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Traduction non officielle1, le texte en anglais étant seul faisant autorité.
Introduction
1. Voici le jugement du Tribunal Ouïghour, un tribunal citoyen (people’s tribunal), créé pour examiner les allégations selon lesquelles la République populaire de Chine2 commettrait un génocide, des crimes contre l’humanité et des actes de torture à l’encontre des citoyens ouïghours, kazakhs et des autres minorités ethniques de la région du nord-ouest de la Chine, connue sous le nom de Xinjiang ou, officiellement, de Région autonome ouïghoure du Xinjiang (RAOX)3.
2. Aucune connaissance juridique ou autre connaissance spécialisée n’est requise pour comprendre le Jugement. Il y a 34 annexes, référencées ci-dessous et indexées immédiatement après le jugement lui-même au paragraphe 210 ; elles n’affectent en rien le jugement lui-même.
3. Ces allégations comptent parmi les plus graves violations des droits humains et crimes internationaux.
4. Ce jugement porte sur une possible responsabilité de l’État pour certains crimes. Le droit relatif à la responsabilité de l’État se distingue du droit relatif à la responsabilité pénale individuelle, dont il est néanmoins proche ou identique en substance. Le Tribunal s’est appuyé dans son travail sur la Convention [pour la prévention et la répression du crime] de génocide, la Convention contre la torture [et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
5. Il pourrait être avancé par les juristes que le droit relatif à ces crimes, et en particulier au génocide, est incertain, que déterminer la responsabilité d’un État diffère de [l’acte de] déterminer la responsabilité d’un individu, ou qu’il serait opportun d’élargir le champ d’application du droit en vigueur. Cependant, ce Tribunal ne cherche pas à interpréter, étendre ou restreindre le droit en vigueur. Au lieu de cela, œuvrant plutôt comme un jury et travaillant bénévolement4, le Tribunal a entendu des témoignages, a déterminé quels étaient les faits prouvés et a appliqué le droit en vigueur pertinent, comme cela lui avait été conseillé par les experts juridiques. Ces conseils juridiques ont été réduits à l’équivalent de ce qui pourrait être dit par un juge lors d’un procès, qui donne des orientations facilement compréhensibles par un jury. Comme le jury qui annonce sa décision une fois son travail achevé, celui du Tribunal est aujourd’hui accompli.
6. Engager la responsabilité d’un État quel qu’il soit devant les Nations Unies ou devant la Cour internationale de Justice pour le type de crimes ici considéré est très différent [de l’acte] d’engager la responsabilité d’un individu devant une cour pénale nationale, internationale ou devant un tribunal. Il ne revient pas au Tribunal d’initier l’une de ces procédures mais, le cas échéant, cela revient à d’autres.
7. L’article Ier de la Convention sur le génocide est une stipulation pertinente de l’ordre juridique international dès lors qu’il est question de génocide :
« Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens qu’elles s’engagent à prévenir et à punir5 ».
Annexe 1 : « Pour une brève histoire du terme “génocide”, son utilisation et son utilisation abusive » (A Short Note on the History of the Term ‘Genocide,’ its Use and Misuse), paragraphes 211-246.
8. L’engagement auquel ont souscrit 152 pays, dont la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni, est une obligation qui relève de la plus haute juridiction au monde, la Cour internationale de Justice (CIJ), qui a déclaré que :
« L’obligation d’un État de prévenir, et par conséquent le devoir d’agir, naît à l’instant où l’État prend connaissance, ou aurait dû normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux d’un génocide à venir6».
9. L’obligation d’agir dès qu’un État a connaissance d’un génocide a rarement été remplie. Au contraire, la conscience de cette obligation peut même amener les États à ne pas reconnaître des génocides en train de se produire, pour éviter l’obligation d’agir qui leur incombe. Cette réticence à respecter la Convention a sans doute conduit à ce que de nombreux rapports et avis juridiques (opinions) – mentionnés infra – pressent les gouvernements de remplir leurs obligations, et à la création du présent Tribunal, lorsque les allégations contre la Chine ont été connues.
10. Les membres du Tribunal ont travaillé sans idées préconçues et ont évalué les éléments de preuve pour décider si la Chine, grande nation, puissante et prospère, a attaqué et continue d’attaquer avec l’intention de détruire une partie, ou plusieurs parties, de sa propre population.
11. Si tel est le cas, la Chine l’a fait tantôt au vu et au su de tous, tantôt derrière des portes closes, tantôt dans des hôpitaux, tantôt dans des centres de détention spécialement construits à cet effet, et parfois dans les foyers mêmes des personnes.
12. Ces allégations n’ont été considérées publiquement, preuves à l’appui, ni par les Nations Unies, ni par des tribunaux nationaux ou internationaux, ni par les gouvernements, à l’exception des États-Unis, lesquels pour autant n’ont pas rendu public leur raisonnement7.
13. En répondant à une demande formelle8, ce tribunal citoyen – comme d’autres l’avaient fait auparavant, notamment le Tribunal Chine – a voulu examiner ces allégations. Il l’a fait parce que ces allégations sont restées lettre morte et parce que l’obligation incombe aux gouvernements, comme à chacun d’entre nous, de connaître la véracité ou la fausseté d’allégations concernant des êtres humains qui souffrent de la commission de graves violations des droits humains et de violations du droit international.
14. Pour les sujets connexes, voir :
Annexe 2 : « Les Ouïghours et le Tribunal Chine » (Uyghurs and the China Tribunal), paragraphes 247- 249.
Annexe 3 : « Devoirs des États » (Duties of States), paragraphes 250-254.
Annexe 4 : « Histoire des tribunaux citoyens » (History of People’s Tribunals), paragraphes 255-267.
15. Si un autre organe officiel, un tribunal national ou international, avait déterminé ou cherché à trancher ces questions, le présent Tribunal n’aurait pas été nécessaire, il n’aurait pas été créé ou aurait cessé ses travaux, comme cela a été clairement énoncé d’emblée9.
Annexe 5 : « Contexte historique » ? (Some Background) paragraphes 268-278.
Observations initiales
16. Le Tribunal a gardé à l’esprit que les allégations elles-mêmes et une grande partie des preuves fournies par les témoins provenaient de personnes hostiles à la Chine, au Parti communiste chinois (PCC) ou au communisme lui-même. Mais il serait erroné de considérer que le travail du Tribunal consiste à examiner à quel point un État mauvais est mauvais, comme certains témoins semblaient le penser. Il n’en est rien. La Chine et le Parti communiste chinois sont une énorme machine gouvernementale qui gère un immense pays et qui doit répondre aux besoins de la plus grande population nationale au monde. Leurs valeurs propres doivent être respectées, sauf lorsque leurs actes sont contraires aux normes internationales ou violent le droit international. Éviter le préjugement ou les préjugés est possible en considérant que la Chine et le PCC agissent pour le bien de leur population, sauf si, en partie, ils peuvent être observés alors qu’ils se livrent à des méfaits. Il n’y a pas d’autre point de départ pour une enquête juste et impartiale10.
17. Il est essentiel de reconnaître que des actes considérés comme totalement inacceptables et injustifiables par les citoyens des démocraties libérales peuvent sembler aux citoyens chinois parfaitement acceptables et justifiés au nom du bien commun. Il est préférable de séparer ce qui peut être considéré comme incontestablement injustifiable et en violation de normes internationalement reconnues – telles que définies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans le droit relatif au génocide, aux crimes contre l’humanité et à la torture –, de ce que les citoyens au Xinjiang peuvent considérer eux-mêmes comme inacceptable11.
18. Il est également nécessaire de percevoir certains des événements dont le Tribunal s’est fait l’écho en suivant un principe de neutralité. Les pays ont le droit de chercher à maintenir leurs frontières ; à titre d’exemple, ce droit a été récemment défendu en Espagne et au Royaume-Uni. L’existence de mouvements séparatistes implique souvent une violence meurtrière ou autre, dont la responsabilité peut être difficile à attribuer. La réponse des États au terrorisme ou au séparatisme peut entraîner la suspension des normes précédemment admises ; par exemple, les Britanniques ont introduit la détention sans procès pendant les « Troubles » en Irlande du Nord. Certains citoyens de certains pays peuvent très bien tolérer, voire préférer, des gouvernements autoritaires et ne pas particulièrement désirer de démocratie libérale ; ils peuvent considérer comme acceptable le recours à la force physique et à la violence dans la poursuite des intérêts de l’État, ce qui serait frappé d’anathème par les citoyens des démocraties libérales. Malgré ces différences, le Tribunal s’est montré déterminé à appliquer les normes universelles, incluant celles établies par la Déclaration [universelle des droits de l’homme] et la Convention [sur le génocide], auxquelles la plupart des pays, y compris la Chine, ont souscrit et qui ont pris effet peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
19. Gardant à l’esprit ces précautions, les éléments de preuve entendus lors des audiences du Tribunal en juin et en septembre ont été largement jugés recevables par le Tribunal et ils démontrent qu’au Xinjiang, et du fait d’une ou plusieurs instances du gouvernement de la Chine et du PCC, [sont commis les faits suivants] :
a. Des centaines de milliers de Ouïghours – certaines estimations dépassant largement le million – sont détenus par les autorités chinoises sans aucune raison, ou sans raison véritablement suffisante, et soumis à des actes de cruauté, de privation et d’humanité intolérables. Parfois jusqu’à 50 personnes étaient détenues dans une cellule de 22 m2 de sorte qu’il leur était impossible de s’allonger toutes en même temps sur un sol en béton (ou équivalent) –, avec des seaux pour toilettes utilisés à la vue de tous dans la cellule, et sous l’observation constante de caméra de vidéo-surveillance.
[Témoignage de Muetter Illiqud du 12 septembre 2021, uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210912-Muetter-Iliqud.pdf, lignes 246-259 ; et du 4 juin 2022, uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT- 211110-Muetter-Iliqud.pdf, Rapport annuel 2021, « The Persecution of Uyghurs in East Turkistan » (2nd édition).]
b. Nombre de détenus ont été torturés sans raison, avec les méthodes suivantes : arrachage des ongles ; coups de bâton ; immobilisation dans des « chaises du tigre » avec les pieds et les mains attachés pendant des heures voire des jours sans interruption ; confinement dans des cuves remplies d’eau froide jusqu’au cou ; et rétention dans des cages si petites qu’il était impossible de se tenir debout ou de s’allonger.
c. Nombre de détenus ont été entravés par de lourdes chaînes métalliques aux pieds, parfois liant les pieds et les mains, immobilisés ainsi pendant des mois.
d. Des femmes détenues – mais aussi des hommes –, ont été violées et ont subi des violences sexuelles extrêmes. Une jeune femme de vingt ou vingt et un ans a été violée collectivement par des policiers devant un public d’une centaine de personnes, forcées de regarder.
e. Des femmes détenues ont subi des pénétrations vaginales et anales par des matraques électriques et des barres de fer. Des femmes ont été violées par des hommes qui avaient payé pour être admis dans le centre de détention à cette fin.
f. Les détenus étaient alimentés avec de la nourriture à peine suffisante pour se maintenir en vie et souvent insuffisante pour préserver leur santé, une nourriture qui pouvait être refusée arbitrairement à des fins de punition ou d’humiliation.
g. Les détenus ont été soumis à l’isolement dans des cellules plongées dans l’obscurité ou éclairées en permanence, privés de sommeil pendant des jours et humiliés de façon rituelle.
Tous les témoignages, sous forme écrite et orale, sont disponibles sur le site Internet du Tribunal [ou sur sa chaine YouTube].
20. Prendre la mesure complète du traitement réservé aux Ouïghours n’est possible qu’en lisant, en visionnant et en se remémorant ces témoignages dans leur intégralité.
21. Chaque déposition de témoin contient, dans la quasi-totalité des cas, et si accepté comme véridique, des récits de cruauté physique et psychologique, et de souffrances à même de provoquer une profonde indignation parmi les nations qui se considèrent libres et civilisées.
22. Il existe également des témoignages de décès de personnes à la suite du traitement qu’elles ont subi dans les centres de détention et des preuves [de disparition] de détenus, souvent relativement jeunes, qui ont été retirés de force des cellules et qui n’ont plus jamais été vus ni entendus.
23. MAIS il n’y a aucune preuve de meurtres de masse organisés. En réalité, il est clair que les détenus sont autorisés à retourner dans la société, parfois après une courte période de détention de 3 à 6 mois – souvent pour être à nouveau détenus —, parfois après de longues périodes de détention, et parfois après des tortures répétées.
24. Marie van der Zyl, présidente du Board of Deputies of British Jews, a écrit en juillet 2020 à l’ambassadeur de Chine au Royaume-Uni : « Personne ne pourrait regarder le passage de l’émission d’Andrew Marr de la BBC12 dans laquelle vous êtes apparu hier, sans remarquer les points communs entre ce qui est apparemment en train de se passer en Chine aujourd’hui et ce qui s’est passé dans l’Allemagne nazie il y a 75 ans : des personnes embarquées de force dans des trains, la barbe des religieux taillée, des femmes stérilisées et le spectre sinistre des camps de concentration13 ». De telles images ont conduit certains à faire des comparaisons avec l’Holocauste et c’est, bien entendu, l’Holocauste qui a conduit à faire du [mot] « génocide » un terme générique, puis un crime bien défini. Ces comparaisons peuvent être bien intentionnées, mais sont peu utiles. Car les preuves de ce qui arrive aux Ouïghours n’équivalent pas à l’Holocauste, non seulement par manque de preuve des meurtres de masse, mais aussi en raison du retour dans la société des personnes détenues – ce qui n’a jamais été envisagé pour les Juifs emmenés dans des camps de concentration ou de mort14.
25. En droit, le génocide est défini de manière plus large que la conception commune du meurtre de masse d’un groupe spécifique15. Le génocide peut être établi en droit par des actes qui n’entraînent le meurtre d’aucune personne, bien qu’une telle forme de crime, en plus de 70 ans, n’ait jamais été véritablement démontrée par un tribunal sur cette seule base. Il faut espérer que certains parmi ceux qui utilisent ce terme, et avec enthousiasme, à propos des Ouïghours, avaient à l’esprit la formulation précise de cette définition large.
26. Au cours de son examen du droit et des faits, en particulier s’agissant des allégations de génocide, le Tribunal a gardé toutes ces questions à l’esprit, comme la nécessité de considérer la manière dont le terme de génocide a été forgé en lien avec la souffrance des Juifs.
Comment le tribunal a abordé les témoignages ?
Annexe 7 : « Pratique, procédure, réputation de la Chine en matière de droits de l’homme, présomption d’innocence et approche des éléments de preuve » (Practice, Procedure, the Human Rights Reputation of the PRC, the Presumption of Innocence and Approach to Evidence), paragraphes 287-312.
27. Les témoignages des victimes ont généralement été considérés comme fiables, bien que certains mots n’aient parfois pas été considérés comme exacts, comme on pouvait s’y attendre, étant donné les troubles de la mémoire qui peuvent survenir après un traumatisme. Le Tribunal saisit cette occasion pour reconnaître le courage dont a fait preuve la plupart, sinon la totalité, de ces personnes en livrant leurs témoignages. Deux témoins n’ont pas été retenus, non pas qu’ils ne fussent pas crédibles, mais par surcroit de prudence, étant donné que la Chine a fait défaut aux nombreuses invitations qui lui ont été faites pour participer aux procédures du Tribunal et que certaines questions auraient pu être adressées à ces témoins à partir de documents étatiques chinois, auquel le Tribunal n’a pas eu accès.
28. Ces témoignages de première main ont été complétés par des témoignages d’experts portant sur un large éventail de sujets.
29. Les critiques adressées par la Chine à l’encontre du Tribunal, de son travail et des témoignages qu’il a reçus ont été prises en compte.
30. Nulle conclusion factuelle défavorable d’aucune sorte n’a été formulée à l’encontre de la Chine ou de tout autre organisme pour ne pas avoir répondu positivement aux demandes de preuves ou d’assistance du Tribunal.
31. Les opinions formulées dans les conclusions finales – des crimes ont-ils été commis ? – ont été lues dans les rapports et avis juridiques, et entendues dans les témoignages, mais aucune attention n’a été portée à ces opinions par le Tribunal.
32. Le Tribunal a été amené à examiner, comme question d’importance cruciale, si les actions et les comportements attestés par un nombre limité de témoins pouvaient être extrapolés de manière à refléter ce que subissent en général les Ouïghours au Xinjiang. Une convergence d’éléments de preuve concordants provenant de témoins sans lien les uns avec les autres ni connexion, de preuves documentaires, d’articles universitaires, de reportages dans les médias et de documents officiels chinois a fourni un tableau uniforme de la vie au Xinjiang. Ont ainsi été révélés, par exemple, l’ampleur et la rapidité de la construction des centres de détention (detention centers), le traitement des Ouïghours à l’intérieur de ces centres, la destruction des mosquées, une surveillance étatique extrêmement intrusive, etc. Le Tribunal a estimé qu’il était possible – avec prudence mais certitude – d’extrapoler à partir de témoignages individuels pour parvenir à des conclusions plus larges16.
Élements de preuve des témoins
33. D’après les témoignages livrés en personne devant le Tribunal, alors que la totalité des éléments de preuve apportés par les témoins de fait, à l’exception d’un seul, ont été reconnues comme authentiques, les faits suivants, au reste non exhaustifs, ont été considérés comme prouvés :
a. Lors de « cours » dans les centres de détention (detention centers), les détenus ont été forcés d’apprendre et de chanter des chansons à la gloire du PCC et de la Chine en présence de gardiens, au risque d’être entraînés hors de la classe et d’être torturés jusqu’à pousser des hurlements qui pouvaient être entendus par ceux restés en classe.
b. Les détenus ont été contraints de prendre des médicaments par voie orale ou par injection, ce qui a affecté le système reproductif des femmes et probablement celui des hommes, ou qui avaient d’autres effets d’ordre psychologique restés secrets.
c. Les détenus ont été forcés de subir des prélèvements sanguins et de se soumettre à d’autres tests médicaux sans raison connue.
d. Les femmes enceintes, dans des centres de détention et à l’extérieur, ont été obligées d’avorter, même au tout dernier stade de la grossesse. Au cours des tentatives d’avortement, les bébés naissaient parfois vivants, mais étaient tués ensuite.
e. En raison du contrôle intense, de la surveillance, de la reconnaissance faciale et des technologies avancées visant spécifiquement les Ouïghours et les autres minorités ethniques, certaines régions du Xinjiang sont devenues, pour certaines de ces minorités ethniques, une prison à ciel ouvert.
f. Les voisins, les membres de la famille et les autres membres de la communauté ont été incités ou contraints, de diverses manières, à s’espionner les uns les autres.
g. Des actions en apparence insignifiantes ont pu donner lieu à des arrestations arbitraires, entraînant parfois la destruction de familles, leurs moyens de subsistance et le risque d’une violence extrême.
h. Les leaders religieux, culturels, politiques et économiques ont été emprisonnés, « ont disparu » et, dans certains cas, ont été tués ou ont été rapportés tués ou décédés.
i. Des enfants âgés de quelques mois seulement ont été séparés de leur famille et placés dans des orphelinats ou des internats gérés par l’État. Dans certains cas, les parents de ces enfants ne savaient pas si leurs enfants étaient vivants ou morts.
j. Un programme systématique de contrôle des naissances a été mis en place obligeant les femmes à subir, contre leur gré, une ablation de l’utérus et à se soumettre à une stérilisation par le moyen de dispositifs intra-utérins qui ne pouvaient être retirés que par voie chirurgicale.
k. Les femmes ouïghoures ont été contraintes d’épouser des hommes han, le refus les exposant à un risque d’emprisonnement, elles-mêmes ou leur famille.
l. [La présence] d’« amis de la famille » – pour la plupart des hommes han – a été imposée dans des foyers ouïghours pendant des semaines pour surveiller et signaler les opinions et les comportements [des membres] de ces foyers. Les enfants ont été interrogés. Les hommes han ont parfois dormi dans le même lit que la famille, dans certains cas, lorsque l’homme ouïghour se trouvait en centre de détention. Les conséquences comprenaient le harcèlement sexuel et des relations sexuelles non consenties, ainsi qu’une atteinte aux habitudes et coutumes culturelles et religieuses.
m. Un programme de transfert forcé de main-d’œuvre à grande échelle a été mis en œuvre dans toute la région, mais aussi en Chine « continentale ». Souvent séparées de leurs familles, les personnes transférées étaient contraintes de vivre dans des dortoirs ségrégués.
n. Un grand nombre de symboles de la foi musulmane a été retiré des bâtiments ; de nombreuses mosquées ont été complètement détruites, profanées ou destinées à d’autres usages, comme des cafés ou des centres touristiques, tandis que des cimetières ont été détruits au bulldozer.
o. Les symboles ou les manifestations de religiosité ont été supprimés et les actes de foi étaient punis lorsqu’ils étaient observés ou détectés. Le port du voile, le port de la barbe, la prière, l’étude de la littérature religieuse ou toute manifestation d’adhésion à la foi musulmane ont entraîné de longues peines de prison.
p. L’utilisation de la langue ouïghoure était réprimée. Dès leur plus jeune âge, les enfants se sont vus refuser une éducation dans leur langue maternelle et étaient punis pour l’avoir utilisée.
q. L’État s’est approprié arbitrairement des terres, de l’argent et des biens commerciaux et, dans de nombreux cas, les a donnés ou vendus à des membres de la population han majoritaire.
r. Les communautés ont subi la destruction de pans entiers de leurs maisons souvent anciennes de plusieurs siècles et la relocalisation des habitants vers des lieux très éloignés de leurs foyers d’origine.
s. La Chine a également cherché à contrôler les Ouïghours vivant hors du pays par des menaces directes ou visant les membres de leur famille en Chine.
t. De nombreux membres de la diaspora n’ont eu aucune information sur leur famille, n’ayant même pas été autorisés par les responsables chinois à savoir si leur mari, leur femme, leurs parents ou leurs enfants étaient en vie.
u. La Chine a emprisonné, parfois pour de longues peines de prison, les proches de ceux qui ont parlé publiquement des conditions de vie au Xinjiang.
v. La Chine a contraint les pays où elle est en mesure d’exercer une pression économique à renvoyer en Chine les Ouïghours vers un destin inconnu.
Annexe 8 : « Cibler les leaders culturels, religieux, intellectuels et économiques » (Targeting Cultural, Religious, Intellectual and Business Leaders), paragraphes 313-322.
Annexe 9 : « Tuer en détention » (Killing in Detention), paragraphes 323-329.
Annexe 10 : « Tests médicaux et consommation forcée de drogues » (Medical Testing and Forced Consumption of Drugs), paragraphes 330-347.
Annexe 11 : « Mariages forcés, parents Han imposés » (Coercive Marriages, Imposed Han Relatives), paragraphes 347-362.
Annexe 12 : « Confiscation des terres, des biens et des actifs commerciaux » (Confiscation of Land, Property and Business Assets), paragraphes 363-368.
Annexe 13 : « Destruction de l’identité intellectuelle, culturelle, linguistique et religieuse ouïghoure » (Destruction of Intellectual Cultural, Language and Religious Uyghur identity), paragraphes 369-404.
Les sanctions
34. Le 26 mars 2021, la Chine a annoncé, en ces termes, que divers organismes et individus, y compris le présent Tribunal et son président, seraient soumis à des sanctions :
a. Le Royaume-Uni a imposé des sanctions unilatérales à des personnes et entités chinoises concernées, qui évoquaient de prétendus problèmes de droits humains au Xinjiang. Cette mesure, qui ne repose sur rien d’autre que des mensonges et de la désinformation, enfreint de manière flagrante le droit international et les normes élémentaires qui régissent les relations internationales, interfère de manière excessive dans les affaires intérieures de la Chine et porte gravement atteinte aux relations entre la Chine et le Royaume-Uni. Le ministère chinois des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur britannique en Chine pour lui adresser des réclamations solennelles, exprimant une ferme opposition et une ferme condamnation. La partie chinoise décide de sanctionner les neuf personnes et quatre entités suivantes qui, pour la partie britannique, diffusent malicieusement mensonges et désinformation : Tom Tugendhat, Iain Duncan Smith, Neil O’Brien, David Alton, Tim Loughton, Nusrat Ghani, Helena Kennedy, Geoffrey Nice, Joanne Nicola Smith Finley, China Research Group, la Commission pour les droits humains du Parti conservateur (Conservative Party Human Rights Commission), le Tribunal Ouïghour, l’Essex Court Chambers. À compter d’aujourd’hui, les personnes concernées et les membres de leur famille proche sont interdits de séjour en Chine continentale, à Hong Kong et à Macao, leurs biens en Chine seront gelés et il sera interdit aux citoyens et institutions chinois de faire des affaires avec eux. La Chine se réserve le droit de prendre d’autres mesures.
b. La Chine est fermement déterminée à défendre sa souveraineté nationale, sa sécurité et ses intérêts en matière de développement, et avise la partie britannique de ne pas s’engager plus en avant dans la mauvaise direction. Dans le cas contraire, la Chine réagira, à nouveau, de façon résolue17.
35. Ces sanctions, qui n’ont été confirmées que plus tard par une loi adoptée le 10 juin 202118, n’ont eu qu’un effet très limité sur les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, comme cela sera expliqué ci-dessous.
Les preuves factuelles issues de divers rapports
36. Un certain nombre de rapports indépendants et reconnus ont été publiés, dont les suivants :
En juillet 2020, le Comité des droits de l’homme (Human Rights Committee) du Barreau d’Angleterre et du Pays de Galles [a publié] « Responsabilité des États en droit international envers les Ouïghours et autres musulmans turciques au Xinjiang, en Chine » (rapport du Barreau sur les droits de l’homme)19.
Le 26 janvier 2021, Alison Macdonald QC, Jackie McArthur, Naomi Hart Lorraine de l’Essex Court Chambers, un ensemble de cabinets d’avocats à Londres, ont publié un avis juridique sous le titre « Responsabilité pénale internationale pour crimes contre l’humanité et de génocide à l’encontre de la population ouïghoure de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang » (avis juridique de l’Essex Court Chambers)20.
Le rapport de Yael Grauer du 29 janvier 2021 pour Intercept21.
Le rapport de mars 2021 du Newlines Institute for Strategy and Policy intitulé « Le génocide des Ouïghours – Examen des violations par la Chine de la convention sur le génocide de 1948 »22.
Le 19 avril 2021, le rapport de Human Rights Watch (HRW) « Briser leur lignée, briser leurs racines : crimes contre l’humanité de la Chine vis-à-vis des Ouïghours et d’autres musulmans turciques »23.
En juin 2021, le rapport d’Amnesty International, « Comme si nous étions des ennemis de guerre. Internements, torture et persécutions perpétrés à une échelle massive contre les musulmans du Xinjiang24 ».
Le 19 octobre 2021, l’International Cyber Policy Centre de l’Australian Strategic Policy Institute’s [a publié] « Architecture de la répression : décrypter la gouvernance au Xinjiang » (The architecture of repression: Unpacking Xinjiang’s governance) par Vicky Xiuzhong Xu, James Leibold et Daria Impiombato25.
Le rapport de novembre 2021 du United States Holocaust Memorial Museum intitulé « Nous faire disparaître lentement » (To Make Us Slowly Disappear)26.
37. Certains de ces rapports sont, dans une certaine mesure, des synthèses d’autres travaux. Certains contiennent des sources de première main. La plupart, voire tous, traitent de droit, et pas seulement du droit qui intéresse le Tribunal, mais aussi d’autres voies légales ou de réparation possibles. Tous les auteurs, à l’exception d’un seul, ont été invités à témoigner devant le Tribunal ; tous ont décliné l’invitation, sauf un. Le professeur [John] Packer et [Jonah] Diamond, principaux auteurs du rapport Newlines, sont venus à Londres pour déposer en personne et le Tribunal leur en est très reconnaissant.
38. Les preuves sur lesquels s’appuient ces rapports comprennent des éléments qui se recoupent avec ceux transmis directement au Tribunal et référencés ci-dessus au paragraphe 33, ainsi que des éléments provenant de sources différentes. Il n’y a pas eu de contradictions significatives entre les différentes sources de preuves.
Annexe 14 : « Conclusions juridiques issues des autres rapports » (Legal Conclusions from Other Reports), paragraphes 405-446.
Annexe 15 : « Preuves factuelles issues de divers rapports » (Factual Evidence from Various Reports), paragraphes 447-474.
39. Le rapport d’Intercept de Yael Grauer, le rapport du HRW, le rapport d’Amnesty et le rapport de l’ASPI [Australian Strategic Policy Institute] ont apporté des détails que le Tribunal a dû prendre en compte – comme indiqué en détail à l’annexe 14 – y compris, à titre d’exemple :
L’utilisation de l’« épée antiterroriste » (anti-terrorist sword) aux points de contrôle dans laquelle les gens devaient brancher leurs téléphones et qui téléchargeait tout de leurs appareils ; la campagne sur les réseaux sociaux #MeTooUyghur qui enregistrait des plaintes pour disparitions – plus de 11 500 témoignages en décembre 2020 ; le récit d’un détenu obligé de s’asseoir sur une chaise de tigre, bras menottés et enchaînés et jambes également enchaînées, son corps attaché au dossier de la chaise qui urinait et déféquait sur la chaise sur laquelle il est resté trois nuits durant, et décédant après sa libération ; le retour des procès pour l’exemple précédemment condamnés par la Chine elle-même, comme celui dans la ville de Ghulja dans le nord du Xinjiang, en mai 2014, de 7 000 [personnes] dans un stade de sport, Ouïghours majoritairement, accusés d’être des « séparatistes » et des « terroristes », condamnés devant une foule de 7 000 personnes ; le retour significatif de l’utilisation de la gouvernance par campagne [de mobilisation]27, y compris les campagnes antiterroristes et de rééducation ; une description figurant dans des documents de police fuités qui a montré comment l’incarcération de masse incluait le harcèlement de la famille d’un détenu, dont les membres étaient contrôlés quotidiennement par le comité de quartier pour vérifier ce qu’ils faisaient et leur réaction émotionnelle à la détention de leur fils/frère.
Éléments de preuve des experts
40. Le Tribunal a entendu une grande variété d’experts-témoins couvrant de nombreux sujets, notamment :
- Histoire des plans de contrôle au Xinjiang ; structures politiques du Xinjiang
- Construction et emprisonnement de 100 000 personnes dans des centres de détention
- Détention des chefs communautaires ou religieux ; implantation d’usines à l’intérieur ou à côté des centres de détention ; méthodes de surveillance ; conséquences diverses sur la population ouïghoure des mesures de contrôle prises
- Contrôle précis au niveau local par la police de proximité et visites des prétendus membres de la « famille »
- Stérilisation massive ; séparation des enfants et des familles par l’envoi des enfants dans des internats ; transfert de main-d’œuvre forcée et autres formes de pression
- Destruction de mosquées ; restriction de la pratique religieuse.
Sean Roberts : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211110-Sean-Roberts.pdf
Dolkun Isa : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211109-Dolkun-Isa.pdf
Abdulhakim Idris : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210910-Abdulhakim-Idris.pdf
Jessica Batke : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211217-Jessica-Batke.pdf
Christian Tyler : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210911-Christian-Tyler.pdf
Bahram Sintash : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211217-Bahram-Sintash.pdf
Julie Millsap : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211217-Julie-Millsap.pdf
Connor Healey : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211217-Conor-Healy.pdf
Geoffrey Cain : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210912-Geoffrey-Cain.pdf
Laura Harth : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211220-Laura-Harth.pdf
Charles Parton : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211220-Charles-Parton.pdf
Peter Irwin : http://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210913-Peter-Irwin.pdf
Annexe 16 : « Éléments de preuve des experts » (Expert Evidence), paragraphes 475-508.
Annexe 17 : « Chronologie/Histoire préparée par le Tribunal » (Chronology/History, prepared by the Tribunal itself), paragraphes 509-575.
Les preuves d'experts issus de rapports non produits par les témoins mais disponibles au Tribunal pour lecture
41. Ces mêmes rapports mentionnés au paragraphe 36 ci-dessus comportent d’abondants commentaires et souvent des avis sur la criminalité, sur le droit en général et sur les difficultés et les obstacles qui empêchent d’intenter une action ou de déposer une plainte devant un tribunal, national ou international.
42. Le rapport du Comité des droits de l’homme du Barreau d’Angleterre et du Pays de Galles a identifié les voies de recours dans le cas où des crimes, y compris des crimes contre l’humanité et un génocide, seraient prouvés. Il n’a pas exprimé d’opinion spécifique sur la culpabilité de la Chine. L’auteur du rapport n’a pas été en mesure de témoigner devant le Tribunal.
43. L’avis juridique de l’Essex Court Chambers a conclu à l’existence d’un cas crédible de crimes contre l’humanité et de génocide. Les auteurs, dirigés par Alison Mac Donald QC, ont refusé de témoigner à l’appui de cet avis, avant même que la Chine ne leur impose des sanctions, ainsi qu’à leur cabinet28, à la suite de quoi l’avis a été retiré de leur site web29. Le rapport a échoué à analyser plusieurs questions de fond au regard du droit sur le génocide30.
44. Le rapport de HRW a conclu qu’il était prouvé que des crimes contre l’humanité avaient été commis, mais a déclaré, à propos des allégations de génocide, que le HRW n’avait « pas documenté l’existence de l’intention génocidaire nécessaire à ce stade ». Néanmoins, elle a noté que « rien dans le rapport n’exclut une telle conclusion et, si de telles preuves devaient apparaître, les actes commis contre les musulmans turciques au Xinjiang – un groupe protégé par la Convention sur le génocide de 1948 – pourraient également conclure au génocide ». La témoin Maya Wang, du HRW, qui a témoigné sur une autre question, a confirmé que la position de HRW était inchangée.
Maya Wang https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/07/UT-210910-Maya-Wang.pdf
45. Amnesty International, comme HRW, peuvent avoir une réaction prudente face à des allégations de cette gravité concernant la Chine. Comme la plupart des autres rapports, celui d’Amnesty International suggère que des crimes contre l’humanité ont pu être commis, mais n’exprime aucune opinion dans le texte principal sur le génocide, se référant seulement dans une note de bas de page à d’autres opinions rapportées, la note de bas de page se terminant par un extrait du magazine The Economist qui affirme :
« Le mot “génocide” n’est pas le bon pour décrire les horreurs du Xinjiang. Pour affronter le mal, il faut d’abord le décrire avec précision »…
Voir : https://www.economist.com/the-economist-explains/2021/01/22/what-is-genocide
46. Il est raisonnable de présumer que les auteurs du rapport d’Amnesty International, qui n’étaient pas en mesure de participer directement aux travaux du Tribunal, n’ont pas voulu exposer ce que leur rapport a constaté comme génocide.
47. L’objectif très clair du rapport Newlines, tel qu’il a été expliqué dans la déposition du professeur [John] Packer et de [Jonah] Diamond, est de démontrer que l’établissement d’une responsabilité de l’État dans le génocide peut nécessiter un niveau de preuve moins rigoureux que celui exigé pour les individus. Il a également fait valoir que l’intention d’un État peut être prouvée sans qu’il soit nécessaire de tirer des conclusions sur l’intention d’un individu.
Voir le rapport de John Packer et Jonah Diamond sur la responsabilité de l’État chinois relative aux violations de la Convention sur le génocide : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT-211217-John-Packer-and-Yonah-Diamond.pdf, section 4, p. 8-10) ; voir aussi la transcription de leur déposition du 11 septembre 2021 ; Ibid, l. 394 et suiv.
48. Une telle intention, selon le rapport, pourrait être établie à partir d’un ensemble de faits objectifs attribuables à l’État, ce qui inclut des déclarations officielles, un plan général, une politique d’État, un modèle de comportement et des actes destructeurs répétés, qui ont une suite logique et aboutissent ou peuvent aboutir à la destruction totale ou partielle du groupe concerné. Le rapport a conclu que le génocide à l’encontre des Ouïghours a été établi [par la commission de] chacun des actes prohibés au titre de l’article II de la Convention, et explique dans le corps principal du rapport que « l’intention de détruire les Ouïghours en tant que groupe découle d’une preuve objective, consistant en une politique et une pratique étatiques globales, que le Président Xi Jinping, la plus haute autorité de Chine, a mise en œuvre.31»
49. Expliquant – avec précision – que la responsabilité de l’État dans les violations de la Convention sur le génocide n’est pas une question de responsabilité pénale et que les États ne peuvent être poursuivis ou jugés pénalement coupables de génocide, le rapport Newlines soutient que le niveau de preuve le plus rigoureux du droit pénal ne s’applique pas. Rejetant la nécessité d’une preuve au-delà de tout doute raisonnable, il a appliqué une norme de preuve « claire et convaincante » suffisante pour conclure à la violation de la Convention sur le génocide par un État.
50. Le professeur Packer et Mr. Diamond ont formulé plusieurs questions importantes que le Tribunal devait examiner. Toutefois, le Tribunal n’est pas l’organe approprié pour tenter de développer le champ d’application du droit en matière de génocide ou pour prendre le risque de traiter le génocide autrement que par le niveau de preuve le plus stricte, c’est-à-dire « au-delà du doute raisonnable ». Un tribunal citoyen qui n’applique pas le droit établi et facilement compréhensible à des faits prouvés selon la méthode d’évaluation la plus stricte pourrait fortement réduire sa valeur publique, laquelle découle d’une présentation incontestable des faits avérés et des points de droit, afin que ceux-ci puissent être utilisés par d’autres.
51. Le professeur Packer et Mr. Diamond ont peut-être encouragé ceux qui pensaient que le Tribunal ne réussirait que s’il concluait à l’existence d’un génocide – une conception totalement erronée de la fonction du Tribunal. Ils ont toutefois démontré que ceux qui souhaitent faire des déclarations sur la culpabilité pénale des États-nations devraient avoir le courage de présenter des témoignages publics pour appuyer leurs positions. Le Tribunal réitère sa gratitude envers le Professeur Packer et envers Mr. Diamond qui ont démontré combien la liberté d’expression dont jouissent les citoyens de certains pays était un privilège.
52. Des milliers de fichiers de police, dont une base de données utilisée par le Bureau de la sécurité publique de la ville d’Ürümqi et plus largement le Bureau de la sécurité publique du Xinjiang, ont été piratés en 2019 et divulgués à la journaliste Yael Grauer, dont le rapport du 29 janvier 2021 pour Intercept est mentionné au paragraphe 39 ci-dessus32.
53. Les mêmes données, qu’elle a partagées avec l’ASPI [Australian Strategic Policy Institute], ont donné lieu au « Rapport de l’ASPI » qui n’exprime aucun avis sur la qualification pénale, mais qui met l’accent sur les campagnes de contre-terrorisme de 2014 et de rééducation de 2017, ainsi que sur l’intensification de « la guerre contre les Ouïghours » menée par la Chine au cours de cette période. Le rapport contient de nombreux éléments utiles mais il a été publié trop tard pour que ses auteurs soient invités à témoigner officiellement ou pour que son contenu soit discuté avec d’autres témoins.
54. Le rapport (voir également l’annexe 17 « Chronology/History ») conclut, entre autres, que :
a. La campagne de rééducation de 2017 s’inscrivait dans la continuité de la campagne antiterroriste de 2014 pour stabiliser la situation, consolider, normaliser et atteindre une « stabilité totale » d’ici la fin 2021. La campagne de 2017 a été élargie pour intégrer les réquisitions massives pour le travail forcé, rendre obligatoire des mesures de contrôle des naissances et renforcer l’endoctrinement. Le cycle de traumatismes et d’abus massifs au cours de ces campagnes au Xinjiang porte l’imprimatur de Xi, qui a déclaré, au moins dans trois discours distincts entre 2014 et 2020, que « les méthodes et stratégies de gouvernance du Parti au Xinjiang sont tout à fait correctes » et que « [nous] devons y adhérer sur le long terme ».
b. Dans le cadre du programme Fanghuiju33, des fonctionnaires et parfois des civils visitent ou occupent les maisons des Ouïghours et d’autres familles autochtones (indigenous), endoctrinent et surveillent, comme des membres fictifs de la famille, des hommes et des femmes qu’ils ont le pouvoir d’envoyer dans les camps de détention. Un mécanisme de « troïka » (« trinity ») garantit que chaque quartier et village soit cogéré par des fonctionnaires du Comité de quartier ou de village, des policiers et des équipes de travail externes du Fanghuiju. Lors de sa tournée d’inspection de 2014 au Xinjiang, Xi Jinping aurait fait grande éloge de ce dispositif. Les fonctions du Comité de quartier comprennent désormais la délivrance de permis de déplacement aux résidents ouïghours, la surveillance des actions et des émotions des résidents à leur domicile, l’internement d’individus dans des camps de rééducation et la soumission des proches des personnes détenues à des ordres « de gestion et de contrôle » qui s’apparentent à une assignation à résidence.
c. La Commission [centrale aux] affaires politiques et juridiques (CAPJ) [PLAC en anglais] supervise la police, le Parquet, les tribunaux, le ministère de la Justice et d’autres organes de sécurité, tous relevant en dernier ressort du Parti communiste chinois par l’intermédiaire de la CAPJ [PLAC]. Xi Jinping a surnommé le système des affaires politiques et juridiques le « manche du couteau » du Parti et a insisté pour que ce manche soit fermement maintenu entre les mains du Parti et des masses.
d. Pendant les campagnes [de mobilisation] au Xinjiang, les décisions relatives à l’application de la loi sont hâtives, sévères et arbitraires34, les hauts fonctionnaires promulguant de nouvelles lois et règlements qui contredisent les lois existantes pour répondre aux besoins des campagnes. Sur le terrain, les officiers locaux se vantent ouvertement d’agir en dehors de toute procédure légale – avec l’aval des hauts dirigeants et des médias d’État.
e. Nathan Ruser, l’un des témoins du Tribunal, a produit dans le rapport ASPI [Australian Strategic Policy Institute], la carte suivante (voir ci-dessous), montrant les lieux de détention au Xinjiang en date du 24 septembre 202035.
f. La diffusion de la politique – « propagande » pour certains – était une caractéristique importante des campagne36 et, en décembre 2017, le Comité central du Parti [communiste chinois] du Xinjiang a lancé un deuxième cycle du [programme] « Faire famille », qui a finalement fusionné avec le programme Fanghuiju et qui relevait de Chen Quanguo37, secrétaire du Parti [communiste] du Xinjiang (voir ci-dessous), lequel a envoyé plus de 1,12 millions de cadres et de civils dans les foyers autochtones pour un séjour de cinq jours tous les deux mois.
g. Il est intéressant de noter que de nombreux hauts fonctionnaires chinois ayant subi un traumatisme personnel pendant la Révolution culturelle ont contribué à orchestrer la répression au Xinjiang avec un zèle révolutionnaire. Deux des cas les plus notables sont Zhu Hailun38 et le président Xi Jinping. Les deux hommes ont été soumis à rééducation à l’adolescence (Zhu dans le Xinjiang et le président Xi dans le Shaanxi rural), et ont affirmé par la suite que leur expérience des travaux forcés les avait transformés.
Carte des lieux de détention au Xinjiang en date du 24 septembre 2020.
[Voir aussi la carte en ligne « Xinjiang Data Project » qui recense également les sites culturels et les mosquées qui ont fait l’objet de destruction : https://xjdp.aspi.org.au/map/? (NDÉ)]
55. Le rapport indique qu’après être devenu « plus rouge que rouge » pour survivre aux épreuves subies par sa famille pendant la Révolution culturelle, le président Xi s’est tourné vers les techniques de Mao en mobilisant les vastes ressources du système bureaucratique chinois pour fabriquer stabilité et conformité au sein de toute la nation. Les Ouïghours et d’autres communautés autochtones ont fait les frais de ces efforts, et les deux campagnes [de mobilisation] dont il est question dans ce rapport ont entraîné une méfiance interethnique et un ressentiment accru entre les communautés han et les communautés autochtones du Xinjiang.
56. Un rapport de novembre 2021 du United States Holocaust Memorial Museum intitulé « Nous faire disparaitre doucement » (To Make Us Slowly Disappear) s’est appuyé, en partie, sur des dépositions faites devant ce Tribunal. Comme le rapport de l’ASPI [Australian Strategic Policy Institute], il contient des éléments utiles mais il a été publié trop tard pour que ses auteurs puissent être invités à témoigner devant le Tribunal.
Annexe 18 : « Rapport de l’ASPI » (ASPI Report), paragraphes 576-639.
Annexe 19 : « Rapport de l’Holocaust Memorial Museum » (Holocaust Memorial Museum report), paragraphes 640-643 .
57. Le United States Holocaust Memorial Museum rapporte que :
a. Dès la fin des années 1980, les Ouïghours ont exprimé leur mécontentement face au traitement préférentiel accordé par l’État à la communauté chinoise han, le groupe ethnique majoritaire en Chine. Le traitement préférentiel accordé aux Chinois han a entraîné des inégalités socio-économiques entre les communautés, ce qui a donné lieu, en 1990, à une révolte dans la ville de Baren, dans la préfecture de Kashgar au Xinjiang, contre les restrictions imposées à la pratique de l’islam imposées par le gouvernement chinois. L’État a répondu par la force, tuant environ 1 600 Ouïghours.
b. En 1997, dans le district de Ghulja dans la préfecture d’Ili, au nord du Xinjiang, une manifestation similaire a donné lieu à une violente répression par les autorités, avec arrestations arbitraires, actes de torture et exécutions sommaires de manifestants ouïghours. Depuis au moins les années 1960, des dizaines de milliers de Ouïghours ont cherché à fuir la Chine pour échapper à ce qu’ils considéraient comme une répression.
c. En 1998, un petit groupe d’Ouïghours comptant plusieurs centaines de personnes s’est rendu en Afghanistan contrôlé par les Talibans, avec l’intention de lancer une insurrection à caractère religieux contre la domination chinoise. Le groupe a été désigné par le gouvernement chinois comme MITO [Mouvement islamique du Turkestan oriental] (ETIM), mais ne semble pas avoir utilisé ce nom lui-même. Il aurait eu des relations tendues, à la fois avec Al-Qaïda et les Talibans, ces derniers entretenant des relations diplomatiques avec la Chine lorsqu’ils gouvernaient l’Afghanistan. En décembre 2001, la plupart des Ouïghours associés au groupe avaient fui l’Afghanistan ou avaient été tués, ce qui a entraîné le démantèlement effectif du groupe.
d. En dépit du peu d’événements violents survenus au Xinjiang entre 1997 et 2008, le gouvernement chinois a, de façon grandissante, qualifié les Ouïghours de terroristes ou de terroristes potentiels, et les a marginalisés.
e. Lors de l’incident de 2009, près de 200 personnes auraient été tuées et des centaines blessées, la grande majorité des victimes officiellement enregistrées ont été identifiées par les autorités comme étant des Chinois han. Les organisations ouïghoures ont affirmé que le nombre de victimes ouïghoures était largement sous-estimé. L’intensification des restrictions imposées à l’ensemble de la communauté ouïghoure du Xinjiang a été suivie de la mise en place de barrages routiers et de points de contrôle. Les Ouïghours qui vivaient dans les principales villes du Xinjiang étaient tenus de rejoindre leurs villes et villages d’origine pour recevoir des autorisations de déplacement, appelés « cartes d’utilité publique » (people’s convenience cards), qui limitaient fortement leur liberté de mouvement. En 2016, les Ouïghours munis d’une autorisation de déplacement ne pouvaient plus quitter leur ville d’origine, les autorités exigeant que les habitants installent un logiciel de surveillance sur leur téléphone et que les conducteurs installent un système de navigation par satellite de fabrication chinoise dans leur véhicule. En 2016, des systèmes de collecte de données vocales ont été achetés par les bureaux de police du Xinjiang, à la suite d’une « Notice visant à réaliser pleinement la construction de portraits tridimensionnels, de reconnaissance vocale et de système de collecte biométrique d’empreintes digitales et ADN ».
f. Dans un Livre blanc publié en juillet 2019 par le Bureau d’information du Conseil des affaires de l’État de la Chine, le gouvernement a nié l’ascendance turcique des Ouïghours, affirmant que « l’islam n’était ni un système de croyances autochtone, ni l’unique système de croyances des Ouïghours » mais qu’il a été imposé durant l’expansion de l’Empire arabe, et que la « théocratie » et le « suprématisme religieux » étaient une trahison à laquelle il fallait s’opposer.
58. Le rapport a pu s’appuyer sur sa propre annonce de mars 2020, estimant qu’il y avait une base raisonnable pour considérer que la Chine avait commis les crimes contre l’humanité de persécution, d’emprisonnement ou autre privation grave de liberté physique à l’encontre des Ouïghours. Le présent rapport analyse les informations supplémentaires disponibles en anglais dans le domaine public et relatives au traitement de la communauté ouïghoure de Chine au Xinjiang et estime qu’il existe désormais une base raisonnable pour considérer que des crimes contre l’humanité de stérilisation forcée, de violence sexuelle, d’esclavage, de torture et de transfert forcé sont également commis. Selon le rapport, la nature limitée des informations vérifiables présente des défis évidents à l’analyse juridique de l’existence d’une intention génocidaire. Le gouvernement chinois continue, à dessein, d’entraver le flux d’informations concernant ses crimes contre les Ouïghours du Xinjiang. Le rapport conclut que les informations qui ont émergé dans le domaine public suscitent de sérieuses inquiétudes quant à la possibilité que le gouvernement chinois commette un génocide à l’encontre des Ouïghours.
59. Le fait que ce soit le rapport du United States Holocaust Memorial Museum qui soit parvenu à ces conclusions libère le Tribunal de certaines des préoccupations qu’il éprouvait (voir le paragraphe 26 et les paragraphes 645-648 [en réalité paragraphe 640-643, Annexe 19 : « Holocaust Memorial Museum Report »]) quant à la qualification de génocide dans des circonstances si manifestement différentes de l’Holocauste.
60. Le travail de l’expert-témoin Ethan Gutmann, journaliste d’investigation, mérite une mention particulière. Son témoignage ne sera pas pris en compte car, bien que le Tribunal n’ait aucune raison de ne pas accepter ses recherches, Ethan Gutmann lui-même les considère comme des « travaux en cours ». Il invite à considérer comme possible que de jeunes détenus d’une vingtaine d’années aient été examinés médicalement, jugés en bonne santé et, ayant été marqués comme tels sur des fiches, assujettis à des prélèvements forcés d’organes, c’est-à-dire tués afin que leurs organes soient prélevés et vendus. Les témoignages qui permettent de considérer cela comme possible ne se limitent pas à la disparition fréquente de jeunes détenus, mais sont aussi le fait que la transplantation d’organes soit poursuivie dans l’ensemble de la Chine comme une activité majeure et extrêmement lucrative. M. Gutmann a identifié au moins un site où un centre de détention hospitalier et un crématorium se trouvent au même endroit, à proximité d’un aéroport qui dispose d’une voie express spéciale dans la zone des « départs » pour le transport d’organes. M. Gutmann ne prétend pas que son hypothèse théorique soit suffisamment confirmée par des preuves irréfutables. Il poursuit, évidemment, son travail. Si une telle pratique est en cours, le meurtre des Ouïghours et d’autres personnes à des fins commerciales aurait des objectifs et des intentions différents de ceux examinés par ce Tribunal ; il appartient à d’autres de prouver ou de réfuter sa théorie39. Ethan Gutmann a déposé lors des audiences de juin et de septembre, et le Tribunal apprécie son dévouement évident à cette question et les éléments de preuve qu’il a fournis.
Annexe 20 : « Ethan Gutmann », paragraphes 644-655.
[Voir également Maya Mitalipova : http://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/03/UT-211220-Maya-Mitalipova.pdf et l’annexe 10 (Medical Testing and Forced Consumption of Drugs), paragraphes 330-346]
Informations provenant de documents fuités et preuves dans le domaine public relatives à la politique et aux pratiques de la Chine
61. Plusieurs fuites de documents chinois considérés comme authentiques ont eu lieu ; ces fuites doivent impérativement être traitées avec la plus grande prudence. Dans tous les cas, les documents divulgués et présentés au Tribunal ont été considérés comme éléments de preuve par des experts qui en ont eux-mêmes vérifié l’authenticité et, dans certains cas, cette authenticité a été vérifiée par des journaux, d’autres médias et des universitaires. À la connaissance du Tribunal, aucun document divulgué n’a vu son authenticité ou sa fiabilité contestée par la Chine.
Annexe 21 : « Documents ayant fait l’objet d’une fuite » (Leaked Documents), paragraphes 656-662.
62. Il est important de noter que la fuite de documents est la preuve qu’il y a des personnes en Chine qui peuvent être en désaccord avec la politique du gouvernement.
63. On peut s’appuyer sur le résumé d’Amnesty [International] concernant les documents fuités.
« Depuis novembre 2019, des journalistes, des universitaires et des groupes de défense des droits humains ont publié une demi-douzaine de caches de documents du gouvernement chinois ayant fait l’objet de fuites et liés à la situation au Xinjiang. Ensemble, ils constituent la source la plus complète de preuves documentaires relatives aux actions et aux intentions du gouvernement en ce qui concerne le système de persécution et d’internement de masse au Xinjiang.
En novembre 2019, le New York Times a indiqué avoir obtenu plus de 400 pages de documents internes au gouvernement chinois. Selon le Times, ces documents, connus sous le nom de « Xinjiang Papers », « confirment la nature coercitive de la répression dans les mots et les ordres des responsables mêmes qui l’ont conçue et orchestrée ». Les documents comprennent des informations sur des hauts responsables du gouvernement ayant ordonné des détentions massives, notamment des discours du président Xi Jinping dans lesquels il appelle à une « lutte totale contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme » en utilisant les « organes de la dictature » et en ne faisant preuve d’« absolument aucune pitié ». Les documents révèlent également que les fonctionnaires du gouvernement qui ne soutenaient pas suffisamment la campagne ont été purgés, et que le système des camps de détention s’est considérablement développé après la nomination du secrétaire du Parti du Xinjiang, Chen Quanguo, qui aurait déclaré « Arrêtez tous ceux qui doivent être arrêtés ».
En novembre 2019, le Consortium international des journalistes d’investigation a publié une autre série de documents gouvernementaux. Connus sous le nom de « China Cables », ces documents comprennent ce qui a été décrit comme un « manuel d’opérations »40 pour la gestion des camps de détention au Xinjiang. Ce manuel – connu sous le nom de « Télégramme »41 – comprend des instructions aux responsables des camps relatives à « la façon de maintenir un secret total sur l’existence des camps », les « méthodes d’endoctrinement forcé » et le système de points utilisé pour évaluer les détenus. Cette série de documents comprend également quatre notes de renseignement – appelées « bulletins » – qui révèlent des informations sur le programme gouvernemental de collecte de données et de surveillance de masse, y compris la Plateforme intégrée d’opérations conjointes [Integrated Joint Operations Platform - IJOP]42, et sur la manière dont les informations recueillies par l’IJOP ont été utilisées pour « sélectionner des catégories entières de résidents du Xinjiang en vue de leur détention »43.
Deux autres documents gouvernementaux divulgués contiennent des dossiers du gouvernement sur plusieurs milliers de personnes au total qui ont été arrêtées et envoyées dans des camps de détention au Xinjiang entre 2017 et 2019. Ces documents – appelés « Liste de Karakash »44 et « Liste d’Aksou », d’après les localités du Xinjiang où vivaient les personnes qui s’y trouvaient citées – contiennent, entre autres, les raisons officielles invoquées pour justifier la détention et l’internement des personnes.
Elise Anderson : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2022/01/UT- 211216-Elise-Anderson.pdf
64. La série de documents divulgués la plus récente – les Xinjiang Papers – a été présentée directement au Tribunal – par une source qui ne peut être identifiée – au cours des audiences de septembre. Après un examen préliminaire, il a été décidé qu’un universitaire ayant une connaissance préalable des questions à traiter devrait être consulté pour les analyser. Plusieurs possibilités ont été envisagées. En raison de la nécessité d’obtenir une audience sur ces éléments de preuve avant le 9 décembre [2021], le Dr. Adrian Zenz a été sollicité. Dans des conditions de sécurité strictes, des dispositions ont été prises pour que les documents soient transmis, à lui d’abord, puis à deux autres évaluateurs-pairs, le professeur James Millward et le Dr. David Tobin45. La série de documents correspondait exactement à ceux qui avaient été divulgués au New York Times (NYT) en 2019 mais le NYT a déclaré que ce n’était pas le journal qui avait fourni les documents au Tribunal. [Adrian] Zenz, [James] Millward et [David] Tobin ont présenté ces documents lors d’une troisième audience d’examen de preuves diffusée en visioconférence le 27 novembre 202146.
Documentation non fournie en dépit des demandes
65. Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’exiger la transmission de documents ou la comparution de témoins. Néanmoins, il a cherché des documents auprès de sources qui disposaient ou auraient pu disposer d’éléments de preuve susceptibles d’aider le Tribunal dans son travail.
66. Des demandes spécifiques d’information ont été adressées aux gouvernements américain, britannique et japonais, ainsi qu’à la Chine elle-même, mais aucune n’a été satisfaite. Le Tribunal ne tirera à cet égard aucune conclusion, qu’elle soit défavorable ou favorable à la Chine ou à toute autre partie. Il tire ses conclusions sur la base des éléments de preuve dont il dispose, et rien d’autre.
67. Il convient d’exposer ce qui a été demandé afin de compléter le dossier public du Tribunal :
a. Requête au secrétaire d’État [Antony] Blinken, qui a adopté les positions du secrétaire d’État sortant [Mike] Pompeo relatives au génocide [commis] par la Chine, de fournir des éléments de preuve et le raisonnement sur lequel se fonde cette position, reçue verbalement par l’ambassade des États-Unis à Londres. Preuves et raisonnement n’ont pas été fournis et n’ont jamais été à ce jour rendus publics.
b. Le Japon, comme cela a été rapporté par Kyodo News le 29 décembre 202047, aurait fourni aux États-Unis des preuves de la détention forcée des musulmans ouïghours, ce qui a peut-être conduit les États-Unis à intensifier leurs critiques à l’encontre de la Chine, y compris en juillet 2019 lorsque le vice-président a déclaré que le « Parti communiste a emprisonné plus d’un million de musulmans chinois, y compris des Ouïghours, dans des camps d’internement où ils ont subi un lavage de cerveau sans relâche ». La demande de documentation n’a pas été reçue.
c. Le gouvernement britannique a été en contact avec le Tribunal de temps à autre. Le gouvernement a aidé le Tribunal, à la demande de ce dernier, à obtenir des visas pour certains témoins venant de l’étranger afin qu’ils puissent témoigner lors des audiences de juin et de septembre à Londres. Cependant, les demandes de collaboration à des fins de communication d’éléments de preuve exploitables, y compris les demandes au titre du Freedom of Information Act, ont toutes été rejetées.
d. Le New York Times était connu, avant que la série de documents ne soit remise directement au Tribunal en septembre 2021, pour détenir une partie des Xinjiang Papers qu’il n’avait publiés que partiellement. Le Tribunal – par les demandes directes de son Président aux journalistes du NYT – a formulé plusieurs demandes d’accès au reste des documents qui n’ont pas été acceptées.
68. La correspondance entre le Tribunal et le gouvernement chinois, le secrétaire d’État américain, l’ambassade du Japon à Londres, le Haut-Commissariat de l’Australie à Londres et le gouvernement britannique, y compris [au titre du] Freedom of Information [Act], sont toutes présentées dans l’annexe 22 « Correspondance avec les États-Unis, le Japon, l’Australie, le gouvernement britannique, l’ambassade de Chine », paragraphes 663-664.
69. Il existe des sujets et des informations que les gouvernements peuvent, à juste titre, dissimuler à leur propre peuple, et donc à un tribunal citoyen. Cependant, lorsqu’il y a un intérêt public évident et urgent portant sur la vérité d’allégations aussi graves que celles examinées par le Tribunal, il est regrettable que ce dernier n’ait pas été soutenu dans la recherche de cette vérité. Les documents à la disposition des gouvernements qui ne produisent pas eux-mêmes de documents sur lesquels ils auraient pu se fier de manière confidentielle (les États-Unis), ou auraient pu se fier s’ils avaient procédé à l’exercice d’enquêtes publiques devraient – en principe – être divulgués au public.
70. Plusieurs parlements dans le monde ont voté [des résolutions], en des termes différents, pour affirmer qu’un génocide avait lieu au Xinjiang, à la suite de débats qui ont démontré un haut niveau de préoccupation publique envers les Ouïghours48. Le Tribunal n’a pas cherché à avoir accès aux documents préparatoires fournis à ces parlements, et n’a pas nécessairement été en mesure de suivre les débats.
71. La base juridique sur laquelle ces positions ont été fondées n’est pas claire, et l’on peut penser qu’elles ont été avancées par certaines parties en vertu d’un objectif politique sous-jacent.
Notes
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La traduction a été effectuée par Cloé Drieu et Asal Khamraeva (ingénieure de recherche, projet ANR Shatterzone) et a bénéficié des remarques et corrections d’Emmanuel Szurek (CETOBaC-EHESS) et de Magalie Besse (Directrice de l’Institut Louis Joinet), ainsi que des remarques plus ponctuelles de Lucia Direnberger (CNRS-LEGS) et d’un·e sinologue. Nous les en remercions chaleureusement, tout comme Christian Ingrao, Jean-Pierre Massias pour leurs conseils réguliers et avisés. Cette traduction a été effectuée avec le soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR-19-FGEN-0001-01) dans le cadre du projet « Shatterzone : violences de guerre et violences exterminatrices : Est de l'Anatolie, Caucase et Asie centrale (1912-1924) ». L’utilisation de l’italique et des caractères gras correspond à celle du texte du jugement. La mise en page originale a été conservée. Les notes de bas de page ajoutées au texte original sont mentionnées (NDÉ). Les liens hypertexte ont tous été vérifiés le 21/11/2022. Les illustrations ont été réalisées par Ozgur.
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« La Chine » par dans la suite du texte (NDÉ).
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Le Tribunal a été chargé de déterminer si des crimes avaient été commis à l’encontre des Ouïghours, des Kazakhs et d’autres minorités musulmanes turciques du Xinjiang. Le présent jugement désignera de manière abrégée ce groupe plus vaste par le terme « Ouïghours ».
Dans le présent jugement, le terme « Xinjiang » (parfois « RAOX ») sera utilisé pour décrire la zone géographique concernée, bien qu’il soit entendu que le terme « Turkestan oriental » est le terme choisi par les Ouïghours et autres peuples turciques de Chine, comme des communautés de la diaspora. Le Tribunal a toujours fait preuve de neutralité à l’égard des questions politiques, ou quasi-politiques, telles que la préférence pour un nom et les usages du terme « Xinjiang », sans convertir « Turkestan oriental » par « Xinjiang » lorsqu’il est utilisé dans les rapports d’experts ou les preuves enregistrés verbatim.
Les noms entre crochets [ ] sont ceux des experts témoins, ainsi que les références où leurs dépositions peuvent être trouvées sur le site du Tribunal Ouïghour, https ://uyghurtribunal.com. Ces références sont mentionnées après le texte dont le sujet principal a été abordé par les témoins, bien que les experts aient souvent couvert plus d’un sujet.
Peu de témoins des faits sont nommés dans le jugement même. Tous sont nommés dans les annexes lorsqu’elles sont publiées, sous réserve des préoccupations de sécurité justifiant l’anonymat dans certains cas individuels.
Toutes les preuves sur lesquelles s’appuie le jugement sont disponibles sur le site du Tribunal Ouïghour.
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Ailleurs dans le monde, le terme peut avoir différentes significations, dont certaines permettent à la personne fournissant un service pro bono d’être rémunérée. Pour le présent Tribunal, c’est le modèle britannique de pro bono publico, tel qu’il est régulièrement pratiqué par les avocats britanniques et d’autres, qui s’applique ; le terme signifie précisément ce qu’il dit – pour le bien public, sans aucune contrepartie financière. Les fonds nécessaires à d’autres fins – déplacements des témoins, location de la salle et dépenses pour certaines personnes travaillant pour le Tribunal – provenaient initialement du Congrès mondial ouïghour.
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Voir le texte officiel en français de la Convention sur le génocide https ://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide (NDÉ).
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Le texte original du jugement de la CIJ dans l’affaire Bosnie contre Serbie paragraphe 431 est le suivant : « En réalité, l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire prennent naissance, pour un État, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide », https ://www.icj-cij.org/public/files/case-related/91/091-20070226-JUD-01-00-FR.pdf (NDÉ).
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M. M[ike] Pompeo, le secrétaire d’État sortant du président [Donald] Trump, a annoncé le dernier jour de son mandat, début 2021, que la Chine avait commis un génocide à l’encontre les Ouïghours. M. [Antony] Blinken, secrétaire d’État entrant du président [Joe] Biden, a réitéré cette affirmation. Cependant, aucune des preuves sur lesquelles cette affirmation se fondait ou le raisonnement menant à la conclusion du génocide n’ont été rendus publics. Le moment choisi, accentué par l’attitude de Trump, président sortant, à l’égard de la Chine, a amené certains à se demander s’il y avait un élément politique dans cette décision et cette annonce. Seule la présentation des preuves à l’appui et du raisonnement ayant conduit à l’annonce permettrait de lever cette question. Les demandes de preuves et du raisonnement adressées au secrétaire d’État américain par le Tribunal ont été rejetées. L’annonce de « Pompeo/Blinken » n’a aucune valeur probante pour le Tribunal.
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Le présent Tribunal fait suite, tout en demeurant distinct et indépendant, du Tribunal indépendant sur les prélèvements forcés d’organes sur les prisonniers de conscience en Chine. Sir Geoffrey Nice [président] et Nick Vetch [vice-président] ont siégé aux deux tribunaux. Il était peu question des Ouïghours dans le jugement du Tribunal Chine [China Tribunal, https ://chinatribunal.com/ (NDÉ)]. En juin 2020, Dolkun Isa, Président du Congrès mondial ouïghour, a officiellement demandé à Sir Geoffrey Nice d’établir et de présider un tribunal citoyen indépendant chargé d’enquêter sur « les atrocités en cours et un possible génocide » à l’encontre des Ouïghours, des Kazakhs et d’autres populations musulmanes turciques. La demande de Dolkun Isa a été acceptée et les termes de celles-ci ont été amendés avec l’ajout de la dénomination « Kazakhs », ce qui a constitué le mandat du Tribunal. Tous les membres du Tribunal et la plupart de son personnel sénior ont travaillé ou travaillent toujours pro bono.
Les membres du Tribunal [sont] :
Tim Clark, ancien associé d’un cabinet d’avocats, membre du conseil d’administration, administrateur et président d’ONG.
Professeure Raminder Kaur, rattachée à la School of Global Studies de l’Université du Sussex.
Professeure Dame Parveen Kumar, professeur émérite en médecine et éducation à Barts.
Professeur David Linch, professeur d’hématologie à l’University College de Londres
Professeure Ambreena Manji, professeure de droit à l’Université de Cardiff.
Sir Geoffrey Nice QC (Président), avocat ; Tribunal des Nations Unies pour l’ex-Yougoslavie [TPIY] (1998-2006) ; président du Tribunal Chine.
Professeure Audrey Osler, professeure d’éducation à l’Université de South East Norway.
Catherine Roe, directrice exécutive d’une organisation à but non lucratif et consultante.
Nick Vetch (vice-président), homme d’affaires, administrateur de Fund for Global Human Rights.
Aucun des membres du Tribunal, des conseillers juridiques du Tribunal, des membres de l’équipe administrative ou des chercheurs [du Tribunal] n’avaient d’intérêt spécifique pour les Ouïghours, les Kazakhs ou d’autres groupes musulmans turciques en Chine.
Pour des raisons logistiques et les difficultés particulières liées au Covid-19, il a été décidé que tous les membres du Tribunal soient des résidents du Royaume-Uni et non des membres internationaux (comme cela avait été le cas pour le Tribunal Chine). Lors du recrutement des membres du Tribunal, on a cherché à obtenir l’avis de personnes qui n’avaient pas comme centre d’intérêts le peuple ouïghour ou la Chine en général mais qui, ensemble, seraient aussi diversifiées que possible, de toutes les manières possibles, et qui seraient prêtes à traiter d’allégations restées lettre morte.
La direction et le personnel pro bono du Tribunal Ouïg our [sont] :
Hamid Sabi, conseiller juridique u Tribunal ; avocat spécialisé dans l’arbitrage in ernational ; conseiller du Tribunal Iran [Tribunal citoyen international indépendant chargé d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme et crimes contre l’humanité en République islamique d’Iran à la fin des années 1980, https://irantribunal.com (NDÉ)] et du Tribunal Chine.
Dr. Aldo Zammit Borda, Directeur de la recherche et de l’investigation u Tribunal ; lecteur en droit à la City, Université de Londres.
Dr. Nevenka Tromp, maîtresse de conférences à l’Université ’Amsterdam ; Équipe de recherche sur le leadership au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de 2000 à 2012.
Ainsi que Aarif Abraham, avocat qui a exercé à titre rémunéré.
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Dernièrement, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) a proposé, à la dernière minute, de présenter un rapport sur les Ouïghours au moment même où le présent jugement était rendu. Le Tribunal a offert au CDH toute l’aide qu’il pouvait lui apporter grâce à sa vaste base de données. [Le travail du Tribunal Ouïghour, les audiences, ni même le jugement ne sont mentionnés à aucun moment dans le rapport de l’ONU, https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/ohchr-assessment-human-rights-concerns-xinjiang-uyghur-autonomous-region (NDÉ)].
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Comme l’explique la note plus complète de l’annexe 6 « L’équité en tant que concept », paragraphes 279-286, le Tribunal a fait preuve de prudence avant d’accorder un crédit à la notion de « procès équitable » ou d’« équité » (Royaume-Uni, États-Unis, etc.) pour une application universelle, ou même une compréhension accessible et une acceptation en dehors des pays d’origine anglo-saxonne. Cette prudence est particulièrement importante lorsque l’on considère le gouvernement et le peuple d’un pays culturellement éloigné de l’Europe et du système de droit anglo-saxon, même si ce système a dominé toutes les procédures judiciaires internationales depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans la mesure où il convient de tenir compte de l’« équité » et des « procès équitables », le Tribunal a gardé à l’esprit l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 – se référant aux droits des individ s –, laquelle stipule : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Les « droits » qui découlent des processus de détermination de crimes applicables aux individus peuvent être considérés utiles dans la détermination d’allégations faites contre un État et son gouvernement.
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Certaines questions sont incontestablement injustifiables et contraires aux normes internationalement reconnues, comme l’indique clairement la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Le Tribunal reconnaît que, si l’humanité est unique à travers le monde, alors les droits de l’homme sont, en tout lieu, universels et engagent non seulement des gouvernements mais aussi des citoyens, en tout lieu, à faire de leur mieux pour assurer que d’autres bénéficient de leurs droits à la condition d’être suffisamment informés. C’est pourquoi, en l’absence de tout autre procédure publique fondée sur des preuves pour statuer sur ces questions, le Tribunal a accompli son travail. Toute idée selon laquelle droits et obligations relatifs aux droits universels de l’homme ne peuvent être négociés que par les gouvernements et les organismes internationaux, au nom et pour le compte des individus, ne peut survivre au principe du « et si », par exemple, un génocide était en train d’être commis dans le pays voisin d’un État dont le gouvernement privilégierait les relations commerciales plutôt que l’intervention. Les citoyens de cet État n’auraient-ils aucun devoir individuel envers les citoyens du pays voisin ? Ne serait-ce que de boycotter les marchandises importées ? La proximité géographique ne renforce ni ne réduit le devoir d’êtres humains à êtres humains, où qu’ils se trouvent ; pas plus que la distance n’affecte la capacité d’agir.
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Un autre contraste frappant avec l’Holocauste vient du fait que les hommes chinois Han sont encouragés à épouser des femmes ouïghoures, ce qui permet de procéder à une assimilation, au moins partielle, d’une ethnie à une autre, absolument inconcevable pour les antisémites de l’Allemagne nazie ou d’ailleurs.
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Voir Google-Oxford Languages comme exemple de compréhension moderne du [terme] gé ocide par des non-spécialistes : https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.20111018160126416 [lien dans le jugement non valide (NDÉ)]. Le 11 mars 2021, la BBC a fait remarquer dans « How do you define Genocide » [Comme t définissez-vous le génocide] : « La plupart des gens considèrent le génocide comme le crime contre l’humanité le plus grave. Il est défini comme l’extermination massive d’un groupe particulier de personnes – illustré par les efforts des Nazis pour éradiquer la population juive dans les années 1940 ». Ces définitions et d’autres similaires, tout en reconnaissant généralement les définitions plus larges de la Convention des Nations Unies et de certains textes récents de droit pénal, reflètent probablement l’usage contemporain du terme par des non-spécialistes. Le 22 janvier 2021, The Econo ist a résumé ainsi la question : « la définition du dictionnaire du terme “génocide” est simple. Tout comme “homicide” signifie tuer une personne, et “parricide” signifie tuer votre père, le génocide signifie tuer un peuple, tel qu’un groupe ethnique ou religieux. Les exemples qui viennent le plus facilement à l’esprit sont l’Holocauste et, peut-être, le meurtre de masse des Tutsis au Rwanda en 1994. Par conséquent, de nombreuses personnes sont restées perplexes lorsque Mike Pompeo, secrétaire d’État de Donald Trump, a utilisé le mot “génocide”, le dernier jour de son mandat, pour décrire ce que le gouvernement chinois faisait aux Ouïghours, un groupe ethnique majoritairement musulman du Xinjiang, région occidentale de la Chine. Anthony Blinken, son successeur, était d’accord avec lui mais, pour de nombreuses personnes, ce n’était pas le bon terme. Il est vrai que la Chine traite les Ouïghours avec une cruauté épouvantable. Elle a enfermé au moins un million d’entre eux dans des camps de rééducation, où ils sont battus s’ils paraissent vénérer Allah plus que le président Xi Jinping. Mais personne ne pense que la Chine se livre à des massacres au Xinjiang. La confusion vient du fait que la Convention des Nations Unies sur le génocide, rédigée après la Seconde Guerre mondiale, en donne une définition exceptionnellement large, très différente de la compréhens ion courante du terme ». [https://www.economist.com/the-economist-explains/2021/01/22/what-is-genocide (NDE)].
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Suite aux audiences de septembre, des discussions informelles pour vérification des faits ont eu li u avec les membres du Tribunal ; rien de défavorable à la Chine n’est apparu.
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https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/xwfw_665399/s2510_665401/2535_665405/t1864. [Le lien n'est pas accessible depuis la France (NDÉ)]
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La Loi anti-sanctions étrangères de la Chine [en anglais Anti-Foreign Sanctions Law / AFSL (NDÉ)] a été promulguée le 10 juin 2021.
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Voir Annexe 14 : « Legal Conclusions from Other Reports », paragraphe 410 (NDÉ).
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Voir le résumé en français du rapport, https://www.amnesty. rg/fr/documents/asa17/4137/2021/fr/ ; le rapport complet est en ang lais « Like We Were Enemies in a War’: China’s Mass Internment, Torture, and Persecution of Muslims in Xinjiang », https://xinjiang.amnesty.org/ (NDÉ).
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Type de campagne de mobilisation lancée par le Parti communiste chinois depuis la période maoïste à différents échelons de l’administration, qui ne se traduit pas nécessairement légalement et qui est limitée dans le temps ; cela permet aux citoyens de montrer qu’ils sont à la fois respectueux de la loi et actifs (NDÉ).
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Elle a précisé : « L’avis juridique que mes collègues et moi-même avons rédigé n’était pas fondé sur des enquêtes factuelles indépendantes, mais plutôt, comme nous l’avons indiqué dans l’avis, sur une série de preuves accessibles au public que nous n’avons pas été en mesure de vérifier de manière indépendante. Ainsi, l’étendue des conclusions auxquelles nous étions en mesure de parvenir est exposée dans l’avis lui-même, et nous ne serons pas en mesure d’ajouter des éléments supplémentaires lors du témoignage à l’audience. Toutefois, nous serions heureux que vous fassiez usage de l’avis dans sa version écrite de quelque manière que ce soit qui puisse être utile à votre enquête » [source précise non identifiée (NDÉ)].
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Ces sanctions ont uniquement affecté le Tribunal, comme entité « sanctionnée », sur le plan de la disponibilité de juristes en tant que conseillers du Tribunal (voir ci-dessous) et en dissuadant une juriste de rejoindre l’équipe des conseillers du Tribunal. Ces sanctions ont eu un effet significatif sur la composition de l’Essex Court Chambers mais n’ont pas suscité de condamnation uniforme de la part de la profession juridique d’Angleterre et du Pays de Galles, même si The Inner Temple, le Premier ministre, le Lord Chancelier, le ministre de la Justice, le Bar Council d’Angleterre et du Pays de Galles, le Bar d’Irlande, le Bar Council d’Irlande du Nord, la Law Society, la Faculty of Advocates d’Ecosse, l’American Bar Association, LAWASIA, Ali Malek QC, le trésorier de Gray’s Inn, ont pris la parole ou écrit pour s’opposer aux sanctions. De nombreuses organisations d’avocats de différents types ayant des intérêts financiers importants en jeu n’ont pas pris position. En particulier, pour autant que l’on sache, les grands et célèbres cabinets d’avocats de la City de Londres et d’autres ensembles prestigieux de cabinets d’avocats ne se sont pas exprimés.
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Le Tribunal est extrêmement surpris que des individus, des collectifs ou d’autres organismes désireux d’affirmer, en vertu de la liberté d’expression, qu’un pays, et même son président, ont pu commettre un génocide et des crimes contre l’humanité, ne saisissent pas l’occasion d’avancer ces affirmations dans un cadre public approprié lorsqu’ils y sont invités. Le Tribunal s’est appuyé sur tous les éléments du rapport de l’Essex Court Chambers qui doivent être pris en compte s’ils sont, d’une quelconque façon, favorables à la Chine ou au PCC, mais ne prend pas en compte les opinions exprimées sur la culpabilité pour [crime de] génocide et crimes contre l’humanité ou torture.
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« Le génocide des Ouïghours – Examen des violations par la Chine de la convention sur le génocide de 1948 », rapport Newlines, 2021, p. 10 (NDÉ).
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Yael Grauer n’a malheureusement pas été invitée à témoigner, mais le Tribunal a pu disposer de son rapport écrit.
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Programme lancé en 2014 qui impose des visites régulières de cadre du Parti dans les foyers ouïghours. Littéralement : s’informer (en personne par des visites) de l’opinion publique, favoriser le bien-être du peuple, rassembler les esprits, https://xinjiang.sppga.ubc.ca/chinese-sources/cadre-materials/cadre-handbooks/ (NDÉ).
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En 2019, un fonctionnaire du Xinjiang a déclaré à Human Rights Watch, comme rapporté par l’ASPI [Australian Strategic Policy Institute], qu’à un certain moment, pendant la Campagne de rééducation : « Il y avait des quotas d’arrestations dans toutes les localités, et nous avons alors commencé à arrêter des gens au hasard : ceux qui se disputaient dans le quartier, ceux qui se battaient dans la rue, les ivrognes, les paresseux ; nous les arrêtions et les accusions d’être des extrémistes. Il n’y avait pas assez de place pour eux tous dans les centres, alors ils en ont construit de nouveaux ». [Source précise non identifiée (NDÉ)]
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Pendant la Campagne de rééducation, le ministère de la Justice a joué un rôle de premier plan dans la mobilisation et l’organisation de groupes de propagande, principalement par le biais de son « Bureau d’organisation de la propagande pour promouvoir l’harmonie et prévenir les crimes » (Propaganda Lecture Office to Promote Harmony and Prevent Crimes). En avril 2017, le Département du Travail du Front uni du Xinjiang a organisé à Ürümqi une série de séminaires « Trois amours, trois oppositions » qui ont duré plus de 10 jours, en présence de près de mille représentants de tous les secteurs de la société du Xinjiang. « Trois amours, trois oppositions » est un slogan raccourci d’une citation du président Xi : « Aimez le Parti communiste chinois, aimez la mère pa rie, aimez la grande famille de la nation chinoise ; opposez-vous au séparatisme, à l’extrémisme, à la violence ». [Source précise non identifiée (NDÉ)].
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Chen Quanguo né en novembre 1955, est un homme politique chinois à la retraite. Entre 2017 et 2022, il a siégé au Bureau politique du Parti communiste chinois et était auparavant secrétaire du Comité du Parti communiste chinois de la Région autonome du Tibet (entre 2011 et 2016) puis et de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang (entre 2016 et 2021), faisant de lui la seule personne à avoir occupé le poste de secrétaire du Parti pour les deux régions autonomes. Chen Quanguo a par ailleurs occupé le poste de commissaire politique du Corps de production et de construction du Xinjiang en même temps que celui de secrétaire du Parti du Xinjiang. Pour une biographie plus complète voir par exemple : https://jamestown.org/program/chen-quanguo-the-strongman-behind-beijings-securitization-strategy-in-tibet-and-xinjiang/ (NDÉ).
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Zhu Hailun né en 1958, est un homme politique chinois, actuel vice-président du Comité permanent du Congrès du peuple de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang. Il a précédemment occupé le poste de secrétaire adjoint du Parti de la Région autonome ouïgoure du Xinjiang. Entre 2009 et 2016, Zhu Hailun a été chef du Parti à Ürümqi. Voir par exemple : https://www.icij.org/investigations/china-cables/xinjiangs-architect-of-mass-detention-zhu-hailun/ (NDÉ).
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La Société de transplantation [en anglais Transplantation Society ou TTS (NDÉ)] et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été considérées par le Tribunal Chine dans son jugement, aux paragraphes 410-413, et il n’est pas certain que chacune d’elles ait la capacité suffisante pour effectuer cela.
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Plateforme d’applications (application platform) qui détecte les « irrégularités ou les déviations » provenant de multiples sources d’information, afin de réglementer, contrôler et même envoyer des Ouïghours en détention. Les exemples d’« irrégularités » invoquées peuvent être aussi restreintes que « Ne pas fréquenter les voisins » ou « Éviter d’utiliser souvent la porte d’entrée ».
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« Like We Were Enemies in a War’: China’s Mass Internment, Torture, and Persecution of Muslims in Xinjiang », rapport d’Amnesty International, 2021, p. 24, https://www.amnesty.org/en/documents/asa17/4137/2021/en (NDÉ).
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Souvent orthographié « Karakax , le mot se prononce « Karakash » (NDÉ).
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Voir le document sur le site du Tribunal : https://uyghurtribunal.com/wp-content/uploads/2021/12/The-Xinjiang-Papers-An-Analysis-for-the-Uyghur-Tribunal.pdf (NDÉ).
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Depuis, un autre rapport analysant ces documents a été publié : David Tobin, « The “Xinjiang Papers”: How Xi Jinping Commands Policy in the People’s Republic of China », Université de Sheffield, 17 mai 2022, https://www.sheffield.ac.uk/seas/news/xinjiang-papers-how-xi-jinping-commands-policy-peoples-republic-china (NDÉ).
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La Chambre des communes (House of Commons) du Canada a approuvé, le 22 février 2021, une motion de reconnaissance d’un génocide commis par la Chine contre les minorités musulmanes, en faisant référence aux « camps de détention et aux mesures destinées à entraver les naissances relatifs aux Ouïghours et autres musulmans turciques ».
Le 25 février 2021, le Parlement néerlandais a adopté une résolution non contraignante désignant comme un génocide les actions de la Chine à l’encontre des Ouïghours. « La Chine est engagée dans des actes relevant de la résolution 260 des Nations Unies, notamment la mise en place de camps de détention (penal camps) et l’application de mesures destinées à entraver les naissances au sein d’un groupe spécifique ».
Le 22 avril 2021 la chambre des communes (House of Commons) du Royaume-Uni a adopté une motion non contraignante déclarant que les violations des droits de l’homme au Xinjiang constituent un génocide. « Les Ouïghours et autres minorités ethniques et religieuses dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang subissent des crimes contre l’humanité et un génocide ».
En mai 2021, le Parlement lituanien a voté une résolution visant à reconnaître que les abus commis par la Chine à l’encontre des Ouïghours constituent un génocide, en se fondant notamment sur la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
En juin 2021, le Sénat de la République tchèque a adopté à l’unanimité une motion visant à condamner le traitement des Ouïghours en le qualifiant à la fois de génocide et de crime contre l’humanité. « Il existe des violations massives des droits de l’homme et des libertés, un génocide et des crimes contre l’humanité, une discrimination ethnique et la destruction de l’identité culturelle, religieuse et politique en RPC, en particulier les régions autonomes du Tibet et du Xinjiang ».
En Belgique, la Commission des relations étrangères du Parlement a adopté une motion en juin 2021 pour condamner le traitement des Ouïghours par la Chine comme crimes contre l’humanité et a déclaré qu’il y existait un « risque sérieux de génocide » au Xinjiang.
[Le Parlement français a également voté une résolution non contraignante portant sur la « reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours » (NDÉ)]