La conjoncture des débuts du XXIe siècle, ressemble fort peu à celle dans laquelle Claude Lefort forgea son œuvre de pensée. Le monde qui fut le sien fut celui de la décolonisation et de la guerre froide, puis celui de l’effondrement du bloc soviétique et de la multiplication des régimes démocratiques. Nous vivons aujourd’hui une nouvelle phase de la mondialisation assortie d’un renouveau des nationalismes autoritaires, et cela dans un monde désormais multipolaire, marqué par l’émergence de la Chine devenue une grande puissance aux visées impériales. Le monde qui est aujourd’hui le nôtre est enfin celui d’une crise de l’anthropocène.
Le monde intellectuel a lui aussi été bouleversé. La philosophie s’est effacée au profit des sciences sociales. Celles-ci ne sont plus celles avec lesquelles dialogua Lefort. Elles se caractérisent par des processus de spécialisation à rebours de l’interdisciplinarité qui fut au cœur de leurs développements dans les années 1960-1980. Les figures des grands intellectuels à prétention généraliste s’effacent au profit des intellectuels spécialisés.
Compte tenu de ces paysages nouveaux, beaucoup d’analystes du temps présent jugent que les analyses de Lefort seraient aujourd’hui caduques. Elles n’intéresseraient plus que les historiens des idées.
Partant de ces possibles objections, nous avons voulu nous réunir pour interroger ce qui nous semble faire au contraire l’actualité de la pensée de Claude Lefort, ce de deux façons. Demander à de jeunes intellectuel·le·s d’expliquer comment, au centenaire de sa naissance, sa pensée et ses analyses leur semblent fécondes pour penser le présent. Explorer à frais nouveaux ses rapports à la philosophie, comme à l’anthropologie, à l’histoire et à la littérature. Les textes publiés ci-dessous ont été présentés et débattus lors d’une journée d’hommage à Lefort organisée par le CESPRA qui s’est déroulée le 28/XI/2024 à la Maison de l’Amérique latine, que nous remercions pour son hospitalité.
Atelier coordonné par Gilles Bataillon
Crédit image : Hannah Assouline / Opale.photo