La loi de Mémoire Démocratique en Espagne : échos du passé pour un avenir incertain
Professeur d'histoire contemporaine

(Université de Saint-Jacques de Compostelle - Groupe HISTAGRA)

: El presidente del Gobierno de España, Pedro Sánchez, descubre una placa conmemorativa en la tumba de Antonio Machado en el cementerio de Colliure, 2019.

Le Président du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, découvre une plaque commémorative sur la tombe d’Antonio Machado au cimetière de Collioure, 2019.

Les politiques publiques de la mémoire en Espagne : beaucoup de lois et très peu d’accords

Le projet de loi de Mémoire Démocratique s’ajoute à une séquence des politiques publiques de la mémoire développées durant les dernières décennies en Espagne. Ces mesures ne sont pas insignifiantes, et n’arrivent pas si tard qu’il n’y paraît : la succession de lois approuvées ou en projet en témoigne1. Les concepts utilisés pour la codification du passé et pour les usages de la mémoire au présent font l’objet de controverse et sont bien loin de générer un semblant de consensus historique, juridique ou encore moins politique. Bien que ces débats soient fréquemment considérés comme exceptionnels en Espagne, ce cas national s’ajoute aux multiples débats au niveau européen et mondial, portant sur la nécessité ou non de codifier légalement les usages publics de l’histoire2. La diffusion du phénomène des « lois de mémoire » a été largement reconnue et mise en valeur au-delà du cadre national3. Bien que dans ces pages, on se centre sur l’analyse du contexte et sur les termes du débat de la loi de Mémoire Démocratique en Espagne, on ne peut pas oublier son insertion dans ces cadres beaucoup plus larges. On doit en même temps se situer dans la trajectoire des politiques et des lois qui lui ont précédé, puisque ce n’est pas la première « loi de mémoire » qui a été approuvée.

Prenons d’abord les précédents législatifs dans le cas espagnol. Le plus évident est la « Loi 52/2007 », connue sous le nom de Loi de Mémoire Historique, qui fut approuvée en 2007, sous l’impulsion du gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero4. Elle finalisait un cycle de présence importante dans le débat public et politique de ce qu’on appelle en Espagne la « mémoire historique », c’est-à-dire, le traitement de la guerre civile et du franquisme, concernant particulièrement les réparations apportées aux victimes. Elle se présentait comme la continuité de « l’esprit » de la transition et des actions en faveur de la « réconciliation et concorde » qui auraient marqué cette période. La loi de 2007 se trouvait dans le cadre des politiques d’« expansion des droits » qui ont guidé l’agenda de ce gouvernement lors de la première législature (2004-2008)5. Cette expansion se faisait au bénéfice des « victimes de la violence politique », envers ceux qui « souffrirent de persécution ou de violence pendant la guerre civile et la dictature », tout en établissant aussi un amalgame de mesures symboliques, économiques, administratives et normatives spécifiques qui contribuaient à réparer les souffrances subies. Elle se basait sur les déclarations à caractère générique à propos de l’injustice des « condamnations, sanctions ou violences personnelles sous quelque forme que ce soit » produites durant la guerre civile et la dictature, avec une mention spécifique pour l’exil, auxquelles s’ajoutait la déclaration d’illégitimité des procès pénaux ou administratifs réalisés sous ces périodes.

Aucune de ces déclarations n’impliquait des conséquences pratiques, de même pour les procédures d’obtention d’une « Déclaration personnelle visant la réhabilitation et la réparation », qui excluait explicitement des réparations ultérieures, dans les champs économique, professionnel ou autre. Les initiatives concrètes restaient réservées à l’élargissement ou amélioraient l’extension des lois précédentes6. Cependant, les mesures qui eurent le plus de répercussion publique furent celles qui établissaient une sorte de recommandation générale portant sur la suppression des symboles, des plaques, de noms et de références induisant une exaltation du franquisme dans l’espace public, ainsi qu’une limitation indéterminée des « manifestations politiques » au Valle de los Caídos [Vallée de ceux qui sont tombés], l’énorme mausolée dédié aux victimes de la guerre civile, construit par le franquisme et qui hébergeait alors le tombeau du dictateur Francisco Franco. La première de ces mesures ouvrit un nouveau cycle de retrait des monuments et des symboles du franquisme qui étaient encore présents dans les rues des villages et des villes d’Espagne. Ce processus était mené à bien depuis 1979, lors de l’élection des premiers gouvernements municipaux démocratiques. Quant au Valle de los Caídos, la loi conduisit à limiter les mouvements d’exaltation en mémoire du franquisme, réalisés par de petits groupes de nostalgiques7.

L’effet le plus notable de cette loi, pour des milliers de personnes, fut l’inclusion d’une reconnaissance automatique de la nationalité espagnole pour les descendants de ceux qui combattirent dans les brigades internationales, qui s’élargit aux petits-enfants des exilés et durant une période exceptionnelle de deux ou trois ans, aux enfants d’Espagnols ou d’Espagnoles. On peut retenir l’image de files d’attente provoquées par cette disposition dans les consulats espagnols du monde entier, particulièrement en Amérique latine, là où se trouvait une importante colonie d’émigrants espagnols. Ce fut cette mesure, la moins directement liée aux « politiques publiques de la mémoire », qui fut la plus effective. Sur d’autres aspects, les conséquences pratiques de la loi furent limitées : on peut noter la création d’un Centre documentaire de la Mémoire Historique à Salamanque. Toutefois, elles restèrent plutôt circonscrites à la période durant laquelle des fonds étaient dégagés, comme ceux du programme d’aide de l’État aux associations et aux particuliers qui procédaient à l’exhumation des fosses communes de victimes de la guerre civile et du franquisme. Ces dispositions s’amenuisèrent avec le changement de gouvernement de 2011 et la crise économique qu’il fallut gérer.

La « loi de mémoire » de 2007 fut l’objet de houleuses disputes avant, pendant et après son approbation définitive. Malgré les limites de ses mesures concrètes dans le champ spécifique des « politiques publiques de la mémoire », comme on vient de le voir ci-dessus, cette loi ne fut pas acceptée par divers secteurs politiques et médiatiques de la « droite », qui la considérait comme une réécriture de l’histoire de la part des vaincus de la guerre civile et surtout, comme une rupture de l’« esprit de la transition ». Mariano Rajoy, alors leader de l’opposition, et futur président de gouvernement, affirmait qu’elle allait provoquer « des perturbations, des problèmes et des divisions » et se demandait « quelle était la nécessité, pour les dirigeants politiques, de créer des problèmes aux gens là où il n’y avait pas lieu de le faire ? », pour affirmer finalement que « le gouvernement devait suivre l’exemple de la transition et ne pas tenter de rouvrir de vieilles plaies8 ». De son côté, le vétéran politique conservateur Manuel Fraga, l’un des « pères de la Constitution » de 1978, notait au sujet du débat sur la loi qu’il était favorable « à ce qu’on récupère la mémoire si l’on apprenait des faits passés comment ne pas les répéter, mais qu’en l’occurrence cela se présentait davantage comme une revanche, ce qui [lui] semble être un désastre9 ».

Ce genre de déclaration anticipe l’opposition à la loi de la part du principal parti de centre-droit espagnol, contrastant avec le soutien pratiquement unanime qu’avaient reçu les mesures précédentes que cette loi venait compléter et élargir. Dans le cas de la loi de 1979, une initiative du parti socialiste qui faisait alors partie de l’opposition, tous les groupes parlementaires de gauche et de droite avaient soutenu les mesures proposées. Une initiative symbolique avait également reçu le soutien unanime du Congrès : la condamnation de la « dictature franquiste » et l’engagement en faveur de l’exhumation dans les fosses communes et l’aide aux exilés, approuvée le 20 novembre 2002. Dans le cas de la loi de 2007, le Parti Populaire a voté contre et le groupe de la Gauche Républicaine de Catalogne s’y est également opposé, pour des raisons opposées. Pour ce parti historique de la gauche indépendantiste catalane, l’opposition à la loi se basait sur ce qu’elle considérait comme un manque d’ambition, en particulier le refus de déclarer la « nullité » complète des dossiers judiciaires du franquisme qui condamnaient « les victimes du fascisme à une seconde mort », comme l’a exprimé son porte-parole au cours du débat parlementaire10.

Cette loi ne fut pas la seule concernant les questions de « mémoire historique » à être approuvée durant cette période, car les organes législatifs des Communautés Autonomes, du fait de leurs compétences, développèrent des mesures propres et, de façon générale, assez ambitieuses en comparaison avec la loi étatique. Durant l’année 2007, le Parlement de Catalogne a créé le Mémorial Démocratique, une institution avec ses propres compétences pour « développer des politiques publiques du gouvernement en direction de l’action civique de récupération, de commémoration et de développement de la mémoire démocratique11 ». Cette initiative explorait la voie de création de « centres de mémoire », d’instituts ou d’entités publiques ayant pour fonction de prendre en charge la gestion des politiques publiques de la mémoire sur un territoire donné, auquel on voulait octroyer une « cohésion » à travers des « espaces de mémoire »12. Ainsi, deux aspects se trouvaient liés à la logique de création d’institution de la mémoire pouvant servir l’objectif de construire des identités nationales et politiques : les deux aspects, le catalanisme et l’anti-franquisme, étaient présents lors de la création de ce Mémorial Démocratique. En suivant la voie de ce qui avait eu lieu à Madrid, le Parlement fut divisé, puisque la droite non nationaliste s’opposa à la loi, et que le centre-droit nationaliste de Convergencia i Uniò [Convergence et Union] s’abstint13. Le simple usage de l’adjectif « démocratique » appliqué au concept de mémoire fut l’objet de sévères critiques, tout comme son institutionnalisation sous l’égide d’une « Direction Générale de la Mémoire Démocratique » ; c’est du moins l’opinion d’un homme politique catalaniste d’un certain âge, Josep Benet :

La Mémoire Historique Démocratique... Mais entre les multiples mémoires existantes à propos d’un fait, laquelle d’entre elle est démocratique ? Par exemple, laquelle l’est dans le cas des événements de Mai 1937, ou de la tragédie de Paracuellos del Jarama, ou des sinistres camps de travail du S.I.M. (Service d’Information Militaire) en Catalogne, ou du coup d’État du colonel Casado qui a facilité l’entrée des troupes franquistes à Madrid ? Et qui a le pouvoir de décider, parmi toutes les mémoires existantes, laquelle est « démocratique » ? Un fait accroit encore davantage le caractère orwellien de cette Direction Générale [de Mémoire Démocratique] : elle fut créée par et dépend du Ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire de l’Ordre Public14.

cture administrative du gouvernement correspond à une logique de construction nationale qui remonte à la création du Yad Vashem. En 1953, dans l’État d’Israël naissant, en plein processus de consolidation en tant qu’entité indépendante, ce mémorial des victimes de la Shoah a été fondé, érigé sur le Mont Herzl15. Il se trouvait lié au processus de commémoration des « héros et martyrs » de l’Holocauste, au caractère résistant d’Israël face aux menaces de ses voisins et au processus même de colonisation territoriale, qui avait lieu justement sur le territoire qu’on disputait aux Palestiniens. Depuis la création du Yad Vashem, différents organismes se sont constitués au sein des gouvernements ou des instances administratives pour la gestion du souvenir, mais jusqu’au Mémorial Démocratique rien n’avait été fait de semblable en Espagne.

Sala de los Nombres, Yad Vashem

Salle des Noms, Yad Vashem.

Au Pays Basque, l’institutionnalisation des politiques de mémoire devint aussi effective avec la création de l’Institut de la mémoire, du vivre ensemble et des droits humains, Gogora, institué par la loi de 2014. Dans ce cas, on demandait à l’institution d’élaborer des programmes de politiques publiques, autour de « la guerre civile, la dictature franquiste, le terrorisme de l’ETA et les contre-terrorismes illicites », considérées comme les « quatre expériences traumatiques » que la société basque avait traversées au XXe et au XXIe siècles16. À nouveau, la proposition fut adoptée mais malgré les votes contre de la droite non nationaliste et d’un autre côté, pour des motifs contraires, sans le soutien de la gauche nationaliste. Tandis que les premiers accusaient le projet de « mettre en équivalence » les victimes du terrorisme, de la sale guerre et du franquisme, dans le cas des seconds, on désignait comme une faille majeure justement le contraire : la consécration de victimes de premier rang et de second17. Le manque de consensus autour des objectifs de Gogora a mené à la fondation d’un centre de mémoire parallèle, le Centre Mémorial des Victimes du Terrorisme, créé par le gouvernement de l’État espagnol et qui démarra son activité en 201618.

D’autres antécédents directs de la « Loi de Mémoire Démocratique » peuvent se trouver dans des initiatives législatives à caractère intégral. C’est le cas de la loi de 2013 en Navarre, qui octroie un rôle central aussi bien à la question de l’exhumation des fosses, qu’à celle de la catégorisation et du traitement des « lieux de mémoire19 ». Dans les deux cas, l’objectif de la loi n’est plus l’élimination de l’espace public de la symbolique associée au franquisme, mais le traitement mémoriel des espaces où s’exerça la violence répressive. Les anciennes prisons ou les camps de concentration font aujourd’hui l’objet de protection spécifique et d’un traitement différencié concernant la question mémorielle. L’initiative prise en Navarre transposait tardivement à la sphère espagnole ce qui, en guise de politiques mémorielles, avait débuté en 1947 avec la création du musée d’Auschwitz20. On assumait alors la création d’un patrimoine de la terreur, en tant que pièce essentielle de la politique de la mémoire. On créa alors la catégorie de « Lieu de la Mémoire Historique de Navarre » comme un épitomé de cette mémoire historique21.

Dans ces lois pionnières, on peut déceler des instruments présents dans les lois postérieures qui ont été adoptées dans les différentes communautés autonomes (Baléares, 2016 ; Andalousie, 2017 ; Valence, 2017 ; Aragon, 2018 ; Canaries 2018 ; Extrémadure, 2019 ; Asturies, 2019 ; Cantabrie, 2021). Avec déjà plus de la moitié des 17 communautés autonomes espagnoles qui ont approuvé des « lois de mémoire », on peut affirmer que jamais les politiques publiques de la mémoire n’avaient été autant réglementées22. Cependant, il faut aussi souligner qu’elles n’avaient jamais été aussi loin du consensus politique. D’ailleurs, l’alternance électorale au niveau des autonomies a commencé à montrer les effets de cette absence de consensus. Bien qu’aucune de ces lois n’ait été abrogée, le manque d’engagement pour les mettre en œuvre est perceptible dans le cas de certaines lois plus ambitieuses, comme celle qui a été approuvée en Andalousie grâce à une majorité de gauche en 2017. Du fait d’un changement de gouvernement en 2019, l’exécution du budget de la loi est descendue à moins de 20% (en 2021, seulement 5% du budget pour l’exhumation des fosses a été dépensé)23. Au-delà même de l’opposition de la droite traditionnelle représentée par le Parti Populaire, l’apparition de l’extrême droite représentée au niveau parlementaire a fait monter le ton du refus des lois mémorielles, y compris avec une proposition d’abrogation24.

Avec ces antécédents, l’arrivée du projet de « Loi de Mémoire Démocratique » au niveau étatique est advenue dans un contexte similaire de division, d’opposition et de fermeture à ce que la loi postulait. Comme cela s’était déjà produit pour la loi de 2007, il existait aussi une opposition de la part de certains partis de gauche, à ce qu’ils considéraient comme une loi à portée trop limitée. Le projet de loi approuvé par le gouvernement en 2021 aspire à être une « loi intégrale » qui touche tous les aspects de ce que l’on considère comme la « mémoire démocratique »25. Parmi ses points les plus remarquables, on retrouve des mesures stipulées dans la loi de 2007, notamment celles qui concernent l’exhumation des fosses et leur cartographie. La loi stipule que dorénavant, l’exhumation des fosses sera une « politique étatique », ce que permet la création d’une Banque Nationale d’ADN des victimes (art. 23). En lien avec cette démarche, la figure d’un Procureur du Tribunal pour l’« enquête sur les faits ayant eu lieu durant la guerre et la dictature » est créé. Il aura aussi pour fonction d’impulser la recherche des victimes des faits faisant l’objet d’enquête (art. 28).

Sur le plan de la reconnaissance symbolique, un statut officiel de victime est établi, qui considère jusqu’à treize catégories connexes, parmi lesquelles une grande diversité de cas (art. 3.1) : tout d’abord les « morts et les disparus du fait de la guerre et de la dictature », puis les exilés, les enfants volés, ainsi que ceux qui ont enduré la « répression » ou la « persécution » pour des raisons que l’on peut qualifier de religieuses, raciales ou d’orientation sexuelle, entre autres. La volonté de ne laisser aucune victime dehors est telle, que la loi inclut même ceux qui « auraient souffert de dommages ou de représailles en intervenant pour prêter assistance aux victimes en danger ou pour éviter à quelqu’un d’être victime ». L’extension de la condition de victime englobe non seulement ceux qui auraient souffert directement, mais aussi leur famille jusqu’au quatrième degré (art. 3.3). On inclut aussi les victimes collectives en considérant le droit à la reconnaissance et à la réparation pour les « partis politiques, syndicats, minorités ethniques, associations féministes, institutions éducatives et groupes culturels ayant subi la répression de la dictature » (art. 3.5).

Deux journées symboliques dédiées aux victimes sont instituées, l’une d’elles est dédiée spécifiquement aux exilés. On crée également un « recensement national des victimes » (art. 9), qui consigne aussi ceux qui « sont morts au combat durant la guerre » (art. 9.2). La loi instaure l’obligation d’une articulation des politiques publiques de la mémoire au moyen d’un « plan de mémoire démocratique » (art. 12), qui doit fonctionner en parallèle avec un Conseil Territorial de la Mémoire Démocratique qui fait le lien entre l’État et les politiques des autonomies (art. 13). La loi crée aussi un autre organisme : le Conseil de la Mémoire Démocratique (art. 57), dédié au « mouvement mémorialiste », qui fonctionne comme un organisme consultatif ayant une capacité d’initiative concernant les politiques publiques de la mémoire.

La loi établit que la « connaissance de l’histoire et de la mémoire démocratique espagnoles, et la lutte pour les valeurs et les libertés démocratiques » (art. 44) doivent être une finalité pour le système éducatif espagnol. Pour ce faire, on prévoit d’adapter les contenus des programmes et de promouvoir des plans de formation des professeurs et de diffusion des contenus. Dans le même sens, on envisage le catalogage, la protection et l’inventaire des « lieux de mémoire démocratique » (art. 49). C’est à cet endroit de la loi qu’est inséré un article dédié au Valle de los Caídos [Vallée de ceux qui sont tombés]et qu’on envisage la disparition de la Fondation de la Sainte Croix du Valle de los Caídos, ainsi que le droit des familles de victimes enterrées dans la crypte à l’exhumation des restes de leurs êtres chers (art. 54).

Avec la même volonté d’élargir les mesures déjà présentes en 2007, les « symboles et des éléments contraires à la mémoire démocratique » devront être retirés (art. 35), mais la loi introduit en plus « un régime de sanctions » (titre IV), ce qui constitue une indéniable nouveauté par rapport aux lois de mémoire précédentes, aussi bien sur le plan étatique qu’au niveau des autonomies. Parmi les faits que la loi considère comme une très grave infraction, se trouve toute forme d’action « contraire à la réglementation sur la mémoire démocratique [...] lorsqu’elle implique un discrédit, un mépris ou une humiliation envers les victimes ou les membres de leur famille » (art. 61). La loi intègre une dimension punitive vis-à-vis de la mémoire, ce qui avait été éludé dans les réglementations antérieures, reliant cette loi aux lois anti-négationnistes comme celles qui existent déjà au sujet de l’Holocauste.

Au centre, les victimes

Il faut noter que contrairement à la loi de 2007, l’arrivée de cette loi de Mémoire Démocratique survient assez tardivement. Ce n’est pas une mesure pionnière en Espagne, ni une nouveauté sur le plan international. D’une part, les lois des autonomies énumérées précédemment abordent une grande partie des points essentiels introduits dans la loi étatique. La différence se retrouve également dans les dimensions concrètes de la loi : alors que celle de 2007 comportait vingt-deux articles, un ensemble de dispositions dérogatoires et moins de dix mille mots, la loi de Mémoire Démocratique regroupe soixante-cinq articles et vingt-cinq mille mots. Cela n’est pas une simple question quantitative. La loi de Mémoire Démocratique semble vouloir toucher « tous » les aspects qui ont été discutés depuis la promulgation de la loi de 2007 et va même au-delà.

Le premier aspect qui attire l’attention dans cette loi concerne la délimitation de sa portée, et donc la définition même du concept de « mémoire démocratique », puisqu’elle stipule comme objectif premier la « récupération, la sauvegarde et la diffusion de la mémoire démocratique comme une connaissance de la revendication et de la défense des valeurs démocratiques, des droits et des libertés fondamentales tout au long de l’histoire contemporaine de l’Espagne » (art. 1.1). En allant au-delà des conséquences du coup d’État de 1936, la loi introduit un élément très intéressant qui pourtant ne se retrouve pas dans son application postérieure. Elle se cantonne rapidement dans le champ réel de référence « de la période comprise entre le coup d’État du 18 juillet 1936, la guerre d’Espagne et la dictature franquiste, jusqu’à la promulgation de la Constitution de 1978 » (art. 1.2).

La loi pourrait faire écho à la notion de « mémoire multidirectionnelle », qui permet de comprendre la façon dont la mémoire d’un événement traumatique (comme l’est la Guerre civile dans le cas espagnol), peut être mis en relation avec d’autres phénomènes au-delà de leur strict contexte chronologique et temporel26. Par ailleurs, la mémoire démocratique ne peut pas non plus s’en tenir à de strictes frontières dans une période où la transnationalité est devenue la norme et non pas l’exception, comme l’exprime le concept de « mémoire transnationale27 ». À ce sujet, la loi est en relation avec les mesures internationales qui font référence à la doctrine ou aux recommandations de différents organismes, en particulier à celles des Nations Unies en ce qui concerne la promotion de la vérité, de la justice, des réparations et des garanties de non répétition. La loi ne répond pas, cependant, à la question de savoir comment s’intègre la « mémoire démocratique » dans le contexte élargi à l’Europe, et quels liens maintient le cas espagnol avec les grands processus de démocratisation à l’échelle globale, enfin quel rôle peuvent avoir les politiques publiques de la mémoire qui vont dans le sens d’une « connectivité » de la mémoire28.

Considérant l’existence de connections entre la mémoire postcoloniale et la mémoire de l’Holocauste et d’autres processus centraux de l’histoire européenne, on peut penser que la loi perd l’occasion d’aller au-delà de la mémoire de la guerre civile et du franquisme pour inclure des éléments présents dans l’histoire de l’Espagne qui dépassent le XXe siècle, comme le colonialisme, l’esclavage ou le traitement des minorités ethniques, religieuses et nationales. La mémoire démocratique ne concerne pas non plus les résistances, la subalternité ou la quotidienneté, au-delà de son expression politique concrète. En général, on ne prête pas attention à une expérience qui « nécessite un nouveau paradigme démocratique et humaniste, d’une portée plus globale, plus inclusif et perspicace que celui que nous avons actuellement29 ».

Ces omissions semblent expliquer que la loi prétend établir une connexion générique entre la revendication de la mémoire démocratique et la Constitution de 1978. La loi dévoile ses motivations idéologiques et politiques en notifiant qu’elle « prétend développer la connaissance des étapes démocratiques de notre histoire [...] qui ont permis de mener aux accords de la Constitution de 1978 » (Exposé des Motifs, II). Elle offre ainsi une vision téléologique du processus de démocratisation espagnol, présenté comme une préoccupation historique qui trouve sa pleine réalisation dans le texte constitutionnel de 1978. En revendiquant la défense du processus de transition, on cherche à soutenir ce qui est en réalité une loi centrée sur les victimes du coup d’État de 1936 et de la dictature franquiste. Cette argumentation est semblable, assurément, à celle de la loi de 2007 dans son exposé des motifs qui alors, comme aujourd’hui, n’a pas permis d’éviter les critiques. « C’est le joker de Franco. Lorsqu’il y a beaucoup de problèmes en Espagne, on sort le joker de Franco », assurait à propos du projet le leader du principal parti d’opposition, Pablo Casado30. C’est alors que l’extrême droite a présenté un amendement proposant l’abrogation de la loi qu’elle taxait d’« immorale et probablement illégale », la considérant comme opposée à l’« effort de réconciliation et d’adaptation » dans lequel « la droite et la gauche ont tacitement convenu de ne pas se jeter au visage les fautes et les crimes des années 1930, pour préférer se concentrer sur la construction d’un avenir de concorde31 ».

Le principal centre d’intérêt de la loi sont les victimes, qu’elle s’efforce de définir et de catégoriser. En observant les détails de cette taxonomie, on remarque le manque de précision dans l’usage de certains concepts, comme celui de « répression ». Ce n’est pas un concept juridique, ni même historique, mais simplement rhétorique, et de plus, il n’explique pas de façon adéquate les processus de violence ou d’agression auxquels les victimes ont été soumises32. Mais au-delà de cette question, dans la succession de cas qui est établie, on considère sous la même catégorie de victimes les personnes qui ont souffert des agressions de par leur condition, leur identité, et les personnes qui ont lutté contre les défenseurs du coup d’État et contre la dictature comme résistants. Bien que les effets de cette prise en compte apportent une reconnaissance symbolique du fait même d’être ajouté à un même registre national des victimes, d’un point de vue historique, l’utilisation du qualificatif de victime qui en est faite pose problème. En créant un recensement national de « toutes les victimes de la guerre et de la dictature, ainsi que de ceux qui sont morts au combat durant la Guerre », la loi met toutes les victimes sur le même plan (art. 9).

Il convient alors de s’interroger sur le sens de considérer un soldat républicain, un guérillero ou un intermédiaire mort au combat comme des « victimes de violation des droits humains ». Sur ce point également, les catégories de « résistant » ou de « résistance » acquièrent une dimension différente, qui s’intègre dans une culture de la résistance aux dictatures et au totalitarisme que nous appelons antifascisme (ou anti-stalinisme, dans d’autres pays du continent européen). Ceux qui combattirent les putschistes et le franquisme sous diverses formes et pas toujours les armes à la main, méritent sans aucun doute une reconnaissance démocratique dans le présent. Et la loi vise juste en attirant l’attention sur ces circonstances. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils doivent être assimilés aux victimes de la violence de masse en une seule catégorie générique, puisque, notamment, ils n’ont pas besoin d’une tutelle judiciaire du type de celles dont bénéficient les victimes de crimes contre l’humanité. Sur ce point, la loi conforte, sans le vouloir, une politique qui assimile sans distinction toutes les victimes de tous les totalitarismes, telle qu’elle a été formulée en Europe depuis les années 2000. En particulier, cette conception révisionniste du passé était synthétisée dans une déclaration du Parlement Européen de 2009, sur la conscience européenne et le totalitarisme, qui consacrait le 23 août (date du pacte Ribbentrop-Molotov) comme la « Journée Européenne de commémoration des victimes du nazisme et du stalinisme ».

Le problème concernant la catégorisation des victimes n’est pas propre à cette loi, mais constitue au contraire un lieu commun des mesures adoptées dans le champ de la mémoire, en mettant l’accent sur la condition de victime comme si c’était une catégorie exempte du processus de victimisation : « avoir été victime donne le droit de se plaindre, de protester et de demander ; sauf si tout lien a été brisé, les autres se sentent obligés de satisfaire nos demandes33 ». Pourtant, ce n’est pas la qualité spécifique de victime (ses attributs) ou ses actes (ce que fait la victime) qui la convertissent en sujet victimisé, ce sont les actions des répresseurs. Quand le Yad Vashem est créé en 1953, un débat essentiel sur son rôle comme autorité du souvenir consistait à définir les victimes comme des combattants, y compris celles qui avaient été assassinées sans avoir pu combattre34. Cependant, cette vision (fonctionnelle dans la construction conflictuelle de l’État d’Israël) s’est vite trouvée peu représentative pour ce qui est du processus d’extermination des Juifs. Raul Hilberg a minutieusement démontré comment l’immense majorité des victimes juives n’avait eu aucune possibilité de combattre. Aujourd’hui le fait de considérer les victimes comme telles n’entraîne pas de problème au niveau mémoriel (une réduction), même si elles n’ont pas pu combattre. Ce qui pose problème est plutôt le fait de ne pas désigner les bourreaux : La politique suivie partout a consisté à « situer la victime sous les projecteurs mais pas le coupable  ̶ qu’il s’agisse d’une encyclopédie, d’un institut ou d’un musée — tant aux États-Unis qu’en Israël35 ».

 

La « loi de Mémoire Démocratique » stipule que la condition de victime « s’acquiert » (art 3.1). Néanmoins, elle ne s’obtient pas au moyen d’une loi qui réglemente la vérité historique sur une période. La condition de victime est la conséquence d’un processus : d’un viol, d’une agression, d’une extermination ou d’un ensemble d’actions qui établit des catégories singularisées. Juridiquement, la considération d’un processus de violence massive auquel on attribue le statut de crime contre l’humanité est plus significatif que le fait d’établir une typologie des victimes. Le fait d’établir que la pratique de violence massive des putschistes et de la dictature sont partie prenante d’un contexte cohérent de violence, qui peut se retrouver dans les catégories établies par le statut de Londres, comme des crimes de lèse humanité, remettrait ceux qui ont perpétré ces crimes sur le devant de la scène et offrirait un soutien imprescriptible aux victimes. Non seulement en tant que sujet d’une réparation mémorielle, mais aussi comme victimes d’une criminalité organisée36.

La loi crée un « Bureau du Procureur pour enquêter sur les faits perpétrés durant la Guerre civile et la dictature » (art. 29). La procédure souhaite octroyer un soutien judiciaire et une couverture légale au processus d’exhumation des fosses, et pourrait également ouvrir la porte à des actions en justice qui suivraient le processus initié par le juge espagnol Baltasar Garzón en 2008 ou par la juge argentine Servini de Cubría en 2013. Sur cette question, on se heurte à ce qu’a signalé le rapport obligatoire du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire, émis en juin 2021, rappelant la « Loi d’Amnistie » de 1977, ce qui a également été souligné par divers groupes politiques pour conforter leur décision de ne pas soutenir la loi car elle ne déroge pas à la Loi d’Amnistie37. Le débat a porté sur la définition même de la loi, comme une « loi de point final ». À ce propos, des positions se sont faites entendre sur le plan historiographique et également politique. En 2012, le Tribunal Suprême a déterminé que l’action initiée par le juge Garzón ou n’importe quelle autre action qui irait dans le même sens serait « erronée », « précisément parce que la transition exprimait la volonté du peuple espagnol dans une loi (la loi d’Amnistie)38 ». Cette interprétation du Tribunal Suprême a été assumée dans toutes les procédures judiciaires en relation avec le franquisme, qui étaient prises en charge par des instances inférieures39. Ce comportement correspond à ce qu’a noté le Groupe de Travail sur les Disparitions Forcées et Involontaires des Nations Unies (GTDFI) en 2013 au sujet de la situation en Espagne : « une magistrature qui n’a pas interprété la loi à la lumière du droit international des droits humains40 ».

La mémoire démocratique comme sujet historique et le négationnisme

Nous avons déjà signalé que la loi, sous certains aspects, manque de précision dans la définition des victimes. Son caractère excessivement générique se retrouve dans la catégorisation des « lieux de mémoire démocratique ». La loi opte pour inclure dans cette catégorie tous les espaces (matériels et non matériels, puisqu’elle fait aussi référence à ce que l’on nomme « patrimoine matériel et intangible »), en relation avec « la mémoire démocratique » (art. 50). En suivant cette définition, le « Valle de los Caídos » est considéré par la loi comme « un lieu de mémoire démocratique » (art. 55).

À des fins de protection, l’inventaire et le catalogage de tous les espaces concernés peuvent s’avérer avantageux. Cependant, lorsqu’il s’agit de transmettre, à travers ces lieux, une « mémoire démocratique », il est difficilement compréhensible qu’on permette le retrait (et l’élimination) indiscriminé des symboles du franquisme comme « contraires à la mémoire démocratique » et, en même temps, qu’on se propose de convertir l’un de ses lieux les plus emblématiques en paradigme des « lieux de mémoire démocratique ». Il semble également pour le moins incongru de situer sous la même catégorie les espaces de violence de la dictature, comme les fosses communes, et les espaces de résistance, comme notamment un local syndical ou culturel de l’anti-franquisme, ou une base de la guérilla. De la même façon, ces espaces liés à la guerre civile, comme les tranchées, les bunkers ou les champs de bataille, se classent difficilement dans la même catégorie que les précédents, et méritent un traitement complètement différent. Un « lieu de mémoire démocratique » ne doit pas être un espace anhistorique dans lequel la temporalité de la violence et de la résistance manquent de signification. Sa potentialité d’établir un lien avec le présent passe par la notion de « résonance » qui « décrit les aspects affectifs et sociaux de la violence à grande échelle, lesquels continuent d’agir (« de résonner ») bien longtemps après que la violence physique du génocide ou la terreur étatique sont arrivées à leur fin »41.

L’historicité du concept de « mémoire démocratique » pose d’ailleurs une série de problèmes conceptuels qui se font sentir dans cette matérialisation en des lieux. La notion de démocratie est un produit historique qui varie selon les divers contextes temporels et géographiques. L’intervention ou la gestion publique des lieux qui se réalise dans le présent doit prendre en compte tout d’abord le sens historique, c’est-à-dire, le sens qu’avaient ces lieux dans le processus qu’on souhaite « mémorialiser ». Il existe donc deux niveaux au moins qu’on ne devrait pas confondre : celui qui correspond au temps historique et celui qui se réfère au temps de la mémoire. « Sans histoire, la mémoire peut s’avérer abusive. Si au contraire, on donne la priorité à l’histoire, la mémoire peut s’appuyer sur un schéma lui servant de guide dans son développement et à partir duquel elle peut s’évaluer42 ». Une fosse commune n’est pas seulement un lieu de mémoire : c’est un lieu historique qui mérite pour le moins la même protection qu’un lieu patrimonial. De plus, on peut l’intégrer à un réseau de lieux de mémoire afin de lui conférer un sens historique dans le présent. Mais on doit admettre que ce sens peut changer avec le temps et que de plus, il est contingent.

Visita escolar durante la exhumación de una fosa común de víctimas

Visite scolaire durant l’exhumation d’une fosse commune de victimes du coup d’État de 1936 au cimetière de Vilagarcía de Arousa (Galice-Espagne), 2021.

La loi comporte un chapitre de sanctions pour des actes qui « seraient contraires à la législation sur la mémoire démocratique, incitant à l’exaltation de la guerre civile ou de la dictature » (art. 62). Il s’agit d’un aspect qui n’avait pas été traité jusqu’alors dans le domaine des lois et des politiques publiques de la mémoire en Espagne, et qui relie cette législation aux normes internationales qui punissent le négationnisme. Cela signifie l’introduction de celui-ci dans un champ de débat beaucoup plus large qui se réfère au pouvoir de la chambre législative d’établir « la vérité » sur les événements du passé. Au même moment, le contexte global des lois de mémoire a connu une série de changements notables. En premier lieu, il s’agissait du concept traditionnellement associé à la dénonciation et à la poursuite judiciaire de la négation de l’Holocauste. Ces vingt dernières années, on est passé à une grande multiplicité d’objets réglementés par les lois de mémoire43. Avec le précédent des premières mesures adoptées en 1960 au sujet de la négation de l’extermination des Juifs, puis des réformes introduites par le chancelier Helmut Kohl durant les années 1980, les lois allemandes sont considérées généralement comme un prototype des législations punitives. Cependant, en Allemagne, c’est seulement en 1994, après la polémique lancée suite à la sentence du « cas Deckert », que le délit de « négation » du génocide nazi fut explicitement défini44.

La question fondamentale de préciser jusqu’à quel point un cas historique se définit comme un crime contre l’humanité ou génocide, revient à un parlement ou à un tribunal de justice. Le Conseil Constitutionnel français, par exemple, a décidé en 2012 qu’il n’est pas du ressort d’une chambre législative d’établir qu’un événement du passé mérite la qualification de « génocide », puisqu’il s’agit déjà d’une compétence des tribunaux. Pour cette raison, la reformulation législative proposée en 2011 visant à pénaliser de la même façon que l’Holocauste tout autre cas de génocide ou de crime contre l’humanité, comme par exemple l’extermination des Arméniens, a été révoquée. L’argument juridique établissait que d’après la Loi Gayssot, on ne pouvait pénaliser le négationnisme que pour des cas jugés en instances judiciaires et qualifiés comme tels. Cela étant, cette doctrine permit une modification de la loi Gayssot en 2017 visant à considérer de nombreux cas qui répondaient aux critères établis. Cependant, comme le signale Henry Rousso, pour les cas n’ayant pas fait l’objet d’un traitement judiciaire, mais pour lesquels l’évidence historique montre à quel point ils ont été systématiquement niés, il n’est pas possible de leur appliquer les mesures de la loi, comme c’est le cas pour le génocide arménien45.

La loi de Mémoire Démocratique d’Espagne veut éviter ces difficultés en spécifiant que le champ des sanctions se réfère au contenu même de la loi, de sorte qu’elle se centre sur l’établissement d’un « devoir de mémoire » en interdisant les actes contraires à la « mémoire démocratique », ainsi que les actions et les manifestations susceptibles d’« humilier les victimes ». Malgré ces mesures préventives, on se trouve face à de multiples conséquences inattendues, puisque le même type de mesures peut être employé pour promouvoir la vérité sur des faits passés de genres différents, comme cela est arrivé en Europe centrale et orientale ainsi qu’en Russie pendant l’ère postcommuniste. Quelques-unes de ces possibilités ont été reprises dans le rapport obligatoire du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire de juin 2021 portant sur l’avant-projet de loi de Mémoire Démocratique. Le rapport cité ci-dessus fait remarquer, au sujet du régime de sanctions de l’avant-projet, que tout en étant constitutionnel, il peut générer une « tutelle asymétrique » parmi les victimes « d’autres faits constitutifs de violation des droits humains advenus durant la période historique considérée par le législateur ». Pour cette raison, le rapport propose que les « actes opposés à la mémoire démocratique » soient définis d’« une façon plus globale », « en suivant l’esprit des résolutions approuvées le 19 septembre 2019 par le Parlement Européen sur l’importance de la mémoire historique pour l’avenir de l’Europe46 ». Si on recevait cette considération comme un effet probable du mode de rédaction de la loi, on établirait une équivalence entre les victimes des violences perpétrées par les putschistes et les victimes des combats dans la zone républicaine durant la guerre civile, entre autres possibilités qui seraient alors ouvertes, comme la considération des victimes de la guérilla.

Le débat sur les « victimes des deux camps », en dernier ressort, se présente comme un défi qu’il reste à relever, qui marque les limites des récits mémoriels sur le passé traumatique espagnol : c’est « l’éléphant dans la pièce ». L’absence de réponse aux demandes d’inclusion de « toutes les victimes » fait écho à d’autres débats semblables au niveau international, comme la polémique sur la « mémoire complète » en Argentine. Là-bas, la « sanctification » des victimes du processus de réorganisation nationale (1976-1983) aurait ouvert une brèche dont le groupe nommé « Mémoire complète », nourri par les nostalgiques de la dictature, aurait profité pour en revenir à l’argument qui affirme l’existence d’une guerre dans laquelle la guérilla avait sa part de culpabilité47. Mais il faut alors souligner, avec Beatriz Sarlo, que « la question du passé peut être pensée de nombreuses façons, et la simple opposition entre mémoire complète et oubli n’est pas la seule possible48. » En ce sens, la volonté de réparation des injustices ne peut ni éluder la complexité du passé, ni occulter les phénomènes de collaboration, d’adaptation ou de passivité envers la violence, au risque de constituer une sorte de « mémoire erronée » (mis-memory), selon l’expression de Tony Judt. Le concept de mis-memory se réfère à la mémoire sélective des citoyens des pays de l’ancien bloc de l’Est au sujet de leur attitude généralement passive face au communisme, qui fonctionnait comme un miroir de la mémoire résistante dans le monde occidental49. Nous devrions en tenir compte pour examiner le cas espagnol à la lumière de la loi de Mémoire Démocratique.

Il n’y a pas de solution magique au conflit des mémoires. L’invitation à l’oubli comme le suggère David Rieff, ou au silence, comme le signale Régine Robin, ne sont pas des solutions : dans les deux cas, c’est l’actuelle surreprésentation de la « mémoire » qui est remise en question (à bon escient), mais le silence et l’oubli n’offrent aucune alternative au sens strict50. Criminaliser le passé pour béatifier le présent constitue également une erreur politique aux conséquences imprévisibles, qu’on a pu constater dès que se sont présentés divers éléments de crise dans le projet européen51. La loi de Mémoire Démocratique espagnole, avec son nom si ambitieux, n’offre pas non plus d’alternative convaincante : au contraire, elle accentue encore la division et génère un rejet du concept même de « mémoire démocratique ». Ceci s’avère dangereux. Comme nous l’avons signalé dans ce texte, la loi vise une conception de la mémoire démocratique dans l’espace espagnol avec un certain biais téléologique : du passé conflictuel représenté par 1936 au consensus de la constitution de 1978 et de la monarchie parlementaire. Cette vision s’oppose, au moins partiellement, à une conception de la mémoire démocratique plus ouverte, sur une période beaucoup plus longue qui aille au-delà des expériences traumatiques récentes du XXe siècle, basée sur les expériences institutionnelles, mais aussi sur les expériences non institutionnelles et subalternes, qui seraient aussi sensibles à une perspective transnationale. C’est-à-dire, une mémoire plurielle qui privilégie des « généalogies démocratiques52 ».

Si on prétendait faire face à des problèmes comme la question des fosses ou la réglementation des lieux de mémoire, on aurait pu promouvoir une loi qui s’en tienne spécifiquement à cette question, pour laquelle le consensus politique et social aurait été possible. Dans le traitement de la mémoire, les lois spécifiques, dotées d’un financement adéquat, se sont révélées bien plus efficaces que les grandes lois d’exécution difficile par des gouvernements différents de ceux qui les avaient approuvées. En tenant compte de ces circonstances, dans la procédure du projet de loi de mémoire démocratique résonnent des échos du passé pour un avenir incertain : si elle est approuvée, elle le sera sans accord, se trouvant alors remise en question, et si elle ne l’est pas, ce sera une opportunité perdue (qui sait pour combien de temps) de réglementer quelques-uns des aspects essentiels qu’elle comporte.

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1

Un récapitulatif récent de l’ensemble normatif du point de vue du droit, in José Luis de la Cuesta et Miren Odriozoloa, « Marco normativo de la memoria histórica en España: legislación estatal y autonómica », Revista electrónica de ciencia penal y criminología, vol. 20, 2018. Une vision sur l’histoire de l’Espagne depuis la transition, in Paloma Aguilar Fernández et Clara Ramírez Barat, « The Politics of Memory », in Adrien Shubert et José Álvarez Junco (dir.), The history of modern Spain: chronologies, themes, individuals, New York, Bloomsbury, 2018, p. 343-355.

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2

Jordi Guixé et Corominas (dir.), Past and power : public policies on memory: debates, from global to local, Universitat de Barcelona, Edicions de la Universitat de Barcelona, 2016.

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3

Aline Sierp, « Integrating Europe, Integrating Memories: The EU’s Politics of Memory since 1945 », in Lucy Bond et Jessica Rapson (dir.), The Transcultural Turn. Interrogating Memory Between and Beyond Borders, Berlin & Boston, de Gruyter, 2014, p. 114-115.

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4

« Ley 52/2007, de 26 de diciembre, por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura », BOE, nº 310, 27/12/2007, pp. 53410 et 53411.[Loi 52/2007 du 26 décembre, par laquelle sont reconnus et élargis les droits et sont établies les mesures en faveur de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence durant la guerre civile et la dictature].

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5

Pour analyser la loi, nous avons utilisé Javier Chinchón, « El viaje a ninguna parte: memoria, leyes, historia y olvido sobre la guerra civil y el pasado autoritario en España. Un examen desde el derecho internacional », Revista IIDH, vol. 45, 2007, p. 119-233 et Antonio Míguez, « Challenging Impunity in Spain through the Concept of Genocidal Practices », in Peter Anderson et Miguel Ángel del Arco (dir.), Mass Killings and Violence in Spain, 1936-1952, Londres, Routledge, 2015, p. 210-226.

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6

On remontait à deux mesures fondamentales : (1) la loi de 1979 approuvée sous le gouvernement de l’UCD qui reconnaissait le droit à une pension et à l’assistance médico-pharmaceutique et sociale pour les familles des morts de la guerre civile, incluant ainsi les victimes « républicaines » ; (2) la disposition additionnelle 18 de la loi de budget général de l’État de 1990 qui offrait des compensations économiques aux personnes qui pouvaient prouver avoir été prisonniers pendant au moins trois ans sous la dictature.

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7

Le retrait des restes de Franco pour les transposer dans un cimetière privé, en 2019, a été réalisé postérieurement sous le couvert d’un décret-loi approuvé ad-hoc, puisque la loi de 2007 ne prévoyait pas directement un acte si radical. « Real Decreto-ley 10/2018, de 24 de agosto, por el que se modifica la Ley 52/2007, de 26 de diciembre, por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la Guerra Civil y la Dictadura » [« Décret-loi royal 10/128 du 24 août par lequel est modifiée la Loi 52/2007 du 26 décembre, par laquelle sont reconnus et élargis les droits et sont établies les mesures en faveur de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence sous la guerre civile et la dictature »], BOE, vol. 206, 25/08/2018, p. 84607-84610.

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10

Joan Tardà, « Intervención en el debate del Proyecto de Ley 2007/26 », Diario de Sesiones del Congreso de los Diputados, 31/10/2007, p. 14663.

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11

Llei, 13/2007, 31 de octubre, del Memorial Democràtic [https://www.parlament.cat/document/cataleg/47968.pdf].

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12

Jordi Guixé i Coromines, « El Memorial Democrático y los lugares de la memoria : la recuperación del patrimonio memorial en Cataluña », Entelequia. Revista Interdisciplinar, vol. 7, 2008, p. 217-228, p. 223.

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13

Maria Llombart Huesca, « Los historiadores y la memoria : debate en torno al Memorial Democràtic (2007-2011) », Pandora, vol. 12, p. 99-114, ici p. 102.

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14

Josep Benet, Memòries. De l’esperança a la desfeta (1920-1939), Barcelone, Edicions 62, 2008, p. 11.

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15

Doron Bar, Yad Vashem. The Challenge of Shaping a Holocaust Remembrance Site, 1942-1976, Berlin, De Gruyter Oldenbourg, 2021.

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16

« Ley 4/2014 de creación del Instituto de la Memoria, la Convivencia y los Derechos Humanos », Boletín Oficial del País Vasco, vol. 230, 2/12/2014.

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18

Gaizka Fernández Soldevilla et Raúl López Romo, « Retos del relato. El Centro Memorial de las Víctimas del Terrorismo », Studia Historica: Historia Contemporánea, vol. 37, 2019, p. 55-77, ici p. 58-60.

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19

« Ley Foral 33/2013, de 26 de noviembre, de reconocimiento y reparación moral de las ciudadanas y ciudadanos navarros asesinados y víctimas de la represión a raíz del golpe militar de 1936 », [« Loi Forale 33/2013 du 26 novembre, de reconnaissance et de réparation morale des citoyennes et citoyens navarrais assassinés ou victimes de la répression à partir du coup d’État militaire de 1936 »] Boletín Oficial de Navarra, vol. 233, 4/12/2013.

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20

Amalia Rosenblum, « Time in the museum, the museum in time : the history of The Auschwitz-Birkenau state museum », Anthropology of East Europe Review, vol. 19, n° 1, 2001, p. 42-55.

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21

Une catégorie développée par la Loi des Chartes espagnoles 29/2018, visant à réglementer l’usage des « lieux de mémoire ». Voir à ce propos : Mikel Lizarraga Rada, « Los lugares de la memoria histórica y el mapa de fosas de Navarra », Príncipe de Viana, vol. 80, nº 274, 2019, p. 979-1013.

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22

Rafael Escudero Alday, « La vía autonómica para la recuperación de la memoria histórica en España : leyes, derechos y políticas públicas », Revista Catalana de Dret Públic, vol. 63, 2001, p. 166-184.

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23

Juan Miguel Baquero, « 2020, un año de « parálisis » en las políticas de Memoria Histórica en Andalucía », eldiario.es, 13/01/2021.

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24

Concrètement, au moyen de la proposition de la « Ley de Concordia » [loi de concorde], qui établissait par son article premier l’abrogation de la Loi de mémoire de 2017, Boletín Oficial del Parlamento de Andalucía, vol. 263, 11/02/2020, p. 6-9.

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25

« Proyecto de Ley de Memoria Democrática », Boletín Oficial de las Cortes Generales. Congreso de los Diputados, vol. 64, n° 1, 30/08/2021, p. 2-43.

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26

Michael Rothberg, Multidirectional Memory : Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization, Standford, Standford UP, 2009.

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27

Aline Sierp, Jenny Wuestenberg, « Linking the local and the transnational: Rethinking memory politics in Europe », Journal of Contemporary European Studies, vol. 23, n° 3, 2015, p. 325.

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28

Marianne Hirsch, The Generation of Postmemory : Writing and Visual Culture After the Holocaust, New York, Columbia University Press, 2012, p. 206.

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29

Antonio Cazorla-Sánchez, « From Anti-Fascism to Humanism : The Spanish Civil War as a Crisis of Memory », in Aurora G. Morcillo (dir.), Memory and Cultural History of the Spanish Civil War. Realms of Oblivion, Leiden/Boston, Brill, 2014, p. 43.

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30

« El PP retirará la Ley de Memoria : la victoria de Podemos y ERC es desvirtuar la visión de la transición », La Razón, 20/11/2021.

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31

« Vox presenta una enmienda de devolución de la « inmoral » Ley de Memoria Democrática », La Razón, 23/09/2021.

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32

Antonio Míguez Macho, The Genocidal Genealogy of Francoism. Violence, Memory and Impunity, Brighton, Sussex Academic Press, 2016, p 110-111. Sur le concept de répression, cf. Eduardo González Calleja, « La represión estatal como proceso de violencia política », in Hispania Nova : Revista de historia contemporánea, vol. 10, 2012.

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33

Tzvetan Todorov, Los abusos de la memoria, Barcelone, Paidós, 2000, p. 34.

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34

Boaz Cohen, « Setting the Agenda of Holocaust Research: Discord at Yad Vashem in the 1950s », in David Bankier et Dan Michman (dir.), Holocaust. Historiography in Context. Emergence, Challenges, Polemics & Achievements, Jérusalem, Yad Vashem, 2008, p. 255-292; Jackie Feldman, « Between Yad Vashem and Mt. Herzl: Changing inscriptions of sacrifice on Jerusalem’s “Mountain of Memory” ». Anthropological quarterly, vol. 80, nº 4, 2007, p. 1147-1174.

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35

Raul Hilberg, Memorias de un historiador del Holocausto, Barcelone, Arpa, 2019, p. 140.

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36

Lourenzo Fernández, Antonio Míguez et Dolores Vilavedra (dir.), 1936. Un nuevo relato, Saragosse, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2020, p. 169-174.

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37

« La exigencia de ERC de derogar la amnistía de 1977 amenaza la ley de memoria democrática », El País, 17/11/2021.

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38

Tribunal Supremo. Sala de lo Penal, « Sentencia 101/2012. Causa especial 20048/2009. Prevaricación juficial. Los denominados « juicios de la verdad ». Interpretación errónea del Derecho e injusticia ». Madrid, 27/02/2012, p. 20-21.

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39

Javier Chinchón, Lydia Álvarez et Alicia Moreno, « La posición del Tribunal Supremo respecto a la aplicación del derecho internacional a los crímenes del pasado en España : Un análisis jurídico tras los informes del Grupo de Trabajo sobre Desapariciones Forzadas, el Comité contra la Desaparición Forzada y el Relator Especial sobre Justicia Transicional de las Naciones Unidas », Anuario Iberoamericano de Derecho Internacional Penal, vol. 2, n° 1, 2014, p. 100-101.

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41

Kerry Whigham, « Filling the Absence: the re-embodiment of sites of mass atrocity and the practices they generate », Museum and Society, vol.12, nº 2, 2014, p. 89.

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42

Tony Judt, ¿Una gran ilusión? Un ensayo sobre Europa, Barcelone, Taurus, 2013, p. 278.

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43

Une synthèse de sa généalogie jusqu’à nos jours, in Emanuela Fronza, Memory and Punishment: Historical Denialism, Free Speech and the Limits of Criminal Law, La Haye, Asser Press, 2018.

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44

Thomas Deckert, était le chef du Parti National Démocratique allemand, un parti négationniste. Il fut condamné en première instance en 1992 pour avoir organisé un congrès sur le « révisionnisme » historique, puis absout en 1994 par le Tribunal Constitutionnel. La loi allemande avait été précédée par une loi approuvée en 1986 en Israël, la mentionnée ci-dessus Loi Gayssot en France (1990) ou encore en Autriche (1992). Jörg Luther, « El antinegacionismo en la experiencia jurídica alemana y comparada », Congreso « Historia, verdad, derecho », Sociedad Italiana para el Estudio de la Historia, Universidad de la Sapienza de Roma, 4/08/2008, ReDCe, vol. 9, 2008, p. 247-295.

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45

Rousso, Henry, « French Memory Laws. For a Better Past », ⟨hal-02568235⟩, 2017, p. 17-19.

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46

Consejo General del Poder Judicial, « Informe sobre el anteproyecto de Ley de Memoria Democrática », C.G.P.J., 7/06/2021.

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47

Valentina Salvi, De vencedores a víctimas : memorias militares sobre el pasado reciente en la Argentina, Buenos Aires, Biblos, 2012. Cette même question avait été mentionnée par Hugo Vezzetti, Sobre la violencia revolucionaria: memorias y olvidos, Buenos Aires, Siglo XXI, 2009.

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48

Beatriz Sarlo, Tiempo pasado. Cultura de la memoria y giro subjetivo. Una discusión, Buenos Aires, Siglo XXI, 2005, p. 26.

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49

Tony Judt, « The Past Is Another Country: Myth and Memory in Postwar Europe », vol. 121, nº 4, Daedalus, 1992, p. 101-106.

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50

David Rieff, Elogio del olvido. Las paradojas de la memoria histórica, Barcelone, Debate, 2017 ; Régine Robin, La mémoire saturée, Paris, Stock, 2003.

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51

Markus J. Prutsch, European historical memory : policies, challenges and perspectives, Bruxelles, Artikel 2015, p. 36.

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52

Josefina Cuesta Bustillo, « Memoria democrática en la construcción de la historia y el patrimonio (introducción) », PH : Boletín del Instituto Andaluz del Patrimonio Histórico, vol. 27, nº 96, 2019, p. 170-171.

Aguilar Fernández Paloma, Clara Ramírez Barat, “The Politics of Memory”, in A. Shubert, J. Álvarez Junco (coords.), The history of modern Spain: chronologies, themes, individuals, Nueva York, Bloomsbury, 2018, p. 343-355.

Bar Doron, Yad Vashem, The Challenge of Shaping a Holocaust Remembrance Site, 1942-1976, Berlin, De Gruyter Oldenbourg, 2021.

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