Document : Plaidoirie en faveur de « victimes réduites au silence »
Doctorant en science politique

(Université Paris-Nanterre - ISP)

Jeudi 2 juin 2022. Me Claudette Eleini se présente devant la Cour d’assises spécialement constituée pour le procès des attentats du 13 novembre 2015. Elle y porte, dans un premier temps, la voix de « victimes silencieuses », comme l’ont fait d’autres avocats de parties civiles avant elle. Elle y plaide ensuite longuement la cause de victimes qui, elles, ont été « réduites au silence ».

Ces victimes n’étaient ni au Stade de France, ni au Bataclan, ni sur les Terrasses ; si elles ont été – provisoirement – acceptées comme parties civiles dans ce procès, le statut de victimes du terrorisme leur est contesté depuis le début de la procédure. Pour cause, ce ne sont pas des victimes du 13, mais du 18 novembre 2015, date de l’assaut mené par le RAID dans un immeuble du centre-ville de Saint-Denis1 où s’étaient retranchés Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, deux membres en fuite d’un commando du 13-Novembre.

Contestées donc, ces victimes ont toutefois eu la parole lors du 125ème jour d’audience. Leur audition a clôturé sept semaines de témoignages des parties civiles qui, chronologie oblige, avaient débuté par ceux du Stade de France, à Saint-Denis déjà. A l’image de ces premières victimes du 13-Novembre dont l’histoire restait méconnue, ce procès aura aussi mis en lumière les récits desdites « parties civiles de la rue Corbillon »2, pour reprendre les termes du président de la Cour, autrement qualifiées d’« oublié(e)s de la fin de l’histoire », selon cette fois les mots de l’une d’entre elles à la barre. Les observateurs assidus du procès auront comme nous noté l’ironie de l’expression prononcée ce vendredi en fin d’après-midi, après une suspension d’audience qui aura contribué à vider la salle d’audience et ses annexes. Finalement, n’ont assisté semble-t-il à ces témoignages que les parties civiles, avocats, journalistes – et chercheurs – qui connaissaient déjà « la fin de l’histoire »3.

Comme la plupart de ses compagnons d’infortune qui ont témoigné ce jour-là, cette partie civile contestée n’en était pas à son premier procès, ni à sa première déposition. Beaucoup avaient en effet déjà raconté leur histoire devant la justice, à l’occasion des procès de Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen4. À leurs côtés, Me Eleini y avait déjà elle aussi souligné l’absence de prise en charge des victimes de l’assaut par les acteurs publics, faisant siens les sentiments d’oubli, d’injustice et d’inégalité inlassablement exprimés par ses clients devant ces Cours successives.

Lors du verdict en appel donné le 29 mars 2019, les habitants et propriétaires de l’immeuble dévasté ont été reconnus parties civiles au même titre que les victimes du 13 novembre, et obtenu par conséquent des dommages et intérêts ; c’était sans compter le jugement de la Cour de Cassation qui, au beau milieu du procès V13 et à quelques mètres de la salle d’audience spécialement construite, a annulé cette décision le 15 février 2022. Le « vide juridique »5 dans lequel se trouveraient les sinistrés du 48 rue de la République n’est donc à ce jour pas comblé. Le débat qu’a suscité leur constitution comme parties civiles dans le cadre du procès V13 est significatif à cet égard : les avocats généraux l’ont contestée, estimant qu’il n’y avait pas de lien direct entre leurs préjudices et les faits jugés dans le cadre de ce procès. Selon le parquet, elles ne sont pas directement victimes de l’association de malfaiteurs terroristes, mais seulement d’une « opération de police administrative »6. Leur sort ne sera tranché qu’à la fin de l’audience.

Alors qu’ils s’estiment victimes des terroristes du 13-Novembre, mais aussi de leurs logeurs, des forces de police, de l’État, et enfin de la mairie de Saint-Denis, force est de constater que, pour l’instant, ils ne trouvent véritablement leur place dans aucune des procédures judiciaires engagées depuis novembre 2015. Cet enjeu de reconnaissance qui excède le strict cadre judiciaire, est au cœur de la plaidoirie dont Me Eleini a accepté de publier le texte. En nous donnant son accord, lors de la suspension d’audience qui a suivi sa plaidoirie, l’avocate nous confiait également son désarroi après ces années de procédures, ainsi qu’une promesse, celle de raccrocher sa robe à l’issue de ce procès. L’explication est limpide : « J’en ai marre de l’(in)justice ! ».

© Emmanuel Cayre

PLAIDOIRIE7

 

 

I-Vous avez entendu de nombreuses victimes qui sont venues témoigner et qui ont surmonté leur angoisse de se voir replongées dans l’horreur de ces attentats barbares.

 

Vous avez entendu, par la voix de leurs avocats, les victimes qui ont préféré rester silencieuses.

 

Vous avez également entendu les victimes décédées grâce au témoignage posthume qui leur a été rendu.

 

Vous avez également entendu l’appel et la détresse des victimes qualifiées de victimes contestées.

II-Je représente, devant votre Cour, monsieur S et ses parents qui font partie des victimes silencieuses.

 

Comme d’autres, monsieur S. n’a pas voulu se remémorer ces moments tragiques et traumatisants, il a donc préféré rester silencieux.

 

Paul était dans la fosse du Bataclan ce funeste 13 novembre 2015.

 

Lorsque l’attaque des terroristes a commencé, il a pu se réfugier dans la régie à côté de la scène en rampant sur des cadavres et en échappant aux balles qui fusaient de toutes parts.

 

Il a appelé des amis qui l’ont mis en contact avec une personne du service de la DGSI. Cette personne l’appelait toutes les demi-heures pour évaluer la progression de la situation. Il a pu également appeler sa mère pour lui dire ces trois mots : « Je suis vivant ».

 

Il entendait les tirs, les cris, les gémissements. Pendant une heure et demie, il a entendu ce qu’il a pensé être des tortures. Parlant des assassins il dit : « lorsqu’ils venaient d’en tuer un, ils rigolaient ».

 

Lors de l’évacuation, il est sorti de son refuge et précise qu’il y avait au moins 20 centimètres de sang sur le sol et qu’il a glissé sur un corps. Il y avait des amoncellements de cadavres. Des bouts de corps humains jonchaient le sol.

 

Il a été transféré avec d’autres personnes au Quai des Orfèvres où il fera sa déposition, à 3h40, le 14 novembre 2015 (pièce D697).

 

Ce n’est qu’à 5 heures du matin, après avoir rechargé son téléphone, qu’il a pu rappeler sa mère pour lui donner des nouvelles.

 

Il sortira des locaux du Quai des Orfèvres à 6 heures du matin.

 

Sa mère errait dans les rues de Paris pour le retrouver, hagarde comme une somnambule.

 

Pour ces victimes, celles du 13 novembre, des moyens furent immédiatement mis en place pour leur venir en aide :

 

     - Des cellules médico-psychologiques.

     - Une liste fut établie par le Parquet.

     - Le fond de garantie adressait dans les semaines qui ont suivi des provisions sans même que les victimes eussent à en faire la demande.

     - Les frais médicaux ont été pris en charge à 100%.

     - L’aide juridictionnelle d’office sans condition de ressources a été allouée.

     - Le statut de victime de guerre leur a été conféré.

     - Des réunions ont été tenues à l’École militaire pour informer les victimes de l’évolution de la procédure, des investigations du Parquet et des perspectives ainsi que pour répondre à toutes leurs questions.

 

Le plus grand nombre des victimes a pu aboutir à une transaction avec le fond de garantie pour l’indemnisation de leur préjudice.

III-Je voudrais maintenant me faire le porte-parole d’autres victimes réduites au silence qui depuis six ans souffrent, ne sont pas reconnues, ni indemnisées, ni soutenues. On les appelle dans la procédure de céans, les « victimes contestées ».

 

Il s’agit de celles du 48 rue de la République à Saint Denis où s’étaient réfugiés qu’Abdelhamid Abaaoud le cerveau des attentats et Chakib Akrouh.

 

Le 18 novembre 2015, vers 4h30 du matin, à grand renfort de police, l’assaut de cet immeuble est donné sans qu’aucune précaution n’ait été prise pour protéger les familles habitant l’immeuble.

 

Pourtant, Monsieur Molins avait dit que les fugitifs, qui avaient été repérés le 16 novembre derrière un buisson à Aubervilliers, n’avaient pas fait l’objet d’une arrestation car il fallait éviter une opération violente qui aurait pu avoir des dommages collatéraux.

 

Cette opération de police était également une opération de communication pour montrer que, suite aux attentats, tout était mis en œuvre pour l’arrestation des terroristes. On n’a pas fait dans la demi-mesure, on n’a pas pris les précautions préalables pour éviter à 80 personnes de subir des scènes de guerre équivalentes à celles subies récemment par les habitants de Marioupol.

 

Alors que les terroristes se font exploser vers 7h00 du matin, les tirs continuent jusqu’à 11h et les personnes de l’immeuble sont évacuées manu militari vers 11h30 du matin.

 

Mes clients la famille K, et leur petit garçon âgé de 5 ans, ont vécu 5 heures de scènes de guerre, se demandant ce qui allait leur arriver, blottis au sol, sans pouvoir bouger. Lorsqu’ils sont sortis de leur appartement, Monsieur K a été mis en joue par les policiers. D’autres personnes de l’immeuble à qui l’on a demandé de mettre les mains en l’air à leur fenêtre, ont été visées et un des locataires a reçu une balle dans le coude. Lorsqu’il était sur son lit d’hôpital, il a reçu une OQTF : obligation de quitter le territoire français.

 

     - Ces victimes n’ont nullement été aidées avec un soutien médico-psychologique suivi.

     - N’ont reçu aucune aide matérielle.

     - N’ont pas bénéficié de l’aide juridictionnelle d’office sans condition de ressources.

     - Ni de la prise en charge à 100% des soins médicaux.

     - N’ont pas bénéficié de réunions d’information.

     - N’ont pas été contactées par l’État, qui s’estimait responsable sans faute de cette opération de police judiciaire l’a-t-on appris des mois plus tard.

     - N’ont pas été reconnues jusqu’à ce jour victimes de terrorisme.

 

Au contraire, ces victimes ont été humiliées, diffamées, traînées dans la boue, instrumentalisées, non-indemnisées et, maintenant, spoliées.

La mairie de Saint Denis, à couleur communiste à l’époque, était en opposition avec le gouvernement socialiste. Par le biais d’associations, comme le DAL, elle instrumentalisait les occupants et faisait le minimum pour les reloger, estimant que c’était à l’État de le faire. Pour la mairie, cette opération de police et l’explosion ont été une aubaine car elle avait des vues sur cet immeuble excessivement bien placé, à une encablure du métro Basilique de Saint-Denis. Elle a ainsi tout fait pour le faire déclarer insalubre à caractère irrémédiable pour spolier ses habitants en ne payant que le prix de la valeur du foncier (1700 € du m2).

 

Les habitants ont également été traînés dans la boue par les médias qui ont relayé les informations de la Mairie selon lesquelles cet immeuble était occupé par des personnes peu recommandables, des trafiquants, des sans-papiers, des terroristes, des squatteurs, des marchands de sommeil et j’en passe.

 

Monsieur I, comme d’autres occupants de l’immeuble est venu témoigner à cette barre et la Cour a pu se rendre compte de la qualité des habitants de cet immeuble.

 

Si l’État s’estimait responsable, il lui revenait de réunir tous les propriétaires, locataires, occupants et commerçants, d’ouvrir un guichet unique, d’aller au- devant de ces personnes et de leur proposer spontanément des provisions dans l’attente de leur indemnisation. Cela ne fut nullement fait et ces victimes ne surent à quelle porte frapper :

 

     - Le fond de garantie, fermé.

     - Le tribunal administratif pour responsabilité de l’État, fermé.

     - La mairie arborait ces victimes pour régler ses comptes avec l’État.

 

Elle avait des buts différents de l’intérêt de ces victimes : se mettre en opposition avec le gouvernement, tout faire pour que l’immeuble se dégrade et pouvoir se l’approprier. Elle a contribué au désespoir des victimes en les laissant dans un état de désarroi pour pouvoir mieux les instrumentaliser et les spolier.

 

Chaque personne a été laissée livrée à elle-même, frappant quelques fois à une bonne porte, frappant quelques fois à une mauvaise porte.

Je reviens à monsieur I. qui a été traité par monsieur Stéphane Peu de marchand de sommeil, information qui a été relayée par les médias, alors qu’il avait acheté un logement dans cet immeuble à titre d’investissement locatif, qu’il l’avait entièrement refait, qu’il avait un bail en bonne et due forme, qu’il a été obligé de rembourser la caution à son locataire, qu’il a été obligé de payer les charges, peut-être les mensualités d’emprunt, et qui se retrouve aujourd’hui en voie de spoliation. Les conséquences de cette diffamation ont été pour lui dramatiques, tant dans sa vie personnelle que professionnelle.

 

La diffamation dont il a été l’objet n’a malheureusement pas abouti sur le plan judiciaire car monsieur I. avait frappé à une mauvaise porte.

 

Il vous a même dit qu’il avait été condamné à un article 700. La mairie a les moyens de s’offrir les services d’excellents avocats.

 

Quid du calvaire des victimes du 48 rue de la République ?

 

Les occupants ont vécu 5 heures de scènes de guerre. Certains ont été blessés, évacués en plein hiver avec une simple couverture sur le dos, logés dans un premier temps dans un gymnase puis abandonnés à eux-mêmes, certains étant obligés de dormir dans des véhicules, d’autres devant retrouver, par leurs propres moyens, un logement équivalent à celui qu’ils avaient laissé.

 

Ils ont abandonné tous leurs meubles et effets personnels dans les lieux et, à ce jour, mes clients n’ont pas pu, malgré de nombreuses demandes, récupérer leurs biens. Certaines pièces de mobiliers avaient été achetées à crédit, ils ont dû continuer à honorer ces crédits, continuer à payer les prélèvements pour l’électricité et Internet dont les abonnements continuaient à courir.

 

La mairie, dans sa grande magnanimité, a continué à réclamer la taxe foncière, et les frais de sécurisation de l’immeuble.

 

Sur leur compte bancaire continuaient à être prélevés des factures d’électricité, des charges de copropriété, des échéances de crédit pour du mobilier séquestré dans leur appartement.

 

Les propriétaires loueurs ont perdu leur loyer, ont dû rembourser des crédits, ont perdu la valeur de leur investissement.

 

Les commerçants ont perdu leurs revenus et leurs stocks.

 

Mes clients ont reçu de la mairie de Saint-Denis un avis à tiers détenteur le 24 décembre 2019 et un autre avis à tiers détenteur le 31 décembre 2019 pour le paiement de la taxe foncière.

 

Nous avons dû faire une procédure devant le tribunal administratif et l’avocat de la mairie, en la personne de maître Seban, après 40 pages de conclusions, a communiqué des dizaines de pièces pour justifier le bien-fondé de cette taxe foncière et frais de sécurisation qui s’élevaient à 2500 € environ en demandant en outre la condamnation des victimes à un article 700 conséquent.

 

À ce jour, malgré de nombreuses suppliques mes clients n’ont toujours pas pu récupérer leurs biens personnels qui sont toujours dans l’appartement.

 

Voilà comment la mairie est venue au secours de ses administrés. Voilà comment l’État a brillé par son absence.

 

Madame l’Avocat Général conteste la qualité de partie civile à ces victimes en prétextant qu’elles sont victimes d’une opération de police et qu’elles doivent se retourner contre l’État.

 

Merci Madame l’Avocat Général, l’action a été menée contre l’État et si je vous disais que dans ses conclusions, par un effet de style épistolaire certainement, l’État a contesté sa responsabilité sans faute alors qu’il l’avait reconnue préalablement… Mais ce sont des arguments de procédure.

 

Quoi qu’il en soit, six ans après, mes clients ont obtenu un jugement indemnisant a minima les préjudices dont ils ont été victimes. Ils viennent demander à la Cour, non pas l’indemnisation de leurs préjudices matériels et moraux, ils viennent demander la reconnaissance de leur qualité de partie civile d’actes à caractère terroriste.

IV-Ce qui vous permet de retenir les victimes du 48 rue de la République comme victimes dans ce procès.

 

OMA : vise les faits jusqu’au 18 novembre 2015 inclus et comprend 12 chefs d’accusation dont j’épargnerai à la Cour la longue énumération.

 

Pour la concision de mon propos je résumerai ces chefs d’accusation en une expression

 

PARTICIPATION À UNE ASSOCIATION DE MALFAITEURS TERRORISTE CRIMINELLE incluant la fourniture et fabrication d’engins explosifs.

V-Procédure concernant Jawad Bendaoud, Aït Boulahcen et Soumah.

 

Dans cette procédure figuraient au départ : Bendaoud, Aït Boulahcen et Soumah. Ce volet de la procédure a fait l’objet d’une disjonction et un renvoi devant le Tribunal correctionnel.

 

Le 14 février 2018 un jugement condamnait Soumah pour soustraction à l’arrestation d’auteur ou complices d’acte de terrorisme, condamnait Aït Boulahcen pour non dénonciation de crime terroriste.

 

À la surprise générale Jawad Bendaoud, appelé le logeur de Daech était relaxé.

 

Il sera condamné en appel.

 

Monsieur Jawad Bendaoud, qui a un casier judiciaire chargé et qui est le responsable du malheur subi par 80 personnes qui demeuraient au 48 rue de la République, a recouvré la liberté et se trouve invité sur les plateaux de télévision. Il y aura certainement un livre qui paraîtra sur son affaire et, vraisemblablement, également un film.

 

Monsieur Bendaoud est aujourd’hui un influenceur et a de nombreux followers. Il est certainement un modèle pour beaucoup.

 

Pour terminer la boucle de cet aspect de l’affaire, Aït Boulahcen, qui avait été condamné pour non dénonciation de crime, vient d’être totalement blanchi par un arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2022 au titre de l’immunité familiale.

 

Monsieur Aït Boulahcen en cours de procédure a changé de nom pour s’appeler désormais Youssef Assalam, Assalam signifiant la paix et qui est étrangement proche du nom Abdeslam.

 

La Cour de cassation vient consacrer la reconnaissance de préjudices des parties civiles du 13 novembre au motif que monsieur Bendaoud, en donnant abri aux terroristes, a retardé leur arrestation et a fait vivre aux victimes du 13 novembre la continuité d’une menace imminente.

La Cour de Cassation vient également dire que le préjudice des victimes du 48 rue de la République ne résulte pas directement de l’infraction de recel de malfaiteurs, et n’ont donc aucune légitimité à se porter parties civiles contre Bendaoud.

 

Puis-je rappeler que monsieur Molins, à cette barre, est venu déposer et a indiqué qu’Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh avaient été repérés derrière un buisson le 16 novembre à Aubervilliers ? La décision avait alors été prise de ne pas arrêter les terroristes à ce moment-là pour, nous a-t-on dit, éviter des dommages collatéraux.

 

Peut-on reprocher à la police, à ce moment-là, d’avoir prolongé de 2 jours supplémentaires l’angoisse des victimes du 13 novembre en ne procédant pas à leur arrestation ?

 

C’est une question que l’on peut se poser mais qui fera peut-être l’objet de sujet d’examen.

 

Lorsque Monsieur Bernard Cazeneuve est venu témoigner le 17 novembre dernier, il a évoqué, avec une certaine fierté, tout ce qu’il avait mis en œuvre personnellement lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur pour lutter contre la menace terroriste.

 

Concernant l’entrée en France d’Abdelhamid Abaaoud, la veille des attentats, Monsieur Bernard Cazeneuve a utilisé le terme d’angle mort pour justifier le fait que celui-ci n’avait pas pu être localisé. Terme qu’il a utilisé en guise de réponse à d’autres questions embarrassantes.

 

Inutile de rappeler à la Cour qu’Abdelhamid Abaaoud a été le cerveau des attentats du 13 novembre et qu’avec Chakib Akrouh il est personnellement intervenu dans le massacre des terrasses.

 

Ils ont trouvé refuge au 48 rue de la République et avaient fermement l’intention de perpétrer d’autres attentats dans Paris, notamment à la Défense.

 

Abaaoud et Akrouh ont un rôle prépondérant dans l’instigation des attentats.

 

S’ils ne s’étaient pas faits exploser le 18 novembre, et avaient été interpellés vivants, il y a de fortes chances de penser que l’évolution de la procédure aurait été toute autre, notamment pour les habitants du 48 rue de la République.

VI-LE LIEN ENTRE LES ACCUSÉS ET ABAAOUD ET AKROUH ET LES FAITS DU 18 NOVEMBRE A SAINT DENIS :

 

Abaaoud a été le chef opérationnel des commandos projetés sur Paris le 13 novembre.

 

Il a participé avec Akrouh et Brahim Abdeslam aux assassinats des terrasses parisiennes.

 

Nombre des accusés sont mis en accusation pour avoir participé à des faits terroristes, des actes de financement, de fabrication d’engins explosifs, pour certains avoir été co-auteurs de Abaaoud et Akrouh.

 

L’assaut de la rue du Corbillon dans la nuit du 17 au 18 novembre relate que les trois fugitifs étaient armés puisque les policiers ont indiqué avoir essuyé des tirs et des jets de grenades.

 

Il a été déduit que Akrouh avait déclenché son gilet explosif et que Abaaoud et Hasna Boulahcen avait été déchiquetés par des impacts d’écrous.

 

Lorsqu’ils se sont faits exploser, ils savaient qu’ils allaient engendrer des dégâts, des blessés et, peut-être, des morts. Ils n’ont reculé devant rien pour semer le désastre, la terreur, la barbarie.

 

Inutile de dire que les occupants du 48 rue de la République n’étaient pas visés expressément et n’ont pas fait l’objet de menaces spécifiques. On pourrait en dire autant pour des tas de victimes du Bataclan, des terrasses et du Stade de France.

 

Le but de ces terroristes était de semer la terreur et la mort de façon indistincte. Le fait originel des dommages causés aux habitants du 48 rue de la République se trouve dans les actes criminels d’Abaaoud et Akrouh et des participants à la série de faits criminels à caractère terroriste ici présents.

 

L’opération de police n’en est que la conséquence.

 

Si les mêmes faits s’étaient produits le jour-même, les aurait-on dissociés des attentats du 13 novembre ? Les victimes ont vécu les mêmes scènes d’horreur, des explosions, et se sont tenues terrées pendant des heures sans pouvoir bouger et sans comprendre ce qui leur arrivait.

© Emmanuel Cayre

Les dégâts de l’appartement occupé par les fugitifs comme le montrent les photos démontrent qu’ils étaient lourdement armés, et détenteurs d’explosifs puissants.

VII-CONCLUSION

 

Le Parquet, en leur contestant leur qualité de partie civile et leur qualité de victime de terrorisme, leur inflige de nouvelles souffrances.

 

Y aurait-il deux catégories de victimes ?

 

Celles qui ont été reconnues immédiatement, soutenues, indemnisées, glorifiées et à qui on donne la parole sans limitation dans un procès historique exemplaire, et celles qui sont ignorées, méprisées, bâillonnées, spoliées, diffamées, stigmatisées.

 

Peut-être à cause d’une mauvaise conscience de l’État.

 

Après ces longues et multiples procédures, c’est leur dernière chance de se voir reconnaître victimes de terrorisme. Il vous est possible de le faire puisque l’ordonnance de mise en accusation porte sur les faits du 13 au 18 novembre inclus et que les accusés sont associés à Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh certains mis en accusation comme co-auteurs.

 

Mes clients n’attendent rien sur le plan matériel de la Cour d’Assises puisque, comme les autres parties civiles, ce sont d’autres instances qui sont chargées de les indemniser.

 

N’infligez pas de nouvelles souffrances à ces victimes oubliées, reconnaissez-leur le statut de victimes de terrorisme. Redonnez-leur leur dignité.

 

Madame Françoise Rudetzki dont je salue ici le courage, l’obstination, a lutté indéfectiblement non seulement pour l’indemnisation des victimes de terrorisme, mais également pour la reconnaissance, d’un statut de victime de terrorisme. Grace à son action infaillible prochainement sera créé un mémorial des victimes de terrorisme.

 

Cette reconnaissance de statut est importante pour la reconstruction de ces victimes.

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1

L’opération a débuté aux alentours de 4h du matin et s’est achevée en fin de la matinée. Les habitants du 48 rue de la République sont restés calfeutrés tout ce temps chez eux, sous le feu des tirs et des explosions. Certains ont été blessés par balle ou par l’explosion provoquée par l’un des terroristes et nombreux en subissent encore les conséquences psychologiques. Quant aux copropriétaires de l’immeuble, ils n’ont plus accès à leurs biens depuis et désespèrent d’être indemnisés à la hauteur de la valeur estimée avant l’assaut.

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2

L’immeuble en question est situé au croisement de l’étroite rue du Corbillon, décrite par la presse après l’assaut comme un haut lieu de trafics et de squats, et de la rue de la République, artère piétonne et commerçante qui débouche sur la basilique de Saint-Denis. Si les sinistrés et leurs avocats insistent sur leur domiciliation au 48 rue de la République, le président de la Cour a donc lui retenu l’affiliation de la rue du Corbillon.

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3

On a pu relever les marques de soutien adressées par les parties civiles du procès du 13 novembre restées jusqu’au bout à celles du 18 novembre, à la fin de l’audience. Observations du 20 mai 2022.

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4

Le premier était accusé d’avoir logé les deux terroristes dans un appartement de l’immeuble, avec l’aide du deuxième cité. Le dernier était lui soupçonné d’avoir eu connaissance de la présence des terroristes dans l’immeuble ainsi que de leurs projets d’attentats imminents.

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5

L’expression a été employée par Me Mouhou devant la 16ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris, le 5 février 2018. L’avocat défend lui aussi dans le procès V13 des dizaines de parties civiles du 18 novembre 2015.

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6

Notes du 4 octobre 2021.

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7

Le texte est ici publié dans sa totalité. Seules quelques formulations ont pu être simplifiées pour faciliter la lecture. Les parties civiles mentionnées par l’avocate dans sa plaidoirie ont été anonymisées.