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Claude Lefort : « Investigation littéraire » et démocratie
Professeur émérite de littérature comparée

(Paris 3, Sorbonne Nouvelle)

Je partirai d’une constellation de textes consacrés par Claude Lefort, entre 1976 et 1992, à des auteurs littéraires, essentiellement des prosateurs, aussi divers que Soljenitsyne, Orwell, Sade ou Salman Rushdie1. Ce sont d’abord, au moins en partie, des textes de combat. Pour Lefort, Rushdie, comme Soljenitsyne – et, d’une autre façon, Sade et Orwell, sont des écrivains à défendre. Contre la répression de la dissidence en URSS sous Brejnev, contre la fatwa de Khomeini en 1989. En soulignant bien chaque fois la nature différente de ces agressions. En insistant aussi sur les raisons diverses pour lesquelles nombre d’intellectuels français se sont montrés soit hostiles à Soljenitsyne et Rushdie soit peu enclins à les défendre. Dans le cas des auteurs disparus, consacrés ou récemment réhabilités, une autre forme de vigilance est requise, à l’encontre cette fois des opinions erronées ou des interprétations usées qui nous font oublier la nouveauté des questions qu’ils posaient en écrivant et dont nous leur sommes toujours redevables. Le combat de Lefort pour tous ces écrivains est donc un combat pour leur liberté, la première des grandes attaches symboliques de la littérature à la démocratie, telles qu’il n’a cessé de les analyser. Elle procède de la désintrication du savoir et du pouvoir qui s’opère dans la mise en forme des sociétés démocratiques et, par suite, de la différenciation essentielle du politique et du non-politique dans celles-ci2. Avec au moins deux grandes conséquences : « l’œuvre littéraire échappe à l’autorité du politique et du religieux3 » et elle partage avec la science historique, telle qu’elle se développe à partir du XIXe siècle, ainsi qu’avec d’autres arts, comme la peinture, l’idéal d'« une connaissance qui se règle elle-même4 ».

J’ai aussi choisi ces textes parce qu’ils montrent, me semble-t-il, deux inflexions nouvelles : celle de l’ouverture de la démocratie sur l’humanité et celle des abîmes de la modernité. Les deux thèmes apparaissant ensemble dans un passage d’Un homme en trop, l’essai que Lefort a consacré en 1976 à L’Archipel du Goulag (1973) d’Alexandre Soljenitsyne, l’année même où s’est achevée, avec le troisième volume, la traduction française commencée en 1974. Pour Lefort, la déshumanisation causée par le système concentrationnaire soviétique, « le gouffre ouvert par une société qui prétend justement se saisir dans toutes ses parties5 », l’écrivain russe n’a pu la suggérer au lecteur que par une série de métaphores. Or la quantité, la variété et l’ampleur de celles-ci « débordent les limites de ce qui serait requis par l’histoire d’un régime politique et d’une forme de société », elles donnent aussi une idée de l’ampleur de « la grande fissure du monde moderne6 ». C’est cette fissure que je voudrais évoquer d’abord.

Investigation littéraire et connaissance par les gouffres

Le monde de L’Archipel a pris naissance comme un espace d’exclusion, par la répression et la déportation : « L’image la meilleure est celle du gouffre. Il est creusé pour que chacun à tout moment redoute d’y être précipité7. » Puis il a connu une mutation décisive au début des années 1930 : la loi du socialisme, c'est-à-dire de la bureaucratie, « vient s’emparer du gouffre : les déchets sont récupérés8 », remis au service de la rationalisation économique. Cependant, « la notion d’un espace autre, d’un gouffre dans lequel le pouvoir allait précipiter les éléments désocialisés9 » n’en est que renforcée. Les détenus « ont bien pu être récupérés, utilisés, mais sans jamais retrouver la condition d’agents de production10 », c’est-à-dire sans jamais être considérés comme des ouvriers ou des paysans à part entière par leurs exploiteurs et bourreaux. Troisième temps : à bien y regarder, le creusement de ce gouffre s’inscrit à la fois dans l’histoire soviétique et dans celle du monde moderne. Les camps ne sont pas seulement une entreprise qui exploite des hommes privés de leur liberté : l’industrie pénitentiaire en URSS réalise aussi une virtualité du système industriel comme tel, qui tend depuis son origine à se subordonner entièrement ses agents. Mais, en la réalisant, elle le détruit car, du coup, elle se voue « à une activité nouvelle et insensée : consommer le vivant11. » Derrière les camps, et ce n’est pas du tout une absolution donnée au stalinisme, il y a la tendance du monde moderne à l’organisation, qui révèle ainsi sa « finalité de destruction », sa vocation quasiment mortifère. « Étant venue à bout de la résistance des hommes, l’industrie pénitentiaire a fait sauter les ressorts de l’industrie12. »

Tout cela compose chez Soljenitsyne l’image d’« un monde monstrueux », qui, bien entendu, suscite l’horreur, au risque de faire écran à la pensée, mais recèle aussi une part d’attrait, voire de séduction, une capacité de capter le désir : « Moi qui me suis presque épris de ce monde monstrueux13 », confesse l’écrivain russe à un moment donné, comme Lefort prend soin de le noter. Mais ce n’est pas seulement chez l’auteur de L’Archipel que le gouffre (ou l'emboîtement, invisible au premier regard, des gouffres) suscite à la fois un vertige et une attirance qui imprègnent les textes qui s’efforcent de regarder vers le fond.

Deux autres exemples. D’abord, le roman d’Orwell, 1984, paru en 1949, qui « porte au plus profond de nous-même son énigme14 ». Au départ, un monde d’où toute sociabilité vraie a disparu sous le regard permanent de Big Brother et une tentative individuelle de la reconquérir, née de la curiosité d’esprit de Winston, stimulée par le désir de retrouver son propre passé et alimentée par son amour tout neuf pour Julia ; il va jusqu’à rejoindre un groupe clandestin d’ennemis du régime. Sa tentative est brisée par l’appareil secret du Parti qui, après avoir joué envers lui un jeu pervers de séduction, le précipite dans ses cachots et ses chambres de torture et entreprend de détruire en lui cette aspiration neuve à la sociabilité. Face au supplice, Winston sacrifie alors au Parti son lien à Julia, son corps aimé, son corps sexué, en même temps que son indépendance d’esprit. Julia fait de même de son côté, le pouvoir a ainsi effacé la reconnaissance mutuelle qui s’était instaurée entre eux. Et les a réduits, eux aussi, à l’état de déchets. Toutefois, le gouffre des prisons en révèle un autre : ce dénouement n’a pas pour seule cause la confiance presque amoureuse que Winston a faite à un agent provocateur. L’horreur du supplice a fait ressurgir en lui le secret de son passé qu’il n’a jamais pu se remettre en mémoire malgré les indices que l’action a mis sur son chemin : l’être avide et cruel qu’il avait déjà été une fois dans sa vie, capable de sacrifier un proche à sa propre survie, reparaît, non dans son souvenir, mais en action, remis en jeu. Et c’est là le ressort de son incorporation définitive au régime : dès le début, note Lefort, « il y a quelque chose en lui qui se prête au fantasme qui gouverne le totalitarisme15 ». Winston est « d’abord sa propre victime16 ».

Dans le roman longtemps clandestin de Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795), les trois personnages principaux (partisans eux-mêmes de la Révolution française), les trois « instituteurs immoraux » de la jeune Eugénie à la liberté de jouir, représentent en apparence une sociabilité déviante et coupée du reste de la vie sociale et politique. Or un pamphlet politique, introduit de façon inattendue dans le cinquième des sept dialogues qui composent l’action, prétend donner cette sociabilité en modèle au genre de vie républicain. Par quel raisonnement ? La République, comme d’autres régimes politiques avant elle, doit d’abord se défendre et durer, elle n’a pas à dilapider son énergie en pourchassant crimes et délits, surtout en matière de sexe, elle doit au contraire favoriser le libertinage ; chez Sade, « l’insurrection appelle l’immoralité », à l’encontre de l’apparence vertueuse que la République a voulu un moment se donner (on est après Thermidor). Voilà en somme le projet d’un « Ministère de l’Amour », pas complètement étranger à celui d’Orwell, qui jouerait un rôle central dans l’espace social.

Le gouffre s’approfondit alors : car la pratique du sexe telle que les libertins la revendiquent et la mettent en œuvre « s’accomplit dans l’asservissement de l’autre17 » et donc contrevient aux idéaux de liberté et d’égalité. Au lieu de créer du lien, la République ne fait que renforcer l’isolement des individus, exposant chacun d’eux à tomber sous le despotisme des plus forts. De Sade, Lefort écrit : « La République, il l’épouse violemment (...) ». Mais aussi « il la traverse pour toucher le fond, ce qu’il pense être le fond : le despotisme de l’être humain auquel seul elle peut faire droit. Je dis : toucher le fond, mais mieux vaudrait dire ouvrir un abîme18. »

Mais, ajoute-t-il à propos du livre, « les gouffres qu’il ouvre ne sont pas toujours sûrs », c’est pourquoi il est aussi de ceux « qui nous jettent dans la plus grande insécurité19 ». Il faut peut-être penser en effet qu’au-delà de celui de jouir et de dominer, le projet fondamental des libertins serait de corrompre autrui et, du coup, de faire de celui-ci leur complice, de restaurer un lien avec lui. Et, par-là, « d’une certaine manière », ils créeraient de nouveau de la sociabilité20.

En tout cas, le roman nous fait découvrir un fantasme – l’un parmi d’autres qui a pu accompagner la fondation de la République : pas celui, mieux connu, d’un peuple tout vertueux, mais celui d’une institution immorale de la société. Comment combiner des institutions démocratiques et un genre de vie fondé sur l’exploitation sexuelle des uns par les autres, ou peut-être sur une corruption généralisée changeant tous les citoyens en autant de complices ? Un tel régime ferait systématiquement fi de la relation avec l’altérité et avec la loi et nous priverait de toute image d’une « bonne société ».

Ce sont aussi des formations inattendues, des assemblages hybrides, qu’Orwell et Soljenitsyne font surgir de ces « abîmes sur lesquels vit la société21 », dont Guizot parlait après la révolution de 1830. Orwell : c’est dans ce qu’un individu a de plus caché, dans son intimité et son histoire secrète, que prend naissance le mouvement qui, en brisant tout rapport aux autres comme à des semblables, le fait plier devant le pouvoir totalitaire, voire l’attache à celui-ci et le lui fait aimer. L’Archipel : l’une des représentations qui a conduit au totalitarisme communiste – et au système concentrationnaire stalinien – révèle sa parenté avec le développement de l’économie dans les pays européens, et notamment celui de la production industrielle et de son organisation, avec laquelle la démocratie a toujours dû tant bien que mal composer. Resterait alors à toucher le bord extrême de l’abîme : le monde moderne qui a préparé le terrain au totalitarisme, s’il a été transformé par la révolution industrielle, ne l’a-t-il pas été aussi par la révolution démocratique22 ?

La visée commune à ces trois textes, on pourrait, pour lui donner un nom, reprendre le titre d’un livre d’Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, paru en 1961. Je n’ai pas besoin d’évoquer l’importance de l’œuvre de Michaux pour celle de Lefort : Claude Mouchard, Martin Rueff et Laurent Jenny ont apporté à ce sujet des contributions majeures. Ma question serait plutôt : parmi les manifestations de l’art d’écrire auxquelles Lefort s’est montré sensible, la littérature ne se caractérise-t-elle pas tout particulièrement, à ses yeux, par sa capacité à frôler les « abîmes », voire à sonder les « gouffres » ? N’oublions pas que Lefort réfléchit dans « un monde où quelque chose est arrivé à la pensée », selon une formule dont il souligne lui-même le caractère bizarre23. Dans ce monde, la pensée est constamment en danger de s’abîmer sous le poids des visées de pouvoir qui prétendent embrasser du regard le cours entier de l’histoire ou de démonter les rouages de toute société : « Ne voit-on pas que le nationalisme, comme le communisme, risque de précipiter la pensée dans un gouffre24 ? » Il reste toutefois, si limitée soit-elle, la ressource d’objets nouveaux et d’expériences inédites, capables de mettre la réflexion et l’imagination en mouvement et, éventuellement, de leur offrir des voies neuves pour « penser ce qui passe le pouvoir ordinaire de penser25 », comme le fait Soljenitsyne. La littérature fait partie de cette ressource.

Mais la littérature entendue au sens large. Il est frappant de voir que, pour Lefort, le terme d’ « investigation littéraire », empruntée au sous-titre de L’Archipel du Goulag, peut s’appliquer à deux espèces de textes, ceux de fiction et les autres  Ainsi, en comparaison d’Une journée d’Ivan Denissovitch (1962), le récit qui a fait la célébrité de Soljenitsyne en URSS, L’Archipel du Goulag, écrit Lefort, « n’est pas une nouvelle, c'est une œuvre de pensée dans laquelle le désir de savoir se donne libre cours sans passer par le détour de la fiction (...)26 ». Pourtant, un peu plus tard, il n’hésite pas à ranger 1984, qui emprunte au contraire résolument « le détour de la fiction », dans la même catégorie que L’Archipel : « C’est bien un roman qu’Orwell a voulu composer, c’est une investigation littéraire qu’il a entreprise27. »

La seule marque propre à la fiction, c’est peut-être alors l’intensité singulière que Lefort dit sentir dans ces textes qu’il étudie. Ainsi le « charme terrifiant28 », pour lui, du livre d’Orwell. Et même si d’autres écrivains, de Machiavel à Soljenitsyne, se distinguent à l’occasion par une virulence particulière, notamment dans le maniement de l’ironie, on découvre chez Sade « un soulèvement de la pensée », « une rupture des barrières du pensable », « une sorte de lame de fond qui emporte tout sur son passage29 », qui ont peu de précédents.

Rushdie sans les gouffres

Les choses se compliquent pourtant. D’abord, tous les textes littéraires – ou faut-il dire d’investigation littéraire ? – explorés par Lefort ne donnent pas lieu à cette connaissance par les gouffres. L’exemple des Versets sataniques est instructif à cet égard. Certes, dans le plus long des deux articles qu’il lui a consacrés, en 1990, Lefort analyse moins le roman lui-même qu’il ne commente les réponses de l’auteur aux questions récentes d’un journal anglais. Cependant, il montre clairement que, chez Rushdie, « le sens de la responsabilité de l’écrivain » n’est plus seulement liée au genre de vie d’un seul pays. Comme il l’écrit dans un article plus bref, paru l’année suivante, « il sait qu’il a à répondre de l’existence du monde, du lien social, de l’humanité, qui ne seraient rien sans notre foi30. »

Arrêtons-nous ici un bref instant pour souligner que Lefort rappelle ici en raccourci la deuxième grande attache de la littérature à la démocratie, celle de la sociabilité, étroitement nouée à celle, déjà rappelée, de la liberté. L’écrivain et son lecteur, mais aussi le public et la critique, participent de la démocratie en ce qu’elle est non seulement « un type d’institutions » mais aussi « un mode d’existence31 », a way of life. Publier, d’un côté, et se porter à la rencontre d’un livre, de l’autre, sont des façons, parmi d’autres, de témoigner d’une adhésion, même et surtout si elle est critique, à ce mode de vie dans lequel « chacun est en quête de sa place, de la différence, de la distance de soi à l’autre32 » et qui requiert et entretient un débat permanent sur le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le légitime et l’illégitime : « Cette décision-là n’est-elle pas déjà sans cesse au cœur de la création littéraire33 ? ». Celle-ci représente un acte de liberté et de « foi » dans le lien social ; elle concrétise (et renforce) une liberté et une relation à autrui permises par la démocratie, mais qui ne sont pas pour autant spontanément données. De plus, à travers la façon dont elle « modélise » un état, fugace ou durable, d’un pan de société, la littérature, dans le roman en particulier, explore quelques-unes des voies par où peut passer le rapport à autrui, dans toute l’étendue de ses virtualités – mais sans vouloir en donner une vue globale ou surplombante, comme les idéologies évoquées plus haut – et en laissant toujours une place à la solitude et à l’énigme de l’individu.

Chez Rushdie, comme chez Soljenitsyne, à partir de l’expérience d’un homme capable de dire « je » face aux pouvoirs, la scène géographique s’élargit considérablement. Pour autant, elle ne prend pas une apparence aussi « monstrueuse » que chez l’auteur russe, chez Orwell ou chez Sade. « La grande fissure du monde moderne » ne devient pas un abîme. L'attrait pour l’humanité » – « en chacun et englobant tous les hommes » – affronte « l’épreuve de la division et du tourment34 », « l’épreuve du déracinement et de la division35 », mais sans donner sur des gouffres. Malgré les assauts du despotisme, qui vise à faire des hommes des ennemis et non des semblables, et du relativisme, qui, en proclamant le « droit à la différence », aboutit souvent, à les rendre indifférents les uns aux autres, voire ignorants les uns des autres, la sociabilité reste pour Rushdie un horizon et un espoir. Dans ses romans, il « cherche ce que ce monde (…) lui apporte, quelles ressources il y puise pour penser, écrire, vivre au milieu des autres36 ».

Enfin, dans les histoires qu’il raconte, son attitude face aux religions existantes, qui ne passe ni par le fanatisme, ni par l’ignorance, encore moins par l’indifférence, contraste fortement avec l’abaissement auquel on réduit les hommes ici ou là, ou bien avec la façon dont ils s’y soumettent (Orwell) ou parfois même le recherchent (Sade). Dans l’idée que Rushdie se fait de la transcendance, tout en ayant choisi l’athéisme, Lefort voit « la révélation d’un pouvoir-limite qu’a l’homme de tenter de passer outre sa condition, pouvoir inverse de celui qu’il a de tomber au-dessous de lui-même, de vouloir l’abjection37 », de céder au gouffre. N’est-ce pas, en revanche, du choix ultime de l’abjection, voire de l’officialisation utopique de celle-ci, que parlent Orwell et Sade ? Chez ce dernier, dans la République telle que les libertins souhaitent la voir s’instaurer, « le despotisme de la passion, s’il est assumé, fait que l’homme découvre son abjection38 », celle que les idoles du prince et de la religion lui cachaient au temps des rois.

La Terreur sans littérature

Deuxième complication : si la « connaissance par les gouffres » permet à Lefort d’approfondir sa pensée sur des points déterminés, elle n’est pas le privilège exclusif de de l’investigation littéraire. On en a un exemple avec l’analyse qu’il donne, en 1983 (c’est-à-dire avant ses articles sur Orwell, sur Sade et sur Rushdie), d’un discours de Robespierre, analyse qui use à six reprises des termes d’« abîme » et de « gouffre ». Il s’agit du discours prononcé à la Convention, le 30 mars 1794, au moment où Danton vient d’être arrêté – sans l’aval préalable de l’assemblée – et par lequel l’Incorruptible convainc celle-ci qu’elle n’a pas à entendre l’accusé. Dans ce discours, et dans un rapport de Saint-Just, prononcé un mois plus tôt et qui contient la phrase : « ce qui constitue une république, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé », la Terreur elle-même parle, dit Lefort. Derrière les orateurs, et particulièrement Robespierre, on sent « la bouche de terreur qui engendre et engouffre la parole39 ». Certes, ces révolutionnaires ont une stratégie : intimider, suggérer que tout désaccord avec eux équivaut à conspirer contre la République et, en même temps, écarter d’eux le soupçon de vouloir occuper, remplir, usurper le lieu du pouvoir. Mais, adversaires ou partisans, cette parole « exerce sur tous un attrait en même temps qu’elle fait signe vers un abîme (…)40 ». Lequel ? Pas seulement le risque d’une rechute dans la barbarie des temps monarchiques, mais « la contradiction de la terreur alliée à la liberté41 ». Chez les auditeurs du moment, « leur fascination de l’être est en même temps fascination du gouffre42 ».

Il serait d’ailleurs instructif de rechercher les jonctions possibles avec les textes littéraires déjà cités. Par exemple, l'une des cibles implicites de Sade dans son combat contre l’idée que la République devait former une communauté vertueuse, était justement Robespierre. Et quand Lefort impute une part de l’échec de ce dernier à sa tentative d’étayer sa dictature sur une doctrine ou une orthodoxie – avec la fête ultérieure de l’Être suprême – et qu’il écrit : « La terreur révolutionnaire, la terreur moderne ne saurait s’accommoder d’une institution théocratique43 », ne s’expose-t-il pas au démenti que l’histoire lui apportera six ans plus tard avec la fatwa contre Rushdie ? Mais un démenti qu’il avait en quelque sorte entrevu en déclarant à propos de la politique religieuse de Robespierre : « Quand l’ennemi du peuple devient l’ennemi de Dieu, tout change44. » La connaissance par les gouffres est aussi prescience de l’inédit, même si, comme ici, elle ne passe pas par la littérature.

Littérature ou philosophie ?

On est alors devant une double question : la place de la littérature dans le travail de Lefort et, plus particulièrement, celle des œuvres de fiction. Même en tenant compte de la disproportion quantitative, qui saute aux yeux, entre la poignée de références littéraires que j’ai rappelées et l’abondance des analyses (« réflexions », « notes », « fragments d’interprétation ») consacrées à des philosophes, à des historiens ou à des écrivains politiques (quatre fois plus nombreux que les auteurs littéraires entre 1976 et 1993), on se méprendrait à ne voir dans les premières que des incursions intermittentes aux frontières de son territoire de prédilection. Comme si une conférence faite au Brésil en 1954 ne venait pas, au contraire, attester l’existence chez lui, alors encore en pleine période militante, de lectures littéraires étendues, françaises et étrangères, et d’un intérêt passionné pour les formes d’invention propres au roman, intérêt qui a peut-être pris naissance avec la rencontre, en classe de seconde, des Thibault de Roger Martin du Gard. Et surtout comme si l’on n’avait pas, en 1985, cette forme d’aveu si impressionnante, si intimidante presque, que je n’ai pas osé en parler au début : avant même d’entrer en classe de philo, dit Lefort, « je souhaitais être écrivain ». Et d’ajouter : « Renonçant à la littérature, (…) je connus l’attrait d’une écriture qui portait l’empreinte de mon premier désir45. » L’intérêt, pour dire le moins, que Lefort porte à la littérature n’est ni ponctuel ni accidentel.

Une hypothèse différente pourrait alors être faite : certes, les incursions dispersées de Lefort en territoire littéraire ne sont pas fortuites, mais elles constituent des annexions déguisées à la philosophie ou, au moins, elles ont pour effet d’arrimer la littérature au massif de ses autres études, lectures et interprétations, qu’on pourrait nommer, d’un terme qu’il applique à Leo Strauss, « philosophiques ou, à mieux dire philosophico-politiques46 ». Ainsi, il appelle Rushdie un « écrivain-penseur47 », terme qu’il a utilisé peu avant dans un autre texte comme synonyme de philosophe48 ; ailleurs, il fait d’Edgar Quinet le plus oublié des « historiens-philosophes » du XIXe siècle49. Dans un entretien de 1988, sa définition de la tradition philosophique – « la poursuite d’une interrogation qui transgresse les limites de tout domaine particulier50 » – reprend presque mot pour mot celle qu’il donnait, dix ans plus tôt, de la démarche de Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag : « Une interrogation que nulle connaissance d’ordre historique, sociologique ou politique, ne saurait combler51 ». Et en empruntant à ce dernier livre, comme on l’a vu, l’expression d’« investigation littéraire » pour l’appliquer au célèbre roman d’Orwell, n’atténue-t-il pas la différence entre le roman et l’essai pour mieux faire ressortir le questionnement philosophique qui serait commun aux deux textes ? « (...) Qu’est-ce qu’une interrogation sans frontières, sinon l’interrogation philosophique52 ? ».

Il y a là de quoi jeter un doute sur la distinction entre « œuvres de philosophes, d’écrivains politiques, mais aussi œuvres littéraires53 », dont Lefort s’est pourtant servi, en 1998 encore, pour évoquer l’ampleur des lectures faites par Hannah Arendt. Dans son cas à lui, ce compartimentage ne serait-il pas devenu inopérant ? Et ne devrait-on pas lui substituer une formule unique, par exemple « le sens de la parole et de la pensée vives » qu’il juge un moment préférable à « l’équivoque » que crée le mot de littérature54 ? Si tel est le cas, la trouvaille de Soljenitsyne, l’« investigation littéraire », serait sûrement la plus appropriée.

Pourtant, il n’est pas si simple d’effacer les distinctions convenues. D’abord, si L’Archipel du Goulag et 1984 sont pour lui, chacun à sa manière, des investigations littéraires, il n’y voit pas pour autant des succédanés de philosophie. L’écrivain russe, par son récit personnel, par les témoignages qu’il rapporte et par la réflexion permanente qui accompagne ces matériaux, « rend sensible ce devant quoi le concept se dérobe55 » ; le romancier anglais, à travers une intrigue et des personnages inventés, « s’aventure dans une région qui se dérobe à la lumière crue du concept56 ». Par ailleurs, Lefort revient souvent sur ses propres énoncés afin d’y apporter des nuances ou de les corriger. Dans le premier numéro de la revue Libre, il citait en substance, pour les approuver, des propos de Merleau-Ponty selon lesquels « il y a plus de philosophie dans un grand roman que dans la plupart des traités écrits sous ce nom57 ». Vingt ans après, il les trouve insuffisants. Ils « laissent dans l’ombre », dit-il, ce qu’ils devaient éclairer : « que faut-il entendre par philosophie58 ? » Il n’y a donc pas lieu d’imaginer un enveloppement mutuel de la littérature et de la philosophie ni de supprimer les distinctions entre elles et la production des écrivains politiques. Lefort ne les efface pas, il les travaille plutôt, il les met à l’épreuve. Tantôt, me semble-t-il, il amenuise les distances entre ces trois formes de l’art d’écrire, tantôt au contraire il les souligne et y insiste. Cette oscillation est inséparable du cours de sa propre investigation. On ne peut donc pas simplement déclarer caduques les distinctions en usage et prétendre unifier toutes les formes de l’art d’écrire à l’enseigne de la seule « investigation littéraire ». On ne peut pas non plus les regarder comme intangibles et définitivement assurées de l’autorité que leur donnerait la tradition.

Œuvre d’art et œuvre de pensée

N’y aurait-il pas moyen de sortir de ce balancement ? Reprenons des distinctions que Lefort a lui-même posées en 1970 pour définir ce qu’il appelle l’œuvre de pensée : « Ce qui n’est ni œuvre d’art ni production de la science, qui s’ordonne en raison d’une intention de connaissance et à quoi pourtant le langage est essentiel59 ». La formule ne suggère-t-elle pas que la place des textes littéraires serait du côté de ce qui est « œuvre d’art » ? Et si Lefort ne s’y résout pas, pourquoi ?

La première réponse serait qu’il rapproche parfois de façon explicite la littérature d’autres arts. C’est notamment le cas dans sa conférence déjà citée de 1954 et, beaucoup plus tard, dans un texte qui ne figure pas dans le groupe de ceux qui nous ont servi de point de départ : l’important essai « Le sens historique. Stendhal et Nietzsche », publié en 1992. Il y écrit : 

« Tel contemporain, le poète Henri Michaux, par exemple, ou le romancier Claude Simon, me paraît écrire comme nul autre avant lui ; davantage, il contribue à me donner le sens de ce que c’est qu’écrire. Or, le fait est que je n’éprouve nulle contradiction, nulle gêne à saisir pareillement le sens de l’écriture chez Montaigne, Chateaubriand, Baudelaire ou Mallarmé. Ni, davantage, contradiction ou gêne à discerner le sens de la peinture à la fois chez Piero della Francesca, Delacroix et Rothko, le sens de la musique chez Bach, Brahms et Bartok60. »

Á l’évidence, un tel parallèle et une telle mise en perspective sont absents de ses lectures d’œuvres « philosophico-politiques », signe que celles-ci ne s’y prêtent pas. L’on pourrait donc croire tenir ainsi le principe d’un partage satisfaisant entre œuvres littéraires et œuvres de pensée. Cet espoir, toutefois, est aussitôt ébranlé, puisque Lefort écrit dans le même texte : « (…) On peut douter que notre sens de la philosophie, notre sens de la pensée à l’œuvre, soit aussi éloigné qu’il paraît du sens de la littérature ou du sens de la musique61 ». La spécificité artistique qu’il semblait avoir reconnue à la littérature un instant plus tôt est de nouveau relativisée, l’oscillation dont je parlais plus haut reparaît. Pour Lefort, la littérature a sans aucun doute une dimension artistique, mais les œuvres qui l’intéressent ne se réduisent pas à la manifestation de celle-ci. Comme la peinture, la littérature fait partie pour lui « des modes de connaissance et d’expression aventureux62 », ce qui ne la sépare pas de l’œuvre de pensée ni ne l’y oppose vraiment.

La deuxième réponse serait qu’il n’est pas évident de parler d’art là où il s’agit de littérature. Quand, dans le passage cité plus haut, Lefort énumère les auteurs, actuels ou passés, au contact desquels il a formé son sens personnel de l’écriture, il évoque trois catégories de textes différentes : la poésie avec Baudelaire, Mallarmé et Henri Michaux; la fiction avec Claude Simon; et, représentés par les noms de Montaigne et de Chateaubriand (cité probablement ici davantage pour Mémoires d’outre-tombe que pour Atala), les textes d’historiens, d’essayistes et d’écrivains (ou d’acteurs) politiques dont nous avons déjà dit qu’ils ont la place d’honneur dans ses analyses. Ce qui rend difficile de placer une fois pour toutes la littérature du côté de l’œuvre d’art – en regard de l’œuvre de pensée –, c’est précisément qu’elle est un espace à plusieurs entrées et qu’on ne peut la caractériser d’une manière unique.

C’est ce dont prend acte aussi, mais de façon très différente, un essai remarquable de Gérard Genette, Fiction et diction, paru la même année que « Le sens historique. Stendhal et Nietzsche » de Lefort. L’auteur pose d’emblée que « la littérature est sans doute plusieurs choses à la fois » et nécessite en conséquence une théorie « pluraliste63 ». Et la correspondance paraît à première vue frappante entre les trois composantes du « sens de la littérature » mentionnées par Lefort et les trois différents modes de « littérarité » que Genette évoque : la fiction, la poésie et ce « domaine fort considérable » que représente « la littérature non fictionnelle en prose : Histoire, éloquence, essai, autobiographie, par exemple64 », fait d’œuvres qui ne relèvent « ni du contenu fictionnel ni de la forme poétique65 ». Mais qui, au cas par cas, peuvent aussi, au-delà de l’intérêt qu’offrent leur sujet et leur démarche, procurer un plaisir esthétique à ceux qui les lisent.

Seulement, la ressemblance des deux approches ne va guère plus loin. En premier lieu, telle que Genette la conçoit – c’est-à-dire comme « ce qui fait d’un message verbal une œuvre d’art66 », ou encore comment « cet instrument de communication et d’action » qu’est ordinairement le langage peut devenir « moyen de création67 » –, la définition de la « littérarité » ne prend pas en considération la qualité esthétique des œuvres – et cela vaut aussi pour d’autres arts :

« Si une épopée, une tragédie, un sonnet ou un roman sont des œuvres littéraires, ce n’est pas en vertu d’une évaluation esthétique, fût-elle universelle, mais bien par un trait de nature, tel que la fictionalité ou la forme poétique. (...) Le plus mauvais tableau, la plus mauvaise sonate, le plus mauvais sonnet restent de la peinture, de la musique ou de la poésie pour cette simple raison qu’ils ne peuvent être rien d’autre, sinon par surcroît. (...) La littérarité constitutive d’œuvres de fiction ou de poésie – comme l’“artisticité”, également constitutive, de la plupart des autres arts – (...) est, en quelque sorte (...) imprescriptible et indépendante de toute évaluation68. »

Bien entendu, il en va différemment chez Lefort. La manière dont se forme le sens de la littérature dans « Stendhal et Nietzsche », c’est-à-dire au contact et à l’épreuve d’une pluralité de grands textes, ressemble d’ailleurs à la définition de l’œuvre de pensée qu’il donnait en 1970. Celle-ci, disait-il alors, est destinée à « circonscrire le lieu que sillonnent des discours aussi divers que ceux de Platon et de Thucydide, de Montaigne et de Machiavel ou de Marx et de Freud69 ». Ces six références – et leur agencement – montrent que la désignation d'œuvre de pensée est implicitement valorisante et très éloignée de recouvrir tout ce qui peut s’écrire en matière de philosophie et d’analyse politique. Un écrivain-penseur est différent d’un « intellectuel philosophant » ou, pour employer la formule plus rude de Tocqueville, d’un vendeur d’idées70. Loin de s’opposer simplement à l’œuvre de pensée, l’« œuvre littéraire », envisagée comme « œuvre d’art », est aussi pour Lefort une appellation élogieuse, valorisante, réservée à des productions d’exception et s’accorde mal avec les réflexions du poéticien.

En second lieu, en ce qui concerne la seule littérature, il existe selon Genette une inégalité de principe entre la fiction et la poésie, d’une part, et les textes de prose non fictionnelle, d’autre part. Pour lui, en effet, ceux-ci ne peuvent pas être « considérés comme des œuvres », « c’est-à-dire des productions à caractère esthétique intentionnel et, de ce fait, relever de la catégorie artistique, « car leur caractère intentionnellement esthétique n’est pas garanti71 ». Au lieu d’« œuvres intentionnelles », ils représentent « seulement des objets (verbaux) esthétiques72 ». C’est pourquoi leur appartenance à la littérature a été reconnue bien plus tardivement que dans le cas de la poésie et surtout de la fiction. Et, au lieu d’être constitutive, comme pour ces deux-là, elle demeure toujours « conditionnelle », suspendue à l’appréciation d’un lecteur – le plus souvent individuel, « comme celle de Stendhal devant le style du Code civil73 ». Aussi, dans le système de Genette, les poétiques anciennes, constitutives (et fermées) ont-elles besoin d’être complétées par des poétiques nouvelles, conditionnelles et ouvertes. Sans elles, toute la prose non fictionnelle ne serait pas reconnue comme littéraire.

Certes, on pourrait dire que Lefort pratique à sa manière une poétique très actuelle et très ouverte puisque la grande majorité des textes qu’il étudie relèvent précisément de ce domaine que, selon Genette, les poétiques anciennes (et fermées) ont tenue très longtemps, sauf exceptions notables, à l’écart de la littérature proprement dite. Mais l’important est que, pour sa part, il ne conteste nullement à la prose non fictionnelle la capacité de faire œuvre d’art, alors que Genette réserve celle-ci à la fiction et à la poésie. Son approche de ce troisième mode de « littérarité » est donc tout à fait personnelle et remarquable.

Simplement, pour retrouver la question de départ, ce type de prose est aussi celui qui rend particulièrement ardu un partage clair et net entre œuvre d’art et œuvre de pensée. En témoigne le fait que, pour Lefort, on l’a vu, Montaigne figure aussi bien dans la liste d’auteurs de grandes œuvres de pensée qu’au nombre des écrivains qui l’ont aidé à élaborer son sens personnel de la littérature. Autre exemple : son évaluation complexe de L’Archipel du Goulag, au moment où il tente de distinguer la nature de ce livre de celle d’Une journée d’Ivan Denissovitch. J’ai déjà fait référence à ce passage, je le cite maintenant en entier : L’Archipel, dit Lefort, « n’est pas une nouvelle, c’est une œuvre de pensée dans laquelle le désir de savoir se donne libre carrière sans passer par le détour de la fiction, quoiqu’elle demeure nécessairement littérature en tant qu’investigation74 ». Phrase sinueuse et déconcertante, qui traverse à deux reprises, et en sens opposé, la ligne de démarcation virtuelle entre une œuvre de pensée et une œuvre de l’art littéraire, manifestant que la différence entre les deux se perpétue même là où elle est censée être la plus poreuse.

Au reste, il est sans doute superflu d’imaginer un échange d’arguments entre le poéticien et l’« écrivain-penseur ». Lefort a eu peu de considération pour la poétique, si l’on en juge par quelques traits acerbes décochés de loin en loin à Roland Barthes. Il existe sûrement une raison, restée implicite, à ce désaccord. Dans les constructions des poéticiens, dans la tâche de classement et de reclassement à laquelle ceux-ci se vouaient, Lefort voyait sans doute un symptôme de ce « singulier désir de conjurer l’insécurité75 », qu’il avait, bien avant 1992 déjà, décelé chez d’autres théoriciens, dans un domaine qui n’était pas celui de la poétique. Et qu’il avait retrouvé plus tard chez des lecteurs de L’Archipel du Goulag, qui se disaient lassés par la longueur de l’ouvrage : « C’est par peur d’être mis soi-même dans la nécessité de penser ce qui passe le pouvoir ordinaire de penser qu’on rejette l’investigation littéraire76 (...) ». Mais c’est en 1976 seulement qu’il fait la caricature du sémiologue à la mode, « retranché de la littérature et de la philosophie pour goûter sans risque le plaisir du texte77 ». Toute l’activité de celui-ci vise à faire oublier « cette insécurité qui fait toujours le ressort du travail de l’interprétation78 ».

Du reste – et c’est une troisième réponse –, si l’on quitte la prose non fictionnelle de L’Archipel du Goulag pour revenir aux autres textes dont nous sommes partis (Sade, Orwell, Rushdie) et qui sont, « constitutivement », des textes de fiction, nous retrouvons chez Lefort une prise de distance analogue avec la poétique. La fiction est la propriété distinctive de la littérature la plus anciennement connue, depuis qu’Aristote l’a définie par des imitations d’actions et d’événements imaginaires. Pour le public, elle est la manifestation la plus évidente de l’art littéraire. Lefort, bien entendu, ne l’ignore pas. Il en souligne et valorise plus d’une fois l’importance : déjà en 1954, en analysant les innovations de cinq des grands romanciers du XXe siècle, et plus tard, quand il se montre attentif au roman d’Orwell ou à La Philosophie dans le boudoir pour contester les idées erronées qui circulent à leur sujet. Il montre que, chez Sade, où l’action progresse à travers les dialogues, à l’exclusion de tout récit (« Tout ce qui se fait se dit79 »), l’enchâssement d’un libelle politique dans le cinquième d’entre eux n’est pas l’intrusion arbitraire d’un texte sans rapport avec le reste du roman, mais qu’il commande au contraire, intentionnellement, la composition de l’ouvrage. La conduite de l’intrigue chez Orwell et, plus encore, l’usage habile de la focalisation interne pour faire partager au lecteur le sentiment d’inquiétante étrangeté qui hante le personnage de Winston, deux procédés souvent traités superficiellement par les commentateurs, lui paraissent des ressorts essentiels de la conduite de l’action80. Enfin, quand il évoque le « charme terrifiant » de 1984 ou, à propos de Sade, un roman « fort habilement conçu ; cela pour le plaisir et l’étonnement du lecteur81 », il indique bien que la relation qui s’instaure avec le texte est d’ordre esthétique et que la lecture est nourrie de ce qu’il appelle, à propos de Rushdie, le « bonheur de la rencontre82 ».

Il n’en reste pas moins qu’à ses yeux, et notamment chez Rushdie, « la fiction (…) est d’abord un mode de connaissance, d’exploration des rapports que nous entretenons avec les autres, avec le monde, elle est faite pour éveiller, inquiéter le lecteur, exciter son jugement83 ». On en revient à un trait déjà noté : la distance que la fiction pourrait mettre entre le roman et les textes des philosophes ou des écrivains politiques, entre l’art littéraire et les œuvres de pensée, est à nouveau amenuisée. La fiction ne suffit pas à conférer un statut d’autonomie aux œuvres où elle est présente ni à la littérature : « (…) le roman, la littérature en général ne désigne pas un mode d’expression délimité, à distance d’autres modes d’expression, de connaissance et d’action84 ». C’est une autre pierre dans le jardin des formalistes.

Sens de l’écriture et sens historique

C’est bien ce mode d’exploration, d’investigation, de connaissance, qui captive Lefort chez les auteurs qu’il pratique le plus, que leur prose soit ou non fictionnelle. La plupart d’entre eux, dit-il, « ont fait œuvre politique », bien que dans des circonstances très différentes85. Les uns ont pu, par exemple, être des « acteurs politiques86 » et exercer des responsabilités publiques importantes (ainsi Constant, Guizot, Chateaubriand, ou Tocqueville), d’autres, à l’opposé, ont subi à divers titres,  parfois au risque de leur vie, les effets de la violence politique, surtout au XXe siècle (Orwell, Hannah Arendt, Soljenitsyne, Rushdie), mais c’était déjà le cas, au XIXe, avec les proscrits : Michelet, Hugo, Joseph Ferrari ou Marx ; et, d’une autre manière encore, avec Sade à la fin du XVIIIe. Mais le point commun qui intéresse Lefort est que, chez eux, « l’expérience du présent s’avère le foyer de l’interrogation87 ». (Il dit aussi : « l’interprétation du présent88 »). Ce qui soutient l’œuvre, qu’elle soit littéraire – fictionnelle ou non – ou de pensée, c’est, répétons-le, sa capacité à interroger et à explorer. C’est aussi la variété ou la densité des formes d’invention qu’elle met au service de son désir de questionner, que celles-ci soient voyantes comme chez Joyce et Dos Passos ou discrètes comme chez Kafka (« son art n’est nullement d'envoûtement89 »). Enfin, c’est la manière dont elle contraint son interprète à une sorte de « décentration », expression tirée de la même grande conférence de 195490, c’est-à-dire à l’abandon de toutes les positions de survol, de confort ou de pouvoir abusif qu’il pourrait, au cours de son travail ou de sa lecture, être tenté de prendre envers le texte, ses questions et les mondes abordés. Comme l’auteur lui-même l’a fait tout d’abord.

Quand un auteur, même important, renonce à interroger, son style devient ennuyeux ; ainsi Guizot après 1848 : « (…) le théoricien, l’historien, le praticien et l’écrivain étaient si intimement liés qu’ils ne pouvaient que défaillir ensemble91 ». En revanche, si l’interrogation – ou l’interprétation – demeure sensible, ouverte, soutenue, elle peut être relancée, à nouveaux frais, quand un lecteur ultérieur s’en saisit : « Chaque penseur vit dans un monde, une société et un temps singuliers. Je dois donc tenter d’éclairer la situation qui lui est faite pour m’approprier ses questions et mieux interroger le monde présent92. »

On touche ici à ce qui est, pour Lefort, la troisième grande attache symbolique de la littérature à la démocratie et qu’il appelle le « sens historique », titre de cet essai de 1992, déjà plusieurs fois cité. De façon générale, l’idée de l’œuvre apparaît dès que l’histoire humaine est conçue sous l’aspect d’un « développement cumulatif », « impliquant pour une société la thématisation de son passé, l’aménagement de son ordre présent, en fonction de la représentation de son passé, l’ouverture à un avenir indéterminé, qui assigne à l’action des tâches, la fait apparaître comme créatrice, tournée vers des œuvres, quelle que soit leur nature93. »

Cependant, l’avènement de la démocratie se signale entre autres par une « expérience neuve de l’histoire », dont l’apparition est indatable précisément, mais déjà perceptible dans la philosophie à la fin du XVIIIe siècle. Ce « sens de ce qui advient et bouleverse notre expérience de la condition humaine94 », Lefort l’appelle « sens historique » (sans lui mettre de majuscule) et prend soin de le distinguer de « l’image d’une direction unique que suivrait l’humanité95 », qui caractérise, elle, les philosophies de l’histoire. La prise de conscience, parfois tourmentée, de l’irréversible, « une notion qui était encore absente de l’univers classique96 », est étroitement lié à cette apparition : « L’idée d’un impossible retour en arrière, l’idée d’un sens du temps, voilà ce qui s’empare de l’esprit des hommes97. »

Dans l’ordre de la création, en littérature et dans les autres arts, ce nouveau cours du temps et l’essor d’une culture démocratique se traduisent par un nouvel impératif, « celui de la non-répétition », qui entraîne des changements considérables du point de vue de l’invention et de l’expression. Ainsi, l’idée d’une coupure s’installe entre la littérature à l’âge moderne et les poétiques classiques ; mais aussi entre le roman du premier XXe siècle et ce qui l’a précédé (romantisme, naturalisme). Dans sa conférence brésilienne de 1954, Lefort souligne ainsi les divergences qui éloignent les romanciers qu’il étudie, de Kafka à Faulkner, de leurs prédécesseurs, notamment Balzac et, plus tard, Dostoïevski ; et il oppose « le bouleversement constant du mode d’existence littéraire » depuis 50 ans à « la stabilité des styles dans le passé98 ».

Le rôle que la littérature prend, du fait même de son activité créatrice (et pas seulement à travers le tableau ou l’esquisse qu’elle peut livrer d’une société à un moment donné), et sa façon de matérialiser aux yeux des contemporains une liberté et une sociabilité nouvelles se heurtent du coup à des résistances, venues d’autres artistes eux-mêmes, des publics et de l’opinion dominante qui y voient une provocation, un scandale, voire un danger révolutionnaire. D’où le cours heurté, impétueux et intensément polémique de la production littéraire et artistique, notamment au temps des « avant-gardes ». Pour le comprendre, écrit Lefort dans « Le sens historique » :

« inutile de se demander ce qu’un classique pourrait saisir de ce qui se fait dans ce dernier demi-siècle, quoique nous soupçonnions qu’il le jugerait inintelligible, voire détestable. (…) il suffit de se souvenir des furieuses résistances auxquelles se sont heurtés, depuis un siècle et demi, au moins, ceux qui, compositeurs, peintres ou écrivains, ont transgressé des normes auparavant tenues pour naturelles99 (…). »

En même temps, on l’a vu plus haut avec la première citation tirée du même texte, la conscience du cours irréversible des choses doit composer avec « une faculté nouvelle », apparue au XIXe siècle chez les auteurs et leurs lecteurs, de se mouvoir « dans un espace à la fois non identifiable et sans contours définis100 », où se rencontrent par exemple Claude Simon, Baudelaire et Montaigne. Un espace qui rassemble des œuvres pourtant très différentes et souvent séparées entre elles par de grands écarts de temps, mais où chacun peut reconnaître, de sa place particulière, la marque indubitable de la littérature. Point n’est besoin, d’ailleurs, pour y parvenir, d’être ouvert aux innovations artistiques les plus récentes. Même un amateur rétif à « ce qui vient après Proust, ou bien après Debussy, ou bien après Cézanne », dit Lefort, « se meut, s’oriente avec discernement dans un espace où coexistent sans peine Dante, Monteverdi ou Giotto101 ».

Une vision trop stricte ou trop mécanique de l’irréversibilité risque de nous faire négliger, oublier ou ignorer le lien qui nous attache à des auteurs avec lesquels nous croirions à tort n’avoir plus rien de commun, du fait que les repères de ce qui était possible pour eux, de leur temps, dans leur « avoir-été », ont disparu ou se sont radicalement transformés. En réalité, « (…) le lien subsiste entre l’idée de ce qui fut autrefois commencement et l’idée de qui, dans le présent, appelle un nouveau commencement, le lien subsiste entre l’idée d’une révélation et celle d’une novation102 ». C’est pourquoi l’irréversible doit être redéfini comme « seulement ce qui porte la marque d’une naissance, d’un commencement, d’une singularité qui met toujours la pensée en mouvement103 ». Par-là, il est possible de renouer non seulement avec les écrivains-penseurs du XIXe siècle dont nous parlions plus haut, les premiers à faire l’expérience de la modernité et de l’irréversible, mais aussi avec les Anciens. Pour leur part, Homère, Virgile, Shakespeare ou Racine ont été dotés de cette même réceptivité « à ce qui a été dit, autrefois, et à ce qui se livre, pour la première fois, de la parole de leur temps104 ». Dès lors : « Pour reprendre le mot d’Henri Michaux, la tâche est de toujours refaire le passage et les œuvres anciennes, pour peu qu’elles méritent leur nom, sont autant d’invitations au passage105. »

Pour Lefort, « il faut à la fois admettre deux propositions » : d’une part, « le sens de la littérature ne se circonscrit pas dans le temps » ; de l’autre, sa dimension temporelle est cependant impossible à mettre en cause, « dès lors que la littérature se laisse appréhender dans la variété de ses manifestations, dans le cours de l’histoire » – et cela, ajoute-t-il, « tout en se dérobant à toute définition106 ».

Répondant en 1996 à une question de Pierre Pachet sur la curiosité qu’il témoigne toujours à l’égard d’une forme d’illimité et d’immaîtrisé, et qui expliquerait notamment son goût pour l’œuvre d’Henri Michaux, Lefort met cette attention en rapport avec l’expérience démocratique qui « suscite une sensibilité nouvelle à ce qui se donne à nous sans contours, sans inscription dans un espace pré-établi107 ». Et il ajoute :

« Je pense en effet à Michaux, à ses poèmes, à ses récits aussi, jamais circonscrits. Je ne sais nommer ce qu’il écrit – non pas seulement parce qu’il efface – d’ailleurs le mot efface n’est pas bon – la distinction de la poésie et de la prose, mais parce qu’il entremêle ce qu’on croit relever de l’imagination et relever de l’observation (...). Des frontières disparaissent, et un trajet irrécusable se trace. (...) Eh bien, ce brouillage de frontières convenues, il me semble qu’il est le propre de notre temps108. »

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    1

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 29. Les textes sur Orwell, Sade et Salman Rushdie sont recueillis dans Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992. Des textes plus courts sur plusieurs des mêmes écrivains figurent dans Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007.

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    2

    Claude Lefort, « La politique est toujours en défaut, sinon en état de crise », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, p. 693.

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    3

    Claude Lefort, « Pour Rushdie, écrivain », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, p. 713.

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    4

    Claude Lefort, « Trois notes sur Leo Strauss », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 299.

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    5

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 29.

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    6

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 29.

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    7

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 96.

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    8

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 96.

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    9

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 112.

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    10

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 113.

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    11

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 116. Sur la diffusion de l’organisation industrielle dans les sociétés démocratiques, cf. aussi Claude Lefort, « Entretien avec L’Anti-Mythes » (1975), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 253-254 ; et « Le refus de penser le totalitarisme » (2000), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 975.

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    12

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 116.

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    13

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 23. Cf. aussi Claude Lefort, « Sur L'Archipel du Goulag » (1978), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 370.

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    14

    Claude Lefort, « Le corps interposé. 1984 de George Orwell », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992. p. 16.

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    15

    Claude Lefort, Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 27.

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    16

    Claude Lefort, Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 29.

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    17

    Claude Lefort, « Sade : Le Boudoir et la Cité » (1989), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 109.

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    18

    Claude Lefort, « Sade : Le Boudoir et la Cité », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 109 (souligné par l’auteur).

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    19

    Claude Lefort, « Sade : Le Boudoir et la Cité », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 97 (souligné par l’auteur).

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    20

    Claude Lefort, « Sade : Le Boudoir et la Cité », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 110.

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    21

    Cité par Claude Lefort, in « Guizot : le libéralisme polémique », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992 ; Claude Lefort, « Sade : Le Boudoir et la Cité », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 116.

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    22

    Claude Lefort, « Le refus de penser (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 975.

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    23

    Claude Lefort, « Le refus de penser (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 971 (souligné par l’auteur).

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    24

    Claude Lefort, « Nation et souveraineté » (1999), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 968.  Cf. aussi « L’imaginaire de la crise » (1997), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 916, où il analyse la crise de civilisation selon Hannah Arendt : « C’est une alternative radicale. Ou bien la crise annonce un commencement, ou bien une perte définitive des critères du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du réel et du possible ; elle ouvre un abîme. »

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    25

    Claude Lefort, « Sur L’Archipel (...) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 370.

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    26

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 36 (souligné par moi).

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    27

    Claude Lefort, « Le corps interposé (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 16 (souligné par l’auteur).

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    28

    Claude Lefort, « Le corps interposé (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 16.

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    29

    Claude Lefort, « Sade (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 92.

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    30

    Claude Lefort, « Pour Rushdie, écrivain » (1993), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 711.

    Retour vers la note de texte 20500

    31

    Claude Lefort, « Réflexions sur le présent, II » (automne 1989), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 370.

    Retour vers la note de texte 20501

    32

    Claude Lefort, « Pensée politique et histoire. Entretien avec Pierre Pachet, Claude Mouchard, Claude Habib, Pierre Manent » (1996), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 864.

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    33

    Claude Lefort, « Humanisme et anti-humanisme : hommage à Salman Rushdie » (1991), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 49.

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    34

    Claude Lefort, « Humanisme et anti-humanisme : hommage à Salman Rushdie » (1991), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 44.

    Retour vers la note de texte 20504

    35

    Claude Lefort, « Humanisme et anti-humanisme : hommage à Salman Rushdie » (1991), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 46.

    Retour vers la note de texte 20503

    36

    Claude Lefort, « Humanisme et anti-humanisme : hommage à Salman Rushdie » (1991), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 44.

    Retour vers la note de texte 20506

    37

    Claude Lefort, « Humanisme et anti-humanisme : hommage à Salman Rushdie » (1991), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 53.

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    38

    Claude Lefort, « Sade (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 109.

    Retour vers la note de texte 20511

    39

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 96.

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    40

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 93.

    Retour vers la note de texte 20509

    41

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 89.

    Retour vers la note de texte 20508

    42

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 104.

    Retour vers la note de texte 20513

    43

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 109.

    Retour vers la note de texte 20512

    44

    Claude Lefort, « La terreur révolutionnaire » (1983), Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Le Seuil, « Esprit/Seuil », Paris, 1986, p. 109.

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    45

    Claude Lefort, « Philosophe ? » (1985), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 354.

    Retour vers la note de texte 20515

    46

    Claude Lefort, « Trois notes (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 269.

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    47

    Claude Lefort, « Pour Rushdie (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 711.

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    48

    Claude Lefort, « Le sens historique. Stendhal et Nietzsche » (1992), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 703.

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    49

    Claude Lefort, « Révolution et parodie » (1985), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 538.

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    50

    Claude Lefort, « La pensée du politique » (1988), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 600.

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    51

    Claude Lefort, « Sur L’Archipel (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 370.

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    52

    Claude Lefort, « Maintenant » (1976), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 297.

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    53

    Claude Lefort, « Brèves réflexions sur la conjoncture actuelle » (1998), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 937.

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    54

    Claude Lefort, « Le sens historique (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 703.

    Retour vers la note de texte 20527

    55

    Claude Lefort, « Sur L’Archipel (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 370. Cf. aussi « Pensée politique et histoire (…) » : « Seul un individu, par son expérience propre, peut nous restituer à nous, individus, ses lecteurs, ce qui se dérobe à la conceptualisation. », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 849.

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    56

    Claude Lefort, « Le corps interposé (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 16.

    Retour vers la note de texte 20525

    57

    Claude Lefort, « Maintenant », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 297.

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    58

    Claude Lefort, « Philosophe ? », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992., p. 350.

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    59

    Claude Lefort, « L’œuvre de pensée et l’histoire » (1970), Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1978, p. 111.

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    60

    Claude Lefort, « Le sens historique (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 695.

    Retour vers la note de texte 20530

    61

    Claude Lefort, « Le sens historique (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 704.

    Retour vers la note de texte 20531

    62

    Claude Lefort, « Pensée politique et histoire (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 863.

    Retour vers la note de texte 20532

    63

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 11 et 31.

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    64

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 26.

    Retour vers la note de texte 20534

    65

    Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 30.

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    66

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 12 (cette définition est empruntée par Genette à Roman Jakobson).

    Retour vers la note de texte 20536

    67

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 16-17.

    Retour vers la note de texte 20537

    68

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 29-30.

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    69

    Claude Lefort, « L’œuvre de pensée (…) », Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1978, p. 141.

    Retour vers la note de texte 20538

    70

    Claude Lefort, « La liberté à l’ère du relativisme » (1989), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 639.

    Retour vers la note de texte 20542

    71

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 38-39 (souligné par l’auteur).

    Retour vers la note de texte 20541

    72

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 39.

    Retour vers la note de texte 20540

    73

    Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, « Poétique », 1992, p. 8.

    Retour vers la note de texte 20543

    74

    Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Le Seuil, « Combats », 1976, p. 29. p. 36 (souligné par moi).

    Retour vers la note de texte 20544

    75

    Claude Lefort, « L’œuvre de pensée (…) », Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1978, p. 142 ; Sur la fuite devant « l’indétermination qui est l’épreuve de la lecture », cf. aussi Claude Lefort, « Réponses à L’Anti-Mythes », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 256.

    Retour vers la note de texte 20545

    76

    Claude Lefort, « Sur L’Archipel (...) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 370.

    Retour vers la note de texte 20546

    77

    Claude Lefort, « Maintenant », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 297.

    Retour vers la note de texte 20547

    78

    Claude Lefort, « Maintenant », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 297.

    Retour vers la note de texte 20551

    79

    Claude Lefort, « Sade (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 94.

    Retour vers la note de texte 20550

    80

    Claude Lefort, « Le corps interposé (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 24.

    Retour vers la note de texte 20549

    81

    Claude Lefort, « Sade (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992., p. 90.

    Retour vers la note de texte 20548

    82

    Claude Lefort, « Humanisme (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 49.

    Retour vers la note de texte 20553

    83

    Claude Lefort, « Humanisme (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 44.

    Retour vers la note de texte 20552

    84

    Claude Lefort, « Humanisme (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 45.

    Retour vers la note de texte 20554

    85

    Claude Lefort, « Le relativisme déchaîne l’imbécillité » (février 1992), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 683.

    Retour vers la note de texte 20555

    86

    Claude Lefort, « Guizot (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992., p. 117.

    Retour vers la note de texte 20556

    87

    Claude Lefort, « Tocqueville : démocratie et art d’écrire » (1989), Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 79.

    Retour vers la note de texte 20557

    88

    Claude Lefort, « Guizot théoricien du pouvoir » (1987), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 277.

    Retour vers la note de texte 20558

    89

    Claude Lefort, « La littérature moderne comme expression de l’homme » (1954), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 122.

    Retour vers la note de texte 20559

    90

    Claude Lefort, « La littérature moderne comme expression de l’homme » (1954), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 122 (souligné par l’auteur).

    Retour vers la note de texte 20561

    91

    Claude Lefort, « Guizot (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 115.

    Retour vers la note de texte 20560

    92

    Claude Lefort, « Le relativisme (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 683.

    Retour vers la note de texte 20562

    93

    Claude Lefort, « Entretien avec L’Anti-Mythes », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 248.

    Retour vers la note de texte 20563

    94

    Claude Lefort, « Raymond Aron et le phénomène totalitaire » (2000), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 999.

    Retour vers la note de texte 20564

    95

    Claude Lefort, « Le sens de l’orientation » (1995), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 823. Cf. aussi « Trois notes (…) », Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, « Agora », 1992, p. 300.

    Retour vers la note de texte 20565

    96

    Claude Lefort, « La dissolution des repères et l’enjeu démocratique » (1986), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 555.

    Retour vers la note de texte 20566

    97

    Claude Lefort, « La dissolution des repères et l’enjeu démocratique » (1986), Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 556.

    Retour vers la note de texte 20567

    98

    Claude Lefort, « La littérature moderne (...) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 110.

    Retour vers la note de texte 20568

    99

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 696.

    Retour vers la note de texte 20570

    100

    Claude Lefort,« Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 702.

    Retour vers la note de texte 20569

    101

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 696 (souligné par l’auteur).

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    102

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 705-706.

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    103

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 709.

    Retour vers la note de texte 20572

    104

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 703.

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    105

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 701.

    Retour vers la note de texte 20575

    106

    Claude Lefort, « Le sens historique », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 703.

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    107

    Claude Lefort, « Pensée politique et histoire (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 864.

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    108

    Claude Lefort, « Pensée politique et histoire (…) », Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 863-864 (souligné par l’auteur). Pour une tout autre approche du brouillage des frontières que la littérature, « comme forme moderne de l’art de l’écriture » en démocratie, peut opérer, cette fois entre deux régimes de l’art et deux formes de « partage du sensible », voir Jacques Rancière, Le Fil perdu. Essais sur la fiction moderne, Paris, La Fabrique, 2014, p. 17-72.

    Pour citer cette publication

    Jean-Pierre Morel, « Claude Lefort : « Investigation littéraire » et démocratie » Dans Gilles, Bataillon (dir.), « Claude Lefort, une pensée pour le XXIe siècle ? », Politika, mis en ligne le 12/02/2025, consulté le 03/03/2025 ;

    URL : https://politika.io/index.php/fr/article/claude-lefort-investigation-litteraire-democratie