Quelles sont les principales conséquences environnementales de la guerre qui a débuté dans le Donbass en 2014 ?
Avant qu’elle ne change d’échelle avec l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la guerre du Donbass a eu des effets à la fois directs (« physiques ») et plus « institutionnels ». Beaucoup de ces conséquences ont été analysées et résumées dans plusieurs de nos publications éditées avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe1. Commençons par les assauts répétés contre les installations industrielles et les infrastructures critiques, notamment les usines chimiques, ou les usines de traitement des eaux et autres. Certaines de ces attaques ont provoqué des déversements de produits chimiques toxiques et des incendies de réservoirs de carburant qui menacent à la fois la santé des gens et les écosystèmes. Il y a également eu des incidents parce que l’accès aux installations proches de la « ligne de contact » était barré ; autrement dit, même les situations plus normales ne pouvaient être correctement contrôlées (exemple : au sud de Bakhmout, un stockage de déchets d’élevage a débordé en 2016). Les villes et les petites agglomérations ont été bombardées ou privées des services les plus élémentaires, si bien que l’approvisionnement en eau, le traitement des eaux usées et la gestion des déchets étaient difficiles, voire impossibles.
L’inondation progressive des nombreuses mines de charbon du Donbass est un vrai problème. On le doit d’abord aux pénuries d’électricité, mais aussi à des décisions délibérées prises dans les zones qui échappent au contrôle de l’Ukraine. Peu à peu les eaux minières, hautement contaminées, ont remonté et pollué les réserves d’eau souterraine et de surface. Outre la pollution, cette montée provoque l’engorgement et la déformation du sol, avec des conséquences à long terme pour les routes, les pipelines, les communications et les bâtiments.
La nature a beaucoup souffert des combats : des fortifications ont été construites dans des zones protégées, des forêts ont été saccagées parce qu’il fallait se cacher, et des animaux ont paniqué et été tués par les bombardements, les mines et les restes explosifs. Plusieurs espaces protégés, dont le parc national de Meotida, ont été divisées par la « ligne de contact », si bien qu’on ne pouvait plus les administrer comme des entités distinctes. En 2015, dans les zones de combat, les feux de forêt étaient deux à trois fois plus fréquents que dans les régions voisines où le climat est le même, à cause de la hausse des températures, mais aussi parce qu’il était difficile d’éteindre les incendies proches des lignes de front.
L’intégrité du système de surveillance environnementale de la région, un des plus performants d’Ukraine, a également souffert. Le gouvernement ukrainien n’a plus accès à des pans entiers de ce réseau de contrôle, ni aux données environnementales ; personne ne sait dans quelle mesure la surveillance a été maintenue dans ces zones.
Conséquences et risques environnementaux de la guerre en Ukraine.
Comment fonctionne l’ONG Zoï ? Quels types de contacts avez-vous avec les défenseurs de l’environnement ukrainiens ?
Nous avons une longue histoire de coopération avec l’Ukraine, ses autorités et sa communauté environnementale. Avant même la création officielle de Zoï en 2009, nous avons aidé les Nations unies et l’OSCE à mettre au point les outils permettant de jauger la qualité de l’environnement du pays et d’informer les gens. Il s’agissait notamment d’analyser les « points chauds » et les connexions entre environnement et sécurité, en coopérant avec un large éventail d’organisations et d’experts ukrainiens. Comme ces « points chauds » comprenaient la Crimée et le Donbass, nous avons travaillé avec des chercheurs et des associations de ces régions sur des problèmes d’environnement spécifiques, dont l’extraction du charbon, et encouragé la collecte et la diffusion à grande échelle d’informations sur l’environnement. Dans un second temps, nous avons rejoint l’entreprise européenne visant à étendre le Système de partage d’information sur l’environnement à l’Ukraine et à tout le voisinage de l’UE côté Est. Nous avons également aidé l’OSCE à évaluer les impacts environnementaux de la guerre dans le Donbass. Aujourd’hui, c’est grâce à ce travail, ces contacts et ces réseaux, que nous pouvons continuer à soutenir l’Ukraine.
Comment accéder à des informations fiables, des données, sur ces questions ? Quelles sont les institutions qui produisent des données de terrain ?
L’accès aux données n’est jamais facile, surtout en temps de guerre. Nous-mêmes, quand nous travaillons, nous utilisons beaucoup d’open source, notamment les médias traditionnels, les réseaux sociaux et les informations officielles disponibles. Les agences gouvernementales collectent des données sur l’environnement et les partagent dans la mesure où elles le jugent possible, vu la situation précaire. Malheureusement, comme plus tôt dans le Donbass, une partie des outils de surveillance a été perdue, et ces activités ont été provisoirement mises en sourdine. Certaines des données obtenues ne peuvent être partagées parce qu’elles font partie d’enquêtes judiciaires en cours sur les dommages écologiques. Plusieurs organisations non gouvernementales et internationales veillent sur le versant environnemental de la guerre, s’appuyant notamment sur des données satellitaires et des programmes scientifiques civils. La coopération de tous ces acteurs augmente et permet de consolider le socle de faits commun. Il n’empêche, aujourd’hui la plupart des données accessibles sont de nature secondaire ou lointaine. La quantité d’informations de première main, issues directement du terrain, surtout près des lignes de front, est extrêmement limitée, et l’accès au terrain dans les zones libérées est difficile à cause des mines et des restes explosifs.
En quoi la guerre de février affecte-t-elle l’environnement sur le territoire ukrainien ? Qu’est-ce qui distingue ce conflit des guerres passées d’un point de vue écologique ?
On nous pose souvent la question. Une façon de répondre, ce serait de dire que nous voyons aujourd’hui dans toute l’Ukraine ce que nous avons vu dans le Donbass à partir de 2014, mais à une échelle beaucoup plus grande et plus violente. Il s’agit d’une guerre moderne, dans un pays très industrialisé et urbanisé, dont les dommages issus des activités militaires sont considérables, et dont les attaques continues sur les villes et les infrastructures civiles affectent les terres et la nature. Si on compare avec les expériences de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, décontaminer l’environnement, vu tout ce que ce conflit a déjà provoqué, pourrait prendre des décennies, voire des siècles. Cette guerre est aussi exceptionnelle parce qu’elle a lieu dans un pays qui compte quinze réacteurs opérationnels répartis dans quatre centrales nucléaires, dont la plus grande d’Europe, celle de Zaporijia, et un pays qui a connu la plus grande catastrophe nucléaire du monde connue, à Tchernobyl. Le risque d’une nouvelle catastrophe nucléaire – qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle – est malheureusement élevé.
Outre l’ampleur et la gravité de la guerre et de ses conséquences, ce qui la distingue des conflits antérieurs, c’est, peut-être paradoxalement, la prise de conscience beaucoup plus large et plus importante de ses effets sur l’environnement. Grâce à la reconnaissance et à la diffusion de ces effets par l’Ukraine, l’attention des médias à ce versant de la guerre est sans précédent, ainsi que l’effort concerté de plusieurs organisations travaillant dans ce domaine. Pourvu que cela fasse une différence pour l’agresseur quand viendra le temps de la justice de l’après-guerre et de la reconstruction et du redressement de l’Ukraine.
L’inquiétude internationale croissante pour les questions environnementales influence-t-elle les politiques adoptées par Kiev depuis la guerre ?
Dès le début de la guerre, l’Ukraine a attiré l’attention du monde entier sur sa dimension environnementale, et elle continue. On le doit beaucoup au travail du Ministère de la protection de l’environnement et des ressources naturelles, ainsi qu’à de nombreuses ONG. La « formule de paix » que le président Zelensky a proposée au sommet du G20 en novembre 2022 comprenait dix points, dont la fin de l’écocide russe et l’urgence de la protection de l’environnement. La durabilité est également un des huit principes de la déclaration de Lugano adoptée en juillet 2022, qui pose le cadre politique de la reconstruction de l’Ukraine. Il va de soi que ce positionnement de l’Ukraine est renforcé par l’attention des organisations internationales, de la société civile, de la communauté des experts et des médias. Les Nations unies, l’OSCE et l’UE ont fait de nombreuses déclarations qui prennent systématiquement en compte la dimension écologique dès qu’il s’agit de soutenir l’Ukraine. Il faudra poursuivre et consolider cette tendance une fois la guerre terminée et la reprise amorcée.