Les récits éducatifs sur la Shoah en Pologne
Docteur en Science politique

(CNRS et Université de Strasbourg - SAGE)

La Classe morte de Tadeusz Kantor.

Romano Martinis, La Classe morte de Tadeusz Kantor (1975)

Croisant les perspectives de recherche1, cet article propose une analyse multi-niveaux de l’éducation à l’histoire en Pologne. Si l’analyse porte avant tout sur l’histoire scolaire, la notion d’éducation à l’histoire désigne des politiques éducatives plus générales, non exclusivement tournées vers l’école – notamment les musées et les productions de l’Institut de la mémoire nationale. On distingue donc l’enseignement de l’histoire, concernant l’espace scolaire stricto sensu, et l’idée plus large d’éducation à l’histoire.

La perspective chronologique adoptée couvre la période de la Pologne communiste et la période post-communiste débutée en 1989, afin de montrer comment, malgré un cadre institutionnel mouvant et des réformes fréquentes des programmes scolaires, le flux et reflux de l’intervention de l’État dans les politiques éducatives n’a pas considérablement modifié les récits éducatifs consacrés à la Shoah en Pologne. L’analyse des mécanismes concrets de transmission de l’histoire scolaire donne ensuite à voir les (re)traductions des politiques éducatives « sur le terrain » et les ambiguïtés du rapport des enseignants à ces politiques et aux récits qu’elles véhiculent. On peut ainsi nuancer le constat d’une politique historique agonistique et nationaliste ; celle-ci s’inscrit dans le temps long des politiques éducatives. La capacité gouvernementale à influencer le récit scolaire effectivement transmis à l’école dépend in fine des contextes de transmission et des propriétés sociales des acteurs, enseignants et élèves.

Flux et reflux de l’intervention de l’État dans l’éducation à l’histoire

Les politiques d’éducation à l’histoire en Pologne ont schématiquement connu trois phases : à l’intervention forte de l’État dans le contexte de la période communiste a succédé un reflux dans les années 1990, marquées par une relative libéralisation de la politique scolaire, avant un fort retour interventionniste, depuis la fin des années 1990. La politique historique agonistique du gouvernement PiS, forme exacerbée d’intervention en ce domaine, s’inscrit donc dans une histoire plus longue et relativement autonome des évolutions du champ politique.

En Pologne populaire : un centralisme et ses espaces d’autonomie

En République populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL), dans les années 1945-1989, l’enseignement de l’histoire est soumis, comme celui d’autres matières, à une forte pression idéologique : les contenus des programmes et des manuels doivent correspondre à la version officielle de l’histoire, promouvant l’idéal d’un modèle socialiste polonais, et font l’objet d’une attention particulière de la censure2. Un seul programme et un seul manuel par niveau scolaire sont autorisés. La politique scolaire est subordonnée aux structures du Parti ouvrier unifié polonais (POUP). Pendant toute la période d’existence du POUP, les questions d’éducation sont subordonnées à un secrétaire particulier du comité central (CC), qui est en général membre du Bureau politique. Le même secrétaire est souvent en charge, en plus de l’éducation et de la science, de la culture ainsi que de la propagande, de la presse, des publications, de la « superstructure idéologique » et de l’histoire du Parti3

Pour autant, la période communiste n’est pas homogène, ni exempte de débats autour des enjeux éducatifs, même si ceux-ci s’inscrivent dans un cadre limité, car « le “jeu” [ne] diminue [pas] quand “l’étau” des contraintes se resserre »4. En effet, les Congrès de l’Union des enseignants polonais (Zwiazek Nauczywielstwa Polskiego, ZNP), syndicat officiel de la profession, constituent des espaces de discussions autour des modèles éducatifs et de leurs réceptions sociales. De même, la revue Informations historiques (Wiadomości historyczne), destinée aux enseignants, parvient à exprimer un certain pluralisme sur ces enjeux, bien qu’elle soit elle-même – comme toutes les publications – soumise à la censure.

La déstalinisation entamée en 1956 s’accompagne d’une dépolitisation temporaire de l’enseignement et de ses objectifs. Les instructions sur l’organisation de l’année scolaire 1956-1957 ne mentionnent aucun objectif d’enseignement lié à l’idéologie marxiste ou à des affaires politiques courantes. Il reste de nombreuses « taches blanches », c’est-à-dire des sujets tabous, absents des programmes et manuels (comme le massacre des officiers polonais par le NKVD soviétique à Katyn en 1940), ou bien dont la présentation est biaisée par l’idéologie officielle (comme l’insurrection de Varsovie en 1944). En 1980, la formation du syndicat Solidarność contribue à impulser dans le débat public certains de ces sujets. Le Conseil national de la Section de l’Éducation et de l’Instruction de Solidarność publie ainsi, en 1981, une proposition de modifications du programme d’histoire dans les écoles primaires et secondaires. Ces propositions ouvriront par ailleurs le « circuit d’écriture »5 des programmes à de nouveaux acteurs.

Ainsi, le curriculum de 1981, qui n’a jamais été introduit du fait notamment de l’instauration de l’état de siège, « résulte des négociations entre la Section de l’Éducation et de l’Instruction du syndicat Solidarność et l’Institut des Programmes Scolaires du ministère de l’Éducation et de l’Instruction »6.

Réformer l’enseignement de l’histoire en contexte postcommuniste

Les évolutions impulsées par la transition démocratique de 1989 se traduisent par la suppression du monopole dont jouissait l’éditeur Wydawnictwo Szkolne i Pedagogiczne (WSiP) pour la publication des manuels scolaires, par l’affirmation de l’indépendance de la pratique enseignante et, avec elle, du choix des manuels, enfin par la création d’écoles privées – qui ne vont concerner qu’une faible minorité d’élèves en Pologne7. La décentralisation du système éducatif est alors perçue comme l’un des éléments de la démocratisation politique8. Bien que le transfert de la gestion des écoles de l’échelon national aux gouvernements locaux ait pris beaucoup plus de temps que prévu9, la quasi-totalité de l’enseignement public polonais est aujourd’hui administré par les municipalités et les districts (powiat).

Dans ce nouveau contexte, le système d’enseignement repose toujours sur un curriculum unique par matière et par niveau à l’échelle nationale. Il est devenu « l’instrument principal permettant au gouvernement de conduire la pratique éducative dans un système d’éducation décentralisé »10. Les examens intermédiaires après chaque niveau scolaire et le baccalauréat continuent aussi d’être gérés au niveau national. Le path dependence peut également être mesuré à l’aune des trames narratives du curriculum d’histoire. Comme dans les années 1970, l’enseignement a été organisé en deux cycles chronologiques allant à chaque fois de l’antiquité à la période contemporaine : d’abord à l’école primaire (de 7 à 14 ans) puis à l’école secondaire (15-18 ans pour les lycées). Cette trame narrative a très peu changé durant cette période, ce qui explique une certaine inertie des pratiques enseignantes, et ce malgré l’autorisation des scénarios de cours alternatifs, souvent élaborés par des enseignants eux-mêmes (autorskie programy nauczania).

Un grand nombre de manuels datant de la PRL continuent d’être utilisés jusque dans les années 1990, dans des versions très peu remaniées. C’est que, sur le plan politique, le changement de régime relève d’abord d’une négociation entre les dirigeants de Solidarność et ceux du POUP, autorisant ainsi un pluralisme d’interprétations du passé, promu d’ailleurs comme l’une des composantes de la démocratie. La longévité de certains manuels est aussi liée à des aspects pratiques. Il s’est révélé difficile de rédiger, produire et distribuer de nouveaux manuels dans un laps de temps assez court. Et, contrairement à la période de la PRL, durant laquelle les manuels étaient distribués aux élèves, l’achat de nouveaux manuels s’est avéré difficile pour certains parents, obligeant de fait les enseignants à poursuivre avec les anciens. Cela a généré de nouvelles pratiques, liées au développement de l’accès à la reprographie. Pour combler les lacunes des anciens manuels, les enseignants proposaient à leurs élèves des photocopies d’extraits d’ouvrages ou d’articles de presse consacrés aux « taches blanches ».

Le nouveau programme d’histoire, appelé programme minimal (minimum programowe), est publié en 1992. La trame narrative y demeure centrée sur l’histoire nationale. Seule la période de l’après-Seconde Guerre mondiale témoigne de réelles évolutions, intégrant désormais des thèmes liés à la période communiste (dans une perspective renouvelée) et la création du syndicat Solidarność. Pour la première et unique fois dans l’histoire curriculaire, la Shoah disparaît du programme11. En primaire, seuls sont présents les thèmes « occupation, génocide, camp de travail, camp d’extermination », sans que la population juive y soit mentionnée12. Il en va de même pour les classes du secondaire13.

Cette période de réforme des programmes scolaire s’articule aux politiques de réconciliation, dans le cadre des relations bilatérales d’évaluation de manuels scolaires avec les pays voisins, encouragées par les organisations internationales, notamment l’Unesco et le Conseil de l’Europe14. Ces commissions sont mises en place par des accords bilatéraux entre les ministères de l’Éducation, des Affaires étrangères et parfois des institutions scientifiques indépendantes afin de réduire les tensions existantes. Les commissions polono-tchécoslovaque, polono-soviétique, polono-allemande et polono-autrichienne sont créées avant 1989. Parmi elles, la commission polono-allemande, créée en 1972 suite à un accord tripartite entre la RFA, la PRL et l’Unesco, constitue le cas d’étude le plus riche car son action a été ininterrompue depuis cette date15. D’autres sont créées après la chute du régime communiste en Pologne et l’ouverture de relations diplomatiques avec les pays de l’ex-URSS (commissions polono-lituanienne, polono-ukrainienne, polono-biélorusse, polono-russe et polono-israélienne).

La construction d’un marché de l’édition scolaire

La réforme de 1999 modifie les cycles scolaires en introduisant un niveau intermédiaire, le gimnazjum (équivalent du collège), ce qui nécessite la publication de nouveaux programmes. Celui d’histoire gagne en précision. Comme en 1992 toutefois, le processus de recrutement des auteurs, leur identité et leur apport dans l’élaboration du programme ne sont pas communiqués16. C’est que le processus de validation des manuels est resté le même qu’en 1992, sur le plan pratique de la mise en place de la réforme et singulièrement de la diffusion de nouveaux manuels. Là encore, la publication des programmes en février 1999 a soulevé des problèmes techniques aux éditeurs, car les nouveaux manuels devaient être publiés et diffusés pour septembre de la même année.

La réforme de 1999 s’est également traduite par une évolution du marché des manuels scolaires. La part de marché de WSiP a diminué, du fait des prix assez élevés des manuels, et des modifications structurelles du marché éditorial dans son ensemble, marqué par l’émergence de très nombreuses autres maisons d’édition. L’ancien éditeur officiel a, de fait, servi de lieu de socialisation éditoriale en fournissant un cadre d’apprentissage à ses futurs concurrents17. D’autres éditeurs, généralistes comme Znak, ou académiques comme Państwowe Wydawnictwo Naukowe, élargissent leurs catalogues aux livres scolaires, souvent rédigés par des universitaires.

manuels d’histoire

Couvertures de manuels d’histoire publiés à partir des années 1990.

Ainsi, en 1999, aux côtés de WSiP, neuf autres éditeurs18 obtiennent l’autorisation ministérielle pour la publication des manuels de première année d’enseignement de l’histoire au collège19. Entre 2000 et 2003, le ministère a certifié les manuels scolaires de onze éditeurs20, ainsi qu’une deuxième série de manuels par WSiP et une autre maison d’édition déjà présente sur le marché21. Dans ce contexte de forte concurrence, les maisons d’édition ne publient pas forcément des séries, couvrant toutes les classes. Paradoxalement, l’un des résultats de cette compétition et du manque de temps pour élaborer des séries complètes, a été de consolider l’usage des anciens manuels scolaires, parfois imprimés dans des versions peu remaniées.

Sur le plan de la diffusion, « pratiquement rien n’était interdit et tout était permis »22, ce qui correspondait à un contexte caractérisé par une certaine effervescence entrepreneuriale, sans que le marché soit réellement encadré. Comme en témoignent certains enseignants23, les maisons d’éditions n’hésitaient pas à développer des pratiques de corruption pour vendre leurs manuels : offre d’ordinateurs ou d’équipement aux écoles, rabais, voire pots-de-vin aux directeurs ou aux enseignants pour faciliter le choix de leurs manuels.

La politique historique et ses effets sur l’enseignement de l’histoire

Après une décennie marquée par une relative décentralisation et libéralisation de l’espace de production des politiques d’enseignement scolaire, la fin des années 1990 est au contraire caractérisée par un interventionnisme accru de l’État dans le domaine de la politique historique.

La création de l’Institut de la mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN) marque une première étape de cette évolution, bien que l’enseignement de l’histoire n’ait pas constitué la principale motivation des législateurs au moment d’adopter la loi à l’origine de sa création, le 18 décembre 1998. L’IPN est en effet créé sur fonds de débats récurrents au sujet de la lustration, c’est-à-dire la vérification du passé des candidats aux fonctions politiques et administratives, dans le but d’en exclure les anciens informateurs des services de sécurité (SB) de la Pologne populaire. Sur le modèle de l’Institut Gauck, créé en Allemagne dès 1990, il s’agit de transférer les archives des SB du ministère de l’Intérieur vers un institut ad hoc. Mais l’IPN se voit aussi confier des responsabilités en matière de recherche et d’éducation, avec la création d’un Bureau d’éducation publique (BEP), qui devient peu à peu l’un des principaux producteurs de publications historiques, à mesure que ses effectifs historiens augmentent. Dans la seconde moitié des années 2000, le BEP compte environ 300 employés.

Le BEP a produit des centaines de publications éducatives, notamment un périodique distribué dans les collèges et les lycées, le Bulletin de l’IPN (Biuletyn IPN), tiré à 15 000 exemplaires, ainsi que des « dossiers éducatifs » (teki edukacyjne). Chacun de ces dossiers est consacré à un thème de l’histoire contemporaine, pour lequel sont fournis un livret de l’élève, un livret de l’enseignant comprenant des scénarios de leçons d’une à deux heures, ainsi qu’un matériau pédagogique comprenant archives, cartes, iconographie et bibliographie. Ces dossiers pédagogiques sont envoyés gratuitement aux enseignants ; ils sont parfois disponibles en téléchargement sur le site de l’Institut. À ces leçons « clé en main » s’ajoutent des dizaines d’expositions itinérantes, plusieurs portails web, des albums et bandes dessinées, des jeux de société et des films documentaires ou d’animation, diffusés via le compte YouTube de l’IPN. En l’espace d’une dizaine d’années, un matériau éducatif riche et attractif a donc été mis à disposition du public scolaire. La focalisation des récits éducatifs produits par l’IPN sur la martyrologie et la mémoire nationales n’en rend pas moins ces récits assez biaisés.

Le rôle de l’IPN dans la production de l’histoire scolaire a en outre été officialisé dès septembre 2001 par la signature d’un accord de coopération entre l’Institut et le ministère de l’Éducation nationale, selon lequel l’IPN est associé à l’élaboration des programmes d’enseignement de l’histoire contemporaine, à l’évaluation des manuels ainsi qu’à la formation continue des enseignants.

L’interventionnisme accru de l’État polonais dans l’enseignement de l’histoire se trouve aussi conforté par l’avènement d’une politique publique de l’histoire, la politique historique (polityka historyczna). La politique scolaire y est comprise dans un ensemble de politiques publiques plus vaste en matière culturelle et diplomatique. Dans le contexte de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (2004) et des commémorations du 60e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale (2005), mais aussi de la première accession au pouvoir du PiS, qui place cette politique au cœur de son action, la politique historique apparaît comme un moyen de faire valoir le « point de vue polonais » sur le passé. Selon ses promoteurs, des intellectuels proches de la droite conservatrice alors au pouvoir24, il s’agit de refuser un alignement sur le récit dominant au niveau européen, qui n’accorderait pas la place qu’elle mérite à la condamnation des crimes du totalitarisme de type soviétique25. L’enjeu est aussi de remettre en cause une « pédagogie de la honte » – équivalent du thème français de la « repentance » – supposément promue par les gouvernements précédents.

Ce thème a surgi dans le débat public polonais à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Jan Tomasz Gross consacré au crime de Jedwabne. Il s’agit du massacre de la population juive d’une bourgade du Nord-Est de la Pologne, par leurs voisins polonais non juifs26 à l’été 1941, dans le contexte du retrait des troupes soviétiques occupant la région face à l’offensive allemande27. La confirmation de la responsabilité des civils polonais non juifs dans le massacre de Jedwabne par une enquête de l’IPN suscite à l’époque des craintes, dans la presse d’extrême-droite, quant à l’accord signé entre l’Institut et le ministère de l’Éducation : « La vérité sur les crimes communistes pourrait s’avérer moins importante que l’affaire de Jedwabne », s’inquiète le quotidien Nasz Dziennik en septembre 200128.

À rebours de la « pédagogie de la honte », la nouvelle direction de l’Institut désignée après l’arrivée au pouvoir du PiS en 2005 s’est engagée dans la promotion de la figure des Polonais ayant sauvé des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. Le premier gouvernement du PiS n’entreprend cependant pas de réforme majeure en matière scolaire. Son successeur, la Plate-forme civique (Platforma Obywatelska, PO) envisage pour sa part une réforme ambitieuse en 2008-2009, dans le cadre plus large d’une politique historique valorisant une perspective européenne, qui se veut aux antipodes de celle du PiS. Il s’agit, comme avec le Musée de la Seconde Guerre mondiale créé à Gdansk à l’initiative de ce gouvernement – dont l’exposition a été remaniée après le retour du PiS au pouvoir en 2015 – de proposer un récit tourné vers le dialogue international et l’idée de réconciliation. En témoignent la réactivation du Groupe polono-russe pour les questions difficiles29 ainsi que le lancement du projet d’un manuel commun polono-allemand en 200830. Dans le domaine de l’enseignement de l’histoire, le nouveau programme crée une nouvelle matière « Histoire et société », devant être enseignée en primaire et au lycée à partir de la Seconde (16 ans) dans des classes qui suivent un cycle d’histoire non élargi. Cette nouvelle matière est alors déclinée au lycée en neuf « chemins thématiques ».

Cette réforme cristallise les protestations de certains milieux d’historiens, surtout de l’Université Jagellonne (UJ) de Cracovie, réputée pour son conservatisme. La défense de l’histoire comme matière enseignée à l’école et la stratégie de légitimation des enseignants d’histoire dans leur monopole d’enseignement renvoie notamment à des logiques corporatistes : contrairement à l’« Histoire », la matière « Histoire et société » pouvait être enseignée par des enseignants d’autres disciplines que l’histoire. Les détracteurs de la réforme soulignent le rôle formateur des futurs citoyens dans un esprit « patriotique » que seule la discipline « Histoire » serait susceptible d’assurer. Cet état d’esprit s’oppose à l’introduction de bribes d’histoire des femmes, d’histoire des « minorités » ou encore d’histoire économique et sociale. Le discours sur la présumée suppression de l’enseignement de l’histoire au lycée portait directement sur une supposée crise de la conscience historique, ce dont témoignent les propos d’Andrzej Nowak, professeur à l’UJ, engagé dans les grèves contre la réforme et, par ailleurs, conseiller de l’actuel président Andrzej Duda pour la politique historique31.

En réponse à cette « crise », le président Bronisław Komorowski, lui-même ancien professeur d’histoire, membre de la PO, organise en 2012 des tables rondes pour discuter de la réforme en invitant la ministre de l’Éducation, Krystyna Szumilas, des auteurs du programme (Jolanta Choińska-Mika et Aleksander Pawlicki), des adversaires de la réforme dont les historiens Andrzej Nowak et Wojciech Roszkowski – ce dernier également auteur de manuels et ancien député européen du PiS – ainsi que des experts, des journalistes et des historiens impliqués dans le débat. Il en résulte un compromis : les enseignants devront obligatoirement traiter du chemin thématique « Panthéon national et querelles nationales », puis de trois autres chemins au choix32.

Mais cette liberté de choix est restée assez relative et liée à l’état du marché éditorial. Comme pour la précédente réforme, les éditeurs n’ont pas eu le temps de publier l’ensemble des manuels pour tous les chemins thématiques. À titre d’exemple, un seul manuel publié par WSiP33 traite du thème « Familiarité et altérité », consacré notamment aux enjeux de constructions nationales vis-à-vis des populations étiquetées comme extérieures à la nation, dont la population juive, peu abordée dans les manuels, à l’exception de l’histoire de la Palestine antique et de celle de la Shoah.

L’approche de l’éducation à l’histoire comprise comme la transmission d’une mémoire nationale, ou d’un « panthéon », relativement homogène et univoque, n’a donc pas été fondamentalement remise en cause depuis le milieu des années 2000. En tout état de cause, l’interventionnisme de l’État que traduit le mot d’ordre de politique historique a été adopté par les gouvernements successifs, à rebours des réformes qui avaient accompagné le processus de transition démocratique après 1989. Ce phénomène s’est encore intensifié avec l’alternance de 2015.

Les effets du tournant autoritaire sur l’éducation à l’histoire

La dernière réforme de l’éducation de 2017 et le nouveau programme d’histoire peuvent être appréhendés comme une réponse à la « crise de l’enseignement de l’histoire », attribuée au précédent gouvernement libéral. En témoigne la remise en 2017 par Anna Zalewska, ministre de l’Éducation nationale, de la médaille de la Commission de l’Éducation nationale aux engagés dans la grève de protestation contre la précédente réforme : « Grâce à vous, l’histoire revient à l’école. Nous vous sommes très reconnaissants », a-t-elle déclaré34.

La réforme du gouvernement du PiS s’affiche en effet en rupture avec les évolutions qu’a connu l’école depuis 1989. Elle supprime le niveau intermédiaire du gimnazjum, rompant avec les cycles scolaires de l’ancien système35. La précipitation avec laquelle elle est mise en œuvre est au cœur de la critique et provoque un sentiment de désorientation chez les enseignants ainsi que chez les parents d’élèves. Son caractère autoritaire transparait dans le non-respect de la règle de la transparence du « circuit d’écriture » des programmes36. Comme dans le passé, l’IPN s’est vu investi d’une nouvelle mission pédagogique, celle de participer à l’écriture des programmes « dans le sentiment de responsabilité pour la conscience historique de la jeune génération des Polonais »37.

Concrétement les programmes d’histoire se chargent, comme ceux des autres matières, d’un grand nombre de détails, laissant de moins en moins de marge aux enseignants dans leurs pratiques pédagogiques. Pour autant, à l’exception des cycles scolaires, les instruments de gestion de l’enseignement scolaire restent les mêmes : les programmes indiquent les contenus obligatoires et supplémentaires, les manuels restent toujours autorisés par le ministère sur la base de deux rapports d’experts. Le marché éditorial ayant été stabilisé dans la période précédente, six maisons d’édition offrent des séries de manuels pour chaque niveau scolaire. À notre connaissance, aucun des manuels proposés pour autorisation n’a été rejeté et leurs contenus témoignent d’une certaine stabilité du récit comme d’un certain pluralisme du traitement des thèmes.

La stabilité des récits concernant la Shoah

Les contenus d’enseignement de l’histoire de la Shoah constituent un précieux indicateur de la place accordée à l’altérité dans les récits scolaires et partant, cristallisent les enjeux de la définition de « l’identité nationale ». Sa symbolique s’ancre dans le discours politique de la « démocratie nationale » (endecja), qui remonte au XIXe siècle et promeut une conception ethno-nationale de la polonité, exclusive de toutes les composantes religieuses et culturelles non-catholiques.

Salle de classe d’un lycée généraliste à Świdnik

Salle de classe d’un lycée généraliste dans une ville située près de Lublin,

décorations murales à base de symboles nationaux et religieux au-dessus du tableau noir.

La conception de la citoyenneté basée sur des axiomes ethno-nationaux ne disparait pas durant la période de la Pologne populaire. Joanna Michlic indique à cet égard que « la persistance d’une polarisation de la société polonaise et juive sur le long terme était encore présente à la fin des années 1980 et au début des années 1990 »38. Dans la société post-communiste du début des années 1990, l’émergence dans les champs politique et médiatique d’un discours antisémite visant à dénoncer et à discréditer des adversaires politiques comme Juifs, a souvent été qualifiée d’« antisémitisme sans Juifs ».

Résonnant souvent avec d’autres politiques de mémoire, les programmes scolaires, comme les manuels, participent d’une victimisation des Polonais non juifs durant la guerre, de leur héroïsation, singulièrement à propos du sauvetage des Juifs et enfin, d’une mise en concurrence des mémoires sur fond de différenciations ethno-religieuses.

Histoire des Juifs vs histoire des Polonais

Le génocide des juifs est mentionné dans les programmes scolaires dès la réforme de l’éducation de 194939. Ce premier curriculum inauguré dans le cadre du nouveau pouvoir communiste mentionne dans le chapitre « Occupation hitlérienne dans les territoires polonais », les « camps de concentrations, ghettos juifs » et dans le chapitre « Dans la coalition avec l’Union soviétique contre le fascisme allemand », la « lutte contre l’occupation du pays, organisations militaires, insurrections dans le ghetto de Varsovie »40. Il serait illusoire de penser que la présence d’un thème dans le programme se traduit de manière mécanique dans les pratiques enseignantes, d’autant que le programme ne donne pas nécessairement davantage d’éléments sur la manière de traiter ces thèmes. Néanmoins la Shoah, sous les appellations usuelles de l’époque, est mentionnée tout au long de la période communiste. Cette mention s’inscrit dans un dispositif mémoriel particulier.

Le récit antifasciste en constitue la première grille de lecture. « Dans l’idéologie antifasciste, la lutte des nations opprimées par Hitler se confond avec la lutte sociale pour un ordre “populaire”, démarche qui conduit à réduire, minimiser, voire nier tant des pans entiers de ces histoires nationales que des aspects spécifiques de l’occupation nazie »41. En témoigne la muséographie du Musée d’Auschwitz-Birkenau, où les victimes juives sont indistinctement englobées dans les pertes des nations luttant contre le nazisme, en particulier celles du bloc soviétique.

Un deuxième élément de compréhension est à chercher dans la survivance de la thématique nationaliste promue par le gouvernement communiste. À titre d’exemple, l’instruction programmatique pour l’année 1956-1957, fait état de « Vol des biens polonais. Destruction de la culture. Empoisonnement de la nation par l’agitation antisoviétique et antisémite. Meurtre des juifs. Destruction de la nation polonaise »42. Ce recours à une rhétorique nationaliste peut étonner dans un pays socialiste à l’internationalisme de classe affiché. C’est que « [les communistes] étaient conscients d’un impératif inscrit dans la culture polonaise de défense de l’indépendance quel qu’en soit le prix. […] Ils ont beaucoup emprunté à la pensée politique de la Démocratie Nationale et d’autres courants de la droite nationaliste d’avant guerre (un État mono-national ; le postulat d’unification de la nation, une conscience étatique, antigermanisme) »43.

Les manuels donnent également à voir cette grille de lecture. Un manuel de 1951, diffusé à 600 000 exemplaires, propose ce récit de « l’Occupation hitlérienne en Pologne » :

« Les occupants tentaient de terroriser la société polonaise. [...] Ils envoyaient massivement les Polonais dans les camps de concentration, appelés par la population “usines de la mort” (Oświęcim, Majdanek, Treblinka et autres). […] Les persécutions les plus dures atteignaient les Juifs. Les Allemands les enfermaient dans des quartiers spécialement séparés, appelés ghettos. Les plus grands étaient à Lodz et Varsovie. Les Juifs, entassés sur une petite surface, mouraient de faim, du typhus, d’exécutions massives. En 1942-1943, les hitlériens assassinaient les Juifs en les empoisonnant collectivement dans des chambres à gaz. En Pologne, les hitlériens ont assassiné en tout le nombre terrifiant de 6 millions de personnes »44.

Si la judéité des victimes de la guerre apparaît dans ce dispositif narratif, l’accent est néanmoins mis sur la souffrance de la nation polonaise. Cette présence des citoyens juifs ne traduit pas de leur inclusion dans le corps national, mais procède d’une idéologie antifasciste et d’une martyrologie polonaise.

Illustration « Camp de concentration à Oświęcim »

Illustration « Camp de concentration à Oświęcim ». Durant toute la période communiste, l’appelation « camp d’Oświęcim »

ou « camp à Oświęcim », remplace celle communément utilisée aujourd’hui du camp d’Auschwitz.

Manuel de Henryk Sędziwy, Historia dla klasy XI. Cześć druga. Od końca I wojny światowej do konferencji w Poczdamie,

Varsovie, Państwowe Zakłady Wydawnictw Szkolnych, 1964, p. 208.

La judéité des combattants peut aussi revêtir, comme dans le programme de 1966, une dimension de classe : « Montée d’influence des organisations progressistes et révolutionnaires. […] Rôle leader du PPR [Parti polonais ouvrier] dans la lutte pour la libération nationale et sociale en coalition avec l’URSS […] Garde Populaire, bras armé du PPR et des formations de gauche contre l’occupant. […] Radicalisation des masses paysannes, Bataillons paysans. Insurrection du ghetto de Varsovie »45. Le récit historique en Pologne populaire oscille donc entre des grilles de lecture antifasciste, nationaliste et de classe, les unes prenant le pas sur les autres, selon les périodes.

La formation du syndicat Solidarność contribue à impulser certains nouveaux sujets dans le débat public et dans les programmes. En 1981, dans une proposition de modifications du programme d’histoire dans les écoles primaires et secondaires, le Conseil national de la Section de l’Éducation et de l’Instruction de Solidarność souligne cette recommandation :

« il est impératif de compléter la narration scolaire par des connaissances sur des groupes nationaux, tels juif, ukrainien, lituanien, biélorusse. […] Il faut clairement présenter la problématique des minorités nationales durant la IIe République avec une présentation objective des politiques du pouvoir à leur égard. La place de la minorité juive ainsi que le phénomène d’antisémitisme doivent également être pris en compte »46.

Ces propositions s’inscrivent dans des négociations engagées avec le ministère de l’Éducation et de l’Instruction. Le thème de la Shoah sera ainsi complété par la mention « M. Anielewicz [un des dirigeants de l’insurrection du ghetto de Varsovie] et J. Korczak [médecin et pédagogue, mort assassiné à Treblinka avec les enfants d’un orphelinat qu’il a dirigé dans le ghetto de Varsovie] »47 à la suite d’une formulation « Problème de la destruction des Juifs polonais et leurs tentatives de résistance ».

Malgré quelques exceptions notables48, l’élaboration de récits alternatifs au récit officiel, permise par l’émergence de Solidarność et d’un réseau de publications clandestines, ne s’est cependant pas accompagnée d’une remise en question radicale du récit dominant des relations polono-juives au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans un ouvrage publié clandestinement au milieu des années 1980, l’historien Wojciech Roszkowski, auteur de nombreux manuels scolaires après 1989, n’accorde que trois paragraphes à la Shoah, placée sur le même plan que le sort de la population polonaise non-juive, au sujet de laquelle le terme « extermination » est employé à plusieurs reprises49.

Les programmes qui font suite à la transition démocratique en 1989-1990 ne modifient en rien la trame narrative antérieure. Le programme de l’école primaire de 1992 comporte toujours les thèmes « Terreur-camps de concentration, Persécutions des Juifs […] Destruction des Juifs […] Insurrection dans le ghetto de Varsovie ». La Shoah disparaît en revanche du programme du secondaire, lequel mentionne pourtant « Insurrection du ghetto de Varsovie – aide aux Juifs ». Le tiret entre les deux thèmes donne subtilement et objectivement à voir la centralité dans l’histoire nationale des membres de la société considérés comme « ethniquement » polonais. Dans cette configuration, l’insurrection peut être lue comme conséquence de l’aide apportée aux Juifs.

« Ici, il y a eu le ghetto »

Conflits mémoriels du street art dans l’espace public. Le pochoir signalant « Ici, il y a eu le ghetto » a été superposé au tag « PW » pour « Polska walcząca » (Pologne en lutte) dans le quartier de Muranów, celui-là même où se situait le ghetto de Varsovie.

Cette marginalisation est telle que, comme le relève Christine Parker, « À lire bien des manuels d’histoire polonais du milieu des années 1990, on ne saurait jamais que la présence juive y a joué un rôle aussi important dans le développement de la nation »50. Cette mise en absence n’est pas sans racines. Certains manuels publiés dans les années ayant suivi la fin du régime communiste, parfois rédigés par des historiens ayant auparavant contribué à l’élaboration de l’histoire officielle, comme Andrzej Leszek Szcześniak, ont été critiqués pour leurs passages nationalistes et antisémites51. S’agissait-il de « curiosités dangereuses » dans le contexte de la transition politique, comme le suggère Sylwia Bobryk52 ? Ou bien des manuels comme ceux de Szcześniak, réédités à plusieurs reprises tout au long des années 1990 et utilisés dans de nombreuses écoles, ne reflètent-ils pas plutôt des tendances nationalistes de plus long terme dans l’historiographie, la mémoire collective et le récit scolaire ? De fait, certaines interprétations d’un Szcześniak, pour lequel on ne peut pas parler de pogroms en Pologne, car les violences commises à l’encontre des Juifs entre les deux guerres avaient un caractère « délinquant » (bandycki) ou « politique » et non « racial »53, apparaissent dans de nombreux autres manuels, y compris parmi les plus récents. L’antisémitisme polonais est ainsi le plus souvent qualifié d’économique, pour mieux le distinguer de l’antisémitisme racial des nazis. Les crimes commis contre des Juifs sont eux, attribués aux marges de la société. Une telle lecture permet d’éviter d’interroger le rôle des sentiments antisémites, véhiculés avant 1939 par la démocratie nationale et une partie du clergé catholique, dans les pogroms et massacres comme ceux de Jedwabne en 1941 ou de Kielce en 194654.

Le programme de 1999, qui réintroduit le génocide des Juifs, apparaît donc comme novateur d’autant plus que le thème est, pour la première fois, qualifié d’« Holocauste ». Cette chronologie et cet usage d’un vocable porté par des historiens occidentaux, le plus souvent anglo-saxons55, semblent masquer la permanence du thème de la Shoah dans la période d’avant 1989. Ils jouent aussi le rôle d’une validation de l’inscription de la Pologne dans le paysage démocratique, l’enseignement de la Shoah étant devenu une norme politico-morale du monde occidental56. L’appellation « Holocauste », et non plus « extermination », sera d’ailleurs utilisée dans tous les programmes d’enseignement ultérieurs jusqu’à nos jours (2002, 2008, 2017).

Le programme de 1999 intervient par ailleurs à la suite des travaux de la Commission bilatérale polono-israélienne pour les manuels scolaires, débutés en 1992 et achevés par la publication de recommandations en 1995. Même si la portée effective de ce document reste assez faible, autant en termes d’effets sur les programmes que sur le débat public, il est souvent mentionné comme un élément important de la mise en visibilité de l’histoire des Juifs dans l’espace scolaire.

Il faut attendre la publication du programme de 2008 pour voir une brèche s’ouvrir dans le dispositif narratif lié à la Shoah. La figure des « Justes » ou de l’« aide aux Juifs » n’apparaît plus ; elle est remplacée par les « postures de la société polonaise vis-à-vis de l’Holocauste ». C’est que le débat autour des ouvrages de Jan Gross sur la responsabilité de Polonais non juifs dans les pogroms durant et après la Seconde Guerre mondiale a déjà remodelé le paysage des connaissances sur ces enjeux, impulsant de nouvelles recherches57. La formulation retenue rend possible une diversité de qualifications quant aux attitudes de la société polonaise vis-à-vis du génocide. Sans être révolutionnaire, ce dont témoigne le traitement de ce thème dans les manuels, ce déplacement bénéficie d’un climat politique favorable, celui du gouvernement libéral de la PO.

La production éducative de l’IPN sur le sujet apparaît toutefois en décalage avec ces évolutions. Le manuel destiné aux candidats au baccalauréat publié par l’IPN en 201058 offre un récit qualifié par Violetta Julkowska de « traditionnel » et « nostalgique », par opposition à une approche critique59. Élaboré dans un contexte où la direction de l’IPN avait épousé l’agenda de la politique historique du PiS, le manuel est organisé autour du fil rouge des combats pour l’indépendance nationale. S’agissant des attitudes des Polonais catholiques vis-à-vis du sort des Juifs, l’accent est mis sur le sauvetage, tandis que le massacre de Jedwabne est présenté comme une forme de représailles, compte tenu de « la bienveillance des minorités nationales et la participation de certains de leurs représentants dans les structures administratives soviétiques [ayant] considérablement favorisé la persécution des Polonais par l’occupant ». De même, le dossier éducatif consacré par l’IPN aux Polonais ayant secouru des Juifs, publié en 2008 (voir infra), présente les tensions entre Polonais non juifs et Juifs avant 1939 comme d’ordre essentiellement économique60.

Le martyr polonais est rappelé et mis en regard avec le sort des juifs. Le livret de l’élève s’ouvre sur cette question : « Quels étaient les plans de l’Allemagne nazie vis-à-vis des Polonais et des Juifs ? » Un autre dossier éducatif de l’IPN, publié en 2003, est consacré au camp d’Auschwitz61. Réalisé en collaboration avec le musée d’Auschwitz-Birkenau, il consacre une large place aux témoignages de déportés et de tortionnaires. Quelques héros polonais incontournables, tels que Witold Pilecki, résistant volontairement emprisonné à Auschwitz afin de fournir des renseignements sur le camp, et le père Maksymilian Kolbe, qui offrit de mourir à la place d’un autre détenu catholique, sont mentionnés. En revanche, il n’est fait aucune mention de l’antisémitisme – notamment celui du père Kolbe, auteur des textes antisémites avant-guerre – à l’exception d’une note biographique consacrée à Himmler.

Les mentions et absences de mentions du massacre de Jedwabne constituent un bon révélateur de la dimension hagiographique ou critique des récits éducatifs. Dans le cas des publications de l’IPN, Jedwabne n’est mentionné ni dans le dossier éducatif consacré à Auschwitz, ni dans le Précis d’histoire de la Pologne, largement diffusé en plusieurs langues à destination des participants aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Cracovie en 201662. On y lit en revanche que « malgré de gigantesques sacrifices, la République de Pologne ne s’est souillée par aucune forme de collaboration avec l’Allemagne ». Lorsque Jedwabne est mentionné, comme dans le cas du dossier éducatif consacré aux sauveteurs polonais, c’est le plus souvent pour minimiser les participations polonaises à l’extermination des Juifs.

« Sauveteurs » des Juifs

Si le traitement de la place du génocide des Juifs dans le martyre polonais, ainsi que la place de l’insurrection du ghetto de Varsovie dans le dispositif narratif global, restent assez stables dans la période de la Pologne populaire, le programme de 1970 s’enrichit d’un nouveau thème aux côtés de la « lutte des Polonais pour l’indépendance » : la figure du « sauveteur polonais »63.

La reconnaissance et la mise en valeur de cette figure s’articulent à la glorification de l’héroïsme national. Paradoxalement, alors que dans la période de l’après-guerre ces « sauveteurs » ne jouissent d’aucune reconnaissance officielle ou sociale, et doivent souvent essuyer des attaques antisémites, le tournant national qui s’amorce depuis l’arrivée au pouvoir de Władysław Gomułka en 1956 va de pair avec la valorisation de cette figure résistante, ce dont témoignent les publications sur le sujet, aussitôt traduites en anglais – indication de l’importance que le pouvoir accorde à ce thème64. En 1968, lors de la campagne antisémite orchestrée par le gouvernement, les « Justes » incarnent dans le discours officiel un manque de reconnaissance de la scène internationale autant que « l’ingratitude » des Juifs vis-à-vis de la nation polonaise qui les a « accueilli » et a œuvré à leur sauvegarde.

En 1981, le programme négocié avec Solidarność pour l’école primaire comprend un chapitre consacré à la « nation polonaise en lutte contre l’occupant » et réitère le thème du « sauvetage de la population juive – Żegota65 »66, tout comme celui de la classe de terminale au lycée « aide aux Juifs-Żegota »67. Cette thématique sera déployée tout au long de la période ultérieure, y compris après 1989.

En effet, l’IPN a été très actif dans l’identification des sauveteurs polonais, en lançant au milieu des années 2000 un programme de recherche pour les identifier et leur rendre hommage68. En 2008, il leur consacre un « dossier éducatif » destiné aux élèves de collège et de lycée69. Comme les autres dossiers éducatifs publiés par le BEP de l’Institut, il s’agit de livrer aux enseignants des scénarios de leçons clés en main. Ce dossier a notamment été élaboré par Jan Żaryn, alors directeur du BEP, en collaboration avec d’autres employés de l’IPN dont Mateusz Szpytma. Le parcours de ces deux historiens illustre d’ailleurs l’investissement des pouvoirs publics dans la commémoration des sauveteurs polonais.

Jan Żaryn, qui ne fait pas mystère de ses opinions proches de la démocratie-nationale de l’entre-deux guerres et de sa foi catholique, a longtemps contribué aux activités du Comité pour la mémoire des Polonais ayant aidé des Juifs (Komitetu dla Upamiętnienia Polaków Ratujących Żydów). Ses parents sont des « Justes » reconnus par le mémorial de Yad Vashem. De 2006 à 2009, il est directeur du BEP, dans un contexte où la direction de l’IPN s’engage fermement dans la commémoration des sauveteurs polonais et prend ses distances avec la précédente, qui avait mené l’enquête sur le crime de Jedwabne. Par la suite, Żaryn est élu sénateur sur les listes du PiS, de 2015 à 2019. Battu aux élections de 2019, il a depuis été nommé directeur de l’Institut de l’héritage de la pensée nationale Roman Dmowski et Ignacy Jan Paderewski, nouvellement créé par le ministère de la Culture afin d’entretenir la mémoire de la démocratie nationale.

Mateusz Szpytma, quant à lui, a fait la totalité de sa carrière d’historien à l’IPN, où il a été secrétaire du directeur, Janusz Kurtyka, de 2005 à 2010. Très investi dans la commémoration des « Justes » polonais, il est à l’initiative de la création en 2016 du musée de Markowa consacré à la famille Ulm, assassinée chez elle pour avoir caché des Juifs. Comme Jan Żaryn, il est personnellement lié à cette mémoire des « Justes », puisque Wiktoria Ulma était la sœur de sa grand-mère et la marraine de son père. Après avoir exercé les fonctions de directeur de ce musée, Szpytma est revenu à l’IPN en 2016 en tant que vice-directeur. Le dossier de l’IPN consacré aux sauveteurs polonais a donc été conçu, entre autres, par deux historiens pour lesquels la mémoire des Justes est aussi une mémoire familiale, et qui ont participé à l’élaboration de la politique historique lorsque celle-ci, sous l’impulsion du PiS, a pris une tournure nationaliste.

Le livret de l’enseignant s’ouvre sur un essai rédigé par Żaryn, qui insiste sur la faible assimilation de la majorité de la population juive polonaise entre les deux guerres. Cette faible assimilation n’aurait pas facilité leur sauvetage pendant la Seconde Guerre mondiale. Les sympathies procommunistes et prosoviétiques de nombreux Juifs polonais, opposés à l’existence d’un État polonais indépendant, n’en rendent que plus noble le geste des sauveteurs. Ces « héros polonais étaient unis par leur aversion pour l’occupant allemand et par leur sensibilité, qui provenait de leur éducation catholique »70. L’auteur indique que si plus de 6 000 Polonais se sont vu attribuer le titre de « Juste parmi les nations » par l’Institut Yad Vashem, il est possible d’estimer qu’il y en eut en réalité entre 300 000 et 1 000 00071. Ces estimations sont extrapolées à partir du nombre de juifs survivants, lui-même évalué entre 30 000 et 120 000 individus sur les territoires occupés par les Allemands, en considérant que plusieurs dizaines de Polonais étaient nécessaires au sauvetage d’un juif72. Le livret de l’étudiant avance pour sa part le chiffre de « plusieurs centaines de milliers » de sauveteurs polonais. Les deux livrets mentionnent les personnages désormais incontournables du sauvetage des Juifs polonais : Irena Sendler, membre de Żegota, le père Kolbe et la famille Ulm.

Si Żaryn admet que « les attitudes des Polonais vis-à-vis de l’Holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale étaient très diverses », seule la position de solidarité avec les Juifs énoncée par le gouvernement polonais en exil et l’épiscopat polonais exprimaient selon lui « la position de la nation »73. Il s’agit par ce biais de distinguer la situation polonaise de celle des gouvernements collaborateurs comme celui Vichy. Mentionné dans l’essai introductif de Żaryn, l’antisémitisme polonais n’apparaît que dans deux scénarios de leçons : à propos du fascisme en Hongrie et à propos des « bancs ghettos » réservés aux Juifs dans les universités polonaises entre les deux guerres, évoqués à travers le témoignage d’une étudiante polonaise solidaire des étudiants juifs.

En revanche, tant le livret de l’enseignant que celui de l’élève insistent sur le fait que les sauveteurs étaient de toutes obédiences politiques et que même des antisémites d’avant-guerre ont porté assistance à des Juifs – ce qui évite tout lien entre l’antisémitisme polonais de l’entre-deux guerres et les comportements d’hostilité vis-à-vis des Juifs dans le contexte de l’occupation allemande. Le massacre de Jedwabne, qui apporte un contre-point au récit développé dans le dossier éducatif, est mentionné uniquement dans l’essai de Żaryn. Par ailleurs, ce dernier semble mettre en doute les conclusions de l’enquête de l’IPN, en suggérant que Jedwabne et les pogroms similaires furent « inspirés par les Allemands »74, un élément régulièrement mis en avant par ceux qui cherchent ainsi à minimiser la responsabilité polonaise.

Cristallisation d’un récit hégémonique

Le retour au pouvoir du PiS en 2015 s’est traduit par la cristallisation de la valorisation du martyre et de l’héroïsme de la nation polonaise. Le programme du lycée de 2017 laisse peu de place à des interprétations diverses du fait de la multitude de détails qu’il comporte. En atteste le chapitre du programme consacré à l’Holocauste pour la Terminale. L’élève

« caractérise les étapes de l’extermination des Juifs (discrimination, stigmatisation, isolement, destruction). [Il] reconnaît les lieux principaux de l’extermination des Juifs polonais et européens et d’autres groupes ethniques et sociaux sur le territoire de la Pologne et de l’Europe centrale et orientale (dont : Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Sobibor, Babi Yar). [Il] décrit les postures de la population juive vis-à-vis de l’Holocauste, en prenant en compte l’insurrection du ghetto de Varsovie. [Il] caractérise les postures de la société polonaise et de la société internationale vis-à-vis de l’Holocauste, en prenant en compte les « Justes » dont Irena Sendler, Antonina et Jan Żabińscy et la famille Ulm. [dans le programme élargi pour les élèves passant le baccalauréat en histoire, il] distingue la terminologie scientifique utilisée pour désigner la politique allemande d’extermination durant la Seconde Guerre mondiale (entre autres, Holocauste, Shoah, Porajmos). [Il] explique la politique raciale et antisémite de l’Allemagne hitlérienne avant la Seconde Guerre mondiale. [Il] présente et caractérise l’activité du gouvernement de la République de Pologne vis-à-vis de la Destruction, en prenant en compte la mission de Jan Karski et le rôle de Żegota »75.

Il n’est pourtant pas rare de recueillir des propos d’enseignants, qui tout en critiquant le peu de place accordée à la Shoah à l’école, se réjouissent de ce traitement détaillé76.

Par rapport aux anciens programmes, celui de 2017 est le seul à mettre à ce point l’accent sur l’héroïsme des Polonais, d’ailleurs présent à d’autres occasions dans le curriculum. Ce dispositif discursif oppose de fait deux postures : d’un côté, celle de la société polonaise, incarnée par les Justes parmi les nations, la mission de Jan Karski et Żegota ; de l’autre, celle de la société occidentale, indifférente au sort des Juifs et de la Pologne.

L’autocollant « Karski, mon héros »

Valorisation des « Justes parmi les nations » dans l’espace public. L’autocollant « Karski, mon héros » glorifie Jan Karski, décoré de la médaille des « Juste parmi les nations » pour avoir témoigné auprès des alliés de la réalité du génocide des Juifs.

Un récit similaire est proposé dans le film Niezwyciężeni (Les Invincibles), diffusé par l’IPN en 2017. Ce court film d’animation de quatre minutes présente l’histoire de la Seconde Guerre mondiale vue de Pologne. Il est projeté à la fin du parcours de visite du musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk.

« Les invincibles » (IPN, 2017)

Dans le film, dont le ton et le récit hagiographiques ont été critiqués par des historiens spécialistes du sujet77, la Shoah est présentée exclusivement sous l’angle de l’assistance fournie aux Juifs par des Polonais, à partir des figures incontournables de Pilecki, Sendler et Karski. La scène au cours de laquelle ce dernier présente son rapport à des alliés qui détournent le regard est éloquente et sa signification sans ambiguïté : la Pologne a accompli son devoir en alertant le monde sur le sort tragique des Juifs, mais « il apparaît que la politique est plus importante que la vie humaine ».

Plusieurs intellectuels et historiens proches du PiS défendent cette approche, comme Jan Żaryn, pour qui

« dans tous les manuels concernant l’éducation sur l’Holocauste, des paragraphes devraient présenter des informations sur l’exceptionnalité de la Pologne, du gouvernement polonais en exil, sur l’État clandestin polonais mais aussi sur ces Polonais qui sous l’occupation allemande accomplissaient leur mission polonaise et aidaient les Juifs »78.

Ce traitement entre en résonnance avec les principaux axes thématiques de la politique historique actuelle, convergeant vers l’imaginaire d’une identité nationale nourrie par le catholicisme et fondée sur le mythe de l’héroïsme polonais durant la guerre vis-à-vis de l’altérité juive79.

La stabilité de ces représentations invite, in fine, à interroger la morphologie structurelle de la société polonaise80. Or, dans l’organisation de la société, les Juifs sont « socialement considérés comme des étrangers, bien qu’ils fussent formellement des citoyens »81. Malgré la modification de la structure de la société polonaise après la Seconde Guerre mondiale82, ce cadre mental n’a que très peu évolué. Dans cette configuration le génocide des Juifs – malgré son inscription dans les programmes scolaires dès la fin de la guerre – reste surplombé par le dispositif narratif du martyr des Polonais catholiques. Le contenu orienté des manuels et des programmes ne présage cependant pas de l’usage concret qui peut être fait de ce matériau dans les salles de classe.

Les ambiguïtés de la transmission scolaire

Pour aborder les enjeux de la transmission, la troisième partie de cet article s’appuie sur un matériau d’enquête ethnographique ayant trait à la transmission concrète des récits historiques, dans le contexte scolaire. L’enquête amène à constater qu’indépendamment des injonctions venues « d’en haut », les marges d’autonomie des acteurs scolaires, et singulièrement des enseignants, demeurent importantes, selon les contextes et les conditions sociales de la transmission. Cette approche permet aussi de mettre en lumière les contradictions à l’œuvre dans les processus de transmission et d’appropriation. Le portrait de Marek, enseignant d’histoire dans un lycée généraliste prestigieux de Varsovie, permettra d’illustrer notre propos83. Bien que sa figure ne soit pas représentative d’un point de vue statistique, elle permet de nuancer l’analyse, en montrant l’apport de l’étude des pratiques des acteurs au plus près du terrain.

Enseigner la Shoah comme marqueur d’engagement politique

Marek fait partie de la « jeune » génération des enseignants, né en Pologne populaire mais ayant suivi ses études supérieures après 1989. Depuis une dizaine d’année, il enseigne à Varsovie dans un établissement qui valorise le travail parascolaire réalisé par et avec les élèves. Marek et son collègue Jan invitent parfois des personnalités savantes pour des conférences, souvent sur des sujets polémiques : Magdalena Środa, universitaire connue pour son militantisme féministe, ou Jan Żaryn, ont ainsi pu intervenir devant les élèves. Le choix de ces figures engagées vise à développer l’esprit critique des élèves autant qu’à valoriser un certain pluralisme d’opinions, tout en évitant l’accusation de privilégier une interprétation de la réalisé sociale. « Comme ça, on ne peut pas m’accuser de proposer une vision “gauchiste” de l’histoire », rit Jan en le racontant. C’est d’autant plus important que la recherche d’objectivité est revendiquée par les élèves comme la clé d’interprétation des savoirs. Celle-ci est analysée comme compréhension de « tous les points de vues », dans laquelle la réalité se révèle comme « ni noire, ni blanche ». Cette relativisation des interprétations historiques est à rapporter à la polarisation actuelle du champ politique polonais et se traduit par un désintérêt pour la politique revendiqué par les élèves.

Marek et Jan sont aussi à l’initiative de séjours d’études annuels à Auschwitz : les élèves de troisième (l’équivalent de la seconde en France) y découvrent trois jours durant le musée d’Auschwitz-Birkenau, qui présente l’histoire des Juifs de cette ville avant et pendant la guerre, ainsi que le Centre international de rencontre pour la jeunesse à Oświęcim (Międzynarodowy Dom Spotkań Młodzieży), créé dans le cadre des intitiatives de reconciliations germano-polonaises. Pendant les séjours, les élèves et les deux enseignants logent dans l’une des baraques du camp, transformée en bâtiment d’accueil et de billetterie, ainsi, à l’étage, qu’en pension pour scolaires et universitaires. Les deux soirs, après une longue journée de visite, les enseignants proposent aux élèves des conférences qu’ils préparent eux-mêmes sur des sujets d’actualité liés à l’histoire et à la mémoire de la Shoah, toujours en veillant à « éveiller l’esprit critique » des élèves. Les conférences portent sur les enjeux de patrimonialisation, la construction des héros, l’histoire orale, la Shoah dans la bande dessinée, entre autres exemples. Il s’agit donc de contenus qui dépassent largement le cadre curriculaire et portent sur les dimensions de l’histoire critique. Après ces conférences, assorties de diaporamas, élèves et enseignants regardent un film, documentaire ou de fiction, toujours commenté en amont. Cet investissement pédagogique est bénévole, non obligatoire et relève de l’initiative des deux enseignants.

Travail pédagogique autour de l’histoire de la Shoah

Travail pédagogique autour de l’histoire de la Shoah. L’atelier pédagogique organisé par le Centre international de rencontre de la jeunesse à Oświęcim en mars 2019 avec les élèves d’un lycée généraliste de Varsovie, traite des parcours des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale en Pologne, et se tient ici autour de la survivante Ester Borensztajn.

Il illustre des pratiques pédagogiques autour de l’histoire des Juifs portées la plupart du temps par des enseignants qui s’affichent plus ou moins ouvertement comme démocrates, par opposition au gouvernement actuel, et ouverts à « la diversité multiculturelle ». Les observations réalisées entre 2018 et 2020 dans le cadre des formations sur la Shoah pour enseignants polonais au Mémorial de la Shoah à Paris, au Musée juif Galicja à Cracovie, au Centre d’étude de l’Holocauste de l’Université Jagellonne à Cracovie, au Musée d’histoire des Juifs de Pologne Polin à Varsovie et à Yad Vashem à Jérusalem84 permettent de constater que l’intérêt pour le judaïsme, paradigmatique du rapport à l’Autre85, constitue un marqueur politique86.

Tous les participants rencontrés ont, à un moment ou un autre, exprimé leur désaccord avec la politique du gouvernement du PiS : telle cette enseignante de Varsovie qui portait un collier avec l’inscription « Konstytucja », devenu le maître-mot des manifestations anti-gouvernementales et des appels au respect de la constitution ; ou cet enseignant de Bydgoszcz qui employait l’expression « télévision de régime » (telewizja reżimowa) pour désigner la télévision publique, devenue porte-voix gouvernemental. Jan, rencontré à Yad Vashem lors d’une des formations, n’a pas non plus caché sa sensibilité politique en critiquant les propos des dirigeants du PiS, ainsi que leurs politiques.

Pour autant, cette sensibilité démocratique, pas plus que la participation aux formations sur l’histoire des Juifs, ne suffisent à neutraliser d’anciennes représentations. En effet, comme dans le cas des élèves, les contenus des formations pour enseignants sont assimilés à l’aune des savoirs acquis antérieurement et renforcent parfois une image du « Juif » correspondant à des représentations canoniques, évacuant la réflexion sur la diversité des judaïsmes contemporains87. C’est particulièrement prégnant lorsque la formation se déroule à Jérusalem, où une forte présence des communautés juives orthodoxes, visibles dans l’espace public, renforce une image du « Juif » correspondant aux représentations les plus traditionnelles. Par conséquent, les formations et les enseignements de l’histoire et de la culture juive n’échappent pas à une certaine folklorisation qui passe – pour ne citer que la plus évidente – par un apprentissage de la « cuisine juive » ou de la « danse juive »88.

Marek et Jan échappent toutefois à ce piège. Bénéficiant de la proximité des institutions universitaires et muséographiques de la capitale, ils continuent à se former sur l’histoire des Juifs, leurs mémoires, leur diversité sociale et religieuse. Mais c’est avant tout leur politisation à gauche et la participation active aux manifestations de rue anti-PiS qui fondent ce regard critique, y compris par rapport aux projets valorisant la multiculturalité de manière folklorique. Ils se déclarent « catastrophés » par la politique historique de l’actuel gouvernement qu’ils jugent « xénophobe » et « à tendance antisémite ». L’IPN, en tant qu’institution publique, est lui aussi, critiqué par Marek et Jan tout comme par d’autres de leurs collègues, rencontrés lors des formations. Ils le jugent porteur d’« un nationalisme exacerbé » centré sur la « polonité » et « myope » vis-à-vis des apports des travaux récents portant sur l’antisémitisme polonais avant, durant et après la Seconde Guerre mondiale.

Usages ambivalents des outils pédagogiques de l’IPN

Cette critique n’exclut pas un certain intérêt à l’égard des formations et des outils pédagogiques proposés par l’IPN. C’est ainsi qu’en 2019, Marek est parti en séjour d’étude d’une dizaine de jours organisé pour découvrir les « confins orientaux » de la Pologne (Kresy wschodnie)89. Il s’agit des territoires ayant appartenu avant la Seconde Guerre mondiale à la Pologne, désormais situés en Lituanie, en Ukraine et en Biélorussie. Dans une acception plus large, cette appellation peut aussi renvoyer aux territoires appartenant au Royaume des Deux Nations polono-lituanien, dont les frontières s’établissaient au-delà des frontières de la Pologne de 1918-1939. Intitulée « Confins – héritage polonais à l’est », cette formation visait la découverte non seulement des « confins » mais aussi la rencontre avec les Polonais qui y vivent toujours, tout comme « la perpétuation de la mémoire des Confins polonais »90.

Marek remarque une forte présence des lieux sacrés catholiques dans le programme (visites des églises, des monastères, présence du clergé, participation à une messe dominicale à laquelle il assistera, malgré un athéisme revendiqué dans l’entretien)91. Le compte-rendu du séjour témoigne, lui aussi, de cette présence catholique :

« Ce n’est que grâce à leur charisme et à leur dévouement que les prêtres polonais parviennent à préserver la tradition et la culture sur des terres qui n’appartiennent plus depuis longtemps à la République de Pologne. Ils prennent soin des âmes de ceux qui sont restés, mais aussi de la mémoire de ceux qui sont partis »92.

Selon Marek, il s’agit d’une orientation politique de l’IPN qui valorise le passé ethno-religieux au diapason avec les politiques gouvernementales.

Il relate également la visite à Ouman et sur la tombe du Rabbi Nachman de Braclaw, l’un des dirigeants d’une communauté hassidique. Selon le compte rendu officiel du séjour, réalisé par l’IPN, « dans la ville on peut sentir l’ancienne atmosphère multinationale de la Première République [ou la démocratie nobiliaire dont le début date du milieu du XVe siècle et la fin du dernier partage de la Pologne en 1795] »93. Marek voit dans cette narration une tentative de « blanchiment » de l’antisémitisme contemporain en Pologne, visant à contrebalancer les critiques à l’égard de la narration ethno-religieuse de l’histoire polonaise portée par l’IPN. Mais tout compte fait, il se dit « très satisfait du voyage ». Marek souligne qu’il n’aurait « jamais » pu, « seul », accéder à nombre de lieux patrimoniaux, dont certains sont fermés au public. Il est ravi de la découverte des villes et villages en Ukraine, des rencontres avec des enseignants polonais de « là-bas ».

Le cas de Marek est exemplaire des ambivalences des pratiques enseignantes. Il permet de mettre en lumière qu’un enseignant aux propos catégoriques et critiques à l’égard du gouvernement et de l’IPN peut prendre part aux activités déployées dans le cadre des politiques publiques actuelles. Celles et ceux, parmi les enseignants interviewés, qui affichent des postures antigouvernementales et anti-IPN, utilisent souvent les supports pédagogiques de l’Institut dans leurs cours d’histoire.

De fait, se focaliser sur les politiques scolaires, dont les programmes constituent l’instrument le plus emblématique, sur les manuels ainsi que sur l’orientation de la politique historique dans le débat politico-médiatique, ne permet pas d’appréhender les processus dynamiques de transmission dans les mondes scolaires. La prise en compte des curricula « réels », ceux qui sont effectivement enseignés, et des curricula « cachés », c’est-à-dire ceux qui dépendent des propriétés sociales des enseignants et des élèves, disqualifie toute approche mécaniste de l’impact des programmes scolaires et des manuels94. Ces derniers sont, en effet, réinterprétés en classe par l’enseignant selon sa sensibilité civique, politique et pédagogique, ses dispositions et caractéristiques sociales, ses conceptions des finalités éducatives, des représentations qu’il se fait des élèves, mais aussi, plus prosaïquement, des outils et des facilités offerts à sa disposition95.

(Re)appropriations différenciées

Mentionnons enfin que les réappropriations des élèves sont à leur tour liées aux cadres sociaux, comme la classe sociale et le mode d’habitation, mais aussi aux trajectoires, y compris migratoires, et à l’appartenance à une classe d’âge, ainsi qu’à un genre. Dans le cadre de l’enquête ethnographique réalisée auprès des élèves de plusieurs lycées généralistes, seuls deux élèves parmi les 81 interviewés livrent un disours construit historiquement tout en l’attachant aux enjeux de citoyenneté et de l’égalité des droits. Il s’agit de Maria, élève d’un lycée généraliste de Varsovie, fille d’une salarié du Musée d’histoire des Juifs de Pologne dont la trame muséographique a souvent été critiquée par le gouvernement du PiS, ainsi que d’Adrian, élève d’un lycée généraliste d’une ville de 40 000 habitants située près de Lublin, qui se déclare transexuel et dresse un parallèle entre les persécutions contre les Juifs et celles contre les groupes LGBT+. Ce sont aussi ces deux élèves qui n’ont pas cherché lors de l’entretien à justifier ou minimiser l’antisémitisme polonais avant, durant et après la guerre tout en soulignant que, selon le propos de Maria, « les Justes ont dû eux-même se cacher des Polonais ».

L’absence d’éléments visibles liés à la diversité, ethnique ou religieuse, dans l’espace social, la grande homogénéité ethno-religieuse de la société polonaise et la faible politisation des élèves constituent des cadres sociaux déterminants dans l’appropriation assez homogène du discours nationaliste même si elle varie en fonction de la classe sociale ou de la trajectoire familiale. À titre d’exemple, les élèves d’un prestigieux lycée de Varsovie se livrent à un récit plus historicisé de la Shoah, même s’il reste empreint de certains éléments de martyrologie polonaise. À l’inverse, les élèves du même lycée généraliste près de Lublin, qui habitent pour la plupart dans des villages environnants, racontent peu de leur histoire familiale durant la guerre mais déclarent que leurs familles ont « certainement sauvé des Juifs ». Quant aux élèves d’un lycée technique de Słupca, près de Poznań, ils apparaissent marqués par une histoire dans laquelle la présence des Juifs reste assez marginale, ce qui correspond de fait à la répartition démographique des populations juives en Pologne d’avant-guerre.

En matière de récits éducatifs consacrés à l’histoire de la Shoah en Pologne, l’inscription de la politique historique du PiS dans un cadre d’analyse plus large invite donc à considérer la stabilité des récits, héroïques et martyrologiques, en dépit des changements institutionnels depuis la période communiste. L’interventionnisme des pouvoirs publics en matière de politique historique n’a pas été fondamentalement remis en cause. Ce constat, de même que l’examen des modalités pratiques de transmission du récit scolaire au moyen d’une enquête ethnographique, interroge sur la stabilité de la « mémoire sociale »96 : la séparation entre histoire des Polonais non juifs et histoire des Juifs de Pologne s’inscrit dans la longue durée des représentations du passé national, malgré des tentatives de remise en question (musée d’histoire des Juifs de Pologne Polin et réforme scolaire de la PO, notamment). Plutôt que d’en imputer la responsabilité à une supposée essence nationale, l’article invite à prendre en compte les facteurs liés à la socialisation des acteurs, qu’il s’agisse des historiens universitaires, des enseignants et des élèves. En dépit de son apparente stabilité, la politique publique de l’enseignement de l’histoire constitue un espace de conflits, peut-être davantage en Pologne que dans d’autres contextes nationaux. Un interventionnisme étatique moins univoque en la matière, laissant davantage de place aux approches critiques du récit national, favoriserait sans doute une moindre conflictualité autour de ces enjeux.

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1

Cet article s’appuie sur des éléments issus de deux recherches distinctes : celle d’Ewa Tartakowsky sur l’enseignement de l’histoire en Pologne, réalisée dans le cadre de son projet postdoctoral ; et celle de Valentin Behr sur les politiques historiques en Pologne, développée dans sa thèse de doctorat et les travaux réalisés depuis.

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2

Zbigniew Romek, « Kłopoty z cenzurą. Kilka refleksji zamiast wstępu », in Z. Romek (dir.), Cenzura w PRL. Relacje historykow, Varsovie, Instytut Historii PAN, 2000, p. 15-16 ; Aleksander Pawlicki, Kompletna szarość. Cenzura w latach 1965-1972. Instytucja i ludzie, Varsovie, Trio, 2001.

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3

Zbigniew Osiński, Nauczanie historii w szkołach podstawowych w Polsce w latach 1944-1989. Uwarunkowania organizacyjne oraz ideologiczno-polityczne, Lublin, Dom wydawniczy Duet, 2010.

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4

Claude Grignon, Jean-Claude Passeron, Le Savant et le Populaire. Misérabilisme en sociologie et en littérature, Paris, LeSeuil-Gallimard, 1989, p. 42.

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5

Patricia Legris, Qui écrit les programmes d’histoire ?, Grenoble, PUG, 2014.

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6

Ministerstwo Oświaty i Wychowania, Instytut Programów Szkolnych, Program nauczania liceum ogólnokształcącego, Varsovie, Wydawnictwo Szkolne i Pedagogiczne, 1981.

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7

Ustawa z dnia 7 września 1991 o systemie oświaty.

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8

Anthony Levitas, Jan Herczyński, « Decentralizacja systemu oświaty w Polsce. Lata 1990-2000 – tworzenie systemu », in Mikołaj Herbst (dir.), Decentralizacja oświaty, Varsovie, Wyd. ICM, t. 2, 2012, p. 55-117.

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9

Le processus de décentralisation de l’éducation en Pologne a commencé en 1990 avec le transfert de gestion et de financement des écoles maternelles au niveau communal et s’est achevé en 1999.

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10

Krzysztof Konarzewski, Reforma oświaty. Podstawa programowa i warunki kształcenia, Varsovie, Instytut Spraw Publicznych, 2004, p. 16.

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11

Ewa Tartakowsky, « Traitement de la Shoah dans les programmes scolaires d’histoire en Pologne. Continuités ou ruptures ? », in Loredana Ruccella (dir.), (R)évolutions, Arcidosso, Effigi/Université de Toulon, à paraître en 2021.

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12

Zarzadzenie nr 3 Ministra Edukacji Narodowej z dnia 18 sierpnia 1992 r. w sprawie minimum programowego obowiązkowych przedmiotów ogólnokształcących (Dz. Urz. MEN z dnia 20 sierpnia 1992 r.).

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13

Ministerstwo Edukacji Narodowej, Historia. Szkoła średnia. Minimum programowe obowiązujące od 1 września 1992, Varsovie, 1992, p. 13.

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14

Ewa Tartakowsky, « Dwustronne komisje podręcznikowe w Polsce. Pojednanie, budowanie dobrego sąsiedztwa, promocja europejskości », in Nicolas Maslowski, Andrzej Szeptycki (dir.), Pamięć zbiorowa, pojednanie i stosunki międzynarodowe, Varsovie, Wydawnictwo Uniwersytetu Warszawskiego, 2020, p. 117-141.

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15

Sur le travail de cette commission, voir Emmanuelle Hébert, Les Commissions d’historiens dans les processus de rapprochement (Pologne-Allemagne, Pologne-Russie), Peter Lang, 2020.

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16

Sylwia Paulina Bobryk, The Second World War in Polish History Textbooks. Narratives and Networks from 1989 until 2015, thèse de doctorat en affaires européennes et internationales, University of Portsmouth, 2017, p. 83 et 93.

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17

Sylwia Paulina Bobryk, The Second World War in Polish History Textbooks. Narratives and Networks from 1989 until 2015, thèse de doctorat en affaires européennes et internationales, University of Portsmouth, 2017, p. 98.

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18

Graf-Punkt, Juka, Bellona, Agmen, Rożak, Państwowe Wydawnictwo Naukowe, Wiking, Gdańskie Wydawnictwo Oświatowe.

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19

Minister Edukacji Narodowej, « Obwieszczenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 18 sierpnia 1999r. w sprawie wykazów podręczników szkolnych i książek pomocniczych dopuszczonych lub zalecanych do użytku szkolnego », Monitor Polski, no 27, 1999, p. 566-603.

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20

Adam Pazdro, Demart, Kleks, Nowa Era, Muza Szkolna, Polskie Wydawnictwo Encyklopedyczne, Polwen, Operon, Zielona Sowa, Znak, Żak.

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21

Minister Edukacji Narodowej, « Obwieszczenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 14 czerwca 2000r. w sprawie wykazów podręczników szkolnych i książek pomocniczych dopuszczonych lub zalecanych do użytku szkolnego », Monitor Polski, no 18, 2000, p. 673-709.

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22

Andrzej Chrzanowski, « Rynek wydawnictw edukacyjnych 1990-2002 », Notes Wydawniczy, 2002 (2), p. 23.

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23

Entretiens réalisés par Ewa Tartakowsky avec une trentaine d’enseignants des lycées généralistes et techniques entre 2018-2019.

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24

Valentin Behr, « Genèse et usages d’une politique publique de l’histoire. La “politique historique” en Pologne », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 46, no 3, 2015, p. 21-48.

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25

Laure Neumayer, The Criminalisation of Communism in the European political Space After the Cold War, Londres, Routledge, 2019.

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26

Afin de ne pas reconduire la distinction entre « Polonais » et « Juifs », récurrente dans la littérature polonaise, et renvoyant à l’héritage du discours nationaliste, imposé par l’extrême droite dans l’entre-deux-guerres, institutionnalisé par l’occupant nazi et suggérant que ces deux catégories étaient exclusives l’une de l’autre, nous adoptons pour distinguer les deux groupes les appellations « Polonais juifs » ou « Juifs » et « Polonais non-juifs » le plus souvent catholiques.

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27

Jan Tomasz Gross, Les Voisins. 10 juillet 1941, un massacre de Juifs en Pologne, Paris, Fayard, 2002.

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28

Nasz Dziennik, « Historycy IPN zweryfikują podręczniki do historii », 12 septembre 2001.

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29

Emmanuelle Hébert, Les Commissions d’historiens dans les processus de rapprochement (Pologne-Allemagne, Pologne-Russie), Berlin-Bern, Peter Lang, 2020, p. 57-70 et 113-115.

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30

Voir l’article d’Emmanuelle Hébert dans le présent dossier.

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31

Andrzej Nowak, « Bez mądrej edukacji będziemy skazani na rozpad naszej wspólnoty – od kryzysu edukacji do kryzysu cywilizacji. Rozmowa z profesorem Andrzejem Nowakiem. Część I », Portal Arcana, le 6 juin 2012 [en ligne].

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32

« Europe et le monde », « Langue, communication et médias », « Femme et homme, famille », « Science », « Familiarité et altérité », « Économie », « Gouvernants et gouvernés » et « Guerre et affaires militaires ».

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33

Marcin Markowicz, Olga Pytlińska, Agata Wyroda, Historia i społeczeństwo. Swojskość i obcość. Podręcznik do liceum i technikum, Varsovie, WSiP, 2016.

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34

Wprost, « Nauczyciele, którzy głodowali w sprawie nauczania historii zostali odznaczeni przez MEN », 17 mai 2017 [en ligne]. 

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35

Ewa Tartakowsky, « L’enseignement de l’histoire en Pologne depuis 2017 à l’épreuve de la crise de la démocratie », in Laure Lévêque, Anita Staron (dir.), Penser / panser la crise, Arcidosso, Effigi, à paraître en 2021.

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36

Le Tribunal administratif de la voïvodie de Mazovie contraint le ministère de l’Éducation à publier les noms des auteurs des programmes en septembre 2017, consécutivement à la saisine de la Fondation Espace pour l’éducation et, en novembre 2017 à la saisine du Réseau citoyen Watchdog Polska. Après la première condamnation, le ministère publie la liste des chefs des groupes d’experts, mais les autres personnes ayant travaillé sur les curricula sont restées anonymes jusqu’en août 2018. La liste publiée en août 2018 reste toutefois peu précise, car elle présente dans l’ordre alphabétique les 182 personnes ayant travaillé sur tous les programmes scolaires : à part les noms des historiens et historiennes identifiés dans le champ universitaire, il est difficile d’identifier qui et en quelle qualité a concrètement travaillé sur le programme d’histoire.

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37

Gazeta Wyborcza, « Reforma edukacji. IPN zarekomenduje historyków, którzy stworzą nowe programy », 24 août 2016 [en ligne]. 

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38

Joanna Beata Michlic, Obcy jako zagrożenie. Obraz Żyda w Polsce od roku 1880 do czasów obecnych [L’autre comme menace. L’image du Juif en Pologne de 1880 à nos jours], trad. de l’ang. Anna Switzer, Varsovie, Żydowski Instytut Historyczny, 2015, p. 20.

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39

Durant les années précédentes, l’école fonctionne sur la base des programmes hérités de la période de l’entre-deux-guerres et modifiés.

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40

Ministerstwo oświaty, Program nauki w 11-letniej szkole ogólnokształcącej. Projekt. Historia, Varsovie, Państwowe zakłady wydawnictw szkolnych, 1949, p. 23.

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41

Jean-Charles Szurek, La Pologne, les Juifs et le communisme, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2012, p. 18.

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42

Ministerstwo oświaty, Instrukcja programowa i podręcznikowa dla 11-letnich szkol ogólnokształcących na rok szkolny 1956/1957. Historia V-VII, Varsovie, Państwowe zakłady wydawnictw szkolnych, 1956, p. 24.

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43

Marcin Zaremba, Komunizm, legitymizacja, nacjonalizm. Nacjonalistyczna legitymizacja władzy komunistycznej w Polsce, Varsovie, Trio, 2001, p. 397.

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44

Gryzelda Missalowa, Janina Schoenbrenner, Historia Polski, Materialy pomocnicze dla klasy IV, Varsovie, 1951, p. 271.

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45

Ministerstwo oświaty, Program nauczania liceum ogólnokształcącego. Klasa I-IV (tymczasowy). Historia, Varsovie, Państwowe zakłady wydawnictw szkolnych, 1966, p. 44.

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46

NSZZ Solidarność, Krajowa Rada Sekcji Oświaty i Wychowania, Propozycje doraźnych zmian w materiale nauczania historii w szkołach podstawowych i ponadpodstawowych, p. 21, 23. Le document mentionne qu’il prend en compte des modifications introduites durant les négociations avec le ministère de l’Éducation et de l’Instruction, des 13 et 31 mars 1981 ainsi que des 13 et 15 avril 1981.

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47

Ministerstwo Oświaty i Wychowania, Instytut Programów Szkolnych, Program szkoły podstawowej. Historia. Klasy V-VII, Varsovie, Wydawnictwa Szkolne i Pedagogiczne, 1981, p. 26.

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48

Voir Jan Błonski, « Biedni Polacy patrzą na getto », Tygodnik Powszechny, no 2, 1987 ; Jan Józef Lipski, Dwie ojczyzny, dwa patriotyzmy, Varsovie, NOWA, 1981.

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49

Wojciech Roszkowski, Najnowsza historia Polski 1918-1980, Londres, Polonia Book Fund, 1989.

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50

Christine Parker, History Education Reform in Post-communist Poland, 1989-1999. Historical and Contemporary Effects on Educational Transition, Columbus, The Ohio State University, 2003, p. 191.

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51

Hanna Węgrzynek, The Treatment of Jewish Themes in Polish schools, New York, The American Jewish Committee, 1998.

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52

Sylwia Paulina Bobryk, The Second World War in Polish History Textbooks. Narratives and Networks from 1989 until 2015, thèse de doctorat en affaires européennes et internationales, University of Portsmouth, 2017, p. 239.

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53

Andrzej Leszek Szcześniak, « Replika », Wiadomości Historyczne, no 213 (4), 1995, p. 230-236.

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54

Audrey Kichelewsi et al., Les Polonais et la Shoah. Une nouvelle école historique, Paris, CNRS Éditions, 2019.

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55

Anna-Vera Sullam Calimani, « A Name for Extermination », The Modern Language Review, vol. 94, no 4, 1999, p. 978-999.

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56

Sébastien Ledoux, « Mémoire de la Shoah », Mass Violence & Résistance, 11 mai 2015 [en ligne]. 

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57

Audrey Kichelewski, « Quand la Pologne redécouvre ses Juifs », La vie des idées, 14 mai 2009 [en ligne]. 

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58

Adam Dziurok, Marek Gałęzowski, Łukasz Kamiński, Filip Musiał, Od niepodległości do niepodległości. Historia Polski 1918–1989, Varsovie, IPN, 2010. L’ensemble du texte est consultable en ligne.

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59

Violetta Julkowska, « Działalność edukacyjna IPN w latach 2000-2010 », in Andrzej Czyżewski et al., Bez taryfy ulgowej. Dorobek naukowy i edukacyjny Instytutu Pamięci Narodowej 2000-2010, Lodz, IPN, 2012.

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60

IPN, Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej, Varsovie, 2008.

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61

IPN et musée d’Auschwitz-Birkenau, Auschwitz – pamięć dla przyszłości, Varsovie, 2003.

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62

Łukasz Kamiński, Maciej Korkuć, Précis d’histoire de la Pologne. 966-2016, Varsovie, IPN et Ministère des Affaires Étrangères de la République de Pologne, 2016.

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63

Le programme du lycée inclut « aide aux Juifs – Żegota ». Voir : Ministerstwo Oświaty i Szkolnictwa Wyższego, Program nauczania liceum ogólnokształcącego. Historia. Klasy I-IV, Varsovie, Państwowe Zakłady Wydawnictw Szkolnych, 1970, p. 36. À l’époque il n’est pas encore question d’utiliser le terme de « Juste », instauré en 1953 par l’Institut Yad Vashem.

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64

Sarah Gensburger, Agnieszka Niewiedzial, « Figure du Juste et politique publique de la mémoire en Pologne : entre relations diplomatiques et structures sociales (1945-2005) », Critique Internationale, no 34, 2007, p. 132-133.

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65

Żegota est le nom de code de la Commission d’Aide aux Juifs, organisation clandestine établie par la résistance polonaise.

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66

Ministerstwo Oświaty i Wychowania, Instytut Programów Szkolnych, Program nauczania liceum ogólnokształcącego. Historia. Klasy I-IV, Varsovie, Wydawnictwa Szkolne i Pedagogiczne, 1981, p. 27.

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67

Ministerstwo Oświaty i Wychowania, Instytut Programów Szkolnych, Program nauczania liceum ogólnokształcącego. Historia. Klasy I-IV, Varsovie, Wydawnictwa Szkolne i Pedagogiczne, 1981, p. 29.

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68

Voir le portail éducatif consacré aux sauveteurs polonais, élaboré par l’IPN : en ligne.

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69

IPN, Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej, Varsovie, 2008.

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70

Jan Żaryn, « Wprowadzenie », in Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej. Materiały dla nauczyciela, IPN, Varsovie, 2008, p. 10.

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71

Jan Żaryn, « Wprowadzenie », in Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej. Materiały dla nauczyciela, IPN, Varsovie, 2008, p. 7.

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72

Jan Żaryn, « Wprowadzenie », in Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej. Materiały dla nauczyciela, IPN, Varsovie, 2008, p. 8.

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73

Jan Żaryn, « Wprowadzenie », in Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej. Materiały dla nauczyciela, IPN, Varsovie, 2008, p. 11.

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74

Jan Żaryn, « Wprowadzenie », in Polacy ratujący Żydów w latach II wojny światowej. Materiały dla nauczyciela, IPN, Varsovie, 2008, p. 6.

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75

Minister Edukacji Narodowej, Podstawa programowa kształcenia ogólnego dla czteroletniego liceum ogólnokształcącego i pięcioletniego technikum, 2018, p. 129-130. Mises en exergues de l’auteure.

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76

Voir à titre d’exemple Krzystof Jurek, « Nie/obecność problematyki ludobójstwa w nauczaniu historii we współczesnej szkole średniej w Polsce », texte de communication à la conférence dédiée à la Shoah dans les programmes scolaires d’histoire dans les écoles secondaires en Pologne. Le texte nous a été aimablement transmis par l’auteur.

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77

Rafał Wnuk, « ‘Niezwyciężeni’ – czyli folk-history po polsku », Ohistorie, 17 juillet 2018 [en ligne]. 

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78

Jan Żaryn, « Nasz wywiad. Prof. Żaryn: Powinniśmy zabiegać o zgodę środowisk żydowskich na kontynuowanie ekshumacji w Jedwabnem », wPolityce.pl, 14 février 2019 [en ligne].

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79

En témoigne la loi adoptée le 26 janvier 2018, connue sous le nom de « loi polonaise sur la Shoah », qui instaure un délit d’imputation à la nation ou à l’État polonais d’une (co)responsabilité dans les crimes du IIIe Reich. Voir Uladzislau Belavusau, Anna Wójcik, « La criminalisation de l’expression historique en Pologne : la loi mémorielle de 2018 », Archives de politique criminelle, vol. 40, no 1, 2018, p. 175-188.

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80

Roger Bastide, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année sociologique, vol. 21, 1970, p. 23.

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81

Paul Zawadzki, « Judéité impossible, polonité improbable. Les Juifs et le communisme en Pologne », Yod, no 3, 1996-1997, p. 59.

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82

Andrzej Leder, « La révolution des somnambules », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 47, no 4, 2016, p. 29-55.

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83

Les prénoms des enseignants cités ont été anonymisés.

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84

Observations réalisées par Ewa Tartakowsky dans le cadre d’un projet postdoctoral, financé par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et la Memorial Foundation for Jewish Studies.

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85

Ewa Tartakowsky, « Le Juif, enjeux de l’altérité dans les politiques de mémoire et l’espace scolaire de la Pologne contemporaine », in Florence Carrado-Kazanski, Aleksandra Wojda (dir.), Pologne plurielle. Mémoire de l’Autre dans la Pologne contemporaine, Bordeaux, Presses de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2021, p. 31-58.

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86

Les analyses de Geneviève Zubrzycki sur le « renouveau juif » en Pologne plaident également en faveur de cette hypothèse (« Nationalism, “philosemitism”, and symbolic boundary-making in contemporary Poland », Comparative Studies in Society and History, no 58 (1), 2016, p. 66-98.

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87

Ewa Tartakowsky, « Le Juif à la pièce d’argent », La Vie des idées, 10 janvier 2017 [en ligne]. 

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88

Cette dernière observation résonne avec les travaux d’Elżbieta Janicka. Voir : Elżbieta Janicka, Tomasz Żukowski, Philo-semitic Violence. New Polish narrative about Jews after 2000, Varsovie, IBL PAN, 2016.

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89

IPN, « Kresy – polskie dziedzictwo na wschodzie. Seminarium dla nauczycieli – 19-26 października 2019 » : en ligne

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IPN, « Kresy – polskie dziedzictwo na wschodzie. Seminarium dla nauczycieli – 19-26 października 2019 » : en ligne

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Entretien avec Marek, réalisé par Ewa Tartakowsky, le 17 novembre 2019.

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IPN, « Kresy – polskie dziedzictwo na wschodzie. Seminarium dla nauczycieli – 19-26 października 2019 » : en ligne

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IPN, « Kresy – polskie dziedzictwo na wschodzie. Seminarium dla nauczycieli – 19-26 października 2019 » : en ligne

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Philip W. Jackson, Life in Classrooms, New York, Holt, Reinhart & Winston, 1968.

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Voir notamment Alexandra Oeser, Enseigner Hitler. Les adolescents face au passé nazi en Allemagne. Interprétations, appropriations et usages de l’histoire, Paris, Éditions de la MSH, 2010.

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Marie-Claire Lavabre, Sarah Gensburger, « Entre “devoir de mémoire” et “abus de mémoire” : la sociologie de la mémoire comme tierce position », in Bertrand Müller (dir.), L’Histoire entre mémoire et épistémologie, Lausanne, Payot, 2005, p. 75‑96.