« La crise des réfugiés syriens au Liban est une crise urbaine ». C’est ce qu’indique le Plan de Réponse à la Crise au Liban (LCRP) implémenté par le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) et le gouvernement libanais pour remédier à la précarisation des réfugiés syriens et des communautés hôtes du Liban. Cette recherche analyse les nouvelles logiques d’internationalisation produites par ce dispositif d’aide, à partir d’une ethnographie des marges de la banlieue sud de Beyrouth. Dans ces espaces sociaux de la « misère cosmopolite » où se côtoient réfugiés syriens, palestiniens, migrants africains et asiatiques et anciens déplacés internes, l’encadrement sociopolitique des organisations islamiques (Hezbollah, Amal, Hamas) est prégnant. Il s’agit donc d’examiner les modes de déploiement de l’intervention internationale auprès de ces populations précarisées, dans ce qui est communément appelé le « territoire du Hezbollah ». Comment ces nouvelles logiques d’internationalisation de l’aide entrent-elles en conflit et/ou s’articulent-elles avec les réalités locales de l’aide confessionnelle dispensée par les réseaux islamiques ? Par quels processus les acteurs de l’intervention internationale participent-ils, à l’échelon micro-locale, de nouvelles dynamiques de différenciation sociale des populations récipiendaires de l’aide, et à l’échelle nationale, d’une politique publique d’urgence ? Entre partage et dispute, solidarité et concurrence, hospitalité ou appartenance, la thèse vise à comprendre comment l’intégration de ces marges urbaines au dispositif d’aide internationale a pu recomposer les registres de légitimation locale1.
Affichages de l’UNRWA et de l’ONG Najdeh signalant l’ouverture de leurs programmes d’aide aux réfugiés Palestiniens de Syrie et aux familles libanaises hôtes dans le camp de Chatila.
À Hey Gharbe, des enfants de la communauté nawar, tardivement naturalisée, trainent dans les ruelles tandis que passent deux femmes réfugiées syriennes avec leurs enfants, de retour de l’unique ONG de ce quartier-camp.
L’enquête de terrain et ses différentes casquettes
La double-ethnographie menée auprès des acteurs de l’aide (institutions, ONG, services religieux) et de leurs récipiendaires mobilise une approche relationnelle croisant la question de la concurrence des souverainetés informelles, et celle des interactions habitantes. Dans le camp de Chatila, où je séjourne ponctuellement chez une famille syrienne réfugiée, j’observe les solidarités et conflictualités de voisinage, et le circuit des associations caritatives islamiques fréquentées par le groupe des sept voisines. À Hey Gharbe, c’est à partir d’une expérience de bénévolat effectué dans l’ONG du quartier étudié que je conduis mes observations sur la coprésence des réfugiés syriens avec les habitants Dom (gitan). À Borj Brajneh, je suis une équipe d’assistantes sociales d’un centre gouvernemental de développement dans leurs visites à domicile et leurs échanges avec les autres partenaires institutionnels (HCR, UNICEF, etc.). Sur mes différents sites d’enquête, je suis particulièrement attentive aux temporalités ritualisées mettant en scène, dans un répertoire alliant le local au global, une action publique localisée (Ramadan, journée internationale de la terre, journée de la résistance). L’ethnographie de leurs matérialités me permettra d’explorer la manière dont l’aide circule à travers un emboîtement de relations sociales, de flux d’informations, et de fonds internationaux entre les donateurs, les praticiens de l’aide et leurs récipiendaires.
Notes
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du laboratoire d’excellence Tepsis, portant la référence ANR-11-LABX-0067 et a bénéficié d’une aide au titre du Programme Investissements d’Avenir.