(Université de Lausanne - IHAR, Faculté de Théologie et Sciences des Religions)
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Une sculpture récente de Visvabasu située sur le site d'un ancien arbre utilisé pour sculpter la statue de Jagannath, à Machadigadia.
Aujourd’hui, l’« archive coloniale » fait partie de l’inconscient de notre imaginaire et de notre sens commun. En Inde, par exemple (mais on pourrait en dire autant de l’Europe ou d’ailleurs), de nombreux auteurs annoncent qu’ils s’en réfèrent à des valeurs précoloniales alors qu’ils associent ces valeurs à des concepts ou des institutions héritées de la colonisation. Mon objectif est de m’arrêter sur un exemple tiré d’un des États de la fédération indienne, l’Odisha1, pour montrer que la notion actuelle d’histoire a tendance à amalgamer une vision moderne2 et progressiste de l’histoire, et une perspective théologique pré-moderne. Afin de mettre en évidence cette synthèse, cet article s’appuie à la fois sur des textes sanskrits et vernaculaires médiévaux et modernes, des rapports coloniaux et des entretiens menés récemment. Le lien entre la première et la dernière source a été explicitement établi par les populations locales puisque les chroniques des temples font partie de la culture régionale partagée par tous. Quant à leur présentation ici, mes enquêtes textuelles sont fondées sur l’ethnographie actuelle, mais il me semblait plus facile d’exposer mes données chronologiquement. J’ai mêlé certains rapports coloniaux aux textes anciens et aux enquêtes menées aujourd’hui pour mettre en évidence leur influence, souvent oubliée ou masquée. Par ailleurs je me suis concentré sur les relations entre les citadins de l’Odisha, autrefois appelé l’Orissa, et les « tribus » ou les « aborigènes » adivasi afin d’enrichir les études « décoloniales » consacrées aux adivasi3, non seulement en soulignant la pertinence de l’histoire coloniale pour comprendre les structures de pouvoir actuelles, mais en donnant la parole aux subalternes, souvent racialisés, qui vivent dans un État postcolonial.
Mais revenons à notre sujet principal. Les chroniques du temple de Purî, qui mettent en scène la légende du dieu Jagannath et de ses mécènes royaux, ont nourri l’idée qu’il existerait une histoire prénationale continue (malgré les divisions et la domination des Moghols) jusqu’à la période coloniale (1803)4. Pritipushpa Mishra a donné une analyse fouillée de l’utilisation de la langue, de la géographie et de l’histoire par les nationalistes régionaux en insistant sur la « naturalisation » du territoire que ceux-ci revendiquaient5. Je propose de me concentrer sur l’inclusion des adivasi dans cette histoire nationaliste, laquelle prolonge la perspective coloniale. Je commencerai par Andrew Stirling, qui n’a pas hésité à relire la tradition du temple suivant la conception européenne de l’Histoire, ni à proposer une « préhistoire conjecturale » de la région dont les tribus seraient les « habitants aborigènes ». De là, je suivrai deux trajectoires parallèles, celle des théories sur les origines du temple et du dieu Jagannath, et celle de l’identification d’une ancienne catégorie (śabara), mentionnée dans la légende, avec le nom de tribus actuelles (Sora et Sabar). Je me pencherai ensuite sur trois versions vernaculaires actuelles des origines de Jagannath qui dépendent de positions sociopolitiques particulières, puis je présenterai les revendications de deux groupes adivasi (les Sabars, du Nord, et les Soras, du Sud) sur la question. J’estime qu’il est impossible de comprendre la forme de ces revendications sans revenir aux « archives coloniales » des années 1930, en l’occurrence, à la politique linguistique et aux débats sur les frontières de la province qui avaient lieu à l’époque. Enfin, je m’arrêterai sur la construction d’un temple dédié à Jagannath (dans les années 1970), dans un district du sud de l’Odisha (Koraput), et son association plus tardive avec un groupe adivasi (les Sora), afin de savoir si cette construction peut être considérée comme une synthèse démocratique ou comme une stratégie d’assimilation culturelle.
Préambule : Les trois sources littéraires de la chronique du temple de Jagannath
Aujourd’hui, dans l’Odisha, les chroniques du temple de Purî et du dieu Jagannath sont issues de trois sources écrites. La plus ancienne, et celle qui fait autorité parmi les lettrés, est le Puruṣottamakṣetra māhātmya, soit le « Récit du domaine de l’être suprême », écrite en sanskrit et daté d’environ 1300 ap. J. C.6. La deuxième apparaît dans une traduction libre de l’épopée du Mahābhārata en langue vernaculaire oriya, signée Sarala Das (XVè siècle). La troisième est un poème en oriya intitulé Deuḷa tola, de Krishna Das (XVIè siècle).
Les trois versions ont plus ou moins la même intrigue que je résumérai ainsi : à l’Epoque Parfaite7, un roi (Indradyumna) avait entendu parler d’une statue de pierre de couleur bleue, qui représentait le dieu Vishnu. Après une longue période de prières8, il envoya un brahmane, Vidyāpati, à la recherche de la statue. Dans la région de l’actuel Purî, près d’un hameau de chasseurs, le brahmane rencontra Viśvāvasu, chasseur, qui accepta de lui montrer la statue. Un culte naquit, puis le dieu disparut, mais il annonça son retour, en rêve, sous forme d’un tronc d’arbre venu de l’Océan. Le roi découvrit un tel tronc flottant sur les eaux, dans lequel il fit sculpter la première statue de Vishnu, nommée Jagannath (« Seigneur de l’univers »). La forme schématique de la statue était due à l’impatience du roi qui avait dérangé le sculpteur divin.
Les trois versions diffèrent. La première est un récit mythique qui rend compte des origines du dieu, et du statut inférieur des chasseurs de la forêt (les śabara) et de leur rédemption accordée par la grâce du dieu. Les descendants de Viśvāvasu ne seraient que des serviteurs du temple, chargés du corps du dieu, en bois, et de son renouvellement9. La référence à un chasseur qui serait à l’origine d’un sanctuaire se retrouve dans d’autres légendes de temples d’Inde : c’est une façon d’enraciner le temple dans un lieu précis et de légitimer la dévotion dûe au dieu10. La deuxième version (celle de Sarala Das) accorde un rôle plus important aux chasseurs et révèle des côtés plus sombres des princes et des brahmanes (avides et violents). Elle est ouvertement critique des castes supérieures11. La troisième version (celle de Krishna Das) est consensuelle, c’est d’ailleurs la plus populaire, sans doute à cause du drame familial incarné par la fille du chasseur, Lalitā, qui joue un rôle de médiatrice entre les chasseurs et les brahmanes. Lalitā souhaite épouser le jeune brahmane et supplie son père de révéler à son futur mari le lieu où se trouve son dieu.
Stirling (1825) : Les chroniques des temples dans l’Histoire ; les tribus dites pré-historiques
Le premier rapport colonial important sur cette région a été attribué à Andrew Stirling, secrétaire du Commissioner à Cuttack. Dans ce Rapport géographique, statistique et historique sur l’Orissa proprement dite, ou Cuttack12, l’auteur distingue « trois races habitant cette région montagneuse » dont il pense qu’elles descendent des « habitants aborigènes du pays »13 : les Coles (les groupes qui parlent le munda), les Konds (Khond/Kond) et les Sours. Je me concentrerai sur les Sours dans la mesure où leur nom a été ensuite relié à la légende du temple, même si Andrew Stirling n’avait pas vu ce lien. Il décrivait leur vie comme consistant à « défricher la jungle et à fournir du combustible » aux autres, et faisait référence aux ramasseurs de bois qui vivaient au Nord de l’Odisha (« dans les jungles de Khurda ») dans des zones boisées ou des hameaux, à l’orée de villages de castes.
Après avoir décrit la terre et ses habitants, Andrew Stirling compile ce qu’il appelle les « annales » de la région à partir d’entretiens avec des « natifs cultivés », de chroniques de familles de brahmanes, et de rapports du temple écrits sur des feuilles de palmiers. Suivant cette perspective « native », l’Histoire commence avec la quête de la statue originale du dieu14. Ensuite, Stirling résume la légende du temple, mentionne le roi et le brahmane, mais néglige le chasseur. Quant à la statue divine en bois (en général les statues des temples sont en pierre), Stirling privilégie une thèse courante aujourd’hui encore, qui veut qu’elle cache des reliques. Avant et après Stirling, la forme étrange de Jagannath a donné lieu à de nombreuses spéculations.
D’une ancienne catégorie (śabara) à une appelation ethnique récente (Sora/Sabar)
En 1871, l’archéologue Alexander Cunningham a introduit l’idée que certains noms sanskrits anciens, dont « śabara », pouvaient être identifiés dans des sources gréco-latines (Pline, Ptolémée). Comme ces noms se retrouvaient à des endroits différents, il précisait que chacun de ces noms correspondait à « une branche unique d’une tribu très étendue », dont on pouvait retrouver les vestiges dans l’Inde orientale15. Au contraire, des études plus récentes ont montré que « śabara » était un terme sanskrit générique qui désignait un « chasseur de forêt », d’où qu’il soit. Alexander Cunningham a donc transformé une catégorie en un nom ethnique, un processus que l’on a reproduit jusqu’aujourd’hui. Par ailleurs, il a rehaussé les origines de Jagannath en faisant de lui un symbole bouddhiste transformé en statue. Reprenant cette thèse, W. W. Hunter vantait le « syncrétisme religieux » de Jagannath et se faisait le porte-voix d’une version orale de la légende de Purî, assez proche de la version de Krishna Das. Pour W. W. Hunter, cette légende met en scène la rencontre des races royales aryennes et des aborigènes du lieu, même s’il précisait que ces derniers étaient désormais exclus des portes du temple dédié à leur dieu16. Il considérait en effet que « les premiers habitants humains » de l’Odisha étaient des tribus montagnardes dont « les descendants vivent encore » : « les Savars et les Kandhs17 ». Son explication a été reprise par plusieurs auteurs jusqu’au jour où elle a été baptisée « méthode hindoue d’absorption des tribus18 », un classique de tous les cursus d’anthropologie indienne, qui allait figurer dans la scénographie du Musée de l’État d’Odisha. Pour étayer son point de vue, Hunter citait les auteurs mentionnés plus haut et ajoutait une référence à D. F. Carmichael, un officier qui classait les Sora du sud de l’Odisha parmi les « races sauvages19 ».
Une sculpture Saora.
Source : Verrier Elwin, The Religion of an Indian Tribe, London, Oxford University Press, 1955.
Continuons à suivre l’identification des Śavara de la légende aux actuels Saora/Sora du Sud de l’Odisha. Les premières études ethnographiques qui leur sont consacrées sont attribuées au surintendant de police Fred Fawcett (Journal of the Anthropological Society of Bombay, I/4, 1888) et à Gidugu V. Ramamurti Pantulu, un érudit télougou (qui enseigna à l’école du Maharaja Gajapati, de Paralakhemundi). Leurs travaux ont été repris dans une compilation influente, signée E. Thurston et Rangachary, et intitulée Castes and Tribes of Madras Presidency (1909). Ramamurti était un fervent partisan des langues orales et militait pour l’enseignement en langue maternelle20. Ces publications ont permis à G. Ramadas21, directeur de l’école de Jeypore, d’effectuer d’autres comparaisons et d’affirmer que la forêt d’exil de l’épopée du Rāmāyana se trouvait dans la région des Sora, lesquels seraient mentionnés comme des singes dans la même épopée. La thèse a beau avoir été jugée tirée par les cheveux et critiquée dans la même revue, elle a été – et elle est toujours – bien accueillie par certains chercheurs originaires de la région, ravis de voir leur terre transformée en lieu de légende22. Plus tard, de 1944 à 1951, l’ethnographe Verrier Elwin a mené plusieurs enquêtes de terrain chez les Sora. Il en a rapporté, entre autres, une version classique de la légende de Purî qu’il avait recueillie auprès d’un Sora lettré, version qui illustre la diffusion de la légende à cette date. Dans un autre registre, l’historienne des religions A. C. Eschmann, co-dirigeante d’un grand projet indo-allemand qui présida à la publication du Culte de Jagannath et la tradition régionale d’Orissa (1978)23, a tenté d’établir des comparaisons entre la fabrication de la statue de Jagannath et le processus de sculpture des poteaux de bois sacrificiels des villages adivasi, mais sans arriver à une conclusion définitive. En dépit de cette incertitude, l’identification des Śavara génériques avec les actuels Sabars du centre/Nord ou les Sora du Sud s’est imposée et a servi de base à d’autres interprétations régionales.
Quelques versions vernaculaires des racines adivasi de Jagannath
Aujourd’hui, pour la plupart des Oriya, le culte de Jagannath a une composante tribale ou adivasi, et le livre d’Eschmann et al. s’est imposé parmi les chercheurs. Pour autant, si la chronique du temple est incontestée, la légende et son interprétation varient en fonction du contexte religieux et socio-politique de chacun ou chacune. Ce qui revient à dire que le récit du passé n’est jamais neutre ; au contraire, il est souvent instrumentalisé au bénéfice d’une cause. Commençons par un groupe de chercheurs oriya qui s’identifient au « nationalisme séculier » de Nehru, même si le dieu Jagannath demeure une référence essentielle de leur identité. Ces chercheurs ont tendance à critiquer la division en castes et à favoriser deux éléments : la composante bouddhiste, ou adivasi, et la familiarité fondée sur la parenté qui rapproche Jagannath et ses adorateurs24. Un des premiers auteurs locaux à avoir mis en valeur la synthèse que réprésente Jagannath est K. C. Mishra, qui reprenait la thèse de Hunter en y ajoutant de nouvelles données25. Récemment, une vision « sociale » comparable, mais apologétique, a été diffusée par une série mythologique baptisée Jai Jagannath (sorti en 2011). Le scénariste de la série, Bijoy Mishra, est un ingénieur à la retraite et un célèbre auteur de drames sociaux. Il avait été contacté par les producteurs de la série parce qu’il avait écrit le scénario du premier film consacré à Jagannath en 1963. Les érudits locaux lui avaient conseillé de suivre exclusivement l’ancienne version sanskrite de la légende (voir ci-dessous), mais il a préféré s’appuyer sur celle de Krishna Das, plus populaire. Il considérait que cette version avait un message social plus lisible et plus juste que celui des deux autres. Né dans une famille de brahmanes proche du Bengale (qui a une longue tradition de théâtre social), Bijoy Mishra se dit ouvertement de gauche mais toujours dévoué à Jagannath. « Je me fiche de savoir quand ou comment il est né – j’ai toujours été de gauche –, tout ce que je sais, c’est qu’il est là », dit-il. « Jagannath est comme vous et moi, il porte un dhoti », il a une famille, tout le monde peut s’identifier à lui. Le scénariste a donc essayé de montrer que l’histoire du culte de Jagannath était une forme d’« ingénierie sociale » et que « la civilisation a grandi avec lui [Jagannath]. » Il est vrai que la série agrémente la légende de références à l’histoire globale, comme le Big Bang, et aux animaux préhistoriques, évoqués juste avant la rencontre entre les chasseurs et le dieu. Toujours d’après Bijoy Mishra, il y avait « une nécessité sociale de choisir un Śabara à l’époque » et « ils commençaient à découvrir, et non à inventer, Jagannath. » Jagannath est en fait le dieu qui apparaît en rêve à Viśvāvasu et aux « Śabaras qui étaient un peuple nomade » pour les inviter à s’établir chez lui26. Ce qui explique, « logiquement », leur sédentarisation dans un village où ils vont s’adonner à l’agriculture, et élaborer une « civilisation śabara », autrement dit, un système de parenté et une organisation politique.
Trois épisodes de la série Jai Jagannath : Visvavasu devant la statue bleue, le nomade Savara et le tronc au bord de la mer.
Deuxième épisode importante de la série : la rencontre et l’alliance entre le chasseur et le brahmane. En dépit d’un débat sur ce point, le scénariste s’est, une fois de plus, inspiré de Krishna Das parce que, dit-il, « le moyen le plus logique d’arriver à amalgamer les populations était le mariage de Lalitā ». C’était une voie « diplomatique » qui permettait d’étendre la toile du dieu.
Plus récemment, un deuxième courant s’est développé, qui répond aux préoccupations environnementales croissantes et défend une version « pré-écologique » des origines du dieu. En 2014, la une de l’Orissa Sunday Post affichait un arbre qui avait le visage de Jagannath, avec le commentaire suivant : « L’inviolabilité des arbres est universelle, et Jagannath, le Seigneur de l’Univers, qui se manifeste sous la forme du “daru” [le bois consacré du neem, ou margousier], est un exemple vivant de la plus haute forme de dendrolâtrie27 ».
« Tree of faith », illustration de D. Nilesh Rao dans Orissa Sunday Post, 2014.
Pour étayer l’idée d’un « culte de l’arbre » éternel, l’article mentionnait des références anciennes et de vieux auteurs évolutionnistes, avant d’ajouter que « l’Âme Suprême peut même jaillir et se manifester à partir d’une écorce insensible. Ce qu’elle a fait pour les aborigènes Śabaras, les premiers habitants tribaux de l’État. » Le journaliste faisait l’éloge d’un livre qui avait établi ce lien, intitulé Dārudevatā ou « le dieu bûche » et écrit par Beni Madhav Padhi28. Né dans un district du Sud (Gajapati, 1919-2008), Padhi était un écrivain qui enseignait la littérature vernaculaire à l’université de Berhampur. Il expliquait que ces tribus vivaient au fond des forêts et vénéraient les divinités des arbres (en se fondant sur une ethnographie coloniale partielle). À un moment, expliquait Padhi, ces tribus avaient simplement déplacé le culte de l’arbre vers son tronc, peignant la partie supérieure comme si c’était une tête, avec deux branches représentant les deux mains de la divinité. Pour justifier cette idée un peu hasardeuse, Padhi n’avait qu’une référence : le poète Sarala Das qui évoquait une forme antérieure de Jagannath : une divinité résidant dans un arbre (Śabari-Nārāyan ou « Vishnu de la chasseresse »), et vénérée par le chasseur, avant même d’apparaître en statue de pierre bleue. L’hypothèse d’un proto-Jagannath écologique lié au culte d’un arbre a essaimé à la veille du renouvellement du corps du dieu, en 2015, et elle est désormais répandue. On en trouve de nombreux exemples dans l’Orissa Review, une revue officielle dont les contributeurs sont surtout des fonctionnaires locaux qui savent gré à B. M. Padhi et K. C. Mishra d’avoir mis en avant la dimension synthétique du Seigneur de l’Univers.
Daru Brahma, souvenir de pèlerinage à Purî.
Dernier courant à proposer encore une autre version : les traditionalistes de haute caste, partisans des références sanskrites. Pour ces auteurs, Jagannath ne peut être expliqué par une histoire sociale extérieure au « culte », mais uniquement par la connaissance intérieure des textes propre à cette tradition. Gopinath Mohapatra, ancien directeur du Département de sanskrit de la principale université locale (université Utkal, Bhubaneswar) est un exemple révélateur. Son livre, The Land of Visnu, traduction de la légende du temple en sanskrit, est une réponse aux chercheurs « occidentaux » (comme Eschmann ou Kulke) et indiens (comme Mishra ou Padhi) qui ont tendance à réduire Jagannath à son culte originel. Érudit et défenseur des textes brahmaniques, Gopinath Mohapatra entend montrer que la référence au tronc n’est pas d’ordre tribal ; c’est un concept pleinement hindou (issu du Veda), dont les vrais adorateurs auraient été les Aryens, avant que « le culte du Dieu ne tombe entre les mains des habitants de la forêt, c’est-à-dire, des Śabaras29 ». La phrase trahit une vision de l’histoire qui serait un long déclin au cours duquel « le culte des images a été introduit pour séduire la masse du peuple30. » Il s’agit d’une interprétation théologique hindoue de l’histoire31 qui vise à mettre en avant un sens « éternel », mais avec une connotation raciale et orientaliste (les « Aryens » contre les « habitants des forêts » qui seraient « primitifs »).
Je citerai un exemple encore plus « orthodoxe » de ce courant32 : les supérieurs des monastères locaux. Dans un guide de pèlerinage écrit par l’un d’eux, l’auteur va jusqu’à refuser le terme d’« adivasi » (« habitants originels ») et préfère évoquer les « vanavasis (“habitants de la forêt”) ou les populations tribales », qui auraient « abandonné les traditions védiques originelles » (végétarisme, prohibition de l’alcool, rituels d’initiation et de castes, étude du Veda) pour adopter des « usages peu raffinés ou impies33 ». Jagannath serait « apparu » dans la forêt pour racheter ses habitants, mais il n’aurait jamais été un « dieu tribal ». Au contraire, en général ces auteurs condamnent à la fois les traditions adivasi et les sociétés égalitaires modernes, ainsi que « la vision universitaire dominante de l’histoire », qui seraient une dégénérescence par rapport à l’âge d’or védique, où l’organisation sociale en castes et l’illumination « spirituelle » tranmise par le Veda étaient respectées par tous.
Le point de vue des serviteurs du temple, dont certains sont brahmanes, a beau être traditionaliste, il est beaucoup plus nuancé. Parmi ces serviteurs, les Daitā sont un cas à part puisqu’ils seraient à la fois les descendants de Viśvāvasu lui-même et les plus proches du dieu34. Quel que soit leur âge, les serviteurs Daitā que j’ai interrogés revendiquent leur ascendance et leur intérêt pour les traditions « adivasi », tout en reconnaissant poliment qu’ils sont trop occupés pour se lancer dans une recherche approfondie sur les parents Sora ou Sabar qui leur sont attribués.
Les revendications récurrentes des Sabars, du Nord, et des Soras, du Sud, à propos de la « civilisation de Jagannath », et l’archive coloniale sur la construction de la nation
Nous avons vu que les premières sources britanniques connues affirmaient que les Sour ou les Sabar de la « jungle de Khurda » étaient les descendants du légendaire Śabara. En juillet 2019, j’étais dans la région et je discutais avec un ami sabar. Reprenant cette référence sanskritique qui démontrait qu’il était lettré, j’ai vu qu’il associait l’origine de son groupe à l’épopée du Rāmāyana. Très vite, il a précisé que les Śabara étaient des « hommes de la terre », c’est-à-dire qu’ils gagnaient leur vie grâce au travail de la terre et de leurs mains, contrairement à des castes de service. Mais à l’époque, ajouta-t-il, ils n’étaient pas alphabétisés et furent dépossédés de leur dieu, si bien qu’aujourd’hui ils n’ont plus de preuve pour cette revendication, ni aucun lien avec Purî. Il n’empêche, les Sabars peuvent voir leur statue originelle, sans payer, dans le temple de Kantilo. J’avais déjà entendu dire que ce temple était revendiqué par certains comme l’un des sites d’origine de Jagannath, mais cette indication m’ouvrait de nouvelles perspectives. Mon ami m’a proposé de m’y emmener et, sur place, nous avons rencontré un prêtre brahmane (Bastya Mishra) qui nous a raconté l’histoire qui suit :
Viśvāvasu vivait sur une colline proche de Kantilo et c’est là qu’il commença à y vénérer Vishnu sous sa forme de pierre bleue. Comme chez Krishna Das et dans les versions populaires, le brahmane royal Vidyāpati rencontra Viśvāvasu, il épousa sa fille, Lalitā, et insista pour qu’elle persuade son père de le conduire devant le dieu. Le chasseur accepta à condition que ses yeux soient bandés. Mais le brahmane sema des graines de moutarde le long de la route, qui, à la saison des pluies, germèrent et dévoilèrent la route vers le dieu. Une nuit, le brahmane essaya de voler la statue, mais une voix venue du vide l’en empêcha et lui dit qu’un tronc serait envoyé à Purî le long du fleuve Mahânadi...
L’histoire se termine plus ou moins comme dans la version sanskrite, mais elle est clairement réduite au voisinage proche. Mon ami sabar m’a précisé qu’il y avait un petit temple consacré à Lalitā sur une colline voisine, ce que m’a confirmé le brahmane de Kantilo. Sur place, nous avons interrogé le prêtre (Devaraj Jena). D’après lui, c’était sur cette colline que Viśvāvasu avait vénéré la statue de pierre bleue, sous un banian. Après avoir transporté la statue de Jagannath en bois à Purî, les brahmanes avaient emmené la statue en pierre à Kantilo pour l’adorer dans un lieu plus propice. Le hameau voisin, dit-il, avait été habité par des Sabars, comme l’indiquait la légende. Plus tard, quand de nouveaux habitants avaient construit des maisons, ils avaient découvert de curieux vestiges (des petites statues, des pierres qui ressemblaient à des fossiles – symboles de Vishnu –, des cailloux interprétés comme des outils néolithiques, etc.). Pour le prêtre, ces vestiges « archéologiques » étaient la preuve que les premiers occupants de cette région étaient des Śabara et que la légende correspondait à la réalité. En 1998, les villageois ont érigé un petit temple dédié à Lalitā-Nilamadhaba (« la divinité bleue »), mais à l’heure où nous écrivons, ce temple n’a pas été encore officiellement reconnu, malgré les requêtes des villageois.
Le temple de Lalita Nilamadhaba.
Le legs original de Jagannath est partagé par d’autres prétendants à la lignée de Viśvāvasu. Né à la frontière entre le sud de l’Odisha et l’Andhra Pradesh, Mangey Gomang, ou S. P. Mangaya, (1916-1980) était le fils d’un chef de village Sora « pur » (Sarda). Sa famille étant relativement aisée, il a pu aller au lycée le plus proche, à Gunupur. Plus tard, il a été admis à suivre une formation de préparateur en pharmacie dans l’ancienne capitale d’Odisha (Cuttack), où il s’est habitué à la vie urbaine. D’après son frère, un événement important a eu lieu le jour où son père et son beau-père sont venus lui rendre visite (apparemment pour qu’ils aillent ensemble à Purî). Plusieurs de ses amis étudiants citadins se sont ouvertement moqués des anneaux qu’ils portaient à l’oreille et au nez et les ont pris pour ses domestiques. Mangey a été choqué par ce manque de respect pour ses parents35. En 1934-35, il a fini sa formation sans problème, mais il a préféré se consacrer à éduquer les siens pour gagner le respect des hindous de la ville, et pour sa propre estime. Toujours d’après son frère, Mangey a commencé à diffuser l’écriture qu’il avait mise au point en 1952, puis il a créé une école primaire sora en 1967, et, en 1972-1973, il a obtenu une presse à imprimer qui lui a permis d’éditer une vingtaine de brochures ou de manuels scolaires, et des petits livres sur l’histoire, la médecine et la religion sora. Ce n’est pas tout, vénéré comme un « gourou » et influencé par son beau-père pro-hindou, il a fondé une religion sora réformiste, baptisée « religion de la colline/forêt de Matar. » Ses disciples racontent que, le 18 juin 1936, lui-même, ou probablement son beau-père, avait fait un rêve dans lequel Jagannath lui avait montré les lettres divines gravées sur une pierre en forme de cœur au sommet de la colline de Matarbanam – comme le Veda avait été révélé aux voyants « aryens36 ». Plus tard, il a fait ériger un petit temple pour abriter la pierre. Sa religion interdit les sacrifices d’animaux et la consommation d’alcool, suivant les normes des hautes castes, et elle entretient le culte des lettres de son nom qui seraient un « principe divin de l’alphabet », plus important que celui du « tronc » qui représente Jagannath. Le fils de Mangey a suivi les traces de son père, et plusieurs écoles ont été montées dans la région. La graphie que le père a mise au point n’a été utilisée pour l’éducation des Sora par aucun des deux États (Odisha, Andhra), mais le projet éducatif de Mangey a été officiellement reconnu par l’Académie littéraire oriya juste avant sa mort. Les « adorateurs de l’alphabet » utilisent la version brahmane de l’histoire de Jagannath pour contrer l’image primitive que les autres se font d’eux37. Plus exactement, en se référant à la seconde révélation qui leur a été accordée, ils ont remplacé la version du temple de Purî par un culte plus « spirituel », fondé sur les lettres, et non plus sur les sacrifices à une statue38. Il s’agit d’une perspective réformiste (néo-védantique) à la fois chrétienne et hindoue, qu’ils ont appliquée à leur propre tradition. Par ailleurs, cette vision de Sora « purs » leur a permis d’établir de nouveaux liens avec un temple local consacré à Jagannath, ce que nous verrons plus loin.
Outre l’aspect réformiste religieux, j’insisterai sur la pertinence de l’histoire coloniale et politique pour comprendre les origines du mouvement initié par Mangey. La découverte officielle de son écriture a eu lieu deux mois à peine après la création de la province d’Orissa en avril 1936. La province était alors un nouveau territoire qui avait été délimité suivant des revendications linguistiques. Or, les deux rois qui régnaient sur les territoires sora avaient milité pour que leur domaine soit compris dans la nouvelle province39, et l’un d’eux mettait en avant les Savara (et les Khond) dans les argumentations qu’il destinait à la presse40. La même remarque avait été faite par une association locale oriya à la Commission Simon (1928), soit la commission coloniale chargée d’évaluer ces revendications. Un membre de la Commission avait fait remarquer que les Savara et les Khond avaient leur propre langue, mais voilà ce que lui avait répondu un des députés : « Ils n’ont pas de langue écrite distincte, et n’ont pas de culture et de civilisation propres. Non seulement ils sont assimilés à la langue oriya, mais à la civilisation et à la culture oriya41. » Cet échange montre qu’avoir sa propre graphie était un critère linguistique essentiel pour définir telle ou telle « civilisation » et juger de son habilité à être politiquement représentée. Ce n’est donc pas un hasard que des écritures « oubliées » aient été découvertes aux frontières de la province en 1936. Dans ce débat, à ce moment précis, avoir une écriture était un critère qui servait à officialiser une langue adivasi et reconnaître une autonomie politique à une population adivasi42.
Le maharaja de Jeypore, Ramachandra Deva III, recevant le gouverneur de la présidence de Madras, vers 1928.
Danse tribale à Jeypore (gadaba).
Jagannath à l’échelle du district : le Śabara Śrīkṣetra, siège d’une synthèse sociale, d’une légitimation politico-rituelle ou d’une assimilation ?
Dans la ville de Koraput, centre administratif du district du même nom, situé au sud de l’Odisha, il existe un temple dédié à Jagannath, appelé Śabara Śrīkṣetra, soit le « sanctuaire des chasseurs » (comme le temple de Purî est le « sanctuaire » de Jagannath). Le temple a l’air plutôt récent, mais le culte auquel il correspond remonterait à une tradition beaucoup plus ancienne, liée aux rituels locaux adivasi. Le fait est qu’à l’extérieur de l’enceinte, un petit parc abrite un sanctuaire encore plus modeste, avec une inscription indiquant « Deité Saora Matarbannam ». Sur l’indication d’un brahmane du temple principal, j’ai appelé un écrivain local qui en savait plus. L’écrivain en question a transposé l’histoire de Viśvāvasu au district de Koraput, l’identifiant une fois de plus à la forêt du Rāmāyana et me répétant ce qu’il avait écrit dans un petit livre43. Tout avait commencé le 24 avril 1995, quand le secrétaire du comité de gestion de Jagannath à Koraput, Krishna Chandra Panigrahi, et plusieurs officiels étaient allés voir les lettres de Mangey Gomang « révélées en rêve comme étant le mot Ôm. ». Là, ils avaient convaincu le gardien du temple de faire faire une copie en pierre de ces lettres (par un sculpteur local), pour Koraput. K. C. Panigrahi avait promis de n’édifier qu’un sanctuaire et d’en confier le culte exclusif aux Sora. Un accord fut conclu et le nouveau sanctuaire fut officiellement établi le 26 juin 1995 en présence du frère de Mangey (Rama), de ses deux fils (son successeur, War Naïbig, et Diganga) et de quelques autres.
Temple de Matarbanam à Koraput.
Photo de presse de Paresh Rath.
C’est clairement Krishna Chandra Panigrahi (1940-2015) qui était l’esprit à l’origne de cette entreprise. Ancien percepteur, celui-ci avait fondé le Śabara Shrikhetra44 en juin 1972 : un complexe qui comprenait le temple de Jagannath, mais qu’il imaginait aussi comme un « centre polyvalent de la conscience de Jagannath qui associera les cultures tribale, aryenne et dravidienne, ainsi que d’autres croyances. Tout le monde aura accès à ce sanctuaire qui sera la démontration du concept même de la Conscience de Jagannath, y compris son aspect tribal. »
Ces lignes, extraites de la brochure de présentation, traduisent la vision d’une harmonie irénique rassemblant les habitants locaux autour de la figure synthétique de Jagannath. Admirateur de l’anthropologue Verrier Elwin, qui prônait un développement adapté aux tribus, « suivant les lignes du génie de chacune45 », Panigrahi a ajouté un Centre de recherche culturelle tribal et une petite bibliothèque en 1984, puis un musée tribal. En 2007, a également été inauguré un Conseil d’études tribales analytiques (COATS) qui publie une revue et des brochures. Le Conseil dépend de l’administration du district et il est dirigé par le Jagannath Managing Committee dont le Président est le percepteur du district et le Secrétaire, le superintendant de la police. Comme me l’a confié un ancien Président, de fait, il dépend des fonds du temple.
Cette vision synthétique est aussi celle que défendent certains Sora « assimilés », mais de façon beaucoup plus nuancée. Je pense à un des petits-fils de Mangey, Giridhar Gomang (né en 1943), qui s’est lancé dans la politique (au Parlement) en 1972 après avoir été enseignant. Avec Kornel Das, un vétérinaire à la retraite de Jeypore et ethnographe local, il a cosigné plusieurs livres sur les tribus. Il est aussi auteur d’un livre consacré aux Śabara, qui part du postulat de Cunningham pour qui les Śabara constituaient autrefois un grand groupe, aujourd’hui subdivisé en de nombreux groupes locaux, dont les Sora. Giridhar Gomang a beau fournir des données ethnographiques (d’Elwin, de Vitebsky, etc.), il se concentre surtout sur les sources littéraires indiennes (les grandes épopées et deux versions de la légende du temple) et les inscriptions. Son propos est de montrer qu’au cours de l’histoire régionale, les Śabara apparaissent régulièrement comme des alliés « civilisés » du royaume principal. Ils pourraient avoir été successivement bouddhistes, jaïns, puis hindous. Dans ce sens, écrit-il, le processus d’assimiliation serait moins une question religieuse ou une dynamique d’« hindouisation » qu’une forme de synthèse régionale46. Cette thèse correspond au point de vue résolument laïc du parti du Congrès, qui est le parti auquel il appartient. Mais elle est aussi liée à une analyse wébérienne de la diffusion du culte de Jagannath interprétée comme la « légitimation » des rois hindous dans les régions périphériques, analyse dont l’auteur est un historien de l’Odisha médiéval célèbre, H. Kulke47. Auquel cas, le sanctuaire de Koraput serait un exemple postérieur à l’indépendance d’une vieille stratégie qui consistait à construire des temples de Jagannath dans les régions adivasis et à confier à des adivasis la responsabilité de charges rituelles. De fait, Panigrahi a également inclus un représentant des habitants adivasi de Koraput dans la fête locale de Jagannath. Le fils de ce représentant s’y produit encore aujourd’hui.
Dasi Naïk (jodia porja) distribuant des offrandes consacrées (prasad) lors du « festival des chars » de Jagannath à Koraput.
Il est indéniable que Panigrahi a donné de nombreuses preuves de sa volonté de reconnaître les adivasis et de leur donner du pouvoir, et dans un esprit authentiquement démocratique. Cela dit, les institutions qu’il a mises en place célèbrent une culture locale largement folklorisée. Les festivals de Koraput proposent des « performances » de musique et de danse adivasi qui participeraient d’une « conscience de Jagannath » « spiritualisée », laquelle est essentiellement promue par la bourgeoisie locale qui vient des grandes zones urbaines. De même, l’actuelle bibliothèque du COATS comprend des références qui semblent militer pour l’« assimilation » économique et culturelle de la population locale, et correspondent aux idéaux des hautes castes48.
Danse Adivasi devant le char, Koraput 2019.
Une vision décolonisée du développement ?
Les versions actuelles de l’histoire de l’Odisha racontent une « histoire exemplaire49 » dont les fondations ont été posées par Andrew Stirling qui n’hésitait pas à mêler les archives des temples locaux et la vision européenne d’une « Histoire nationale ». Comme nous venons de le voir, dans tous les cas la morale est la même : les adivasi sont fondateurs (grâce à la figure du chasseur originel, Viśvāvasu) mais ils sont toujours mentionnés comme étant « mal dégrossis/paysans », voire « sauvages/primitifs », alors que franchir un pas supérieur vers la conscience de Jagannath nécessiterait une forme de « raffinement », de purification ou de « civilisation » (samskruti, un concept lié au terme même sanskrit), dont le modèle reste brahmanique. Dans le même ordre d’idées, aujourd’hui, le « développement » sous-entend la dimension économique mais aussi la dimension « spirituelle » qui passerait par une éducation réformiste hindoue.
C’est ce qui explique que les adivasi de l’Odisha qui se veulent « modernes » adoptent souvent les pratiques, les références littéraires et les valeurs hindoues réformistes urbaines (refus des sacrifices matériels au profit d’une dévotion « spirituelle », de la purification, etc.) Or, comme nous l’avons vu, la « tradition précoloniale », largement reconstruite, a tendance à mêler d’anciens récits vernaculaires à des perspectives plus récentes issues de sources coloniales, orientalistes ou anthropologiques dépassées. Par ailleurs, dans les milieux orthodoxes, la rhétorique qui se dit post-coloniale peut aussi cacher des valeurs anti-modernes, autrement dit, des valeurs anti-égalitaires (système des castes) et anti-autonomie subjective (la « tradition éternelle » révélée), qui sont davantage celles des nationalistes hindous que celles des théories post-coloniales (cf. les travaux de Meera Nanda). D’où le fait que des travaux historiques soient mis au service de perspectives plus ou moins théologiques. Comme l’a expliqué Malinowski il y a fort longtemps, ce que nous appelons « mythe » est un récit qui fait autorité et rend compte des origines, mais c’est aussi une « charte sociale » qui légitime la position de ses auteurs. S’il reflète des événements passés (ce que la plupart des auteurs locaux supposent à propos de l’histoire de la fondation du temple), ces événements sont toujours sélectionnés et recomposés pour former un scénario utile aux narrateurs successifs, quelle que soit l’« identité » que ceux-ci revendiquent50.
Notes
1
L’actuel État de l’Odisha (orthographe datée de 2011) correspond à une province créée en 1936, nommée l’Orissa. Les données utilisées dans cet article ont été recueillies, notamment, lors de trois enquêtes de terrain en 2014 et 2015 à Purî, puis en 2019 à Koraput et Kantilo, avec mes amis Francis Mobio et Kabiraj Behera.
2
Voir, par exemple, Jacques Pouchepadass, « Pluralizing Reason: recension of Provincializing Europe: Postcolonial Thought and Historical Difference, de Dipesh Chakrabarty », History and Theory, vol. 41, n° 3, 2002, p. 381-391.
3
Daniel Rycroft et Sangeeta Dasgupta, The Politics of Belonging in India. Becoming Adivasi, Londres et New York, Routledge, 2011.
4
Hermann Kulke, Kings and Cult, Delhi, Manohar, 1993, p. 189-90. Voir p. 143-57 sur les sources de Stirling.
5
Voir Pritipushpa Mishra, Language and the Making of Modern India. Nationalism and the Vernacular in Colonial Odisha (1802-1956), Cambridge University Press, 2020. Mishra a remarqué l’inclusion des adivasi à un niveau subalterne dans l’histoire de l’État, par un épigraphiste, mais elle ne se concentre pas sur ce sujet.
6
Hermann Kulke, Kings and Cults. State Formation and Legitimation in India and Southeast Asia, New Delhi, Manohar, 1993, p. 24.
7
Voir Romila Thapar, « Time Concepts, Social Identities and Historical Consciousness in Early India », in Angelika Malinar (dir.), Time in India. Concepts and Practices, New Delhi, Manohar, 2007, p. 35 ; Velcheru N. Rao, David Shulman et Sanjay Subrahmanyam, Textures du temps, Paris, Le Seuil, 2004 [2001].
8
C’est à cette période qu’a lieu la mort du mortel Krishna, qui devient ensuite un dieu. Puruṣottamakṣetra māhātmya VIII sl.4 et 73, Gopinath Mohapatra, The Land of Visnu (A study on Jagannâtha Cult), Delhi, BR Publisher, 1979, p. 264, 267.
9
Roland Hardenberg, The Renewal of Jaganath’s Body. Ritual and Society in Orissa, New Delhi, Manak Publications, 2011, p. 20, 27.
10
Voir par exemple Gilles Tarabout, « Sacrifice et renoncement dans les mythes de fondation de temples au Kerala », in Marcel Détienne (dir.), Tracés de fondation, Louvain-Paris, Peeters-EPHE, [Sciences Religieuses, vol. XCIII], 1989, p. 211-232.
11
Debendra K. Dash et Dipti R. Pattanaik, « Translation and Social praxis in ancient and medieval India (with special reference to Orissa) », in Paul St-Pierre et Prafulla C. Kar (dir.), In Translation. Reflections, Refractions, Transformations, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Pulishing Co, 2007, p. 153-173.
12
Andrew Stirling, « An Account, Geographical, Statistical and Historical of Orissa Proper, or Cuttack », Asiatic Researches, vol. XV, 1825, p. 163-338.
13
Andrew Stirling, « An Account, Geographical, Statistical and Historical of Orissa Proper, or Cuttack », Asiatic Researches, 1825, XV, p. 202. L’identification des « aborigènes » est mentionnée dès les années 1780 dans l’Odisha, mais elle n’est établie linguistiquement que dans les années 1840.
14
« [...] les annales de l’Orissa commencent avec la mort de Krishna, l’ouverture du Cali [Kali] yuga, ou l’âge mauvais, 3001 avant J.-C. », voir Andrew Stirling, « An Account, Geographical, Statistical and Historical of Orissa Proper, or Cuttack », Asiatic Researches, vol. XV, 1825, p. 256-257.
15
Alexander Cunningham, The Ancient Geography of India, Londres, Trubner, 1871, p. 510-11.
16
William Wilson Hunter, Orissa or the Vicissitudes of an Indian Province under Native and British Rules, 2 vol., Londres, Smith, 1872, I, citations respectivement p. 89-93 et note p. 136.
17
William Wilson Hunter, Orissa or the Vicissitudes of an Indian Province under Native and British Rules, 2 vol.; 2è et 3è vol. des Annals of Rural Bengal, Londres, Smith, 1872, p. 175. L’auteur s’appuie sur l’archéologue Rajendralal Mitra.
18
Cette expression a été inventée par le sociologue Nirmal Kumar Bose, « The History of Orissa and its lessons », The Calcutta Review, juillet 1927, republié dans Culture and Society in India, Londres, Asia Publishing House, 1967, p. 26. Pour les auteurs précédents, voir par exemple L. S. S. O’Malley, Bengal District Gazetteers, 1908. Sur l’exposition du musée d’État, voir Raphaël Rousseleau, « Entre préhistoire, romantisme et récits de foundation: les tribus dans l’histoire locale et la muséographie de l’Orissa (Inde) », in Gisèle Krauskopff (dir.), Les Faiseurs d’histoire. Politique de l’origine et écrits sur le passé, Nanterre, Société d’ethnologie, 2009, p. 87-112.
19
David F. Carmichael, A Manual of the District of Vizagapatam, in the Presidency of Madras, Madras, Government Press, 1869, p. 54, 84-87.
20
Ramamurti a rédigé un Manual of the Sora (or Savara) Language (Madras 1931), et un dictionnaire (1938). Voir Verrier Elwin, The Religion of an Indian Tribe, Londres, Oxford University Press, 1955, p. xvi-xvii. Sur Ramamurti, voir Rama S. Mantena, « Vernacular Publics and Political Modernity », Modern Asian Studies, vol. 47, n° 5, 2013, p. 1678-1705. Son fils, G. V. Sitapati Pantulu, a également écrit des articles, dont « The Saoras and Their Country », Journal of the Andhra Historical Research Society, 1938.
21
G. Ramadas, « Aboriginal Names in the Ramayana », Journal of Bihar and Orissa Research Society, vol. XI, 1925, p. 41-60.
22
Verrier Elwin, The Religion of an Indian Tribe, Londres, Oxford University Press, 1955, p. 22-23. Certains Sora attirés par le nationalisme hindou, ou le hindou Bisma, adhèrent à ce récit sanskritique et affirment que le dieu singe Hanuman était un Sora (voir Piers Vitebsky, Living without the Dead. Loss and Redemption in a Jungle Cosmos, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 2017, p. 274). Là encore, ce sont des identifications coloniales (l’une des premières mentions étant celle du colonel Dalton 1872, pour les Bhuya), puisque dans le Rāmāyana, les princes singes, dont Hanuman, sont des fils de dieux, et dans les deux épopées, des termes spécifiques sont utilisés pour désigner les chasseurs de forêt (Śavara, Niṣāda, Pulindas). Voir Raphaël Rousseleau, « L’empire du Vent. La figure du chasseur forestier entre ethnologie et littérature épique », Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient, vol. 93, 2006, p. 27-57.
23
Ann-Charlott Eschmann, Hermann Kulke et Tripathi Gaya Charan (dir.), The Cult of Jagannath and the Regional Tradition of Orissa, Orissa Research Project, South Asia Institute, Heidelberg-Delhi, Manohar, 1978.
24
Voir par exemple Prasanna Kumar Nayak, « Jagannath and the Ādivāsis: Reconsidering the Cult and its Traditions », in Hermann Kulke et Burkhard Schnepel (dir.), Jagannath Revisited. Studying Society, Religion and the State in Orissa, New Delhi, Manohar, 2001, p. 25-48.
25
Kanhu Charan Mishra, The Cult of Jagannath, Calcutta, Mukhopadhyay, 1971.
26
C’est ce que certains informateurs appellent « l’auto-manifestation » du dieu (en sanskrit, svarūpa). Le nomadisme des chasseurs se justifie également suivant deux cadres de références : la préhistoire, d’une part, et la légende du temple, d’autre part. Selon la version sanskrite, les chasseurs étaient insatisfaits et bannis, car leur ancêtre (Jārā) avait tué accidentellement le dieu Krishna. En proie au chagrin, le chasseur avait continué à errer, tout comme Viśvāvasu après lui.
27
Swati S. Suar, Sunday Post, 29 juin-5 juillet 2014.
28
Beni Madhav Padhi, Dārudevatā, Cuttack, 1964. Le titre s’inspire d’une épithète associée à Jagannath, Dārubrahmā, littéralement « principe divin tronc ».
29
Gopinath Mohapatra, The Land of Visnu. A study on Jagannâtha Cult, Delhi, BR Publisher, 1979, p. vii, 19-21.
30
Gopinath Mohapatra, The Land of Visnu. A study on Jagannâtha Cult, Delhi, BR Publisher, 1979, p. 4.
31
Gilles Tarabout, « Theology as History: Divine Images, Imagination, and Rituals in India », in Phyllis Granoff et Koichi Shimohara (dir.), Images in Asian Religions. Texts and Contexts, Vancouver-Toronto, UBC Press, 2004, p. 56-84.
32
Si l’ensemble appelé hindouisme se concentre sur l’orthopraxie, ce milieu instille aussi une vision orthodoxe des textes qu’il convient de croire : le Veda, lu dans la lignée de certains purāṇa vaishnavites ultérieurs, comme un seul « ordre éternel » (sanatana dharma).
33
Puri. The Home of Lord Jagannatha. A Comprehensive Pilgrimage Guide to Sri Purushottama Kshetra, compilé par Parama Karuna Devi (et Rahul Acharya), Jagannatha Vallabha Research Center, Piteipur 2008, p. 82, 441.
34
Krishna Das distingue trois lignées de serviteurs du temple nées de personnages mythiques : 1/ les Daitā, plus proches de Jagannath, qui descendraient de Viśvāvasu lui-même ; 2/ les cuisiniers du temple (Suāra), qui seraient les descendants de Lalitā ; 3/ les brahmanes, qui appartiendraient à une lignée Vidhyāpati « plus pure » (voir aussi Roland Hardenberg, The Renewal of Jaganath’s Body. Ritual and Society in Orissa, New Delhi, Manak Publications, 2011, p. 20, 23). Les premiers sont les seuls autorisés à toucher la statue lors de la fête des chars et à manipuler « l’âme » de la statue lors du « renouvellement du corps divin » périodique. L’un d’eux joue le rôle de Viśvāvasu lors de la sélection des arbres pour la nouvelle statue.
35
Ashok Kumar Dasbabu, Guru Mangey Gomang, Adibasi Bhasa o Samskruti Akademi, Bhubaneswar, 1996 (en langue oriya), p. 6-7 (à partir d’entretiens de l’auteur avec Rama Gomang, le frère de Mangey, en 1991). Pour une ethnographie de ce mouvement et des rituels chez les Sora de l’Andhra Pradesh, voir Cécile Guillaume-Pey, Du sang à l’écriture. Pratiques rituelles des Sora, une tribu du centre-est de l’Inde, thèse d’anthropologie (sous la direction de Marine Carrin), université de Toulouse, 2011, chap. V.
36
Ashok Kumar Dasbabu, Guru Mangey Gomang, Adibasi Bhasa o Samskruti Akademi, Bhubaneswar, 1996, p. 17-18. Vitebsky relève le parallèle avec Moïse que font les Soras chrétiens. Voir Piers Vitebsky, Living without the Dead. Loss and Redemption in a Jungle Cosmos, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 2017, p. 281.
37
Piers Vitebsky, Living withe Dead. Loss and Redemption in a Jungle Cosmos, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 2017, p. 267-88. Cécile Guillaume-Pey, Du sang à l’écriture. Pratiques rituelles des Sora, une tribu du centre-est de l’Inde, thèse d’anthropologie (sous la direction de Marine Carrin), université de Toulouse, 2011.
38
Les trois statues (Jagannath, son frère et sa sœur) sont parfois comparées aux trois sons AUM (Ôm). Pour une référence ancienne à cette lecture, voir Rajendralal Mishra, Antiquities of Orissa, vol. I, 1875, II, 1880, p. 62-63.
39
Parlakimedi, futur district de Gajapati et Jeypore, futur district de Koraput. Sur le premier, voir Georg Berkermer, « The King’s Two Kingdoms or How the Maharaja of Parlakimedi Finally Became the Ruler of Orissa », in Georg Pfeffer (dir.), Periphery and Centre, Studies in Orissan History, Religion and Anthropology, New Delhi, Manohar, 2007, p. 341-359.
40
Articles dans les journaux East Cost et Dailies of Madras, cités dans Paresh Rath, Vikram Dev, Maharaja of Jeypore, Communication Publications, Jeypore, 2017, p. 42. L’inscription de ces deux groupes dans la « culture » régionale, mais « à côté » des hautes castes, selon S. N. Rajguru, a été relevée par Pritipushpa Mishra, Language and the Making of Modern India. Nationalism and the Vernacular in Colonial Odisha (1802-1956), New York, Cambridge University Press, 2020, p. 188-195. Mais l’auteure ne propose pas la généalogie de cette référence.
41
Rapports de l’Indian Statutory Commission, vol. 17, « Deputation of the Madras Presidency Oriya Association, Berhampore, Ganjam » (23 février 1929), 1930, p. 248.
42
Pour le contexte politique de ce genre de découvertes d’écritures et de mouvements (le Santal Ragunath Murmu et le Ho Lakho Bodra), voir K. S. Singh (dir.), Tribal Movements in India, Delhi, Manohar, 2006 (1982), vol. 2, et Barbara Lotz, « Casting a Glorious Past : Loss and Retrieval of the Ol Chiki Script », in Angelika Malinar (dir.), Time in India. Concepts and Practices, New Delhi, Manohar, 2007, p. 235-264.
43
Neeladri Patnaik, Sabara Srikhetra Itihas, Sri Jagannath Mandir, Koraput, 2017, p. 142-143.
44
En 1969 a eu lieu le renouvellement du corps en bois du dieu (Nabakalebara) à Purî, et Pandit Sadashiva Rathasharma a demandé des restes des arbres sacrés coupés pour Koraput. Après avoir collecté des fonds, Krishna Chandra Panigrahi a ramené de Purî un tronc qui a été sculpté et rituellement installé statue de Jagannath en juin 1972, sous un toit de tôle, afin d’organiser un premier festival de chars dans la ville de Koraput, le 12 juillet suivant. Le même jour, à Purî, la statue de Jagannath n’a pas pu être hissée sur le char avant qu’intervienne le roi (un événement connu en Odisha). C’est pourquoi les habitants de Koraput disent que le dieu est d’abord retourné dans son lieu d’origine (Neeladri Patnaik, Sabara Srikhetra Itihas, Koraput, Sri Jagannath Mandir, 2017, p. 16). La construction du temple s’est étalée de 1973 à 1988, à cause de manque de fonds successifs.
45
Voir sa compilation : Krishna Chandra Panigrahi, Fundamentals of an Approach to the Tribes, Koraput, 1996, dont les pages 25-58 reproduisent le chapitre 3 du « Report on Special Multipurpose Tribal Block » (1960), dirigé par Verrier Elwin à l’époque.
46
Giridhar Gomang, The Sabara Tribes in Indian History, New Delhi, Bhubaneswar, 2008, p. 73.
47
Voir Hermann Kulke, Kings and Cults. State Formation and Legitimation in India and Southeast Asia, New Delhi, Manohar, 1993, notamment p. 105-112.
48
À l’entrée, la bibliothèque présente les écrits réformateurs hindous de Vivekananda, ainsi que Vanyajati, la revue d’une association qui s’occupe du développement des « tribus » dans une perspective hindoue ouvertement assimilatrice et dominante. Dans la même veine, le bulletin d’information local, intitulé Parab (2008 : 8-14), édité par le Conseil de la culture du district de Koraput, célèbre la culture locale, mais donne également la parole à un brahmane local et nationaliste hindou, G. Nanda. Ce dernier enrage contre le terme « adivasi », soutenu par des intellectuels et des « esclaves de l’impérialisme étranger », successeurs de la politique britannique du « diviser pour mieux régner », alors que, selon lui, le mot « vanbasi » situe les tribus à leur juste place : la forêt.
49
François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
50
Raphaël Rousseleau, « Kshatriyaisation et cours locales : pour une historicisation des institutions tribales », in Raphaël Rousseleau et Emmanuel Francis (dir.), Le Modèle royal en Asie du sud, Paris, éditions de l’EHESS, 2020, p. 273-298.
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