Althusser en Espagne : un dialogue avec Juan Carlos Rodríguez
Chercheuse

(Université de Grenade - département de Philosophie I)

En général, lorsqu’on pense au champ intellectuel espagnol, on le décrit principalement comme un espace importateur. Avec Karl Deutsch et Johan Heilbron1, on peut penser que sa taille réduite par rapport à d’autres pays favorise les transactions avec l’étranger2. À ce facteur, il faut ajouter la répression politique exercée par le régime franquiste et l’appareil de censure institutionnalisé qui a fonctionné pratiquement jusqu’à la fin de la dictature en 1975, bien qu’ayant évolué, et même après, ce qui a fortement accentué le caractère hétéronome du champ3. Si les régimes dictatoriaux sont généralement plus fermés à la traduction, et donc enclins à l’autarcie intellectuelle, les intellectuels ont été amenés à rechercher des références et des modèles extérieurs malgré les difficultés matérielles d’importation, dans la mesure où l’appareil de censure susmentionné rendait difficiles les débats théoriques. À partir des années 1960, on assiste à un important mouvement de dissidence éditoriale qui a fait du marxisme et d’autres courants avant-gardistes la culture intellectuelle prévalente dans les secteurs d’opposition au régime de Franco4. Ce mouvement d’opposition, et aussi ce que Vázquez García appelle, en référence au champ philosophique, le « réseau philosophique alternatif5 », étaient, encore à partir des années 1960, fondamentalement orientés vers la France : la circulation d’auteurs tels que Barthes, Foucault, Todorov ou Deleuze, pour ne citer qu’eux, ne peut être dissociée des luttes internes du champ et des différents élans modernisateurs et critiques6.

Je consacrerai les pages suivantes à la description de l’un des mouvements les plus féconds de réception et d’appropriation critique de la pensée althussérienne en Espagne dans le contexte de la fin du régime franquiste et de la transition vers la démocratie parlementaire : celui entrepris par Juan Carlos Rodríguez (1942-2016) dans la ville andalouse de Grenade. Il ne faut pas du tout considérer cette dynamique comme une importation directe des idées du « maître », mais plutôt comme un dialogue théorique et une tentative d’historiciser les principales thèses althussériennes. Dans un essai assez bref qui a rapidement mérité de devenir un classique parmi ceux qui s’intéressent à la discipline, l’historien britannique Perry Anderson affirmait, en réfléchissant à l’avènement du marxisme occidental, que rien d’important sur le plan théorique n’avait eu lieu dans l’État espagnol. Bien que l’Espagne ait connu l’un des mouvements ouvriers les plus révolutionnaires et les plus militants du continent dans les années 1930, peu d’intellectuels se sont ralliés à sa cause, ce que l’auteur interprète comme la conséquence la plus notable d’une absence : celle d’une tradition de pensée philosophique systématique, contrairement à la virtuosité de sa littérature, de sa peinture ou de sa musique7. Ce que le célèbre éditeur de la New Left Review considérait comme une insuffisance ou un déficit de compétences est en fait un effet de la division internationale du travail intellectuel et d’autres circonstances sociologiques qui renvoient en fin de compte à des relations de pouvoir. Dans cette perspective, mon travail vise à élucider les conditions qui ont entravé la circulation de l’œuvre du théoricien espagnol, puisque Rodríguez est, malgré son originalité et son érudition, un agent presque inconnu au-delà des frontières espagnoles. Cependant, on lui doit des concepts aussi stimulants que celui d’« inconscient idéologique » — qui d’ailleurs précède l’« inconscient politique » de Fredric Jameson et présente une étonnante similitude, ce qui mérite une étude approfondie — et l’élaboration d’une vision totalement novatrice de la littérature du Siècle d’or espagnol, de la « norme littéraire » et d’auteurs tels que Cervantes ou Lorca, entre autres.

Juan Carlos Rodríguez : une figure centrale à la périphérie du champ

Qui est ce jeune enseignant qui a réussi à faire venir Althusser à Grenade, une ville du sud du pays éloignée des principaux centres de production intellectuelle (Madrid et Barcelone), en 1976, pour y donner une conférence sur la possibilité d’une « non-philosophie », c’est-à-dire d’une autre pratique de la philosophie qui ne recourt pas aux savoirs des sciences ? La conférence, intitulée « Sur la transformation de la philosophie », a été publiée dans le volume Sur la philosophie (Gallimard, 1994). En espagnol, le texte fut publié par la maison d’édition de l’université de Grenade juste après la conférence, sous le titre La transformación de la filosofía8. Juan Carlos Rodríguez est un intellectuel qui s’est distingué par son intelligence et son brio depuis l’époque où il était étudiant et qui, en 1971, a présenté sa thèse de doctorat devant une salle comble, comme l’étaient généralement ses salles de cours9. La thèse, intitulée Para una Teoría de la Literatura: Introducción al pensamiento crítico contemporáneo, formait un ouvrage de plus de 800 pages dans lequel Rodríguez passait en revue pratiquement tous les courants théoriques existants : la phénoménologie, le néopositivisme logique, le structuralisme, avec ses différentes variantes, de Husserl à Gadamer, de Schlick à Carnap, de Lévi-Strauss à Foucault, de Barthes à Greimas, dʼEco à Lacan. Dans ce sens, l’établissement ultérieur de l’Institut du champ freudien à Grenade et de lʼÉcole lacanienne de psychanalyse d’Andalousie ne peuvent pas être compris sans l’influence d’Althusser et de Juan Carlos Rodríguez : « Avant la transition, et grâce aux lectures d’Althusser promues par le professeur Juan Carlos Rodríguez, un groupe d’étude d’orientation lacanienne s’est formé, suivant les enseignements d’Oscar Masotta. C’est ainsi qu’est née la Bibliothèque d’études freudiennes de Grenade, constituée en association au début des années 198010. » Compte tenu des difficultés rencontrées par le champ éditorial à l’époque, beaucoup des auteurs étudiés par Rodríguez étaient difficiles d’accès aux débuts des années 1970. La thèse est restée inédite bien que l’auteur ait travaillé à sa publication sous forme de livre jusqu’en 1980. Il a décidé de ne pas la publier à cause de « l’invasion sémiotique et rhétorique qui nous envahissait depuis 1975 », qui était, selon ses propres termes11, asphyxiante. Il la publie finalement en 2015 avec des modifications importantes.

Couverture du livre de Juan Carlos Rodriguez, Teoría e historia de la producción ideológica

Couverture du livre de Juan Carlos Rodriguez, Teoría e historia de la producción ideológica

Les premières lectures d’Althusser par Rodríguez semblent avoir eu lieu quelques années auparavant, d’abord Pour Marx dans la célèbre traduction de Marta Harnecker (La revolución teórica de Marx, 1967). L’impression fut telle qu’après cette lecture, il réécrivit entièrement sa thèse. Plus tard, un ami lui a rapporté de France un exemplaire de Lire le capital, avec lequel il a commencé à écrire ce qui devait être sa première œuvre publiée, Teoría e historia de la producción ideológica12. On reviendra sur ce texte, mais pour l’instant on pourrait définir cette œuvre comme « Le Capital de la subjectivité bourgeoise, de ses différentes phases historiques, et de la manière dont elle a donné vie à un produit très particulier : la littérature13».

Le climat de Grenade était certainement propice à l’intérêt collectif pour la théorie. Le professeur et traducteur Jenaro Talens a souligné que dans les séminaires dʼAntonio Sánchez Trigueros — enseignant de la même université et ancien camarade d’études de Rodríguez — « les noms, non seulement de Marx et dEngels, mais aussi de Sánchez Vázquez, Lukács, Della Volpe, Lunacharski, Macherey ou Eagleton coexistaient [...] sans aucun problème avec ceux de Jakobson, Sklovsjky ou Bakhtin14 ». Mais il ne fait aucun doute que le groupe qui s’est constitué autour de Rodríguez se distingue par sa centralité dans le bouillonnement militant de l’époque, comme en témoigne le succès en termes d’assistance de la conférence d’Althusser : selon certains comptes rendus, plus de 2 000 personnes y ont assisté, 5 000 selon Rodríguez lui-même15— beaucoup plus que pour les conférences que le philosophe avait données à cette époque à Madrid et à Barcelone ! De même, la cellule « Antonio Gramsci » du Parti communiste d’Espagne, dans laquelle Rodríguez militait, a créé en 1975 la revue Ka-Meh, dont le but était de stimuler le débat sur la situation politique du moment et sur le rôle de l’art et de la littérature dans la construction d’une nouvelle société, en particulier pour effectuer une « relecture de la tradition, une réinterprétation de l’histoire et une réécriture de la poésie fondée sur des paramètres idéologiques différents de ceux utilisés sous le régime franquiste16 ». En tant que directeur de la collection « Manifiesto » de la maison d’édition Akal, Rodríguez a demandé à Juan Manuel Azpitarte (l’un de ses collaborateurs) d’éditer un volume intitulé Para una crítica del fetichismo literario (1975), qui contient l’un des premiers textes de Pierre Macherey traduits en espagnol (avec d’autres d’Althusser, Poulantzas, Balibar, Sollers et Guyotat). Ce texte constituait la quintessence de ce que l’on pouvait trouver en espagnol à l’époque dans le domaine des études littéraires sur Althusser.

L'influence de Rodríguez était également manifeste dans le champ littéraire, notamment dans le mouvement poétique nommé « Lʼautre sentimentalité » (Luis García Montero, Javier Egea, Álvaro Salvador, Ángeles Mora, etc.). L’enseignant entra en contact avec ces poètes lorsquʼil fut chargé d’écrire une introduction critique — une histoire de la poésie grenadine dʼaprès-guerre — pour l’anthologie des nouveaux poètes de Grenade qui devait être publiée dans une collection intitulée « Nueva Poesía », un projet qui n’a finalement pas vu le jour17. La notion dʼ« autre sentimentalité » est née au début des années 1980 selon la proposition de Rodríguez d’« offrir une réponse poétique à la nouvelle Espagne, à l’Espagne démocratique qui commençait son voyage, libérée des entraves antérieures qui limitaient la pratique poétique » et s’appuyait sur des approches théoriques inspirées du marxisme : l’historicité et l’artificialité des textes littéraires, y compris des poèmes, la feinte comme effet de distanciation, le mensonge des transcendantalismes, y compris celui de la poésie, etc. De même, ce groupe se réclamait de la tradition d’auteurs tels qu’Antonio Machado, Bertolt Brecht, Rafael Alberti et Jaime Gil de Biedma18.

En fin de compte, tout cela montre, comme Moreno Pestaña l’a fait remarquer à juste titre, que Grenade n’était pas du tout un exemple d’« hérodianisme » (un concept ironiquement utilisé par Claude Grignon et Jean-Claude Passeron) et qui fait référence à la dépendance complaisante des intermédiaires culturels provinciaux par rapport aux métropoles intellectuelles19. Malgré cela, l’œuvre de Rodríguez a subi les conséquences de certaines stratégies d’exclusion (ou de relégation aux marges), ce que Hernández García appelle « la dialectique présence/absence de JCR dans l’historiographie critique-littéraire20». Ces obstacles à la circulation, qui seront abordées ci-dessous en ce qui concerne le plan international, ont entravé le processus d’accumulation de capital symbolique international de l'auteur.

La rencontre avec Althusser et le silence de la critique

La parution, en 1974, de Teoría e historia de la producción ideológica (Las primeras literaturas burguesas, 1) — son titre complet21 — a impliqué la première (et pratiquement la seule) tentative espagnole d’appliquer le programme althussérien aux études littéraires, en suivant la maxime exposée par Althusser dans Pour Marx selon laquelle chaque région de la connaissance requiert des principes de travail similaires à ceux que l’on trouve à l’œuvre dans Le Capital pour la science de l’histoire22. L’ouvrage, où Rodríguez établit les fondements théoriques de son projet, a été publié dans la collection « Manifiesto » de la maison d’édition Akal, coordonnée par Rodríguez lui-même, et a reçu un accueil modéré, caractérisé surtout par le silence de la critique et du champ académique ; une fois épuisé, il n’a pas été réimprimé pendant plus de dix ans. Quant aux raisons qui ont abouti à l’exclusion de l’œuvre de Rodríguez, on pourrait avancer que tant la délégitimation du marxisme qui eut lieu à partir des années 1980, en particulier de l’althussérianisme après le meurtre d’Hélène Rytmann, que la difficulté que rencontrent les textes écrits en espagnol pour être traduits dans d’autres langues, ont été des facteurs déterminants. D’autre part, sa critique de longue date du philosophe français — par exemple celle qu’il a exposée dans le livre Althusser: Blow-Up, publié en 2002 — a peut-être aussi contribué à sa marginalisation, puisqu’il a continué à être intellectuellement associé d’une manière ou d’une autre à la figure d’Althusser, ce qui, à une époque où, selon Balibar, un fort silence collectif était imposé à l’althussérianisme23, est devenu un indicateur de faible prestige dans le contexte de l’accumulation nationale et internationale de capital symbolique. Parmi ces raisons, il serait également nécessaire de considérer la consécration de Jameson et la domination du marché international des biens symboliques par les États-Unis. L’auteur lui-même est conscient de cette sorte de « silence critique » et, dans la préface de la deuxième édition de 1989, où il affirme que le livre n’a pas perdu de sa pertinence, il souligne que le silence sur l’ouvrage indique finalement quelque chose de positif : l’impossibilité de dire quoi que ce soit de sérieux contre lui24.

Le livre est cependant arrivé entre les mains d’Althusser par l’intermédiaire des collaborateurs de Rodríguez, qui lui en ont envoyé un exemplaire. Selon le chercheur espagnol, le philosophe a été impressionné et est allé jusqu’à dire qu’il était « le meilleur livre de théorie littéraire jamais publié25». On sait aussi qu’Althusser avait l’intention de le faire traduire en français, projet qui n’a jamais abouti. Il entame alors une relation de collaboration avec Althusser qui durera plusieurs années, jusqu’en 1979. Selon Rodríguez, lorsquʼil est arrivé à Paris, le groupe althussérien de lʼENS (Balibar, Badiou, Rancière, Macherey…) était pratiquement dissous et Althusser cherchait de nouvelles personnes — comme Dominique Lecourt et Rodríguez lui-même — car il aimait travailler en équipe26. Il sʼagit du cas évident dʼun agent talentueux du champ académique national qui quitte sa position périphérique pour se rendre dans une métropole scientifique afin de parfaire sa formation et de travailler avec des personnalités de renom, un des types répertoriés de flux transnationaux27. Juan Carlos Rodríguez est en fait un exemple du fonctionnement de lʼ« effet de miroir sans tain » caractéristique des petits pays, proposé par Johan Goudsblom : il observe, commente, lit, sans être vu ou lu notamment en dehors de ses frontières28. Dans le champ national espagnol, bien que l’appartenance à une université périphérique ait sans doute joué un rôle important par rapport à une moindre accumulation de capital symbolique, Rodríguez disposait d’un vaste réseau de collaborateurs, parmi eux un certain nombre de membres du champ littéraire. Il serait nécessaire d’étudier en profondeur quel type de réception nationale a connu le travail de Rodríguez, c’est-à-dire quels obstacles et quels soutiens il a trouvé parmi ses pairs.

L’œuvre de Rodríguez s’est internationalisée tardivement, surtout grâce à deux intermédiaires. Depuis 2002, avec la traduction en anglais de son livre de 1974 par Malcolm K. Read, chercheur à la Stony Brook University. Ce cas est un exemple paradigmatique de la hiérarchie constitutive du système international de traduction, dans lequel « les traductions circulent davantage du centre vers la périphérie que l’inverse29 ». Read a également écrit un certain nombre d’articles en anglais pour diffuser son travail et a traduit deux autres ouvrages en 2008 : Althusser: Blow-Up (Lineaments of a Different Thought) et State, Stage, Language: The Production of the Subject30. En Italie, Rodríguez a également été introduit en 2001 par Muzzioli (université de Rome « La Sapienza ») — dʼailleurs disciple dʼInazio Ambrosio —, qui a consacré un chapitre à l’ensemble de son travail dans son livre Lʼalternativa letteraria. Rodríguez a également étudié l’ouvrage de Muzzioli31. Il est notable qu’il s’agisse donc d’échanges qui ont lieu entre des chercheurs de pays semi-périphériques (Italie, Espagne) par rapport aux centres représentés par les États-Unis et la Grande-Bretagne, une position que la globalisation a favorisée. Le professeur espagnol est présenté par Muzzoli comme un « intellectuel engagé » qui a gagné en importance non seulement au niveau national depuis les années 1990. Il souligne en particulier deux éléments : l’échange continu entre le point de vue théorique et l’analyse critique des mécanismes textuels et l’utilisation d’une acception de l’idéologie qui évite toute orientation postmoderne ou néo-herméneutique visant à nier son existence et, en tout cas, à faire sortir la poésie et la littérature de la sphère idéologique, et, en outre, évite de réduire l’idéologie à une application sociologique générique ou restrictive, en essayant de la saisir dans la matérialité spécifiquement historique des textes32. Ainsi, Moreno Pestaña préfère parler d’une « double réception » : énorme admiration de son entourage proche, d’une part et scepticisme de certains secteurs du champ académique, probablement plus étroitement liés au pôle dominant, d’autre part33.

Juan Carlos Rodriguez

Juan Carlos Rodríguez

L’inconscient idéologique de la littérature : le pouvoir de dire « je suis »

Examinons maintenant la portée de Teoría e historia de la producción ideológica et sa contribution à la critique littéraire marxiste. Le titre choisi par Rodríguez entre déjà en polémique avec l’œuvre principale de Macherey (que Rodríguez connaissait sans doute bien dans sa version originale), Pour une théorie de la production littéraire : bien que le livre de Rodríguez porte sur les premières littératures bourgeoises en Espagne et en Europe, l’auteur met l’accent sur la condition historique du discours littéraire (non seulement dans le sens foucaldien selon lequel chaque époque génère des lectures et des discours différents, mais dans le sens des conditions idéologiques de possibilité d’émergence de la littérature en tant que telle). Selon Rodríguez, Macherey utilise le terme « production » pour s’opposer à la croyance romantique dans le génie34. Lui, en revanche, a utilisé ce terme pour s’opposer à lʼa priori kantien, cʼest-à-dire pour sʼopposer à lʼidée quʼil existerait une subjectivité préalable (le « je poétique »), pleine de facultés en soi, qui serait capable de construire le texte à partir de ces facultés. Cela signifie que lʼauteur espagnol veut se concentrer sur « le processus idéologique global », cʼest-à-dire sur les autres discours parallèles — les discours non littéraires — issus de la même strate idéologique (le bourgeois, dans ce cas). Cʼest pourquoi il sʼintéresse particulièrement à la situation idéologique des moments historiques de transition — du féodalisme au capitalisme, en l’occurrence, caractérisé par une autonomisation du niveau politique (qui lui faisait défaut dans le féodalisme). Cette autonomisation du niveau politique implique, entre autres, que la distinction entre la sphère publique et la sphère privée devient claire. Cela génère toute une série d’expériences discursives inédites, comme les récits biographiques et autobiographiques, qui n’existaient pas à proprement parler sous le féodalisme et qui témoignent d’une nouvelle attitude à l’égard de l’individualité.

Un aspect fondamental de la proposition théorique de Rodríguez a trait à la considération que la division nette entre les discours littéraires et les discours théoriques (non littéraires) est typique des formations sociales capitalistes ; les formations sociales pré-capitalistes ne lʼétablissent pas : comment distinguer les aspects littéraires, liturgiques et « scientifiques » de textes tels que la Bible, le Coran ou les textes védiques, par exemple (en les analysant à partir de leur situation historique originale de fonctionnement) ? L’autonomie de la littérature en tant que telle s’avère être un phénomène bourgeois. La différence qui se produit dans les formations capitalistes entre les discours littéraires et théoriques réside dans la spécificité des premiers ; non pas du fait de l’approche purement internaliste proposée par le formalisme ou la stylistique, mais parce que la littérature permet dʼexprimer lʼexistence dʼun individu libre et autonome capable à son tour d’exprimer artistiquement son intimité, ce qui fonctionne comme la légitimation idéologique de base des relations capitalistes (dans lesquelles les individus vendent « librement » leur force de travail aux propriétaires des moyens de production35). Cela n’implique pas que la littérature en tant que telle soit bourgeoise en soi, mais plutôt que l’horizon idéologique du capitalisme primitif a fourni les conditions de possibilité nécessaires à l’invention de la littérature ou à l’émergence de la littérature comme expression de la nouvelle subjectivité libre36. En particulier, l’inconscient idéologique thématise, capture et convertit en modèle d’individuation, en recourant à des objets culturels, l’égalité apparente entre les individus qui est produite sur le marché capitaliste au moment qui précède le début du processus de production. Les idées de liberté et d’égalité avec lesquelles les sujets se reconnaissent émanent d’une représentation idéalisée de la circulation des marchandises commune à l’économie politique. La réciprocité des sujets entre eux se déduit des conditions dans lesquelles, sur le marché, chaque individu se présente à l’autre comme porteur de l’universel, c’est-à-dire du pouvoir d’achat en tant que tel. Le sujet se croit ainsi, pour reprendre les termes de Balibar, un « Homme “sans qualités particulières”, quels que soient son statut social (roi ou paysan) et l’importance de ses fonds propres (banquier ou simple salarié)37». Le sujet, tel qu’il est présenté par la philosophie moderne, incarne un universel : les propriétés de liberté et d’égalité sont universellement partagées ; d’un point de vue théorique, cet individu n’a pas d’histoire, pas de classe, pas de sexe et pas de race. Une analyse matérialiste, qui comprend la spécificité du capitalisme, réfute cette position théorique.

Pour en revenir à la critique que fait Rodríguez de l’analyse de Macherey, alors que ce dernier considère que lʼhistoricité du texte est en partie signalée par la sphère de la reproduction — « les conditions qui déterminent la production du livre déterminent aussi les conditions de sa consommation38», laquelle peut transcender sa propre époque —, Rodríguez considère que l’historicité du texte constitue sa logique productive, c’est-à-dire « ce sans quoi le texte ne peut exister (ne peut fonctionner ni en lui-même” ni hors de lui-même”)39 ». Il s’agit d’un argument qui vise à combattre les conceptions « éternisantes » de la littérature, proprement bourgeoises. Une des conséquences immédiates est que Rodríguez donne à la catégorie d’auteur (ou de critique, qui juge en première instance, ou de lecteur, qui juge en dernière instance) une position centrale : les discours littéraires ne peuvent exister que depuis lʼémergence de lʼindividu libre et autonome auto-conçu (car ce que Rodríguez appelle la « matrice idéologique bourgeoise40» exige que l’articulation entre les différentes classes (dominantes et dominées) soit toujours conçue à partir de l’image que tous les individus sont des individus libres, égaux entre eux et détenteurs de leur propre vérité intérieure — ce sont des présupposés idéologiques opposés à ceux du serf féodal). Quoi qu’il en soit, les discours ne peuvent échapper à la domination d’un « inconscient idéologique » donné. Dans le cas des littératures européennes du XVIe siècle, que Rodríguez analyse, la manière dont les individus démontrent leur statut libre est l’expression de l’intimité à travers le discours poétique (qui commence à forger la distinction entre le public et le privé caractéristique de la société bourgeoise).

Si le propre de la littérature est d’être l’œuvre d’un auteur (un objet produit par un sujet), et si le sujet en tant que tel n’a pas toujours existé, mais est la catégorie privilégiée dans laquelle s’exprime et s’objective le fonctionnement de base de la matrice idéologique bourgeoise, alors l’existence de la littérature est également délimitée historiquement. C’est la thèse fondamentale de la théorie littéraire de Rodríguez, qui est déjà indiquée dans Macherey mais insuffisamment développée. Lorsque Macherey se demande, à la suite du Marx des Grundrisse, comment il est possible que des phénomènes littéraires anciens continuent à nous interpeller dans le présent, il reste en fait dans le cadre idéologique bourgeois, puisqu’il conçoit implicitement que la littérature est universelle et a toujours existé. Bien qu’il reconnaisse que des textes comme l’Iliade, par exemple, ont été transformés en textes « littéraires » rétrospectivement41, Macherey n’établit en effet aucune différence entre l’Odyssée et les œuvres de Verne qu’il analyse, c’est-à-dire que pour lui, dans les deux cas, le rapport sujet/œuvre, la structure sous-jacente, reste inchangé ; dans tous les cas, il s’agit d’une question de « faits de langue » ou de pratiques linguistiques (la seule spécificité de la littérature proprement dite, celle de la période bourgeoise, serait le fait que ces pratiques sont inscrites dans le processus de scolarisation). De même, lorsque Macherey critique les postulats supposés de la pratique critique dominante, il suppose que la critique a toujours été là et qu’elle n’est pas une catégorie historique qui a besoin pour fonctionner d’individus libres et autonomes capables de réaliser l’exercice de la lecture et du jugement. Cela se produit parce que la matrice idéologique bourgeoise universalise la notion de l’individu, c’est-à-dire qu’elle la transfère à toutes les époques et tente de la faire passer pour une réalité tant au niveau politique que spirituel.

Deuxièmement, Rodríguez se démarque de Macherey et de Balibar quant à l’importance qu’ils accordent au langage littéraire et à l’appareil scolaire. Pour les chercheurs français, à qui Rodríguez reconnaît le mérite d’avoir mis en évidence la complexité de la fonction du fait littéraire dans les sociétés modernes, l’école joue un rôle discriminatoire fondamental : l’enseignement de la langue commune (limité aux écoles primaires publiques) et l’enseignement de la langue littéraire (réservé aux études universitaires) reproduisent et légitiment les différences de classe (en dernière instance, les différences entre le travail manuel et travail intellectuel). La fonction ultime des discours littéraires serait donc la production de nouveaux discours qui, à leur tour, reproduiraient les conditions de la domination « inscrites dans les discours littéraires originaux et dans leur condition linguistique de classe, etc.42 ». Cependant, Rodríguez objecte un point : le littéraire ne peut être expliqué uniquement et exclusivement à partir de la dynamique de la scolarisation, car bien que l’école soit un appareil d’État, ce n’est pas elle qui crée l’idéologie : elle ne fait que la matérialiser et la reproduire. Pour le théoricien espagnol, l’idéologie, c’est-à-dire l’inconscient idéologique, se crée au cœur même des relations sociales (c’est pourquoi la position de ses homologues français lui apparaît comme un « sociologisme institutionnaliste »). Ainsi, la fonction de l’idéologie présente dans les œuvres littéraires, est, selon Rodríguez « de graisser, de faire fonctionner les relations sociales dont elle est issue, en en faisant la seule vie possible43 ».

L’intellectuel espagnol accepte les deux présupposés de base de la définition althussérienne de l’idéologie : d’une part, que l’idéologie est une représentation du rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d’existence ; d’autre part, que dans les appareils idéologiques d’État, l’idéologie devient une question d’interpellation (c’est-à-dire de reconnaissance de soi quand on est interpellé par un autre). En bref : l’idéologie est incohérente et pleine de contradictions. Or l’exemple qu’Althusser choisit pour illustrer le mécanisme de l’interpellation — Yahvé s’adressant à Moïse à travers le buisson ardent — est, selon Rodríguez, mal choisi, car il est profondément anhistorique. Bien qu’Althusser sache que l’individualité est toujours assujettie par l’inconscient, tout fonctionne chez lui comme s’il existait une individualité antérieure à l’assujettissement. Néanmoins, Yahvé ne fait pas du tout de Moïse un « sujet », mais le « serf » de Dieu, c’est-à-dire le délégué de sa voix auprès du peuple44. D’un autre côté, pour les penseurs français, l’idéologie a toujours conservé le statut de vision non scientifique — rappelons le statut ambigu que lui donne Macherey dans Pour une théorie de la production littéraire ; pour Rodríguez, en revanche, l’idéologie produit des « vérités » selon la logique spécifique de chaque mode de production : dans le mode de production capitaliste, l’individu, l’agent des contrats de vente ou d’achat de la force de travail, existe en tant que tel, et exprime dans la littérature sa « belle âme » (chez Pétrarque, par exemple) — notion qui contraste avec le « sang » féodalisant. Rodríguez appelle, en suivant partiellement Bachelard, « animismo » ou « mecanicismo », cette réalité idéologique du premier capitalisme.

De tout cela, il ressort que Rodríguez manie une conception « élargie » du mode de production. C’est-à-dire, à la relation entre les forces productives et les rapports de production — ce qu’Althusser considérait strictement comme un mode de production —, il faut ajouter une superstructure spécifique à chaque mode de production, en comprenant que les modes de production « purs » ne se trouvent pas dans la réalité, mais que la formation sociale est constituée d'alliages de plusieurs d’entre eux (certains dominants, d'autres dominés mais faisant toujours sentir leur présence à l’un des niveaux45).

Un exemple de flux inégal

Après cette synthèse (nécessairement incomplète) de la théorie de Rodríguez sur l’émergence du sujet moderne à travers les dispositifs d’énonciation littéraire des XVIe et XVIIe siècles — n’a été abordée ici que la première de ses œuvres, mais il faut noter que c’est un auteur prolifique —, il est évident que les raisons qui ont fait obstacle à sa diffusion n’appartiennent pas à la sphère de l’œuvre, qui se révèle originale et solide. Selon Boltanski, le champ des échanges transnationaux est organisé selon une hiérarchie sociale46. On peut considérer que l’Espagne occupe une position semi-périphérique dans cette hiérarchie ; et qu’à son tour, l’auteur en question a occupé une position périphérique dans le champ national. Selon Sapiro, les flux asymétriques, qui sont le signe d’échanges inégaux, peuvent être interprétés à la lumière de plusieurs facteurs, notamment les rapports de force entre les langues et les cultures, les réseaux éditoriaux et académiques et le capital symbolique associé aux auteurs47. L’anglais est indubitablement la langue hyper-centrale, surtout à partir des années 1980-1990, tandis que l’espagnol occupe une position semi-périphérique selon Heilbron, avec entre 1 et 3 % du marché de la traduction48. On pourrait parler de position semi-centrale49. Toujours est-il que les agents culturels en langue espagnole importent plus qu’ils n’exportent. Face à l’hypothèse selon laquelle la raison principale pour laquelle les contributions des auteurs espagnols n’atteignent pas la même pertinence internationale que celles d’autres auteurs est liée à leur faible qualité, il convient néanmoins de s’interroger sur les conditions historiques et politiques qui ont placé l’Espagne dans une position assez éloignée du centre, ce qui a empêché ses auteurs d’accumuler un capital symbolique comparable à celui des auteurs d’autres langues (ainsi que de proposer un programme de travail visant à renverser cette dynamique). Cela devient évident lorsque nous analysons les cas d’autres critiques matérialistes de la culture, tels que Jameson ou Terry Eagleton, lesquels ont des contrats d’édition et de traduction permanents qui stimulent à leur tour leur productivité. Suivant lhypothèse dAntoine Aubert pour le cas français, à partir des années 1980, lactivité intellectuelle se professionnalise et « le champ intellectuel se ferme aux moins dotés en capitaux spécifiques et aussi, bien souvent, à ceux qui restent “marxistes”50» (cas de Rodríguez, qui construit une pratique de recherche à partir des termes tels que « exploitation » à une époque où la discipline même de la théorie littéraire était en train d’être institutionnalisée dans les universités et où la sémiotique et la déconstruction consolidaient sa popularité51). Il ne faut pas oublier que la démarche de Rodríguez était risquée : à partir d’un pays relégué culturellement, comme l’Espagne franquiste dans laquelle il a fait ses études, il a réussi à s’approprier la tradition marxiste (dans son aspect althussérien) pour travailler sur un espace culturel spécifiquement espagnol, celui de la littérature du Siècle d’Or. Pour reprendre la célèbre analyse de Hobsbawm, si la caractéristique du « court XXe siècle » était la présence constante de l’idéologie dans la vie publique et l’existence du communisme comme utopie réalisable52, la crise de légitimité qui s’est ouverte après 1989 a pu pénaliser les intellectuels qui n’étaient pas d’accord avec le nouvel ordre mondial capitaliste, apparemment caractérisé par l’absence d’antinomies. Quoi qu’il en soit, heureusement l’œuvre de Juan Carlos Rodríguez attend toujours ses lecteurs.

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1

Karl Deutsch, « The Propensity to International Transactions », Political Studies, vol. 8, n° 2, 1960, p. 147-155. Johan Heilbron, « Échanges culturels transnationaux et mondialisation : quelques réflexions », Regards sociologiques, vol. 22, 2001, p. 141-154.

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2

Cette affirmation pourrait être discutée, ou du moins clarifiée pour le cas spécifique des grandes communautés linguistiques composées de plusieurs champs nationaux, comme c’est le cas de la langue espagnole.

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3

Jordi Cornellà-Detrell, « Importación, venta y consumo de libros ilegales durante el franquismo », in Fernando Larraz, Mireia Sopena et Josep Mengual (dir.), Pliegos alzados. La historia de la edición, a debate, Gijón, Ediciones Trea, 2021, p. 237-252.

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4

Francisco Rojas Claros, « Edición y censura de libros de Marx y Engels durante el franquismo (1966-1976) », Nuestra Historia, vol. 3, 2017, p. 103-126.

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5

Francisco Vázquez García, La filosofía española: herederos y pretendientes. Una lectura sociológica (1963-1990), Madrid, Abada, 2009.

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6

Pour un regard approfondi sur les stratégies du pôle dominant du champ académique afin de contrôler l’accès à certains paradigmes scientifico-littéraires, par exemple l’utilisation spécifique du structuralisme linguistique qu’a fait la stylistique traditionaliste de Dámaso Alonso, voir Max Hidalgo Nácher, Teoría en tránsito. Arqueología de la crítica y la teoría literaria españolas de 1966 a la posdictadura, Santa Fe, Ediciones Universidad Nacional del Litoral, 2021. Pour en savoir plus sur la « scolastique d’importation », c’est-à-dire sur la manière dont une internationalisation du champ s’est produite pour affaiblir une certaine pratique de la philosophie initiée pendant la période républicaine, voir José Luis Moreno Pestaña, La norma de la filosofía. La configuración del patrón filosófico español tras la Guerra Civil, Madrid, Biblioteca Nueva, 2013.

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7

Perry Anderson, Considerations on Western Marxism, Londres/New York, Verso, 1987, p. 52.

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8

Après de nombreuses années sans circulation, une nouvelle édition paraît à la fin de 2021, avec une étude introductive détaillée de José Luis Moreno Pestaña dans laquelle il explique que, dans cet ouvrage, Althusser porte à son comble et stabilise une importante réflexion sur le rôle de la philosophie au sein du marxisme.

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9

Les « disciples » ou anciens élèves de Rodríguez mettent un accent particulier sur le « succès » qu’il a eu comme professeur : on raconte que ses cours étaient toujours pleins et que les élèves tapaient et partageaient ses leçons. Carlos Enríquez del Árbol, Escritos filibusteros, Málaga, Libros del Laberinto, 2006. Miguel Ángel García, Ángela Olalla et Andrés Soria Olmedo (dir.), La literatura no ha existido siempre. Para Juan Carlos Rodríguez, Grenade, Universidad de Granada, 2015.

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10

Escuela Lacaniana de Psicoanálisis de Andalucía, http://www.elp-andalucia.org/granada-2/, consulté le 1er juillet 2021. Cette traduction et toutes les traductions en espagnol de ce texte sont de mon fait.

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11

Juan Carlos Rodríguez, Para una teoría de la literatura (40 años de historia), Madrid, Marcial Pons, 2015, p. 27.

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12

Juan Carlos Rodríguez, Pensar la literatura. Entrevistas y bibliografía (1961-2016), Grenade, Asociación ICILe los libros imposibles, 2016, p. 165-166.

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13

« El capital de la subjetividad burguesa, de sus diferentes fases históricas, y de cómo en ella cobró vida un producto muy particular: la literatura ». José Luis Moreno Pestaña, « Umbral y crepúsculo del sujeto burgués: Juan Carlos Rodríguez y el inconsciente ideológico del capitalismo », in Juan Carlos Rodríguez, Freud : del inconsciente ideológico al inconsciente libidinal, Madrid, Akal, 2022, p. VI.

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14

« Los nombres, no solo de Marx y Engels, sino también de Sánchez Vázquez, Lukács, Della Volpe, Lunacharski, Macherey o Eagleton convivían (…) sin ningún problema con los de Jakobson, Sklovsjky o Bajtín ». Jenaro Talens, « El regreso del fantasma (Cuando todo lo sólido se disuelve en la red) », in Antonio Sánchez Trigueros, El concepto de sujeto literario y otros ensayos críticos, Madrid, Biblioteca Nueva, 2013, p. 13-14.

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15

Juan Carlos Rodríguez, Pensar la literatura. Entrevistas y bibliografía (1961-2016), Grenade, Asociación ICILe los libros imposibles, 2016, p. 198.

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16

« Relectura de la tradición, de reinterpretación de la historia y de reescritura de la poesía a partir de unos parámetros ideológicos distintos a los utilizados durante el Franquismo ». « Dossier Ka-Meh », https://trn-lab.info/portfolio/dossier-ka-meh/, consulté le 29 juin 2021. Pour plus d’informations sur la relation entre la revue et le climat intellectuel à Grenade et la conférence du philosophe, voir José Luis Moreno Pestaña, « El afuera de la filosofía. Presentación a la nueva edición de La transformación de la filosofía », in Louis Althusser, La Transformación de la filosofía, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2021, p. 7-67.

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17

Juan Antonio Hernández García, « JCR Ser marxista en literatura », Pensar desde abajo, vol. 6, 2017, p. 71-73.

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18

Álvaro Salvador, « De la otra sentimentalidad a la nueva banalidad », Pensar desde abajo, vol. 6, 2017, p. 241-250.

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19

José Luis Moreno Pestaña, « El afuera de la filosofía. Presentación a la nueva edición de La transformación de la filosofía », in Louis Althusser, La transformación de la filosofía, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2021, p. 13.

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20

« La dialéctica presencia/ausencia de JCR en la historiografía crítico-literaria ». Juan Antonio Hernández García, « JCR Ser marxista en literatura », Pensar desde abajo, vol. 6, 2017, p. 59-80. Dans son article, Hernández García cite José-Carlos Mainer, Miguel García-Posada, Vicente Luis Mora et Miguel Martínez Aguilar comme exemples de membres reconnus du champ académique qui ont sous-estimé le travail de Rodríguez. Les proches de Rodríguez, comme le groupe de Julio Rodríguez Puértolas de l’université Autonome de Madrid, ne bénéficiaient pas d’une position dominante dans le champ académique.

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21

Le titre, marqué comme le premier volume, annonçait une série qui n’a pas été poursuivie. Un deuxième volume, intitulé La literatura en las sociedades sacralizadas, devait être publié la même année par Akal, mais le contenu a finalement été publié progressivement dans d’autres ouvrages ultérieurs de l’auteur. La deuxième édition de Teoría e historia de la producción ideológica, de 1989, a supprimé le numéro 1 du sous-titre.

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22

José Luis Moreno Pestaña, « El afuera de la filosofía. Presentación a la nueva edición de La transformación de la filosofía », in Louis Althusser, La transformación de la filosofía, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2021, p. 44.

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23

Étienne Balibar, « Tais-toi encore, Althusser ! », in Écrits pour Althusser, Paris, La Découverte, 1991, p. 59-89.

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24

Juan Carlos Rodríguez, Teoría e historia de la producción ideológica, Madrid, Akal, 2017 [1989], p. 25.

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25

« Uno de los libros que rondaba por el suelo era el mío, mi primer libro, que se lo habían mandado unos alumnos míos. Cuando le advertí sobre él y le pregunté, si lo había leído, qué le había parecido, me respondió que, según su criterio, era el mejor libro sobre Teoría Literaria que se había publicado nunca ». Juan Carlos Rodríguez, Pensar la literatura. Entrevistas y bibliografía (1961-2016), Grenade, Asociación ICILe los libros imposibles, 2016, p. 38.

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26

Juan Carlos Rodríguez, Pensar la literatura. Entrevistas y bibliografía (1961-2016), Grenade, Asociación ICILe los libros imposibles, 2016, p. 123.

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27

Johan Heilbron, Laurent Jeanpierre et Nicolas Guilhot, « Vers une histoire transnationale des sciences sociales », Presses de Sciences Po, vol. 73, 2009, p. 121-145.

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28

Johan Heilbron, « Échanges culturels transnationaux et mondialisation : quelques réflexions », Regards Sociologiques, vol. 22, 2001, p. 152.

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29

« Translations flow more from the core to the periphery than the other way around ». Johan Heilbron, « Towards a Sociology of Translation. Book Translations as a Cultural World-System », European Journal of Social Theory, vol. 2, n° 4, 1999, p. 435.

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30

À la même époque, un universitaire espagnol basé aux États-Unis a également publié un ouvrage monographique sur Juan Carlos Rodríguez : Juan Manuel Caamaño, The Literary Theory of Juan Carlos Rodríguez: Contemporary Spanish Cultural Critic, Lewiston, Edwin Mellen Pr., 2008.

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31

Juan Carlos Rodríguez, Para una teoría de la literatura (40 años de historia), Madrid, Marcial Pons, 2015.

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32

Francesco Muzzioli, « Juan Carlos Rodríguez y la poesía del no », Artifara, vol. 1, 2002.

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33

José Luis Moreno Pestaña, « Umbral y crepúsculo del sujeto burgués: Juan Carlos Rodríguez y el inconsciente ideológico del capitalismo », in Juan Carlos Rodríguez, Freud: del inconsciente ideológico al inconsciente libidinal, Madrid, Akal, 2022.

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34

Juan Carlos Rodríguez, De qué hablamos cuando hablamos de marxismo, Madrid, Akal, 2013, p. 193.

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35

Juan Carlos Rodríguez, Teoría e historia de la producción ideológica, Madrid, Akal, 2017 [1989], p. 23.

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36

Juan Carlos Rodríguez, De qué hablamos cuando hablamos de marxismo, Madrid, Akal, 2013, p. 70.

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37

Étienne Balibar, La Philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 1993, p. 83.

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38

Pierre Macherey, Pour une théorie de la production littéraire, Lyon, ENS, 2014 [1966].

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39

« Aquello sin lo cual el texto no puede existir (no puede funcionar ni “en sí” ni “fuera de sí”) ». Juan Carlos Rodríguez, Teoría e historia de la producción ideológica, Madrid, Akal, 2017 [1989], p. 6.

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40

Une matrice idéologique est « la reproduction, au niveau de l’idéologie, de la contradiction de classe fondamentale qui constitue chaque type de relations sociales ». La matrice est constituée dʼ« idées-axes » qui sont présentées comme des vérités naturalisées (par exemple, l’être humain est libre ou l’être humain est le serf d’un seigneur). Ces notions sont les éléments essentiels et inaltérables de la réalité dont l’énonciation efface immédiatement la matrice en tant que telle (en tant qu’idéologie). Juan Carlos Rodríguez, Teoría e historia de la producción ideológica, Madrid, Akal, 2017 [1989], p. 13.

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41

Pierre Macherey et Étienne Balibar, « Sur la littérature comme forme idéologique. Quelques hypothèses marxistes », Littérature, vol. 13, 1974, p. 33.

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42

« Inscritas en los originarios discursos literarios y en su condición lingüística de clase, etcétera ». Juan Carlos Rodríguez, Teoría e historia de la producción ideológica, Madrid, Akal, 2017 [1989], p. 20.

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43

« Es pues engrasar, hacer funcionar las relaciones sociales desde las que nace, convirtiéndolas en la única vida posible ». Juan Carlos Rodríguez, De qué hablamos cuando hablamos de marxismo, Madrid, Akal, 2013, p. 100.

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44

Juan Carlos Rodríguez, De qué hablamos cuando hablamos de marxismo, Madrid, Akal, 2013, p. 178.

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45

José Luis Moreno Pestaña, « El afuera de la filosofía. Presentación a la nueva edición de La transformación de la filosofía », in Louis Althusser, La transformación de la filosofía, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2021, p. 35-37.

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46

Luc Boltanski, « Note sur les échanges philosophiques internationaux », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 5-6, 1975, p. 191-199.

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47

Gisèle Sapiro, « Quels facteurs favorisent la traduction des livres de sciences humaines et sociales ? », Palimpsestes, vol. 33, 2019, p. 19-42.

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48

Johan Heilbron, « Towards a Sociology of Translation. Book Translations as a Cultural World-System », European Journal of Social Theory, vol. 2, n° 4, 1999, pp. 429-444.

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49

Abram De Swaan, Words of the World. The Global Language System, Oxford, Polity Press, 2001.

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50

Antoine Aubert, Devenir(s) révolutionnaire(s) : enquête sur les intellectuels « marxistes » en France (années 1968 - années 1990) : contribution à une histoire sociale des idées, Thèse doctorale, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Sous la direction de Frédérique Matonti, p. 732.

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51

Max Hidalgo Nácher, Teoría en tránsito. Arqueología de la crítica y la teoría literaria españolas de 1966 a la posdictadura, Santa Fe, Ediciones Universidad Nacional del Litoral, 2021.

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52

Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes, histoire du court XXe siècle, Paris, Complexe, 1999.