolas Rose, The Psychological Complex : Psychology, Politics and Society in England, 1869-1939, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1986.
4
Nikolas Rose, Governing the soul : the shaping of the private self, Londres, Routledge, 1991.
5
Kurokawa Midori黒川みどり, Tsukurareta jinshu 創られた「人種」[La Création de la race], Tokyo, Yūshisha有志舎, 2016.
6
Fujino Yutaka藤野豊, « Hisabetsuburakumin被差別部落 [Les Communautés discriminées], » in Asao Nohiro朝尾直弘, Ishii Susumu石井進, Hayakawa Sōhachi早川庄八, Amino Yoshihiko網野善彦, Kano Masanao鹿野政直, Yasumaru Yoshio丸良夫 éds., Iwanami kōza Nihon tsūshi 18 岩波講座日本通史18 [Iwanami Histoire du Japon 18], Tokyo, Iwanami shoten岩波書店, 1994, p. 133-167.
7
Sekiguchi Hiroshi関口寛, « Kagawa Toyohiko no shakaijigyō to kagakuteki jinshushugi 賀川豊彦の社会事業と科学的人種主義 [Le bien-être social de Kagawa Toyohiko et le racisme scientifique], » in Sakano Tōru坂野徹 et Takezawa Yasuko 竹沢泰子 éds., Jinshushinwa wo kaitai suru 2 Kagaku to shaikai no chi 人種神話を解体する 2 科学と社会の知 [Démanteler le mythe de la race, vol. 2, Savoir : entre science et société], Tokyo, Université de Tokyo, 東京大学出版会, 2016, p. 105-137.
8
Yokoi Toshirō横井敏郎, « Meiji kōki no toshi to burakumin明治後期の都市と部落 [Villes et burakumin de la fin de l’ère Meiji], » in Burakumin mondai kenkyū 部落問題研究 [Recherche sur la questions des burakumin], vol. 105, 1990, p. 89-110.
9
Tanaka Katsufumi田中勝文, « Jidō hogo to kyōiku sono shakaishiteki kōsatsu 児童保護と教育、その社会史的考察 [Histoire sociale du soin et de l’éducation des enfants], » Nagoya daigaku kyōikugakubu kiyō 名古屋大学教育学部紀要 [Bulletin de la faculté d’éducation, Université de Nagoya] 12, 1965, p. 125-146.
10
On note un consensus des chercheurs sur l’origine du concept de tokushu buraku né des travaux séminaux de Kojima Tatsuo. Voir Kojima Tatsuo 小島達雄, « Hisabetsu buraku no rekisiteki koshō no mondai 被差別部落の歴史的呼称の問題 [Histoire de la nomination problématique des buraku], » in Hyōgo buraku kaihō ひょうご部落解放 [Hyōgo buraku libération], vol. 39, 1990, p. 66-123 ; Kojima Tatsuo 小島達雄, « Hisabetsu buraku no rekishiteki koshō wo megutte 被差別部落の歴史的呼称をめぐって [Histoire de la nomination des buraku], » in Ryōke Minoru 領家譲 éd. Nihon kindaika to buraku mondai 日本近代化と部落問題 [La Modernisation du Japon et les problèmes des buraku], Tokyo, Akashi shoten明石書店, 1996, p. 157-220 ; Kojima Tatsuo 小島達雄, « Tokushu buraku kan seiritsu zenshi 特殊部落観成立前史 [Histoire du concept de tokushu buraku], » in Hyōgo buraku kaihō ひょうご部落解放 [Hyōgo burakumin libération], vol. 98, mars 2001, p. 78-127 ; Kojima Tatsuo 小島達雄, « Hisabetsu buraku no meishō mondai ni kakawatte 被差別部落の名称問題に関わって [L’Engagement dans le problème de la désignation des buraku], » in Kwansei gakuin daigaku jinken kenkyū 関西学院大学人権研究 [Université de Kwansei Gakuin, Institut de recherche et d’éducation sur les droits de l’homme], vol. 6, mars 2002, p. 53-70.
11
Anonyme, « Tokushu buraku no fushūgaku jidō 特殊部落ノ不就学児童 [Les Enfants déscolarisés des tokushu buraku], » Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], vol. 13, no 2, 1909, p. 71.
12
Jidō kenkyū 児童研究 (L’Étude de l’enfant) était la revue de la Nihon kyōiku kenkyūkai 日本教育研究会 (Association Japonaise pour l’éducation), qui précéda la Nihon jidō gakkai 日本児童学会 (Association Japonaise pour l’étude de l’enfant). Dans un article intitulé Jidō kenkyū no hitsuyō 児童研究の必要 (Pourquoi l’étude de l’enfant est nécessaire), on pouvait lire : « Comment se préparer et quelles méthodes sont requises pour le soin de l’enfant ? Quel est le fondement psychologique de l’éducation de l’enfant ? Quels sont les grandes orientations et les critères pour s’occuper des enfants dans les écoles ? Quelle est l’éducation à domicile la plus appropriée pour le développement de l’enfant ? » (vol. 1, no 1, 1898, p. 1-4). Pendant la période qui précédait la Grande Guerre, la revue proposait des conseils psychologiques, pédagogiques et médicaux destinés aux milieux éducatifs japonais et aux tuteurs qui s’intéressaient à la question de l’éducation.
13
Urabe Toyojiro ト部豊次郎, Zenkoku jizen taikai shi 全国慈善大会史 [Histoire de la Convention nationale de la charité], Jizen dōmei dantai jimusho 慈善同盟団体事務所 [Bureau des associations caritatives], 1904, p. 49, publié dans Shakai fukushi chōsa kenkyūkai 社会福祉調査研究会編 [éd. Recherches sur le bien-être social], Senzenki shakai jigyō shiryō shūsei, vol. 1 戦前期社会事業史料集成 第一巻 [Compilation de documents historiques sur le bien-être social d’avant la Grande Guerre], centre Nihon tosho 日本図書センター (centre des bibliothèques japonaises), 1985.
14
Voir Takashima Heizaburō 高島平三郎, Jidō shinri kōwa 児童心理講話 [Conférences sur la psychologie de l’enfant], Tokyo, Kōbundo 広文堂, 1909. Ce livre visait à diffuser dans les écoles et les familles une pédagogie de l’enfant fondée sur un savoir scientifique. C’est un des principaux ouvrages de Takashima dont l’influence fut telle que « des éducateurs de tout le pays se sont précipités pour le lire. » Maruyama Tsurukichi 丸山鶴吉, Takashima sensei kyōiku hōkoku rokujyū nen 高島先生教育報国六十年 [Soixante ans de service à la nation du professeur Maruyama], Takashima sensei kyōiku hōkoku rokuju nen kinenkai 高島先生教育報国六十年記念会 [Fondation commémorant les soixante ans de service à la nation du professeur Maruyama], 1940, p. 94-95.
15
Takashima Heizaburō 高島平三郎, Jidō shinri kōwa 児童心理講話 [Conférences sur la psychologie de l’enfant], Tokyo, Kōbundō 広文堂, 1909, p. 382.
16
Takashima Heizaburō 高島平三郎, « Jidō gaku kōgi dai roku shō kotai hassei to keitō hassei 児童学講義 第六章 個体発生と系統発生 [Conférences sur la psychologie de l’enfant, chapitre 6, Ontogénèse et phylogénèse], » in Jidō kenkyū 児童研究 [Études sur l’enfant], vol. 15, no 7, 1902, p. 243-244.
17
À l’époque, cette théorie fut introduite au Japon sous le nom de « théorie de la récapitulation, » 約説原理, et elle influença de nombreux domaines, dont la biologie, la psychologie, la pédagogie, la littérature et la philosophie. Pour la théorie de Haeckel sur l’embryologie, voir Stephen Jay Gould, Ontogeny and phylogeny, Cambridge, Harvard University Press, 1977, et Sato Keiko 佐藤恵子, Haeckel to shinka no yume: Ichigen ron, ecology, keitōjyu ヘッケルと進化の夢 : 一元論、エコロジー、系統樹 [Haeckel et le rêve de l’évolution : monisme, écologie, arbre phylogénétique], Tokyo, Kōsakusha 工作舎, 2015.
18
Murata Kōji 村田孝次Hattatsu shinrigaku nyūmon 発達心理学入門 [Introduction à la psychologie du développement], Tokyo, Baifūkan 培風館, 1987; Murata Kōji 村田孝次Hattatsu shinrigaku shi 発達心理学史 [Histoire de la psychologie du développement], Tokyo, Baifūkan 培風館, 1992.
19
Voir Anonyme無署名, « Jidō kenkyū no hitsuyō 児童研究の必要 [Pourquoi l’étude de l’enfant est nécessaire], » Jidō kenkyū 児童研究, vol 1, no 1, 1898, p. 1-4.
20
Nomura Yasuyo 野村泰代, « Nihon ni okeru Jidō kenkyū no rekishiteki tenkai 日本における児童研究の歴史的展開 [Le Développement historique de l’étude de l’enfant au Japon], » Fukuoka kyōiku daigaku kiyō 福岡教育大学紀要 [Bulletin de l’université d’éducation de Fukuoka], vol. 52, no 5, 2003, p. 101-116.
21
Takashima Heizaburō 高島平三郎, Katei kyōiku kōwa 家庭教育講話 [Conférences sur l’éducation à domicile], Shizuokashi kyōiku kai 静岡市教育会 [Société d’éducation de la ville de Shizuoka], 1903, p. 59-60.
22
Takashima Heizaburō 高島平三郎, Jidō shinri kōwa 児童心理講話 [Conférences sur la psychologie de l’enfant], Tokyo, Kōbundō 広文堂, 1909, p. 3.
23
Matsumoto Kōjirō 松本孝次郎, qui créa l’Association japonaise pour l’étude de l’enfant avec Takashima, fit connaître la criminologie de Lombroso et d’autres qui essaimait en Occident à la fin du XIXe. Matsumoto expliquait que les criminels avaient des symptômes de dégénérescence physique et mentale et un développement insuffisant du système nerveux qui provoquaient des maladies menant au crime, et que ces tendances se transmettaient. « L’éducation de l’enfant est liée à la pathologie. Les gens qui travaillent sur les pauvres et la criminalité doivent travailler sur des méthodes pour s’en occuper, et ceux qui travaillent sur ces méthodes doivent travailler sur les enfants. » Il expliquait que l’étude des enfants pouvait être appliquée à la pathologie sociale et contribuer à la réhabilitation des « vagabonds, de ceux qui ne paient pas d’impôts et des autres criminels. » Voir Matsumoto Kōjirō 松本孝次郎, « Shakai kaizsen to Jidō kenkyū 社会改善と児童研究 [Réforme sociale et étude de l’enfant], » Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], vol. 2, no 5, 1910, p. 4-8.
24
Takashima Heizaburō 高島平三郎, « Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], » in Kanka kyūsai jigyō kōen shū 感化救済事業講演集 [Conférences sur les entreprises réformatrices], Naimushō chihōkyoku 内務省地方局 [Département des affaires locales, ministère de l’Intérieur], p. 482, publié dans Shakai fukushi chōsa kenkyūkai 社会福祉調査研究会編 [éd. Recherches sur le bien-être social], Senzenki shakai jigyō shiryō shūsei 戦前期社会事業史料集成 第二〇巻 [Compilation de documents historiques sur le bien-être social d’avant la Grande Guerre], vol. 20, 1985.
25
Takashima Heizaburō 高島平三郎, « Jidō to hanzai ni tsuite 児童ト犯罪ニ就テ [Les Enfants et le Crime], » in Keisatsu kyōkai zasshi 警察協会雑誌 [Revue de l’Association de soutien à la police], vols. 212 ( p.1-10), 213 ( p.1-13), 1918.
26
Voir Paul Weindling, Ernst Haeckel, Darwinismus and the Secularization of Nature in History, Humanity and Evolution, Cambridge University Press, 1993. Fujikawa était très influencé par le monisme de Haeckel et il est connu pour avoir mis au point une théorie bouddhiste fondée sur son interprétation originale de la personnalité de Shinran. Voir Fujikwa Yū sensei henshū iin 富士川游先生 編集委員 [rédacteur en chef de « Professor Fujikawa Yū »], Fujikawa Yū sensei 富士川游先生 [Professeur Fujikawa Yū], Fujikawa Yū sensei kankō kai 富士川游先生 刊行会 [Société de publication de « Professor Fujikawa Yū »], 1954. Fujikawa Hideo 富士川英郎, Fujikawa Yū 富士川游, Ozawa shoten 小澤書店, 1990.
27
Fujikawa Yū 富士川游, « Jidō no yōgo 児童の養護 [Le Soin des enfants], » Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], vol. 19, no 6, 1916, p. 11-12.
28
Miyazaki Kasumi宮崎かすみ, « Henshituron to Yōroppa no uchi naru tasha 変質論とヨーロッパの内なる他者 [Dégénérescence : l’invention de l’« autre » en Europe], » Yokohama kokuritsu daigaku kyōiku nin’gen kagakubu kiyō II, Jinbun kagaku 横浜国立大学教育人間科学部紀要. II, 人文科学 [Revue du Collège d’éducation et de sciences humaines de l’Université de Yokohama Ⅱ, 人文科学 Les humanités], vol. 6, 2004, p. 113-133.
29
Fujikawa Yū富士川游, « Nihonjin no taihai teki chōko 日本人の頽廃的徴候 [Symptômes de la dissipation des Japonais], » Dai san teikoku 第三帝国 [Le Troisième Empire], vol. 15, 1914, p.11. Pour d’autres articles sur la dégénérescence, voir Fujikawa Yū富士川游, « Gakusei no shintai no hen’aku 学生ノ身体ノ変悪 [Dégénérescence du corps des étudiants], » Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], vol. 12, no 3, 1908, p. 81-88, Fujikawa Yū富士川游, « Hensei ni tsuite 変性に就いて [De la dégénérescence], » Kangoku kyōkai zasshi 監獄協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], vol. 21, no 6, 1908, p. 4-15, et no 7, p.14-24, Fujikawa Yū富士川游, « Shussan no genkyaku, kokumin no taihai 出産の減却、国民の頽廃 [Réduction des naissances, dissipation nationale], » Daisan teikoku 第三帝国 [Le Troisième Empire], vol. 8, 1914, p. 9, Fujikawa Yū富士川游, « Henshitsu to teinō 変性と低能 [Dégénérescence et Retard], » Jizen慈善 [Charité], vol. 8, no 2, 1916, p. 19-26.
30
Fujikawa Yū富士川游, « Hensei ni tsuite 変性に就いて [De la dégénérescence], » Kangoku kyōkai zasshi 監獄協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], vol. 21, no 6, 1908, p. 4-15, et no 7, p. 14-24.
31
La « dégénérescence » était une « caractéristique anatomique et physiologique qui se manifestait pour des raisons génétiques. » « La structure du corps diffère de la normale à cause d’une maladie physique ou mentale. La dégénérescence se transmet génétiquement et les enfants naissent avec ». Voir Fujikawa, « Gakusei no shintai no hen’aku 学生ノ身体ノ変悪 [La Dégénérescence du corps des étudiants], » Jidō kenkyū 児童研究 [L’Étude de l’enfant], vol. 12, no 3, 1908, p. 81-88.
32
Fujikawa Yū富士川游, « Henshitsu to teinō 変性と低能 [Dégénérescence et retard], » Jizen慈善 [Charité], vol. 8, no 2, 1916, p. 19-26.
33
Fujikawa Yū富士川游, « Iden ni tsuite 遺伝に就て [De l’hérédité], » Kangoku kyōkai zasshi 監獄協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], vol. 25, 1912, no 9, p. 13-24 et no 10, p. 10-16.
34
L’anormalité et le handicap du corps et de l’esprit des enfants sont expliqués médicalement par le patrimoine génétique et le mécanisme de la dégénérescence, in Fujikwa Yū 富士川游, Kure Shūzo呉秀三, Miyake Kōichi 三宅鉱一, Kyōiku byōrigaku 教育病理学 [Pathologie de l’éducation], Tokyo, Dōbunkan 同文館, 1910, qui résume le premier séminaire de l’Association japonaise de l’étude de l’enfant (1908). Voir Kitazawa Seiji 北沢清司, Kaisetsu 解説 (Commentaire), in Jidō mondaishi kenkyūkai kanshū 児童問題史研究会監修 [édité par l’Association de la recherche historique sur les problèmes des enfants], Nihon jidō mondai bunken senshū 21 日本児童問題文献選集21 [Œuvres choisies sur les problèmes des enfants au Japon, 21], Centre Nihon tosho 日本図書センタ [Centre des bibliothèques du Japon], 1984, p. 1-12.
35
Voir Urabe Toyojiro ト部豊次郎, Zenkoku jizen taikai shi 全国慈善大会史 [Histoire de la Convention nationale de la charité], Jizen dōmei dantai jimusho 慈善同盟団体事務所 [Bureau des associations caritatives], 1904, p. 31-55, publié dans Shakai fukushi chōsa kenkyūkai 社会福祉調査研究会編 [éd. Recherches sur le bien-être social], Senzenki shakai jigyō shiryō shūsei, vol. 1 戦前期社会事業史料集成 第一巻 [Compilation de documents historiques sur le bien-être social d’avant la Grande Guerre], Centre Nihon tosho 日本図書センタ [Centre des bibliothèques du Japon], 1985.
36
Fujikawa proposait les rubriques de recherche suivantss pour la médecine sociale : « (1) Politique de prévention sociale (prévention des maladies dites nationales, telles que la tuberculose, la syphilis, l’alcoolisme, le carcinome) ; (2) position et responsabilité des médecins dans l’assistance aux pauvres ; (3) position et responsabilité des médecins dans l’assurance maladie ; (4) aide sociale ; (5) position et responsabilité des médecins en tant qu’experts ; (6) position et responsabilité des médecins de prison ; (7) suivi médical des prostituées ; (8) position et responsabilité des médecins municipaux, des médecins de ville, des médecins de village ; (9) position et responsabilité des médecins scolaires ; (10) position et responsabilité des médecins des ports (médecine marine) ; (11) position et responsabilité des médecins du travail de diverses professions. » Voir Fujikawa Yū富士川游, « Shakai igaku 社会医学 [Médecine sociale], » Chūgai iji shinpō 中外医事新報 [Bulletin médical de Chūgai], vols. 619-620, 1906.
37
Voir Amano Maki天野マキ, « Fujikawa Yū no shakai jigyō 富士川游の社会事業 [Travail social de Fujikawa Yū], » Toyo daigaku shakaigakubu kiyō 東洋大学社会学部紀要 [Bulletin du Département de sociologie de l’Université de Toyo], vol. 30, no 1, 1993, p. 47-76.
38
Yokoyama Gen’nosuke 横山源之助, Nihon no kasō shakai日本の下層社会 [Les Basses Couches du Japon], Tokyo, Iwanami bunko, p. 45, 1985 (1899).
39
Harada Tōfū 原田東風, Kojiki 乞食 [Le Mendiant], 1902, p. 40, p. 23, p. 26.
40
Ishikawa Tengai 石川天涯, Tokyo gaku東京学 [Étude de Tokyo], Meiji bunka shiryō sōsho dai 11 kan 明治文化資料叢書 第一一巻 [Série de documents culturels de la période Meiji], 1960 (1909), p. 510.
41
Anonyme無署名, « Kamataro no kenkyū 1-5 鎌太郎の研究(一)~(五)[Étude de Kamataro], » Asahi shinbun 朝日新聞 [journal d’Asahi], 22-26 août 1913.
42
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, « Shinheimin no kaizen 新平民の改善 [Amélioration des nouveaux roturiers], » Jindō人道 [Humanisme], vol. 28, 1907, p. 2-10.
43
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, « Shinheimin no kenkyū 新平民の研究 [Étude des nouveaux roturiers], » Keisatsu kyōkai zasshi 警察協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], 1908, vols. 92 (p. 49-56), 93 (p. 71-74), 94 (p. 44-49), 96 (p. 39-43).
44
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, « Dainikai Waga kuni no tokushu kyūsai jigyō 第二回 我国の特種救済事業 [Numéro 2 Réforme des Burakumin dans notre pays], » in Doshisha daigaku jinbun kagaku kenkyūjo hen同志社大学人文科学研究所編 [éd. Université Doshisha, Faculté de lettres et de sciences sociales], Tomeoka Kōsuke chosaku shu dai ni kan 留岡幸助著作集 第二巻 [Œuvres complètes de Tomeoka Kōsuke, vol. 2], Kyoto, Dōhōsha 同朋舎, 1979 (1909), p. 588-613.
45
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, « Dainikai Waga kuni no tokushu kyūsai jigyō 第二回 我国の特種救済事業 [Numéro 2 Réforme des Burakumin dans notre pays], » Doshisha daigaku jinbun kagaku kenkyūjo hen同志社大学人文科学研究所編 [éd. Université Doshisha, Faculté de lettres et de sciences sociales], in Tomeoka Kōsuke chosaku shu dai ni kan 留岡幸助著作集 第二巻 [Œuvres complètes de Tomeoka Kōsuke, vol. 2], Kyoto, Dōhōsha 同朋舎, 1979 (1909), p. 588-613.
46
Un’no Yukinori 海野幸徳, Nihon jinshu kaizō ron日本人種改造論 [La Réforme de la race japonaise], Kyoto, Fuzanbō 冨山房, 1910, p. 145-146.
47
Par manque de place, je ne peux pas entrer dans les détails de ce débat. Ils étaient peu, à part Un’no, à plaider pour la détermination génétique, et ils ne sont jamais devenus le courant dominant. Cependant, leur théorie a fait progresser les réflexions sur le patrimoine génétique et l’environnement en fournissant des explications plus cohérentes. Un exemple : on a fini par accepter l’idée que les gens ayant des « gènes anormaux », ou « dégénérés » et « mauvais » manifestaient ces symptômes quand ils étaient dans un environnement pauvre.
48
Nakagawa Nozomu 中川望, « Kanka kyūsai to jinshu kairyō 感化救済と人種改良 [Entreprises réformatrices et réforme raciale], » Jindō人道 [Humanisme], vol. 82, 1912, p. 3-5.
49
Ukita Kazutami 浮田和民, « Jinshu kairyō to kekkon mondai 人種改良と結婚問題 [La Réforme raciale et le problème du mariage], » Jindō人道 [Humanisme], vol. 99, 1913, p. 5-7.
50
Kawakami Hajime河上肇, Iden to kyōiku 遺伝と教育 [Hérédité et Éducation], Dai san teikoku 第三帝国 [Le Troisième Empire], septembre 1917, p. 26-27.
51
Toshimakushi hensan iinkai 豊島区史編纂委員会 [Comité éditorial de l’histoire de l’arrondissement de Toshima], Toshimakushi Tsūshihen 2 豊島区史 通史編 二 [Histoire de l’arrondissement de Toshima, Aperçu 2], 1983, p. 317-346.
52
Kageyama Jinsuke 影山任佐, « Nihon hanzai gakkai oyobi hanzaigaku no rekishiteki kenkyū I Nihon hanzai gakkai tanjyō to nihon seishin igaku no senkusha (Tadasu Sugie) 日本犯罪学会および犯罪学の歴史的研究Ⅰ 日本犯罪学会誕生と日本精神医学の先駆者 (杉江董) [Étude historique de l’Association de criminologie japonaise (ACJ) et de la Criminologie au Japon (1), la création de l’ACJ et la Tadasu SUGIE, pionnier de la psychiatrie criminelle au Japon], » Hanzaigaku zasshi 犯罪学雑誌 [Revue de l’Association de criminologie japonaise], vol. 79, no 4, 2013, p. 101-132.
53
Ces catégories étaient couramment utilisées par le mouvement eugéniste américain. Miyake Kōichi fut le premier à introduire ces concepts au Japon et à les diffuser auprès des praticiens des milieux éducatifs, du soin et de la prise en charge. Voir Miyake Kōichi 三宅鉱一, « Seishin hattatsu teishi 精神発育停止 [Arrêt du développement mental], » Seishinbyo gaku shindan oyobi chiryō gaku Dai 15 sho 精神病学診断及治療学 第十五章 [Diagnostique et traitement de la maladie psychiatrique, chapitre 15], 1908, p. 462-473. Miyake Kōichi 三宅鉱一, « Seishin hakujiyaku no jidō teigi oyobi bunrui 精神薄弱の児童 定義及び分類 [Enfants faibles d’esprit : définition et catégorisation], » in Fujikawa Yū富士川游, Kure Shūzo呉秀三, Miyake Kōichi三宅鉱一, Kyōiku byōrigaku 教育病理学 [Pathologie de l’éducation], Tokyo, Dōbunkan 同文館, 1910, p. 151-156. Miyake Kōichi三宅鉱一, « Seishinbyōteki chūkansha精神病的中間者 [Maladie mentale intermédiaire], » Kangoku kyōkai zasshi 監獄協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], 1909, vol. 22, no 6. p. 1-20, no 7, p. 1-18 ; Miyake Kōichi三宅鉱一, Hakuchi oyobi teinōji白痴及低能児 [Idiotie et enfants faibles d’esprit], Tohōdō shoten吐鳳堂書店, 1914.
54
Ishii Ryōichi石井亮一, « Hakuchisha ni tsuite白痴者に就て [De l’idiotie], » Keisatsu kyōkai zasshi 警察協会雑誌 [Revue de l’Association du soutien aux prisons], 1919, vol. 229, p. 11-22, et no 330, p. 5-16.
55
Adachi Kenchu 安達憲忠, « Shūyōsū to teinōsha to no ritsu ni tsuite 収容数と低脳者との率に就て [Sur le ratio du nombre de prisonniers et d’handicapés mentaux], » Jizen 慈善 [Charité], vol. 7, no 4, 1916, p. 26-34.
56
Ishii Jūji 石井十次, « Okayama kojiin keiei dan 岡山孤児院経営談 [Histoire de la direction de l’orphelinat d’Okayama], » Jizen 慈善 [Charité], vol. 3, no 1, 1911, p. 21-30.
57
Anonyme, « Tokushu Buraku Kenkyūkai 特殊部落研究会 [Groupe d’études sur les Tokushu Buraku] », Jindō人道 [Humanisme], 1908, vol. 42, p. 13.
58
Anonyme, « Tokushu Buraku Kenkyūkai 特殊部落研究会 [Groupe d’études sur les Tokushu Buraku], » Jindō人道 [Humanisme], vol. 42, 1908, p. 13.
59
Pour le travail social et les entreprises réformatrices de Tomeoka Kōsuke, voir Murota Yasuo室田保夫, Tomeoka Kōsuke no kenkyū 留岡幸助の研究 [Étude de Tomeoka Kōsuke], Tokyo, Fujishuppan 不二出版, 1998. Nii Hitomi二井仁美, Tomeoka Kōsuke et katei gakko 留岡幸助と家庭学校 [Tomeoka Kōsuke et l’école à domicile], Tokyo, Fujishuppan 不二出版, 2010.
60
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, Burakumin kaizen jigyō 部落改善事業 [Projet d’amélioration des Burakumin], Gifu ken naimu bu chihō ka 岐阜県内務部地方課 [Section des affaires locales, Département de l’Intérieur, préfecture de Gifu], 1921.
61
Tomeoka Kōsuke 留岡幸助, « Dainikai Waga kuni no tokushu kyūsai jigyō 第二回 我国の特種救済事業 [Réforme numéro 2 des burakumin de notre pays], » Doshisha daigaku jinbun kagaku kenkyūjo hen同志社大学人文科学研究所編 [éd. Université Doshisha, Faculté de lettres et de sciences sociales], in Tomeoka Kōsuke chosaku shū dai ni kan 留岡幸助著作集 第二巻 [Œuvres complètes de Tomeoka Kōsuke, vol. 2], Kyoto, Dōhōsha 同朋舎, 1979 (1909), p. 588-613.
62
Tomeoka Kōsuke nikki techo 留岡幸助日記・手帳 [Journaux et carnets de note de Tomeoka Kōsuke], Doshisha daigaku jinbun kagaku kenkyūjo shozō fukusha ban genpon bango 59 同志社大学人文科学研究所所蔵複写版、原本番号59 [Collection de l’université Doshisha, Faculté de lettres et de sciences sociales, copie no 59].
63
Saimin burakumin kaizen kyōgikai sokki roku 細民部落改善協議会速記録 [Transcription sténographique du Congrès sur la prise en charge des burakumin appauvris], 1912.
64
Namae Takayuki 生江孝之, « Rinpo jigyō隣保事業 [Projet de maisons d’accueil], » Shakai jigyō社会事業 [Travail social], vol. 7, no 2, mai 1923, p. 141-151.
65
Namae Takayuki 生江孝之, « Rinpo jigyō隣保事業 [Projet de maisons d’accueil], » Shakai jigyō社会事業 [Travail social], vol. 7, no 2, mai 1923, p. 143.
66
Namae Takayuki 生江孝之, « Rinpo jigyō隣保事業 [Projet de maisons d’accueil], » Shakai jigyō社会事業 [Travail social], vol. 7, no 2, mai 1923, p. 144.
67
Fujino Yutaka 藤野豊, « Kome sōdō ni okeru hisabetsu burakumin shudō ron no seiritsu米騒動における被差別部落主導論の成立 [Comment est née la théorie sur la responsabilité des burakumin dans les émeutes du riz], » in Fujino Yutaka 藤野豊, Kurokawa Midori 黒川みどり, Tokunaga Takashi 徳永高志, Kome sōdō to hisabetsu burakumin米騒動と被差別部落 [Les Émeutes du riz et les burakumin], Tokyo, Yūzankaku雄山閣, 1988, p. 41-70.
68
Kaneko Junji 金子準二, « Toyama ken no on’na ikki ni taisuru seishin byōrigakuteki kōsatsu 富山県の女一揆に対する精神病学的考察 [Analyse psychiatrique des émeutes de femmes dans la préfecture de Toyama], » Shakai to kyūsai 社会と救済 [Société et Secours], vol. 2, no 12, 1919, p. 892-897.